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samedi 4 juin 2016

HAITI FACE AU PHÉNOMÈNE DE L´IMMOBILISME SOCIAL ET POLITIQUE[*] (PREMIÈRE PARTIE)

HAITI FACING THE PHENOMENON OF SOCIAL AND POLITICAL IMMOBILITY

RÉSUMÉ
Cet article propose de faire ressortir le phénomène d´immobilisme social et politique qui caractérise la société haitienne. Il faut entendre par là le fait que le pays reste stagné, immobile, improductif, regressif, paralysé etc. Pour ce faire, il s´agit, en s´appuyant sur les arguments de quelques auteurs, d´analyser ledit phénomène à partir de trois grands éléments: le populisme, le mutisme et le propagantisme qui, en outre, constituent les différentes parties du présent article. En effet, la première sera consacrée à une problématisation du populisme où une considération particulière sur le populisme à l´aristidienne sera soulignée. La seconde partie est une analyse critique du mutisme du président Préval au cours de ces deux mandats quinquennaux ainsi que ses impacts politiques sur la société haitienne, enfin, la troisième partie, s´intitulant le propagantisme politique polluant de Martelly, est une analyse plus approfondie d´un article publié en 2012 sur la propagande politique à laquelle se livre M. Martelly depuis son accession au pouvoir.

ABSTRACT
This article proposes to bring out the social and political phenomenon of immobilism which characterizes Haitian society. It must mean that the country remains stagnant, motionless, unproductive, regressive, paralysis etc. To do this, it is, based on the arguments of some authors to analyze the said phenomenon from three main elements: populism, mutism and propagantism which also constitute the different parts of this Article. Indeed, the first one will be devoted to a problematization of populism where a special emphasis on populism of Aristide will be emphasized. The second part is a critical analysis of the silence of the president Préval during these two quinquennial terms and its political impact on Haitian society, and the third party, calling itself the pollutant political propagantismo of Martelly, is further analysis of a paper published in 2012 on the political propaganda that book Mr. Martelly since he came to power.


    INTRODUCTION

Plus d´uns se cassent la tête en cherchant à comprendre qu´est-ce qui est à l´origine de ce phénomène d´immobilisme social et politique dans lequel Haiti est plongée depuis des années. Au-delà de tout autre facteur, une réflexion critique sur notre culture politique ou encore sur notre manière de faire de la politique en Haiti, marquée par le populisme, le mutisme et le propagantisme, devrait nous aider à comprendre et à mieux cerner ce phénomène. Il convient, de ce fait, de questionner cette culture politique. C´est à cette difficile tâche que nous prétendons consacrer cet article. 
En effet, sur le plan de culture politique, l´Haiti contemporaine à partir de 1990 à nos jours est traversée par trois grands phénomènes socio-politiques, il s´agit du populisme, du mutisme et du propagantisme qui sont en même temps des courants d´idées qui se frayent une place au sein de la société haitienne.  Ces trois grands mouvements idéologiques, ancrés dans un handicape majeur d´un plan visionnaire et progressif, ont plongé le pays dans un état d´immobilisme tant sur le plan de développement humain et d´ascention sociale que celui des avancées économiques, structurelles et infrastructurelles. Les questions relatives à la tecnique et à la technologie sont encore plus catastrophiques. Une immobilisation paralysante qui se traduit par le fait que, jusqu´au moment où l´on parle, l´haitien vit dans un éternel hier, autrement dit, les jours d´avant étaient meilleurs que ceux d´aujourd´hui ou encore l´année passée était plus bonne que cette année-ci. Donc, l´être haitien vit dans une continuelle retrospection, dans un sempiternel passé qui ne reviendra plus jamais en même temps qu´il vivote dans un présent qu´il ne maîtrise pas voire un futur dont il n´a aucune l´assurance. Le désespoir est à son comble dans un pays où la scène politique est polluée de slogans politiques à caractère populiste et propagantiste qui agancent la faim et la misère du peuple.
Ce sentiment de désespoir étant total est le signe d´un handicape dont souffre l´histoire sociale, mais surtout politique du peuple haitien qui, - ne serait-ce qu´une forme d´illusion ou de défromation, car en fait l´histoire est dynamique et progressive - ne progresse pas comme elle devrait l´être. Nous marchons à reculons. L´avenir sur le plan social, politique et économique de la société haitienne baigne dans une profonde incertitude. Personne ne sait où on va. Tout cela résulte de ce que, depuis plus de deux décennies, la politique politicienne haitienne rentre dans une dynamique de populisme aristidien pour tomber dans un propagantisme martellytiste en passant par un mutisme prévalien. De ce fait, il s´avère très difficile d´espérer un quelconque changement dans tel secteur d´activité ou à tel niveau dans le cas où la réalité historique produite par l´une ou l´autre de ces cultures politiques reste intacte. 

Le populisme, le propagantisme et le mutisme, porteurs de résultats déconcertants, immobilistes et paralytiques, sont tous nocifs et contagieux à la construction démocratique pour laquelle le peuple haitien se bat. Que faut-il entendre par ces trois pratiques politiques qui s´érigent en maître en Haiti?  Le présent article a pour objet, par conséquent, de discuter ces trois mouvements idéologiques à travers trois figures emblématiques de la culture politique contemporaine haitienne, à savoir, Aristide, Préval et Martelly. En effet, ça fait longtemps depuis que ces pratiques qui deviennent une sorte de triture politique prennent le pays en otage, une sorte de séquestration politique. C´est une forme de gouvernance qui, bien qu´infructueuse, s´y impose. Le populisme, le mutisme et le propagantisme sont les trois thèmes clefs autour desquels s´articuleront nos réflexions analytiques. Notre objectif alors consiste à décrire la culture politique haitienne de l´époque contemporaine à partir de l´ère aristidienne. La situation critique actuelle du pays ainsi que les problèmes socio-politiques qui le rongent résultent en partie de cette culture. Ainsi, pour y parvenir nous allons essayer, dans un premier temps, de traiter du populisme puis du populisme à l´aristidienne en commençant bien entendu par récapituler les faits historico-politiques qui nous ont amené à ce Carrefour. Comme nous le verrons, se différant du populisme, le mutisme et le propagantisme, respectivement seconde et troisième parties de cet article, représentent plus une stratégie  politique pour mieux gouverner qu´une théorie politique à proprement parler.

1.      LE POPULISME ET LE POPULISME ARISTIDIEN
   1.1. Récapitulation des faits historico-politiques
Un discours populiste à caractère charismatique pas trop démagogique à l´époque – puis qu´il s´est accentué sur les problèmes réels de la société haitienne: la pauvreté, l´inégalité, l´exclusion sociale et l´ingérence américaine dans la politique interne du pays – a permis, en 1990, au président Aristide d´accéder au pouvoir. Cela se comprend facilement, car le contexte socio-historique e politique de l´époque était vulnérable à tout discours populiste. Ayant été à son apogée, il fallait en quelque sorte faire avec, car entre la dictature et la transition démocratique le populisme s´imposait entant qu´un mal nécessaire. De fait, ce discours peut se justifier par le fait que le peuple haitien, fraîchement libéré d´une dictature de 29 ans et plongé dans une soif démesurée de messages méssianiques et libérateurs pour le soulager – telle est généralement l´image de tout courant populiste –  ne pouvait compter que sur ces procédés pour panser ses blessures, sans cependant avoir la moindre conscience du danger auquel il se serait exposé en s´y adhérant. Nous avons précipitemment rentré dans un essaie démocratique coloré d´un populisme à partir de 1987 bien avant l´arrivée de M. Aristide. Donc, la rupture théorique d´avec la dictature en 1986 n´a engendré de cette date à nos jours (avant le coup d´état de 1991) que des régimes populistes prenant des formes diferentes.
           En second lieu, entre 1996 et 2011, durant deux quinquennats, Haiti s´est fait la championne d´un État qui n´existe ni en parole ni en acte, l´image par excellence d´un mutisme politique, d´une irresponsabilité de l´État face à ses devoirs marquée, d´une part, par le mutisme psychologique d´un chef qui n´est pas trop bavare, fuyant la Presse, souvent silencieux et sourd sur des questions politiques poignantes, mais d´autre part, par une espèce d´un laisser-aller de la part d´un Exécutif dirigé par un homme, en l´occurrence M. Préval, qui, pratiquement désarmé et impuissant aux pressions tant internes qu´externes, invite son peuple à se chercher lui-même les moyens qu´il estime les plus appopriés pour survivre, à se contruire une vie bon gré malgré, d´où la fameuse expression qui a fait écho en Haiti dans les années 2000 ''Naje pou w sòti'' (débrouilles-toi comme tu peux). 
          La trosième phase de cette décente aux enfers socio-politique du peuple haitien est marquée par ce que nous pouvons appeler un cataclysme politique, une foudre historique et un coup de tonnerre et d´émotionalité politique, voilà comment pouvons-nous qualifier ce qui est arrivé à Haiti lors des "élections" de 2010 après le terrible tremblement de terre. En effet, un accident de l´histoire, l´un des plus virulents de l´existence d´Haiti, a porté à la tête de l´État M. Martelly qui, en toute vraisemblance, a été l´objet d´une nomination en mai 2011de la part du trio maître d´Haiti (Canada, États-Unis et France) représentant les forces internationales qui tiennent le pays à la gorge. C´était juste pour humilier les Haitiens qui, par leur amateurisme politique, n´arrivent pas toujours à imposer leur choix. Il est, sur le plan musical, l´un des chanteurs les plus populaires du compas direct haitien qui ne tardera pas à devenir plus tard un propagantiste professionnel avéré que l´histoire nationale n´ait jamais engendré. Par son talent de musicien, il s´est imposé entant que tel dans le milieu culturel haitien. Néanmoins, nous pouvons dire que seule par la sorcelerie de la politique internationale que le peuple haitien était obligé d´accepter un tel choix qui plongera l´État haitien dans l´abîme des propagandes politiques. 
           Il a fallu attendre plus d´un quart de siècle pour comprendre notre égarement, pour examiner que ces trois mouvements n´ont fait qu´enterrer le peuple haitien. Lequel quart de siècle se trouve entrecoupé par 10 ans de populisme aristidien interrompus, 10 ans de mutisme prévalien qui ne dit pas exactement son nom, et ces cinq années de propagantisme politique nocif et polluant qui ne fait qu´intoxiquer le peuple haitien. Que nous réserve l´avenir après M. Martelly qui, se conjuguant d´ores et déjà au passé, est, néanmoins, rentré dans les annales de l´histoire sociale et politique haitienne?
Si M. Aristide est le prototype du populisme qui était à son comble dans la société haitienne jusque dans les années 2003, M. Préval, son ancien dauphin de 1991 à 2001, celui d´un mutisme stratégique d – nous disons bien stratégique et plus loin nous allons montrer pourquoi – alors M. Martelly s´inscrit dans la lignée d´un courant propagantiste, l´une des potentialités que lui vaut son talent de chanteur, car en tant que tel, il est un excellent meneur de foule, il sait comment la séduire par un discours démocratique coloré de populisme, mais surtout de propagantisme. Toutefois, la propagande politique, qui est une sorte d´intoxication et de pollution de la volonté collective, a toujours existé avant M. Martelly, car nul chef d´État ne peut s´empêcher de faire de la propagande politique qui se veut une des armes puissantes de tout leader qu´il soit populiste ou pas. Le populisme suppose en lui-même la propagande. Mais avec M. Martelly, c´est le règne de la médiatisation et de la technologie du propagantisme politique par l´utilisation des nouvelles Technologies de l´Information et de la Communication comme la télévision – M. Martelly a acquis sa propre chaîne de télévision appelée MatellyTV interconnecté avec la THN –, l´internet, les réseaux sociaux tels que facebook, twitter, une espèce de télé-propagantisme dans le sens que l´entend Taguieff (2004). Il s´en est fait le champion. Sur ce, le propagantisme politique a atteint son point culminant, un sommet auquel il lui était difficile de parvenir au cours des vingt cinq dernières années. Par ailleurs, il importe de souligner que c´est en ayant hérité, comme on argue à le dire dans le langage populaire haitien, d´un pouvoir de ''GWO PONYÈT'' (c´est-à-dire un pouvoir issu de la raison du plus fort d´origine étasunisienne), que M. Martelly, une fois à la tête de la magistrature suprême de l´État, a pu finalement instaurer son système de propagantisme politique. Et, pour arriver à conserver le pouvoir, il s´astreint à ne recourir qu´à deux formules politiques controverses: le propagantisme politique par le truchement duquel il tente d´endormir le peuple par des projets de développement fictifs, ensuite vient la distraction politique qui passe par des discours élogieux envers un international arrogant, avare et sinique, mais lesquels discours dérangent l´opposition politique et constituent une sorte de provocation à l´opinion publique. C´est à ce carrefour de propagantisme politique mélangé d´un populisme sournois que se retrouve notre Haiti chérie aujourd´hui.

          Par ailleurs, si le populisme, comme tout mouvement idéologique, est une arme à double trenchant en ce sens qu´il peut élever un leader au sommet de sa réputation sociale et politique en même temps qu´il peut le dévaloriser et le rabaisser; si le mutisme d´un chef d´État, étant synonyme d´un laisser-faire, d´un laisser-aller et d´une carte blanche pour commettre des crimes, s´effectue dans une parfaite complicité avec l´international dans le but d´achever son mandat après avoir trompé la vigilance de plus d´uns y compris ses opposants les plus radicaux, de façon en conséquence à pouvoir rester tranquilement dans le pays sans se reprocher et sans être reproché de quoi que ce soit, donc apparemment lavé et blanchi de tout soupçon; enfin, si le propagantisme politique énervant, au même titre que le populisme démagogique ou la démocratie truquée et corrompue, a pour principal objectif de leurrer le peuple, de l´intoxiquer, de le chosifier, de polluer son intelligence avec des scories tout en faisant fi de ses véritables révendications et en se comportant comme sourd et aveugle – son charisme de type propagantiste est son seul guide – alors il convient de nous poser la question suivante: Lequel d´entre ces trois courants d´idées est, dans le cas d´Haiti, le plus avantageux pour un leader politique et ses flagorneurs et l´est moins pour l´intérêt du peuple haitien? C´est une question qui englobe presque tout le sujet que nous voulons traiter ici et à laquelle il faut répondre avec précaution, car les réponses à soutenir peuvent varier en fonction de chaque mouvement. Avant de nous atteler à cette tâche, le problème de définition du concept de populisme mérite une attention particulière.

1.2.            Problématique d´une définition du concept de Populisme
          Que devons-nous entendre par la notion de populisme? Qu´est-ce qu´un populiste? Quel rôle joué par un populiste dans la société? Quelle est sa place au sein d´un système politique? Quelle est la différence entre un populiste, un démagogue et un démocrate? Quel est le sens contemporain de la notion de populisme aujourd´hui? Sous quel visage un chef populiste se présente-t-il d´ordinaire? Quelle est la place du charisme dans le populisme? Sur le sujet les interrogations ne cesseront de pleuvoir. Néanmoins, pour ce qui concerne cet article, trois aspects devront nous intéresser, il s´agira de préciser ce que le populisme est en soi, la relation entre le peuple et le populisme, la nature et l´image que projette tout leader populiste avant d´aborder le modèle populiste aristidien.
Le populisme, concept polysémique à la fois objet d´un suremploi et d´un emploi abusif, traduit littéralement tout mouvement, toute initiative ou toute stratégie – de nature plus ou moins désorganisée, non conceptualisée et théorisée – ayant pour épicentre le peuple dont la défense des intérêts représente la cause centrale et l´objectif principal. Disons mieux d´une autre manière, le peuple constitue l´un des principaux chevaux de bataille de tout courant idéologique de nature populiste ou encore de tous les hommes politiques qui se réclament être populistes ou ont été taxés comme tels. En effet, le discours d´un leader politique ou le leader lui-même ou encore un mouvement populaire peut être taxé de populiste pour quelques-unes des raisons suivantes: Soit qu´il dérange à la démocratie formelle et institutionnelle existante, mais décriée et dévoyée parce que, corrompue et pourrie, elle camouffle et bluffe, soit qu´il est en nette opposition avec l´ordre établi et véhicule un message de ''haine'' (il faut songer, dans ce cas précis, au populisme aristidien en Haiti et au populisme lépéniste en France), soit qu´il dit crûment sans utiliser la langue de bois ce que les autres pensent tout bas, soit qu´il ose porter à l´attention de tout le monde, suivant ses propres stratégies provocatrices et parfois violentes, les vrais problèmes des masses populaires particulières bien souvent oubliées, soit qu´il proteste contre l´injustice sociale, l´inégalité sociale, la répartition inégale des richesses etc., soit qu´il se détermine à contredire les programmes gouvernementaux. 
           Le mouvement populiste s´inscrit dans une lutte acharnée marquée par une éternelle insatisfaction, en d´autres termes, les populistes sont des éternels insatisfaits. En ce sens, tout mouvement populiste est à l´origine moraliste et identitaire en ce qu´il veut blâmer la morale politique existante, critiquer l´élite économique cupide et défend une doctrine identitaire des peuples contre toute vision universaliste estimée dangeureuse pour la conservation des valeurs, des moeurs, des traditions, des coutumes, des cultures et de la morale à caractère national. Le caractèrre populiste d´un courant ou d´un mouvement provient, le plus souvent, de l´extérieur, du dehors, de l´autre camp adverse, et s´inscrit dans un processus de déconsidération et de décoloration de la réalité. Ce qui fait qu´il y a, d´un côté, la nature du mouvement populiste en lui-même, c´est-à-dire ce qu´il est dans son essence et ce qu´il engendre comme résultat, et la perception ou la lecture de l´adversaire ou de l´opinion publique d´un tel mouvement de l´autre.
En effet, de nos jours, à l´époque contemporaine où nous vivons, traiter un chef d´État ou un leader politique de populiste est le plus souvent perçu comme une insulte proférée à l´égard de ce dernier, une injure pour susciter un affaiblissement de son intellectualisme et une justification de son illetrisme. En d´autres termes, c´est le rendre impotent sur le plan moral et éthique et tendre à anéantir sa carrière politique. L´image contemporaine qui nous est donnée d´un chef populiste - sans besoin de remonter à l´histoire du populisme en Europe, plus particulièrement en Russie, en Amérique Latine, plus précisément en Argentine et au Mexique, où il était synonyme de pouvoir du peuple plutôt que de démagogie politique - est celle d´un déréglé, d´un hors la loi, d´un hors norme pour la simple et bonne raison que ce dernier se met au côté d´une bande d´idiots, d´analphabètes qu´est le peuple dont il défend les intérêts, au lieu de défendre ceux des élites oligarchiques. Tout dirigeant politique dès qu´il s´identifie lui-même ou son régime au peuple est toujours perçu comme populiste de telle sorte qu´il devient partisan d´une bande de mécriants et d´incultes (Delsol, 2008; Taguieff, 2004; Deleersnijer, 2006). Chavez au Vénézuela, Poutine en Russie, Le Pen en France, même Bush aux États-Unis, et plus près de nous, notre fameux Aristide, tous ces chefs d´État contemporains n´ont pas pu échapper à ce qualificatif. 
          Pour Le Pen et Aristide, c´est un peu différent, parce que l´un et l´autre se sont eux-mêmes réclamés d´être du peuple et pour le leader du FN il se dit qu´il est lui-même le peuple. Donc, sans besoin d´aller plus loin dans le débat si complexe et compliqué sur les diverses théories et les différents types de populisme, il convient de retenir que le populisme est le mouvement politique le plus mal vu de l´histoire sociale et le plus critiqué de l´histoire politique contemporaine. Il est considéré comme étant désastreux, désavantageux et fragile pour l´avenir de la démocratie et pour le peuple lui-même duquel il prétend faire la volonté. Mais, par ailleurs, il faut admettre aussi que c´est un mouvement problématique qui dépasse l´entendement et la compréhension des grandes théories politiques telles que le parlementarisme tant en Europe, en Amerique Latine qu´en Afrique ou en Asie où il est en germe. Néanmoins, le grand problème, c´est qu´au lieu de chercher à comprendre, à étudier et à analyser le mouvement populiste, plusieurs théories politiques et théoriciens de la démocratie ont préféré le condamner, le banaliser et le diaboliser. Il est dit qu´un populisme excessif tend à la démagogie et est toxique pour le peuple. Un populisme qui tend à flatter les particuliers, la faveur du peuple est de la sorte un affront à la démocratie, une effronterie à la dignité et à la personnalité de ses leaders, ainsi il effondre la société. Mais qu´est-ce que le peuple? Ceux-là qui prétendent défendre les intérêts du peuple sont-ils eux-mêmes du peuple? Qu´est-ce qu´ils deviennent après avoir accédé au pouvoir au nom du peuple? C´est là un autre problème à résoudre.
Se basant sur l´historiographie du populisme – entendons par là l´évolution historique du populisme en tant que mouvement du peuple ou le peuple en mouvement – tous ceux qui ont fait du peuple la cause de leur lutte pour mieux s´enrichir ne se sont jamais issus du peuple, n´appartiennent point au peuple, mais à une élite économique et à la bourgeiosie écrasante. Ces élites se font le plus souvent passer pour des fervents défenseurs d´un peuple qu´elles prennent souvent pour des canails, qu´elles ne comprennent jamais et dont elles ne connaissent absolument rien. Concernant les besoins élémentaires et essentiels de ces derniers, elles s´en moquent éperdument. Ne n´était-ce pas le cas, le peuple ne se serait pas révolté contre elles lorsque cela ne marche pas, voilà pourquoi le populisme est le plus souvent pris pour une révolte sociale et politique, et traduit les frustrations et tout l´état colérique d´un peuple exploité, épuisé et meurtri. Par ailleurs, plus précisément dans le cas d´Aristide, certains défenseurs du peuple dans le passé, même s´ils provenaient de la classe moyenne, mais une fois accédés au pouvoir, ils lui tournent le dos, ils l´oublient. Ils prennent le pouvoir au nom du peuple, mais ils gouvernent contre le peuple, “car finalement la foule sera perdante et bernée: le tyran, après avoir supprimé les élites, gouvernera contre elle” (Delsol, Op. cit. p. 19). Or, bien qu´originellement séparés ou détachés du peuple, ils continuent toutefois à tenir un discours fourvoyant, ce dans le but d´impressionner un peuple qui, en réalité, n´est plus dans leur agenda. 
Cependant, un chef populiste est, le plus souvent, victime de son propre populisme ou de sa propre popularité dans la mesure où il est découvert par le peuple dans ses actes de dupérie. Tombés dans son propre piège d´excès de populisme, les chefs populistes précipitent leur propre chute. Ils deviennent les pirs ennemis du peuple. Nous en déduisons ainsi que le chef populiste l´est aux yeux des élites lorsqu´il prétend défendre excessivement les intétrêts des particuliers, et peut l´être aussi dans la pensée collective quand il est entrain de tromper le peuple. Dans les deux cas, le mal est infini. Mais, dans la perception des élites, le populiste est un pauvre type, mais très dangereux pour l´avenir de leur démocratie et de leurs intérêts. Son discours est révoltant, haineux et à la limite meurtrier. Il faut à tout prix l´étouffer au préalable. Mais pourquoi faut-il l´étouffer si le populisme vise le même sujet que la démocratie à savoir le peuple?

Si le populisme et la démocratie se sont tenus la main en se référant au peuple, en se fondant sur la volonté populaire et en se disant être le pouvoir du peuple, ce dernier en est melheureusement si souvent la principale victime. Populisme et démocratie, en se réclamant d´être au côté du peuple, font bon ménage en ce sens que les deux prétendent travailler au profit des masses populaires, mais les théories sont presqu´unanimes à insinuer, malgré les nuances, que tout mouvement populiste est à priori anti-démocratique parce que le populisme souffre de plusieurs problèmes d´ordre conceptuel, théorique et doctrinal, le populisme, ajoutent les théoriciens, est une corruption idéologique et une perversion méthodologique de la démocratie (Mény et Surel, 2008; Beleersnijer, Op. cit; Taguieff, Op. cit; Dorna, 1999; Dorna et Viqueux, 2004; Hermet, 2000; 2008; Hermet, Loaeza et Prud´homme, 2001). Non seulement tout pouvoir qui se serait déclaré ouvertement être du populisme – ce qui est d´ailleurs très rare, car, affichant un comportement de plus en plus prudent et véhatif, un homme avisé est plus enclin à prendre un verre avec un démocrate qu´avec un chef populiste de peur de perdre sa réputation – est susceptible d´être vaincu par les élites économiques et bourgeoises qui, optant pour la démocratie  et la bureaucratie capitaliste, estiment le mouvement populiste extrêmement dangereux pour leurs intérêts et pour ceux du peuple; mais surtout, le populisme est en soi dangereux pour le peuple lui-même, car de nature émotionnelle, charismatique et exastique, il est souvent la pulsion d´un chef charismatique animé d´une volonté personnelle et émotionnelle de tout renverser en transformant bien sûr généralement une simple question personnelle en droit. Mais, de quel peuple il s´agit? Une catégorie à priori bien construite dans la pensée des élites et des dirigeants et jamais le peuple en tant qu´il s´agit des masses les plus pauvres, défavorisées, misérables, mal nourries et mal vêtues, celles sur qui les cafards dorment chaque jour.
C´est en ce sens que le populisme est le plus souvent pris pour une déformation, une maladie voire une négation de la démocratie. Ce, non pas parce qu´il ne prétend pas défendre effectivement le peuple, mais parce qu´on estime que ses stratégies violentes vont à l´encontre du bien être même du peuple et des principes démocratiques. Donc, les auteurs en s´attaquant aux problèmes d´ordre structurel, organisationnel et institutionnel du populisme pour faire ressortir sa dangerosité pour le peuple impatient d´une amélioration de sa condition de vie, touchent à un point crucial de la problématique du populisme dans l´histoire de la pensée politique contemporaine que les théories de la rationalité politique tendent à fuir. À ce titre, même le peuple doit se méfier des chefs populistes et de tout mouvement populiste, car ce n´est pas tout mouvement de ce genre qui défend ou est capable de défendre véritablement sans hypocrisie les problèmes réels du peuple. Mais, la démocratie n´a pas besoin de se triompher ou de se rire des déficiences du populisme pour se croire être saine et parfaite aux yeux du peuple, car elle aussi – même si jusqu´à présent elle est moins pire et corrompue que les autres systèmes politiques – est contre-productive pour le peuple en ce sens qu´elle n´arrive pas vraiment à le sortir de son trou de misère, d´inégalité, d´exclusion et de désespoir pour le garantir un lendemain meilleur.
La démocratie s´entend différemment d´une société à une autre. La conception de la démocratie dans les pays riches n´est pas la même dans les pays pauvres, donc il y a démocratie et démocratie cela dépend pas de quel régime politique, mais de quelle société l´on parle. Dans la plupart des pays qui ont adopté le système démocratique il y règne une pauvreté et une misère criantes. Les pays les plus pauvres en Amérique, en Afrique et en Asie, optent pour la démocratie comme régime politique. Or, Les peuples y sont de plus en plus marginalisés, maltraités, exploités et même oubliés au profit du capitalisme prédateur. Face à ce dilemme, il faut non seulement poser le problème de la nature, du rôle et de la place de la démocratie dans une société à une autre, mais encore questionner son avenir face à un capitalisme qui croît à outrance et au service duquel, semble-t-il, elle se met. Néanmoins, il est également périlleux pour une société de se laisser intoxiquer et asphyxier par le populisme, car tout discours de chef populiste est cancéreux pour le développement d´une société. Le populisme contemporain est un discours démagogique qui n´a rien à voir avec le besoin réel du peuple. Entre la démagogie et le populisme, il y a une synonymie et une ressemblance, à caractère historique, tellement frappantes qu´il n´y a pas lieu de les dissocier. Ainsi, pour clore cette partie, nous pouvons retenir que le populisme est une révolte sociale et politique qui remet en question l´existence et l´institution de la démocratie bien que le peuple occupe le centre d´intérêt de chacun d´eux. Mais, les deux parlent-ils le même langage en employant le mot peuple? Quelle est la nature de ce peuple auquel la démocratie se réfère et celui dont parle le populisme?
          Nous pouvons répondre rapidement et succintement en disant que le peuple du populisme est celui des masses défavorisées, les pauvres, les analphabètes, les incultes, les misérables et les miséreux qui vivent dans les périphéries, les oubliés et les abandonnés, des laissés pour contre des gouvernements cupides. La démocratie, elle, a toujours un peuple en perspective, un peuple civilisé, instruit, éduqué, connaissant et maîtrisant les règles et les principes de la bonne gouvernance, mais, malheureusement, il s´agit d´un peuple abstrait et fictif qui n´existe nulle part ailleurs. C´est une exagération voire un excès de langage de dire que la démocratie est le pouvoir du peuple qui, contrairement à la vision démocratique, n´est pas capable de contrôler sa colère et son émotion. Ainsi, le peuple tel que l´entend la démocratie est catégoriel. C´est, en outre, un idéal-type bien construit pour désigner ceux-là qui ont atteint un certain niveau de civilisation. S´il y a démocratie et démocratie, de même il y a peuple et peuple, et, lorsqu´un politiste et un démocrate parlent de peuple, ils ne parlent pas des mêmes personnes, ils ne sont pas entrain de dire la même chose, donc ils ne chantent pas la même chanson. La perception démocratique du mot peuple est une pure exclusion maquillée et une espèce de discrimination qui ne dit jamais son nom (Taguieff, 2004; Mény et Surel, 2000). Le peuple dans la conception populiste a, tel que Tarde entend, le sens de foule et se rapporte à cette masse non ordonnée et non catégorisée d´individus sans distinction aucune (Tarde, 2010).
Ainsi, le populisme n´est pas forcément mauvais en soi, il n´est pas une notion tout à fait vouée à tromper les gens, mais tout dépend de l´usage qui en est fait. Étant donné qu´il partage avec la démocratie le même objet, cette dernière tend de plus en plus à le diaboliser en faisant croire qu´il lui est incompatible. Or, nous avons vu que de grandes campagnes populistes ont lieu dans les régimes dits démocratiques bien que le populisme n´ait pas besoin d´un système politique précis pour se manifester. Le populisme peut se faire taxer de communisme dans la mesure où ceux qui le combattent férocement l´assimilent à une supression de l´État au profit d´une suprématie populaire. En effet, tout mouvement populiste comporte, au prime abord, un caractère communiste et socialiste, en ce qu´il tend vers l´amélioration des conditions sociales et économiques des plus démunis. Était-ce la vision de M. Aristide lorsqu´il s´est fait le héros haitien du populisme. 

1.3.             Le populisme aristidien
Nous devons nous demander, dans le cadre de cette analyse critique du populisme aristidien, pourquoi les deux mandats présidentiels de M. Aristide, le premier de 1991 à 1996 et le second de 2001 à 2006, ont-ils si brutalement été interrompus en 1991 et en 2004, alors que M. Préval a bouclé les siens, le premier de 1996 à 2001 et le second de 2006 à 2011 comme sur des roulettes? L´explication au premier échec peut être extraite d´un manque de maîtrise du contexte historique et de l´arena politique dans lequel il évoluait d´une part, mais d´autre part d´un usage excessif et émotif de la théorie du populisme qui était en vogue dans les années 70 partout en Amérique Latine. Ce populisme s´est accompagné d´une vision charismatique qui, à l´époque, pouvait faire bon ménage avec l´espérance des Haitiens. Au deuxième échec nous pouvons attribuer un surdésir de se satisfaire lui-même, de respecter son contrat avec l´international et de répondre aux exigences des OP (Organisations Populaires) qui ont lutté ardemment pour son retour qui ne pouvait être effective que sous des conditions imposées par la France, le Canada et les États-Unis. Ce jeune prêtre fraîchement sorti de Saint Jean Bosco, issu des classes moyennes manifestait – il faut le reconnaître – dès le départ de très bonnes intentions à l´égard du peuple. Mais, il devait faire face à de grands obstacles tant sur le plan national qu´international. Pour comprendre le populisme aristidien, il est important de le répartir en deux moments historiques distincts: de 1990 à 1991 et de 1994 à 2004 sachant que ces deux périodes sont entrecoupés par deux exils, l´un en 1991 et l´autre en 2004. En effet, si le premier exil a complètement transformé ce populiste avéré et prostestataire, le second l´a entièrement métamorphosé en le rendant moins gênant.
C´est en effet la popularité d´Aristide engendrée par un mouvement populaire du nom de FNCD (Front national pour le changement et la démocratie), un parti à essence populiste prônant un discours de rassemblement, qui l´a permis d´accéder au pouvoir avec plus de 60 % des voix lors des élections tenues en décembre 1990. Une popularité dangereuse et provocatrice à vrai dire. Prise dans un enclos populiste, cette popularité allait précipiter en même temps sa chute en 1991, voilà pourquoi nous avons dit au commencement que le populisme est une arme à double tranchant. En fait, la chute d´Aristide de 1991 est due à sa position en faveur du peuple, son ambition trop poussée à vouloir changer ses conditions de vie, ce que les élites oligarchiques ont détesté amèrement et ne veulent tolérer chez aucun leader, qu´il soit charismatique, populiste ou méssianique, car, comme nous venons de le montrer, tout leader qui se met au côté du peuple - cette masse d´ignorants et d´imbéciles qu´il faut domestiquer et non éduquer - se déclare automatiquement ennemi des classes économiques dominantes. Or, à cette époque, M. Aristide n´était pas seulement porteur d´un discours charismatiquement populiste, il était surtout très populaire. Ce qui dérangeait les élites économiques et la classe politique tradionnaliste puisque pour elles M. Aristide est noviste sur la scène politique nationale. Toute position populaire et populiste met en jeu les intérêts de ces classes et ceux de l´international qui veulent qu´Haiti reste toujours un pays pauvre pour mieux l´asservir. Donc, en 1990, pour ne pas froisser la volonté du peuple, les protagonistes responsables de la situation politique, sociale et économique du peuple ont laissé la chance à M. Aristide de parvenir à la magistrature suprême de la nation, car il était incontestablement le leader charismatique du peuple. Mais, dès le début, il était pressenti d´être un obstacle à la conservation du système d´exclusion sociale. Ainsi, élu en 1990, moins d´un an plus tard après son investiture, il est renversé par un violent coup d´État militaire orchestré par les États-Unis de connivence avec les élites économiques et politiques du pays dont les intérêts se sentaient vraiment menacés depuis son accession à la tête de l´État.
          Nous pouvons insinuer que l´Aristide de 1990 a raté son premier mandat présidentiel parce qu´il a commis des excessivités sur le plan politique en se mettant au côté du peuple, disons mieux, parce qu´il était trop populaire et tenait un discours trop populiste dans l´intérêt du peuple. Il était qualifié de prétendu fervent défenseur du peuple par ses détracteurs. Comme ses prédecesseurs, il a intelligemment évité de se déclarer populiste, mais son discours, ses interventions médiatiques, ses prises de position axés sur la misère, la pauvreté, le chômage, la répartition inégale des richesses, l´injustice sociale – sujets sensibles et fragiles – laissaient clairement entrevoir un populisme avéré. On pouvait facilement le lire à travers ses campagnes et discours politiques de 1989 à 1991. Dès que quelqu´un touche à ces dossiers sensibles et brûlants, il faut en même temps qu´il prépare son cercueil, soit prêt à se faire assassiner ou à partir précipitemment en exil dans le cas où il refuserait de jouer le jeu mafieux. Quel jeu? Tenir un discours pour le peuple et travailler dans les coulisses contre le peuple. C´est ainsi que se résume ce jeu. Cependant, rares sont les chefs populistes qui se réclament péremptoirement de l´être. Aristide n´était pas des moindres on reconnaît en lui quelqu´un qui a milité au côté du peuple, pour changer ses conditions de vie sociale et économique. Donc, le populisme, dans le sens positif du terme, est à la base de la chute du premier Aristide qui, étant jeune et fraîchement sorti du couvent, a commis des excès de langage, pas mal d´erreurs d´ordre stratégique en s´étant montré trop fougueux et ambitieux à la cause du peuple. Ce qui lui a valu même l´étiquette de démagogue de la part de ses potentiels opposants.

            Le populisme est également à l´origine de la chute de l´Aristide, seconde version de 2001 à 2004. Mais, ce populisme prend un autre sens. En effet, l´Aristide qui est revenu sur la scène politique haitienne en 1994, après avoir passé trois ans et demi en exil en séjournant dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis où il a passé la majeure partie de son temps, n´était plus le même, il est devenu complètement un autre personnage, il a été métamorphosé. Il n´est plus populiste? Non, bien au contraire il le devient davantage, ce qui va d´ailleurs entrainer son second exil. Alors, il a décidé de jouer la carte de l´international? Oui et non à la fois, car se croyant malin, il a décidé de jouer un double jeu: d´une part il manipule le peuple et le promet des monts et merveilles, d´autre part il trompe et ment aux bailleurs de fonds étrangers auxquels il n´arrive pas à tenir ses promesses. Mais quel est cet Aristide qui est revenu en 1994, à qui son protégé M. Préval reconnaît sa gouvernance fictive de 1996 à 2001?

          C´est un Aristide féroce dont le cerveau, dirait-on, a été façonné, travaillé, retravaillé et ré-retravailé à la taille du projet et de la volonté de la communauté internationale. Il devient un lion, un cupide, un avare qui oublie le peuple même s´il faisait toujours semblant de le songer. En dépit de tout, il demeure un des hommes les plus aimés du peuple haitien, il ne lui est pas du tout facile de se détacher de lui et vice versa. De fait, il se résout à jouer le double jeu sur les deux terrains – ce qui est d´ailleurs très dangéreux et pour la démocratie et pour le populisme – en ce sens qu´il continuait d´induire le peuple en erreur par des paroles flatteuses en lui promettant l´irréalisable, de même, les engagements pris par devant le Département d´État à Washington qui l´a ramené de force au bercail n´ont pas été tenus. Le populisme aristidien de 1991 était moins démagogique – même si on s´acharnait à le désigner comme tel – sur le plan idéologique et pratique que son populisme ancré à sa gouvernance de 2001 à 2004. C´était du populisme d´un accent démagogique pur qui se faisait et le peuple qui n´en pouvait plus, bien que manipulé, a précipité sa seconde chute. C´est, de plus, Aristide qui a lui-même occasionné cette chute en n´arrêtant pas de passer en dérision et l´international et le peuple em fermant les yeux sur les actes de criminalité qui se commettaient en son nom par ceux qui se réclamaient être ses partisans. D´ailleurs, son accession au pouvoir a été durement critiqué parce qu´il a gagné les élections de 2000 dans la fraude, rafflé tous les postes parlementaires, en faisant au peuple des promesses falacieuses, insipides et abstraites qu´il se savait d´ores et déjà irréalisables.  De plus, se croyant trop populaire et même trop aimé du peuple, il n´a pas pu retenir ls formation d´un corps de milices paralèlle à la force policière, celui qu´on nomme très improprement ''les chimères''. Face à ces dérives insupportables tant sur le plan national, regional qu´international, il était contraint à un second exil, le 29 février 2004, en Afrique du sud.
          La première chute d´Aristide en 1991 était due, nous l´avons dit, à son attachement trop serré et étroit avec le peuple, un populisme à l´extrême dans le sens positif du mot, alorsque la seconde en 2004 est la résultante de son détachement d´avec le peuple dont il ne peut pas satisfaire les besoins et du non respect de l´accord qu´il a eu avec ceux qui l´ont ramené manu militari au pays en 1994, lequel accord demeure, toutefois, une fiction, puisque personne n´en connaît le contenu si ce n´est M. Aristide lui-même. Néanmoins, en toute logique, il est fort probable qu´une entente, de fait ou de droit, ait eu lieu entre lui et ses ravisseurs sinon son retour n´aurait pas été possible, car, comme Haiti est une savane, les ravisseurs d´hier sont les négociateurs d´aujourd´hui, c´est-à-dire ce sont ces mêmes puissances internationales qui l´ont enlevé de force en 1991 et en 2004, qui ont aussi décidé qu´il revienne au bercail en 1994 et en 2011, nous voulons parler donc des États-Unis, de la France, du Canada et de l´Union Européenne.
          Deux mandats interrompus, inachevés et râtés à cause d´une tendance populiste dans un premier temps trop excessive, trop trompeuse et démagogique dans un second temps. Entre 1991 et 2004, il se jouait contre M. Aristide un triple jeu fatal: Un international qui réclame sa tête, une opposition et une élite économique qui le détestent, enfin, un peuple qui se divorce d´avec lui parce qu´insatisfait de sa politique et au sein duquel il ne trouve plus de refuge malgré son amour et son attachement à lui. Ce n´est pas qu´il soit devenu moins populaire, mais parce qu´il s´est métamorphosé en un populiste pratiquement couvert de honte. 
          Donc, le cas du populisme aristidien en Haiti est très particulier comparativement à celui dont on a qualifié Chavez en Amérique Latine, Poutine en Russie et Le Pen en France. Le populisme de ces derniers a produit de véritables révolutions sociales et économiques et a conduit à des avancées dans leur société. Et, malgré l´opposition des élites oligarchiques, ils ont pu parvenir à concilier d´une façon ou d´une autre les intérêts du peuple et ceux des classes dominantes, en créant des services sociaux de base, bien que jusque là la lutte pour un mieux être soit loin de terminer au Vénezuela, en Russie et en France. Pris entre l´enclume et le marteau de 2001 à 2004, Aristide affaibli a préféré céder à un populisme propagantiste qui suscite la violence sociale. En effet, depuis 1991, le discours populiste de M. Aristide avait une allure haineuse contre la bourgeoisie mercantile et prédatrice haitienne. Peut-être la stratégie mutiste de M. Préval, son compère, avec qui il a censé cesser toute relation amicale ou politique depuis son départ pour le second exil en 2004, aurait-il pu lui épargner cet exil. Depuis son retour en 2011, les relations entre les deux hommes, amis d´antan, ne se sont pas reprises.
         Enfin de compte, le populisme aristidien a été catastrophique et décevant pour le le peuple haitien qui croyait trop en lui. Au lieu d´un avancement ou d´un progrès, il a contribué de préférence à tuer l´espoir en chaque haitien de voir un jour sa condition sociale améliorer, plus de pauvreté, de misère et d´inégalité sociale en résultent, ainsi le pays est entré dans deux décennies d´immobilisation tant sur le plan social qu´économique. L´une des principales conséquences du populisme aristidien est d´avoir induit les plus pauvres en erreur en leur faisant croire que ce sont les riches, les gens fortunés et les bourgeois qui sont la cause de leur situation de pauvreté. Ce discours a créé plus d´animosité et de haine dans les relations sociales et a contribué grandement à la criation d´une société de plus en plus inégalitaire et violente.
Depuis son retour jusqu´à aujourd´hui, M. Aristide s´est clos à la Presse qui ne sait à quel saint se vouer pour arracher de sa bouche quelques mots sur les conjonctures politiques et pourquoi pas un simple ''Frèm sèm''. Il s´est renfermé sur lui-même. Moins bavard, il est devenu muet comme M. Préval et a fait du mutisme son moyen stratégique pour ne pas trop s´attirer les regards des médias et allumer sur lui les projecteurs des caméras. Il s´enferme, comme M. Préval, dans son domicile à Tabarre où il s´adonne à l´éducation. Certains croient que ce mutisme est loin d´être volontaire. Il fait partie de la clause de la négociation et de l´entente qui ont ramené M. Aristide au pays en 2011. Il paraît qu´il lui a été dit: « Taisez-vous! Ne vous mêlez point de la politique, ainsi nous vous laisserons tranquile ». Toutefois, peu importe la ou les raisons d´un tel mutisme imposé ou pas, il paraît que le mutisme prévalien porte fruit et soit peut-être une meilleure stratégie politique à adopter pour être fort en Haiti. Car, en se taisant depuis trois ans et demi, M. Aristide évite de se créer des ennuis à lui-même et autour de lui, surtout avec la justice internationale, même si, la justice haitienne, par certaines manoeuvres politiciennes, a tenté, par le biais de l´honorable juge Lamard Bélizaire, de lui causer quelques ennuis en décernant contre lui un mandat d´amener, lequel mandat n´a, jusqu´à cette présente minute, jamais été exécuté. C´est la preuve flagrante qu´il ne s´agissait pas d´un acte judiciaire mais plutôt d´une tentative d´intimidation dans le but, peut-être, de forcer M. Aristide à sortir de son mutisme. 
C´est la nature et l´essence de ce mutisme qu´il convient de découvrir maintenant cette fois avec celui qui représente sa figure de proue, en la personne du président Préval qui, comme M. Aristide, est un personage à double facette politique.

Campinas, 3-02-2015
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[*] Cet article est publié tant en bloc qu´en partie séparée. Ici sont traitées les trois parties réunies.

RÉFÉRENCES

DORNA, Alexandre et NIQUEUX, Michel. Le peuple, coeur de la nation? Images du peuple, visages du populisme (XIXème-XXème siècle). Paris: L´Harmattan, 2004, 247 p.
DORNA, Alexandre. Le populisme. ''Que sais-je''. Paris: PUF, 1999, 126 p.
HERMET, Guy. Les populismes dans le monde: Une histoire sociologique XIXème-XXème siècle. Paris: Fayard, 2000, 481 p.
____________. Populismo, democracia y buena gobernanza. España: El Viejo Topo, 2008, 67 p.
HERMET, Guy; LOAEZA, Soledad et PRUD´HOMME, Jean-François. Del populismo de los antiguos al populismo de los modernos. México: El Colegio de México, 2001, 413 p.
SUREL, Yves et MÉNY, Yves. Par le peuple, pour le peuple: Le populisme et les démocraties. Paris: Fayard, 2000, 306 p.
TAGUIEFF, Pierre-André. Le retour du populisme: uN défi pour les démocraties européennes. Paris: Universalis, 2004, 196 p.
TARDE, Gabriel. L´opinion et la foule. Paris: Sandre, 2010, 207 p., Gabriel. L´opinion et la foule. Paris: Sandre, 2010, 207 p.

vendredi 27 mai 2016

DÉSHUMANISATION ET INHUMANITÉ EN HAITI: MOURIR EN SILENCE?

Résumé

Cet article propose une réflexion sur l´état de déshumanisation et d´inhumanité par lequel la société haitienne est rongée graduellement. Pour comprendre cette situation, nous prenons en compte la grève du secteur médical entamée, cela fait des mois, par les médecins résidents de l´HUEH en soulignant qu´elle n´en est pas des moindres. Le résultat auquel l´article s´attend est de faire ressortir qu´en dépit de l´état de dégénérescence et de pourrisement auquel est parvenue notre cruauté au détriment de l´humanité, il nous reste encore de l´espoir.

Introduction

Depuis quelques mois, le secteur médical en Haiti est sécoué par une forte crise, disons plus globalement, la santé est en grève dans une société où elle accuse déjà une précarité pas croyable. Ce secteur fait face à d´énormes difficultés, et cela ne date pas d´hier. En conséquence, il rentre en grève à cause des problèmes structuraux vieux, jamais résolus mais toujours coincés sous le label d´un tout va mieux maquilleur et maquillé. En clair, les révendications des médecins sont précises: outre de bonnes conditions sanitaires de travail, ils réclament un salaire raisonnable qui leur permetterait de contrecarrer la situation de galère que leur impose la profession médicale sachant que la question salariale donne épineusement à mourir douce et en silence en Haiti. En résumant ainsi en peu de mots le contenu essentiel de cette crise, pas la peine de revenir sur toutes les scènes vu que l´article n´a pas pour objectif de reprendre et de reconstituer les faits avec une perspective journalistique. Néanmoins, il s´ambitionne à interpeller l´intélligence de plus d´uns et à fouetter la conscience humaine de chacun sur la déshumanisation et l´inhumanité qui règnent en maître en Haiti, ce en partant de ce cas récent de la santé en grève, bien qu´il y en ait beaucoup d´autres. Un fait qui, apparaissant absolument invraisemblable, n´aurait jamais dû se produire dans une société dite constituée d´êtres humains digne d´une telle appelation. Tandis que cela fait des mois que les dirigeants pleurnichent là-dessus. Alors, faut-il mourir en silence ou défendre l´humanité, ce bien commun à tous?

La mort préférée à la vie 

La vie n´a plus d´importance en Haiti, elle est de plus en plus banalisée et vandalisée. Le chemin de la mort a l´air d´être une option implicitement et officieusement préparée par ceux-là dirigeants, hommes politiques, grands entrepreneurs, capitalistes, bourgeois, riches commerçants ayant les moyens économiques de se faire soigner ailleurs, pour se débarrasser des indésirables. En d´autres termes, en Haiti, le traitement réservé aux Haitiens les force à mourir, les pousse plus vers la mort que vers la vie. Une sorte de génocide douce, classique et un massacre silencieux quoi! Dans les quartiers populaires, par conséquent, on y meurt en silence, car on n´a le droit ni d´être malade ni d´avoir des soins de santé. Le seul droit qui reste à ces rejetés de la société c´est de mourir, ce, dans le plus sombre et profond silence puisque même en poussant de grands cris, il n´est pas sûr d´être entendus. Or, les morgues n´en peuvent plus, la terre, seule à convenir un refuge non refusable, se lasse de recevoir le corps de ces pauvres et innocents lâchement assassinés.

À entendre les médecins grevistes résidents du plus grand centre hospitalier du pays, ''Hospital général'', de son nom populaire, ça donne froid au dos et l´on se demande dans quel siècle vivent finalement les Haitiens? Qui sommes-nous pour nous traiter nous-mêmes de la sorte? Qu´est-ce qui nous arrive pour que nous soyons si impitoyables aux souffrances maladives de nos semblables? Qu´est-ce qui se passe pour que nous devenions si insensibles aux pleurs et aux cris des autres? Nous sommes devenus des morts vivants. La mort nous frole à chaque instant dans la plus imparfaite insensibilité et indifférence. Elle est devenue plus qu´un soulagement qu´un gain.

La vie et la santé: deux choses sacrées en dégénérescence en Haiti

Or la vie est sacrée et la mort en est sa continuité, n´est-ce pas ce que nous a appris la morale religieuse? La santé c´est ce qui vivifie, honore et fortifie la vie, alors quand elle n´est pas garantie, soutenue et maintenue c´est la vie elle-même qui est en danger. En effet, le sacré est la manifestation sociopsychologique de l´individu devant le respect et la révérence qu´il observe devant les choses qui, par leur sacralisation et ayant été classées à part, deviennent intouchables, inviolables et immortelles. D´autre part, le symbolisme du sacré est la mémoire historique et sociale de toute société. C´est d´ailleurs l´un des fondements jusque là inébranlables de la société au point que s´il se brise, l´avenir de celle-ci est facheusement menacé. Ce symbolisme tend, malheureusement, à s´éteindre en Haiti. Et plus particuclièrement cette présente crise dont on ignore la solution et la fin nous le montre. Si on était en Grèce et à Rome, on dirait que les dieux et les déesses de l´Olympe nous ont abandonnés, de ce fait, nous sommes maintenant livrés à toute sorte de malheur et de maladie même les plus impuissants.

Si la santé est intimement liée à la vie et, dirions-nous même, elle la conditionne en quelque sorte, alors elle doit être traitée de la même manière que celle-là. Le non accès aux soins de santé est automatiquement un non respect à la vie. La grève des médecins résidents à l´HUEH, pas des moindres d´ailleurs, avilit une fois de plus la fragilité, le calvaire de vivre en Haiti et la malencontreuse mésaventure de s´y trouver malade lorsqu´on doit se faire transporter à l´HUEH. C´est le sort de cette femme enceinte, morte avec son bébé dans le ventre faute de soins, qui attend chacun qui se trouverait dans une telle situation. Quelle cruauté! Même en temps de guerre, je ne m´imaginerais pas entrain de vivre une scène pareille. Que les dieux de nos ancêtres aient pitié de nous à cause de ces sacrifices humains qui deviennent monnaie courante dans notre société! L´image de cette femme, si fraîche soit-elle en tout cas, doit nous revenir à la mémoire à chaque fois que nous devons nous souvenir combien sommes-nous cruels, maniaques et sadiques vis-à-vis de l´humanité et de la vie. 

Quiconque aime la vie, la trouve et la vit. En revanche, quiconque la haît, la maltraite, la détruit tel que nous le faisons en Haiti, ne peut rien espérer d´elle, elle fuit loin. Sur ce, cet article est en quelque sorte un plaidoyer pour le respect de la vie, pour le traitement digne à l´être humain, pour la protection de l´environnement dans lequel nous vivons et évoluons, enfin, pour la recherche des solutions aux problèmes qui divisent et fachent en même temps. Au lieu de nous perdre sous une attitude hypocritement et intentionnellement démésurée dans un débat stérile, vide de sens basé sur le structurel, il vaudrait mieux questionner d´abord notre humanité. C´est, à mon humble avis, un faux débat, car toute institution, toute structure et toute organisation prennent la forme des individus qui la dirigent et épousent leur caractère. Ainsi donc, le problème de notre société est au premier chef d´ordre humain. Tel est, en dépit de tout, le point lumineux et éclaireur que nous révèle cette grève de la santé.

Les structures non comme faux problème, mais comme expression de nos capacités humaines

Toujours est-il que le problème n´est pas seulement d´ordre structurel, il est surtout d´ordre humain, car les structures, qui sont avant tout humaines, ne tombent pas du ciel et ne sont pas non plus une espèce d´objet flottant sur l´eau ou exposé dans l´air, elles s´intègrent à notre humanité, forment avec elle un seul et unique composant, enfin, elles sont l´oeuvre et l´expression de nos capacités humaines. Intélligemment nous les revêtons un caractère sacré et institutionnel pour protéger la lettre collective dont elles sont issues, les faire fonctionner dans l´impartialité, la justice sociale et l´équité, non pas pour en faire un faux problème. Quand on parle d´être humain, il ne faut pas voir uniquement cette masse corporelle, physique et matérielle, mais d´abord cette intélligibilité derrière laquelle se cache tout une infinité d´idées, d´idéologies, de projets, de capacités et de compétences lui permettant d´agir sur les problèmes tant sociaux que naturels retenant que les premiers portent les empreintes humaines tandis que les seconds nous les trouvons en naissant et nous les laisserons tels quels après avoir traversé. Donc, ce qui se passe actuellement en Haiti, à savoir, la santé en grève, porte d´un côté la marque de nos mauvaises actions irrefléchies et irrationnelles, est une déstruction et une négation de l´humanité, de l´autre. Il prouve ainsi notre incapacité à maitriser nos propres environnements, à agir sur nos problèmes et à transformer les difficultés en opportunités.

Les structures, qu´elles soient sociales, politiques, économiques ou culturelles, ont été et sont faites par nous, c´est nous qui les construsons, les définissons, les ordonnons, les organisons, en déterminons le fonctionnement, donc, c´est dire que nous sommes en avale, elles sont en amont. Ce n´est pas que je sois entrain de minimiser la force, le poids, l´impersonalité et la puissance des structures qui ont un caractère et une nature complètement distincts de ceux de chaque individu, mais elles restent une oeuvre collective née d´une union et d´une fusion de forces individuelles et d´actions humaines. À mon humble avis, faire de ce problème de santé y compris de tous les autres qui rongent notre société une simple affaire d´ordre strictement structurel, c´est une manière encore plus sinique de banaliser ce qui, en fait, est un mal historico-humain. Il n´y a de struture et d´institution que les individus, acteurs et agents sociaux par excellence. Ainsi donc, à travers les structures nous devons entrevoir l´intélligence humaine en action, la rationalité humaine en activité.

Sur ce, nous avons besoin de nous regarder nous-mêmes, de questionner notre propre image pour comprendre que, comparativement, aux autres êtres humains dotés des mêmes caractéristiques et potentialités humaines que nous, nous nous trouvons dans les marges des plans de développement humain du nouveau millénaire. Sans respect pour la vie et la santé et nous croyant seuls et isolés dans le monde, nous ne nous rendons même pas compte que nos actions sont une menace potentielle pour l´espèce humaine. 

Notre humanité: entre dégénérescence et espoir

Oui, les plus pauvres crèvent en silence dans leur trou de ghuetto où ils sont entassés sans accès à l´eau potable, à la toilette, aux soins de santé, à la nourriture sous les yeux assassins des autorités. Quand le minimum qu´est la santé est loin d´être acquis le seul issu qui se présente à eux dans un pareil cas est de crever en silence. La mort devient, par conséquent, un soulagement, une délivrance, une libération plutôt qu´une félicité et une rentrée bien heureuse dans l´autre monde. Certains trouveraient peut-être mon texte un peu allarmiste. En fait, il l´est et il doit l´être compte tenu de la gravité de la situation qui prévaut actuellement dans notre société, afin de montrer notre inhumanité et à quel point nous autres en Haiti nous vivons en marge de cette si merveilleuse coopération que nous enseigne la nature humaine. Nous ne faisons rien pour l´améliorer alors nous la détruisons à petit feu par le refus de survenir au secours des personnes vulnérables. Toutefois, l´article se révèle aussi un cri d´alerte sur ce qui nous guette, sur ce à quoi nous sommes exposés: C´est qu´en nous entredestruisant, entredéchirant et entremaltraitant nous causons des torts énormes aux autres de près comme de loin sans même le savoir et en être conscients, car l´humanité est une et indivisible. Il est donc temps de nous ressaisir. Que faire donc?

La solution n´est pas aussi simple que l´on pense, car, parlant d´êtres humains nous nous attaquons à un des problèmes les plus complexes et compliqués de tous les temps. La nature humaine en elle-même est très problématique. Sa définition intéresse moins les chercheurs que sa fonction, car l´être humain est différent d´un objet facilement définissable ayant des caractéristiques et propriétés propres, stables et même stagnées. Or, la fonction de tout être humain est une perpétuelle construction et évolution. Il change, se développe, se perfectionne et est au centre des grandes mutations et transformations sociales qui n´arrêtent pas de bouleverser les sociétés humaines. Il est le seul détenteur de cette intélligibilité perfectionniste parmi toutes les espèces. Par ailleurs, il est important de rappeler que nous sommes aussi cette unique espèce capable de faire confiance aux autres, de travailler dans la coopération, de construire une solidarité collective, d´être conscients de nos fautes afin de recommencer, enfin, de parfaire notre société, nos actes, nos actions et nos activités. Sur ce, nous devons défendre avec force et véhémence notre humanité ainsi que ses valeurs les plus fondamentales que sont la justice, la dignité, le droit, l´égalité, le respect, l´éthique, la morale pour ne citer que celles-là, dans le cas contraire il ne nous reste qu´à choisir de mourir en silence.  Si les problèmes qui nous assiègent sont avant tout d´ordre humain, ils nécessitent par conséquent d´une solution en tant que tel, c´est dire qu´il revient de changer notre façon d´être et de vivre dans le monde. Pour ce qui concerne la méthodologie, elle peut être d´ordre macro, meso ou micro. Toutefois, en partant de ce changement d´ordre transcendant et ontologique, les structures changeront de par elles-mêmes.

Considérations finales

Enfin de compte, il est urgent de recouvrer notre humanité par le vivre collectif, la solidarité et la recherche du bien commun. Car, bien au-delà des libertés individuelles - qui, étant une des grandes conquêtes de la modernisation à consolider, mérite d´être exploitée à bon escient - il y a les actions collectives, seule force de survie d´une société. Elles se concrétisent dans l´union et la fusion des forces individuelles. Les libertés individuelles n´ont de sens qu´au sein d´une représentation collective où elles prennent effet. De plus, elles sont individuelles pourvu qu´elles s´intègrent à une collectivité dont elles sont inséparables  bien que distinctes d´elle. Contrairement à ce que l´on pense, l´individualisme n´est jamais le contraire ni l´opposé du collectivisme, mais son composant et son complément. La santé, le bien-être et le bonheur sont donc tous une conquête collective. D´ailleurs, l´un des mérites des sociétés traditionnelles est d´avoir accordé une importance capitale à l´esprit collectif, à la décision groupale, à la réussite sociale et à l´harmonie sociétale, tous incarnés dans un ancêtre commun que représente le totem autour duquel s´ancre la vie sociétale et collective. Le totem est l´incarnation même de la société, de son vivre ensemble et de son harmonisation. C´est en outre son prolongement, sa raison d´être, enfin, le collectif en action. Sur ce, je voudrais clore cet article en demandant où est passé le totem de la société haitienne?

Jean FABIEN

Campinas, vendredi 27 mai 2016

lundi 14 mars 2016

PROFONDÉMENT CONSTERNÉ, JE ME RECOURS AU SILENCE!

Il est dit: ''Qui ne dit mot consent''. Cette expression peut toutefois ne pas être vraie dans la mesure où, tellement consterné et abattu, ne pas dire mot peut avoir le sens de recul ou d´opposition sous une forme silencieuse à des choses qui se pratiquent, ce, dans des circonstances bien particulières. Quand on est si profondément consterné, tel que je le sens aujourd´hui, il est préférable de s´accorder quelques temps de silence en ne disant mot, sinon de recul afin de mieux observer et comprendre ce qui se passe autour de soi. En effet, ce silence est causé par ce qui s´était produit le lendemain du 7 février, soit le 14, où un sénateur est devenu président provisoire d´une transition faite à la césarienne. C´est ce que j´appelle, malheureusement, une saleté politique. Je me garde de revenir sur cet accord signé entre MM. Priver et Martelly, parce qu´à force de le reprendre, il est susceptible de l´élever à une valeur qu´il ne mérite pas. Toutefois, il traduit la pratique continue de la politique malsaine du ''ôte-toi que je m´y mette'' qui sévit depuis la mort du père de l´indépendance, Jean-Jacques Dessalines.

Je tenais à préciser cette nouvelle stratégie afin de, non seulement, exprimer mes profonds sentiments d´indignation et d´opposition aux agissements des politiciens haitiens qui vont à l´encontre de notre Haiti chérie, mais surtout, de ne laisser planer aucun doute sur ce silence qui est à la fois un choix et une imposition. Je n´ai de choix que de me taire si je voudrais avoir des jours meilleurs. Ainsi donc, de peur que plus d´un ne jugent mal, inapproprié ou infondé mon silence dans le contexte politique d´après-Martelly, il est important de signaler que durant cette transition, je me réserve le droit de ne piper mot, de ne produire aucune réflexion critique sur cette conjoncture politique indigeste qu´est la transition. Personne ne sait réellement quand elle se terminera, mais tant qu´elle perdure mon silence se maintiendra. De plus, j´ai horreur des transitions en Haiti parce qu´elles nous apportent trop de regressions calamiteuses. Elles traduisent le plus souvent une absence totale d´ordre, de droit et démocratie. Je me sens très mal à l´aise d´en parler quand elles deviennent le mal nécessaire à choisir parmi les grands maux.

Cette transition peut s´avérer pire que le règne de Martelly qui m´a été un véritable rêve cauchemardesque. Néanmoins, des deux maux un, il aurait fallu qu´au départ de M. Martelly cette transition soit assurée non pas par une institution si problématique qu´est ce Parlement, peuplé d´individus sur qui planent des soupçons et des doutes, c´est regrettable!, mais par des regroupements et associations sociales et politiques, qui forment la société politique, avec l´accompagnement de l´opposition démocratique qui a durement travaillé à faire obstacle aux mauvaises actions de M. Martelly. Ces derniers auraient eu pour mission principale d´inicier la révolution sociale tant souhaitée. Mais, hélas! tout est survenu à l´envers. On peut dire que du 7 au 14 février 2016 il y a eu un auto-kidnapping d´État. Celui-ci a été et est largement avantageux aux petites élites oligarchiques conservatrices et complètement désavangeux aux masses populaires qui gisent dans la misère, la crasse, l´insalubrité, la pauvreté chronique. Ceci ne peut que susciter l´amertume de tous ceux qui ont un peu de bon sens: Je suis profondément abattu, offusqué et bouleversé par cette politique indécente qui se pratique en Haiti. 

Enfin, je ne crois pas qu´avec cette transition Haiti ait emprunté la voie d´un mieux être. Bien au contraire, tout a été biaisé, truqué, manipulé en amont au profit des intérêts des uns et des autres en excluant toujours ceux du peuple. Je suis convaincu, par conséquent, qu´Haiti vient de râter une occasion en or d´inicier une révolution sociale pour en finir avec les politiques malvéantes au détriment des masses populaires et entrevoir l´issue d´une Haiti meilleure. Pauvre Haiti! Je doute que tu sois condamnée à subir continuellement les âffres de tes propres fils inconscients et aveugles des vrais problèmes qui te rongent l´esprit et te ruinent l´âme. Puis que l´espoir fait vivre, et, vivre avec l´espoir fait partie de l´espérance de l´humanité et s´avère une attitude sage et intelligente à adopter, alors nous formulons l´espoir et avons la forte espérance qu´un jour il surgira d´entre nous des gens qui, en faisant des nécessités des masses pauvres la priorité des politiques publiques, aborderont les vrais problèmes de cette société malade dans tout son compartiment.

Jean FABIEN


Campinas, 14 mars 2016

dimanche 21 février 2016

FRANCKY, TU ES PARTI SANS QU´ON NE SE SOIT REVU TEL QU´ENTENDU!

     Il fut un ami et notre amitié s´est construite d´abord à l´École Normale Supérieure (ENS) de l´Université d´État d´Haiti (UEH) pour ensuite se renforcer et se consolider à l´Université d´État de Campinas (Unicamp) au Brésil. Un grand ami avec qui les discussions intellectuelles, très fructueuses, se déroulaient dans un atmosphère de respect et d´humour en faisant valoir la divergence des opinions. Tout ce qu´on peut espérer de la compagnie d´un camarade dans une ambiance académique et universitaire, c´est sa capacité à susciter l´approfondissement des débats à travers ses interventions, à trouver en lui des sources d´inspiration pour aller plus loin, à accepter la contradiction des idées afin que la lumière jaillisse, enfin, à mûrir avec lui des rêves de changement d´une société. Tels furent quelques des grands caractères de Francky Altineus dont le départ, survenu dans des circonstances regrettables et lamentables, m´a plongé dans une profonde tristesse vu que je pratiquais le personnage depuis exactement 9 ans.

     Nous avons, en effet, développé une amitié si franche et intime au département des Sciences Sociales de l´ENS, où nous avons été admis en 2007, que tu m´appelais ''Maître Faboulo'', parce que tu savais que j´étudiais parallèlement le Droit à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l´UEH. C´était juste pour me taquiner et on se sentait bien de la sorte, on s´en amusait, on s´en riait. Cela, devenu une sorte d´habitude affectionnelle et en ayant traversé les frontières haitiennes, s´est poursuivi jusqu´au Brésil où, sous le croisement de nos derniers regards en 2014, tu devais me laisser pour retourner en Haiti. Séparé physiquement de toi, un de mes meilleurs amis, je m´en sortais très difficilement. Dans la soirée du 8 août 2011 - date à laquelle correspond l´entrée légale et officielle sur le territoire brésilien d´un groupe d´environ quatre vingt étudiants haitiens - du nombre desquels nous nous figurions - bénéficiaires des bourses d´études octroyées par le gouvernement brésilien dans le cadre du programme Pró-Haiti financé par la CAPES (Coordination pour l´Approfondissement et le Perfectionnement des Études Supérieures) -, dans cette chambre très exigue de 6 personnes où toi et moi partageâmes un petit espace très coincé, nous avons fait le serment, y compris les 4 autres camarades, de revenir en Haiti dès que valablement formés, pour y servir et y être totalement impliqués dans sa marche vers le développement, te le rappelles-tu? Te souviens-tu m´avoir dit, après ta maîtrise, à la défense de laquelle j´ai été malheureusement empêché de prendre part, que ton plan était de retourner au Brésil pour y poursuivre tes études doctorales? Tu te rappelles qu´on s´était entendus de se rencontrer en Haiti lorsque j´y rentrerai? Tu te rappelles qu´il fallait se revoir immédiatement dès j´aurai mis les pieds sur la terre d´Haiti pour travailler ensemble sur ton projet doctoral? 
     He! bien je suis désolé, mon grand ami, de ce que cette rencontre ne pourra plus jamais avoir lieu, car tu es parti sans me prévenir. Si c´est Dieu, maître de vie et de mort, qui en a décidé autrement, alors je n´y peux rien. Pardonne-moi mon ami, car cela dépasse non seulement ma capacité, mais encore mon pouvoir! Je te prie de recevoir toutes mes excuses! Oui, tu t´en es allé sans qu´on ne puisse se revoir tel qu´entendu pour discuter ensemble de notre projet de construire une école. 

     Certes, aucun misérable être humain ne peut décider de la manière dont il doit mourir. Il est toutefois cruel et dur d´admettre que cela soit arrivé par des actes de barbarie et d´irrespect à la vie qui nous enlèvent des êtres chers et nous privent de leurs affections. Peut-être mon sort sera-t-il pir que le sien, mon ami, mais, cela m´importe très peu! Pendant que je suis encore en vie, je ne peux laisser inexprimé ce regret de n´avoir pas pu te convaincre sur le fait qu´Haiti est une mère qui mange et n´arrête pas de manger ses propres fils et filles, le jour où nous fûmes entrain de débattre ce sujet sur le campus de l´Unicamp. Néanmoins, tu avais tellement de nostalgie de revenir sur ta terre natale pour y aider - un mal du pays, dirait Maurice Syxto -, tu étais tellement animé d´une soif démesurée de revenir partager avec tes compatriotes le peu de savoirs acquis à l´Unicamp, plus particulièrement, à l´Institut de Géosciences où tu as décroché ton diplôme de maîtrise en Géographie de l´environnement entre 2012 et 2014, que rien ne pouvait te retenir au Brésil. De fait, tu es revenu dans ton pays tout enthousiasmé, tout frais et super motivé pour servir. Mais, malheureusement, ce rêve que tu caressais si joyeusement dans ton coeur, que tu me partageais infatigablement dans des échanges, celui d´être un grand Géographe à l´image de George Anglade (Géographe haitien) et de Milton Santos (Géographe brésilien) tes préférés, tu ne pourras plus jamais le réaliser. Car, tu étais persuadé et convaincu que c´est en travaillant dans ton pays, en partageant les connaissances avec tes frères que tu pourras atteindre ce but. Mais hélas! Tous ces efforts n´ont eu pour récompense que ta mort tragique.

     Je ne sais pas où tu es maintenant et je n´ai pas non plus envie de le savoir, mais, qu´importe l´endroit où se trouvent actuellement ton âme et ton esprit (dans le pays ou le monde des âmes et des esprits), saches que je pleure amèrement ton départ autant que je me lamente sur cette pratique voire cette culture d´impunité et d´injustice qui s´érigent en norme dans cette Haiti que nous chérissons tous malgré tout. L´impunité et l´injustice t´obstrueront le chemin de la justice et de la paix mon ami. Aussi te troubleront-elles le sommeil. La justice est la seule et unique chose qui puisse minimalement consoler ta famille, tes proches et tes amis, moi en particulier. Elles, l´impunité et l´injustice, nous agressent, nous maltraitent, nous démoralisent, nous attristent, nous déconcertent, nous affaiblissent, nous démotivent, nous animalisent plus que tout autre acte en soi, qu´importe sa nature. Elles brisent nos rêves et détruisent nos projets. Elles transforment les agresseurs en victimes, les victimes en agresseurs. C´est tout un monde à l´envers qu´elles bâtissent autour d´elles mon ami. Enfin, l´injustice et l´impunité cultivent en nous, victimes, la peur de nos bourreaux devenus seigneurs, un sentiment de honte et de culpabilité et nous rendent étrangers dans notre propre pays natal. 

     Néanmoins, comme le veut la formule de politesse, le voeu pieux, bien que je doute fort de sa matérialisation tant à moyen qu´à long terme, ce serait de voir qu´une différence soit faite dans ton cas, mon cher ami. Autrement dit, que la justice soit rendue en signe de respect pour ton âme et celle des autres qui ont péri avec toi dans cette malencontreuse journée à l´Arcahaie. Ce sera, en dépit de tout, un soulagement pour ta famille, tes amis et tes proches afin d´amoindrir en eux les impacts psychologiques et mentaux inefaçables laissés par ce départ si prématuré. En effet, une fois de plus, les efforts et les sacrifices pour se construire d´un jeune cadre intellectuel en herbe de la société haitienne viennent d´être gaspillés. C´est le rêve de toute une famille de voir son fils briller après de nombreuses tribulations consenties au quotidien qui vient de se briser, c´est l´espoir de toute une société juvénile en quête de formation de compétence qui vient d´être interrompu, enfin,  c´est tout un petit arbre en phase de germination qui vient d´être prématurément abattu. Tu as donc râté ton sublime rêve d´être un grand géographe pour ta famille, ta communauté et ta société mon ami! Une gloire manquée que ta famille aura constamment du mal à digérer. Que c´est frustrant, révoltant et désolant!

     Enfin, s´il advient que je dois partir de la même façon que toi, mon ami, qu´il en soit ainsi! Alors, nous aurons certainement beaucoup de choses en commun à nous raconter tous les deux et là tu pourras me dire clairement toute la vérité sur ce qui s´est réellement produit ce dimanche 7 février 2016 à l´Arcahaie, car toi seul et toi seulement sais véridiquement ce qui t´est arrivé là-bas. Je te pleure moins quand il me vient à l´esprit quelques paroles spirituellement fortifiantes et réconfortantes d´Ecclésiaste selon lequel la mort nous libère des vissicitudes de la vie, les morts sont plus heureux que les vivants parce que désormais les affres de la vie cessent de les atteindre et de les tourmenter. C´est une vérité difficile à accepter. En outre, quand je sais que c´est une traversée que tu viens d´effectuer - bientôt je t´y rejoindrai -, que, finalement, dans cette traversée il n´y a ni devant ni derrière, ni premier ni dernier, ni supérieur ni inférieur, ni maître ni esclave, alors c´est ce qui me donne la force et l´énergie de rester encore débout, car tellement abattu par ton assassinat qui me laisse un choc psychologique et mental irremédiable. Dans ce tourbillon de traversée, les vivants et les morts ne forment qu´une seule et même entité. L´homme vit autant qu´il meurt et meurt autant qu´il vit! Seuls les vivants parlent de la mort et ils peuvent en parler pour la simple et bonne raison qu´ils sont vivants, donc la mort c´est encore la vie sous une autre forme qui dépasse non seulement la dimension de ce monde physique qui nous entoure, mais surtout notre entendement, nous autres êtres humains. Sur ce, vis dans mon coeur et dans mon esprit, mon ami, car, à la vie comme à la mort, notre amitié demeure éternelle, fidèle et sincère.

Pour saluer, dans un esprit d´amitié éternelle, le départ de Francky Altineus à la famille duquel j´adresse toutes mes sincères condoléances!


Jean FABIEN

Campinas, dimanche 21 février 2016


lundi 8 février 2016

7 FÉVRIER 2016, HAITI TOURNE LA PAGE DOULOUREUSE DE CE MARTELLY, MAIS...

     Le 7 février 2016, Haiti vient de se décharger d´un fardeau qu´elle a été astreinte de porter pendant cinq ans. Ce furent, en effet, cinq années d´insultes, de hontes, d´injures, de propos salissants, avilissants que nos enfants, nos jeunes n´auraient jamais dû entendre sortir de la bouche de celui qui était censé être le premier d´entre nous malgré tout. Hélas! Pauvre Haiti! Heureusement, nous avons Ecclésiaste pour nous remonter le moral et nous donner la force de continuer à vivre et d´espérer dans un lendemain meilleur quand il dit: ''il y a un temps pour chaque chose''. Si l´ère martellyste fut le temps allarmant où il trainait dans la boue le peu qui nous restait comme valeur morale, symbolique et culturelle, ce 8 février 2016 est le temps d´essuyer ces larmes et de prendre la ferme décision que nous ne revivrerons plus jamais ce temps sous quelle que forme que ce soit. C´est une révolution froide et douce qui vient de se produire en Haiti. Cependant, la messe n´est pas encore dite. L´épée de Damoclès est encore pandue plus gravement sur la tête du pays.

     La cérémonie traditionnelle de passation de pouvoir n´a pas eu lieu, en lieu et place une séance spéciale s´est tenue au Parlement réuni en Assemblée Nationale le dimanche 7 février 2016 pour recevoir l´acte officiel de la fin du mandat de M. Martelly et constater en même temps l´existence d´un vide présidentiel. Cette situation politique extrêmement spéciale s´explique par quelques scénarios importants. En premier lieu, le président sortant, M. Michel Martelly, arrive au terme de son mandat sans pouvoir, cependant, passer l´échappe présidentielle à son successeur conformément aux voeux constitutionnels. Il l´a, par conséquent, remise là où elle lui a été passée au cou le 14 mai 2011, c´est-à-dire au Parlement. Le second scénario s´explique par le fait que l´Éxecutif, comme le Parlement entre 2014 et 2015, devient automatiquement en cette date disfonctionnel. Haiti est réellement une terre d´exceptionalités, de spécialités, de stupéfactions, d´inventions, mais surtout l´endroit qui rend le possible impossible, l´impossible possible. 

     Il y a, par ailleurs, un autre constat à faire, il s´agit du climat socio-politique dans lequel cette fin de mandat s´est déroulée. En effet, le peuple haitien a grandi et fait preuve d´une certaine maturité démocratique en laissant M. Martelly partir dans une certaine tranquilité sans qu´il n´y ait d´invasion militaire (comme en 1994 et en 2004), des violences populaires, des déchoucages, des chasses à l´homme (comme le 7 février 1986), sans qu´il n´ait été contraint à l´exile. De plus, après son passage au Parlement, il a emprunté les rues de Pétion-Ville à pied sans incidents majeurs. Cette attitude est à remarquer. Pour une seconde fois depuis 1986, un président laisse le pouvoir et reste dans le pays. Cela est encore historique et s´inscrit dans les grandes pratiques modernes de la démocratie. Bravo au peuple haitien! Il a renvoyé le signal qu´il est un peuple pacifique. Sur ce, il est important d´aller sur cette même voie et d´en faire plus en vue d´éviter toute entrave à la croissance de notre démocratie en perpétuelle construction. Néanmoins, tout ce qui est à retenir de cette journée, c´est qu´Haiti vient de tourner une page de son histoire, la plus malheureuse pour ne pas dire la plus cauchemardesque. Le temps où le peuple se faisait insulter à longueur de journée, à chaque sortie spectaculaire est désormais révolu. Le temps du rève dans lequel était plongé un grand nombre d´Haitiens tant en Haiti qu´à l´étranger est passé, voici il nous est offert l´opportunité de commencer une nouvelle Haiti.

     Cependant, je doute fort que la façon dont cette journée s´est achevée au Parlement permette d´entrevoir une solution rationnelle. La formule de sortie de crise consentie à l´aube du 7 février et parafée par les présidents des deux chambres et celui de la république entre ce dernier et l´Exécutif est problématique à cause de la configuration actuelle du parlement et du climat d´incertitude qui plane sur sa légitimité à être acteur d´un tel concensus. Je crains que celle-ci puisse permettre effectivement de trouver une porte de sortie à la situation socio-politique actuelle, ce pour plusieurs raisons. Comme l´ont admis plus d´un, la crise dépasse le cadre institutionnel, disons mieux, elle n´est pas entièrement ou seulement institutionnelle, elle est aussi conjoncturelle et nécessite de s´ouvrir aux autres acteurs sociaux, politiques et économiques, donc le plan de sortie de crise ne peut être unilatéral surtout avec un Parlement qui n´inspire pas confiance, mas il mérite d´être multilatéral. 

     Cette soi-disant 50ème Législature rentrée en fonction à l´insu des procédures prévues à cet effet est entachée de contestation et d´illégitimité parce qu´il est issu des démagogies produites par le CEP les 9 août et 25 octobre 2015 communément appelés très malsainement ''élections''. Par conséquent, il ne serait pas en mesure de décider à elle seule une formule en laissant de côté l´opposition, les partis politiques et les organisations de la société civile, surtout que beaucoup d´entre ces parlementaires font l´objet de virulentes suspicions. Nous sommes ici face à une incohérence grave. Car, si, d´une part, les ''élections'' législatives et présidentielles des 9 août et 25 octobre 2015 ont été genantes et vivement contestées à tous les niveaux au point que Jude Célestin a définitivement décidé de ne plus embrasser un second tour du scrutin pas avant une évaluation complète du processus par une commission digne à cause des fraudes et irrégularités, alors de quel droit ces parlementaires issus de celles-ci peuvent-ils se prévaloir des prérrogatives d´apporter une quelconque solution à la crise engendrée elle-même par ces diverses contestations? C´est d´elle qu´est accouché aujourd´hui ce vide présidentiel, alors comment ceux qui en sont le produit peuvent-ils être problème et solution à la fois? Autrement, nous sommes en droit de nous demander si ce parlement existe-t-il réellement? Si oui, peut-il faire partie de la solution de la crise?

     Toutefois, il convient d´admettre qu´en dépit de tout, cette décision issue du parlement, le dimanche 7 février 2016 selon laquelle l´ex-président Michel Martelly a remis le pouvoir à l´Assemblée Nationale, a évité le pir attendu, par contre, le malheur plane encore sur nous. Mais, que dit l´entente? Qu´est-ce qu´on peut attendre d´elle? En effet, selon l´entente trouvée pour assurer un départ ''controlé et réfléchi'' de Martelly dans le calme et la paix - ce qui a été constaté d´ailleurs - il est entendu que, une fois le vide présidentiel est constaté par le président de l´Assemblée Nationale, la présidence est vacante et, afin de remplir ce vide provisoirement, il est prévu deux choses: premièrement l´ouverture des inscriptions à tous les citoyens et citoyennes à l´échelle nationale répondant aux exigences faites par la constitution et les lois de la république, afin de venir faire le dépot de leurs pièces au parlement, deuxièmement la création d´une commission parlementaire bicamérale qui sera chargée de l´étude de ces dossiers. Quelle foutaise!

     Plaidant en faveur du respect des institutions et de leur valorisation, je trouverais cette formule superbement correcte dans le cas où l´institution en question n´était pas sous les coups des suspicions, c´est-à-dire si les membres qui la composent n´étaient pas issus d´un processus électoral vicié à la base, s´il y avait des dispositions légales qui l´ont prévue. Donc, si elle non plus n´est pas à l´abri des contestations et protestations populaires, de celles des partis politiques de l´opposition et des organisations de la société civile, alors pourquoi ne pas laisser la tâche au Premier Ministre en place d´assumer la gouvernance provisoire au cours des 90 ou 120 jours prévus? Pourquoi cette vente aux enchères de la présidence provisoire? Nous ne sommes pas loin de donner raison à Martelly qui, en partant, a rappelé l´attitude des affamés de pouvoir et schizophrènes de la pratique ôte-toi de là que je m´y mette. Dans un pareil cas, il est incertain que cette formule produise des effets positifs. Elle va créer d´autres animosités, parce que non seulement ces parlementaires réduisent la crise à un simple facteur institutionnel, mais surtout parce qu´il est impropre, indécent, indigne et indignant que ce soit encore eux qui s´impliquent dans cette marchandisation de la présidence. 

     Néanmoins, s´il était souhaitable qu´un compromis soit trouvé entre les différents acteurs de la crise, cela n´a pas été fait. De ce fait, il est prudent que le parlement arrête de se mettre en avantgardisme dans ses excès. Le Parlement tel qu´il est constitué aujourd´hui est problématique, donc il ne peut pas prétendre être capable d´un quelconque résultat aux problèmes originels dont il fait aussi partie. La crise est pourtant loin d´être résolue, elle est amoindrie. Elle peut exploser à n´importe quel moment et cette entente en sera une des causes. Si actuellement Martelly c´est du passé - bien que beaucoup de gens l´aient toujours considéré comme une page regrettable d´histoire depuis longtemps tournée - cela ne veut  aucunement dire que les luttes fratricides traditionnelles pour le pouvoir disparaissent. Et c´est ce à quoi nous sommes exposés avec ce dépot des pièces prévu dans ce parlement délabré. Le poste de la présidence provisoire sera accordé aux plus offrants. Quelle république de conards!

     Enfin, mis à part les dangers de l´après Martelly auxquels la république est exposée, l´histoire retiendra la déliquescence à laquelle la Présidence en particulier et l´État en général ont été réduits sous le règne de M. Martelly. Ce fut le règne de l´immoralité, du non respect pour le genre humain (les femmes en particulier), pour la presse, pour le peuple haitien et pour les serviteurs de l´État, de la délinquance étatique, du banditisme et gangtérisme institutionnel, de la corruption consentie et érigée en norme, de la fuite des genres de bien et honnêtes et l´affichage en public des malfrats. En tout cela, le plus important est de tourner à jamais et définitivement cette page de notre histoire de peuple. Pour que cela soit, il est impératif que le peuple soit éduqué, qu´il y ait un devoir de mémoire dès l´enfance et une écritute historique et sociologique sur ce règne obscurantiste à la Boyer.

Jean  FABIEN

Campinas, 8 février 2016

dimanche 7 février 2016

LA MÉRINGUE CARNAVALESQUE 2016 DE SWEET MICKY: ENTRE INDIGNATION COLLECTIVE ET OPPORTUNITÉ DE COMBATTRE L´IMPUNITÉ?

     Introduction

     C´est une attitude avisée, intelligente, rationnelle et logique de ne jamais apprécier et/ou critiquer quelque chose pas avant d´en avoir pris connaissance. Ceux et celles qui ont choisi de ne pas écouter la méringue carnavalesque de Michel Martelly pour éviter de s´en prononcer, peut-être, ont-ils agi sagement bien! Le contraire aurait été pir, c´est-à-dire se positionner sur quelque chose dont on ignore. Mais, ceux et celles qui se sentent malades, maniaques et radicaux des valeurs humaines, se battent pour le respect, la dignité et la moralité de l´être humain et ont pris connaissance de cette méringue, ne peuvent ne pas sortir de leur mutisme pour dire NON à ces types de pratiques démoralisantes et dénigrantes au sein de la société haitienne. À cet effet donc, ils accomplissent leur devoir de citoyen, car, de même que la mort d´un homme est celle de tout homme, l´insulte dont est victime un citoyen atteint non seulement la citoyenneté et la démocratie en elles-mêmes, mais encore  tout citoyen indistinctement.
     C´est ce qui m´a poussé d´ailleurs - afin de pouvoir mieux orienter mes réflexions - à aller à la rencontre de cette méringue carnavalesque du groupe Sweet Micky à la tête duquel se trouve le chanteur Michel Martelly, transporté accidentellement comme président d´Haiti depuis le 14 mai 2011. Néanmoins, connaissant le groupe et son chanteur vedette pour ses dévergondages, ses propos salissants, ses déhanchages avilissants, ses tons poligomènes, ses grivoiseries, enfin, ses attaques personnelles et blessantes (rappellons-nous ses polémiques avec les groupes tels que Mizik Mizik, T-Vice etc.) dans le cadre du carnaval, je n´aurais même pas besoin d´aller écoûter cette méringue pour savoir qu´elle serait à un niveau si déréglé et démoralisant. Écrire un article sur un tel sujet est la dernière tâche à laquelle je me serais consacré. Il propose donc une réflexion autour de notre culture d´impunité vis-à-vis des propos psychologiquement suicidogènes d´où qu´ils viennent afin d´y entrevoir les conséquences d´une auto-destruction ou encore d´un auto-assassinat et de comprendre si cette méringue - une dérive de plus - n´offre pas une opportunité favorable d´initier le combat contre l´impunité à ce niveau.

Notre culture d´impunité

     Dans une société à mentalité appauvrie, il faudrait s´attendre que des saletés pareilles refassent surface. Et, quand les choses prennent une telle tournure et parviennent à un stade de putréfaction, il est complice de se taire, quand la conjoncture l´exige, il est impératif de s´exprimer. En effet, cette méringue, pour l´avoir écoutée, revèle, à mon sens, un problème fondamental grave d´impunité au sens collectif, qui, malheureusement, est l´un des éléments sur lesquels le groupe Sweet Micky a construit ses succès les plus fous en Haiti. Fort de ces constats, il y a lieu de souligner une culture d´impunité qui s´érige en norme au sein de la société haitienne et d´où découlent tous les maux qui nous auto-détruisent et nous auto-assassinent.
     Seule l´impunité - entendue comme refus ou absence de sanctions collectives - pouvait amener un individu à se servir des moments carnavalesques, qui auraient dû être l´expression de la beauté culturelle et artitistique d´Haiti, pour le règlement de ses comptes personnels avec des individus qui, de surcroît, ne font pas partie du même univers musical que lui, ce en leur lançant des propos déshonorants en plus. Même dans des polémiques rivales entre groupes musicaux - en période carnavalesque bien sûr, même si celle-ci tend de plus en plus à devenir une scène d´avilissement et de moquerie, une marchandisation corporelle - il n´est pas permis de tout dire ni tout accepter dans une société qui veut se construire sur le respect mutuel entre citoyens, leur égalité en matière du droit d´expression, de la jouissance des droits et libertés individuels et la valorisation de ses membres et de ses institutions .
     En dépit de tout, pour avoir ciblé des personalités dont le seul péché commis est de s´être prononcées sur la gestion des choses de la cité, ce qui est normal en toute démocratie digne de ce nom, cette méringue s´est acquise une certaine popularité en plus, car, que l´on veuille ou non, elle a, d´un côté, son propre public et ce serait étonnant que ce dernier ne s´en soit pas déjà assouvi en dégustant les grivoiseries de son chanteur admiré, elle n´est pas le produit de n´importe qui, mais celle d´un grand chanteur en même temps président de l´autre. Mais, le comble, c´est que, par ailleurs, elle nous animalise quand elle se véhicule, à l´échelle mondiale, avec une image d´indissociabilité avec une institution si prestigieuse qu´est la présidence.

     Si la vitesse avec laquelle court cette impunité, arme aux multiples tranchants qui nous auto-détruit et nous auto-assassine, n´est pas freinée, il est vain de croire, d´une part, que M. Jean Monard et Mm. Paul soient les dernières victimes de Sweet Micky ou d´une quelconque formation musicale, que la société soit en mesure de sanctionner tout contrefait qui va dans le même sens d´autre part. En effet, ce n´est pas pour la première fois que le groupe Sweet Micky, en saison carnavalesque, s´attaque à des individus ou groupes d´individus en employant des mots durs d´oreille. Le groupe ainsi que son chanteur, dont il incarne le style, est réputé pour ses comportements outrageants et tapageurs. Il est de ses habitudes de le faire soit directement ou indirectement. Souvenons-nous de ses propos déshonorants et irrevérentieux, qu´il est inutile de reprendre ici, lancés à l´endroit de nos deux anciens chefs d´État, en l´occurrence Ms. Aritide et Préval? Pas besoin de rappeler ceux encore plus blessants dans ses polémiques avec les groupes tels que Mizik Mizik et T-vice au point que ce dernier a même failli prendre le chemin de la justice pour injures graves selon les dires des proches. Dans son règne de Sweet Micky, M. Martelly était et demeure encore un tout-puissant chef de fil des méringues répugnantes. Il s´est tellement complu dans le titre d´un chanteur aux mots ronfflants et vulgaires qu´il y a consacré tout un album. Jusque là aucune sanction collective, morale ou institutionnelle n´a été appliquée. Le pir c´est que les groupes qui s´adonnent à dérives y puisent leurs ''succès''. C´est une impunité consentie qui est plus cancérigène que l´impunité elle -même.

     Cependant, la méringue ''Bal bannan n lan'' de Sweet Micky a suscité l´indignation et la colère d´une forte partie de la société. C´est une grande première. Il est vrai qu´il faille avoir une première fois en tout, par contre, je m´interroge sur l´intérêt et le bien fondé de cette prise de conscience. Car, cela fait plus d´un 1/4 de siècle depuis que Sweet Micky outrage la société en exposant ses genres d´affiche. Les méringues de Sweet Micky ont toujours été contre l´intégrité humaine, des attaques personnelles, des dénigrements aux femmes, des attitudes irrespectueuses envers les enfants, des injures à n´en point finir qui rabaissent toute une société et ternissent l´image de tout un peuple. Pendant ce temps, beaucoup se taisaient, alors pourquoi c´est aujourd´hui qu´elles foueillent la conscience collective? En d´autres termes, si cela ne date pas d´hier, qu´est-ce qui explique que c´est cette méringue qui révolte tant la conscience collective? En fait, dans le contexte socio-politique actuel, il paraît évident que les propos de Sweet Micky fassent autant de dégats dans une société qui ne finit jamais d´en compter et ne sait plus où les mettre. Sur ce, quelques faits sont susceptibles d´expliquer cette nouvelle prise de conscience.

Comprendre pourquoi la conscience collective s´est révoltée contre cette méringue

     En premier lieu, contrairement aux autres arguments, je pense que les impacts et discussions que provoque cette méringue sont dûs plus au refus de la société à la banalisation et à la désacralisation de son sacré. Quel que puisse être le niveau de civilisation ou de dérive auquel une société pourrait parvenir, s´il y a une chose avec laquelle elle répugne toute plainsetrie et moquerie c´est son sacré, ce qui veut dire que la sacralisation est constitutive et immanente à toute société humaine. Les choses sociales sacrées sont intouchables, inviolables et immuables. Les institutions sociales représentent le symbole manifeste de ce sacré et quand elles sont foulées au pied c´est le sacré lui-même qui est atteint. Et quand le sacré se trouve en difficulté, la société devient une espèce de pyramide: elle est renversée y compris ses valeurs, ses croyances, ses institutions et sa culture. La Présidence en est une. Donc, lorsqu´elle est désacralisée, cela ne peut que révolter les consciences collectives. Ce manque de respect et de révérence envers le sacré, disons mieux la Présidence, est la preuve conséquente d´un conflit de personalité et d´identité qui domine depuis longtemps le Sweet Micky dévergondé et le Michel Martelly président malgré lui.

     En second lieu, il est clair que cette méringue qui provoque la dégénérescence  du sacré affecte plus la société que les personnages qu´elle cible, à savoir, M. Jean Monard Mételus de la RTVC (Radio Télévision Caraibes) et Mm. Lilliane Pierre Paul de la Radio Kiskeya. En fait, elle est plus accentuée sur cette dame à qui la société haitienne doit honneur et respect. Mais, évitant de réduire la situation à ces deux personnages, il convient de la comprendre à un niveau beaucoup plus élevé et rationnel de telle sorte que nous gardons en mémoire la méringue intimement ratachée à cette conflictualité de caractère, d´identité et de personalité. Car, je suis convaincu que si c´était Michel Martelly dans son costume ordinaire et tradionnel de Sweet Micky qui avait produit cette méringe, les démangeaisons auraient été autres. En dépit des respects à devoir à ces journalistes aux langages dérangeants parce qu´ils dénoncent l´inacceptable d´un régime et se battent pour une vraie démocratie, il est recommandé de leur éviter un culte de personalité - ce qu´ils n´aimeraient pas d´ailleurs, j´en suis sûr - en les faisant passer pour des seules victimes expiatoires, en oubliant que c´est la société haitienne tout entière qui souffre de ces dérives socio-musicaux pas seulement de Sweet Micky mais aussi de tout autre groupe qui profite du carnaval pour susciter des nuisances sonores et des intoxications musicales faute d´une panne d´inspiration, d´imagination et de créativité dans les textes.

Comprendre les moyens et le fondement des répliques de Michel Martelly dit Sweet Micky

   De par ses talents de musicien, ses tempéraments et entant que vieux routier du carnaval, M. Martelly ne pouvait répliquer à ses opposants que par une méringue carnavalesques dans le but même de provoquer et de montrer qu´il garde toujours sa casquette de Sweet Micky dans tout son compartiment et intégralité. Il fallait s´y attendre, car il ne pouvait faire autrement. En outre, si l´intellectuel a sa plume, le journaliste son micro comme armes de combat pour se défendre, il est normal d´admettre aussi que l´arme de tout musicien constitue sa musique: l´arme défensive avec laquelle il gagne son pain et mène son combat de tous les jours. C´est sa manière originale à lui de se riposter aux attaques qui le visent directement ou indirectement. Malheureusement, vu leur agressivité, leur état violent et leur niveau d´intolérance, les propos de M. Martelly ont fait preuve d´une grande faiblesse en matière de débats contradictoires et son incapacité à accepter et à vivre avec les idées contraires.
     L´État ne change jamais les individus, ce sont les individus qui changent l´État ou tout au moins le réduisent à leur image. Voilà pourquoi, sur M. Martelly l´État a revêtu l´habit de Sweet Micky, a épousé ses modèles et a été transformé à son image. C´était vain de penser pouvoir changer M. Martelly pour la simple raison qu´il est devenu président, une présidence survenue, on le sait, dans des conditions que nous savons tous déjà, comme une insulte au peuple haitien et preuve probante du mépris de sa volonté dans les décisions ultimes concernant son propre avenir. La présidence qui est, en quelque sorte, un récipient vide et sans contenu, ne change non plus les individus. C´est les individus dont elle est investie qui constituent son contenu et lui projettent une image. Il est donc cruel de demander à quelqu´un de changer et d´exiger de lui ce qui est dans son impossibilité de rendre. Le changement est une décision autoréflective même s´il dépend de certains facteurs extérieurs et de l´environnement social et culturel.
     J´estime bien au contraire que M. Martelly a fait des efforts de surpassement, car, franchement, hormis ses nombreuses sorties tapageuses et provocatrices, je m´attendais au pir. Une ou des conférences de presse en jupette et corsage, disons, en Sweet Micky quoi!! Une méringue carnavalesque dévergondée chaque année durant son mandat pour faire du tac au tac avec ses opposants! Le peuple haitien, de sa part, a prouvé ces derniers temps une certaine maturité, car s´il a pu tolérer pendant cinq ans les agisssements nauséabonds d´un individu qui passe toute sa vie à se moquer des gens, à les rabaisser, à les ravaler en se servant des blagues, à les banaliser et à les dénigrer, c´est qu´il a un peu grandi.

     Mais, n´est-ce pas une lâcheté et une incohérence grave de l´identification ou de la mauvaise sélection de ses opposants qui ont poussé M. Martelly à se jeter dans ces boues carnavalesques puantes dans les dernières heures qui suivent la fin de son règne? En réalité, M. Monard et Mm. Paul sont loin d´être les individus les plus farouchement opposés à M. Martelly, donc ses propos révulsants dans cette méringue sont signe d´une lâcheté et d´une incohérence palpable entre ce qu´il représente entant que chef d´État malgré tout et les propos qu´il laisse entendre dans cette méringue. Où laisse-t-on un André Michel, un Moise Jean-Charles et d´autres à la langue aussi tranchante et radicale que ces deux journalistes, poignardante et provocatrice que celle de Sweet Micky. Au contraire, je considère ces journalistes, surtout M. Monard, comme des potentiels conseillers non salariés et indirects de M. Martelly durant son règne. Ils ne se sont pas attellés seulement à le critiquer, mais aussi à proposer des portes de sorties à un president qui, semble-t-il, n´écoutait même pas ses conseillers.
     Dans leurs propos, j´ai toujours retrouvé de l´équilibre et je peux dire franchement que leur aide a outrepassé le journalisme traditionnel qui se contente d´ordinaire d´informer, de divulguer des nouvelles sans faire des analyses critiques et proposer lucidement quelques solutions rationnelles. Mais, l´arrongance et la grosse tête ont eu raison de M. Martelly. Avec son altruisme et son ego, qui ce monsieur écoute? Outre la lâcheté, c´est peut-être un sentiment de regret qui l´a mené à descendre dans cet égout. Il se sert de la musique, qui court plus vite que les commentaires et analyses politico-journalistiques de M. Monard et les nouvelles de 4h Mm. Pierre Paul. Elle est susceptible de recevoir de nombreux ''j´aime'' et ''vues'' sur la toile d´arraignée et les réseaux sociaux grâce auxquels son audition atteindra désormais un public au-delà des frontières.

Considérations finales

     Somme toute, en Haiti, nous sommes confrontés à des problèmes graves et profonds: ceux de la perversité et de l´impunité sont les plus courantes. Malheureusement, certaines perversités produisent, dans des circonstances historiques particulières, des effets positifs. C´est ce qui s´est passé avec M. Martelly. En effet, en l´ayant empêché de passer aux festivités carnavalesques depuis son arrivée au pouvoir, M. Martelly a imposé une sanction injuste et injustifiée au groupe Brothers Posse, à cause de son chanteur vedette Don Kato qui, pour des raisons que l´on ne sait pas, s´est fait l´opposant farouche du régime en divulguant des méringues carnavalesques polémiques. Conséquemment, cet acte, au lieu d´avoir détrui et anéanti l´artiste, a de préférence renforcé et raffermi sa popularité. En plus, il est aujourd´hui ''sénateur'' si l´on tient compte qu´il est issu des niaiseries appelées maladroitement  ''élections'' des 9 août et 25 octobre 2015. Que serait le renforcement de la célébrité de Don Kato sans les imbécilités de M. Martelly?
     D´autre part, concernant Jean Monard et Liliane, la méringue a servi de stimulus pour montrer la profondeur et l´immensité de l´affection, de l´amour et de l´attachement fidèles et infinis d´une grande branche de la société à ces deux journalistes. Il fallait que cela arrive pour comprendre que la société n´a pas totalement lâché prises face aux malversations. Des brins d´espoir de la lutte contre les débauches et les perversions bourgeoises luisent encore sur Haiti. On n´a pas tout perdu. Cette méringue honteuse a fait suite à de nombreuses initiatives et soirées d´hommages tant en Hait qu´à l´étranger en l´honneur de ces deux valeureux et courageux journalistes. En fait, cela exprime la volonté de la société de rompre avec ces pratiques malsaines et répugnantes en périodes carnavalesques afin de faire du carnaval la fete culturelle et artistique embélissante et merveilleuse qu´elle était auparavant. Est-ce le signal d´un combat collectif contre l´impunité dont nous avons soif qui s´annonce? Je l´espère. Car, il n´est jamais trop tard pour inicier une révolution contre quoique ce soit y compris la méringue fétide de M. Martelly.
     Néanmoins, qu´il ne s´agisse pas d´un combat deux poids deux mesures, que ce soit un vrai combat contre l´impunité que nous offre cette méringue révoltante. Certes, ses impacts sont plus forts et désastreux à cause de son personage et de l´institution qu´il incarne, mais, le plaçant dans son statut de simple citoyen, il est justiciable à tout acte qui lui est reproché. Autant de dire que d´autres groupes qui auraient l´intention de reproduire ces dérives doivent être touchés par cette sanction collective que nous voulons tous.

Jean FABIEN

Campinas, 7 février 2016

dimanche 24 janvier 2016

L´HISTOIRE RETIENDRA...

    Malgré sa situation de faim atroce dont il souffre courageusement jour et nuit - comme je l´ai fait remarquer dans un article publié le 18 janvier 2016 - le peuple haitien a montré que quand il se réveille, quand il sort de son sommeil, il est capable de grands exploits, il peut faire des choses extraordinaires et mêmes surprenantes. C´est une révolution sociale qui s´annonce, et, en devant en être conscient, le peuple ne doit pas s´arrêter là, il faut qu´il aille jusqu´à être gagnant de ses propres révolutions. En effet, la majorité populaire qui réclamait le renvoi des journées ''électorales'' prévues pour le 24 janvier 2016 a finalement eu gain de cause: le CEP décrié a fait marche arrière en annonçant, le vendredi 22 janvier dans l´après-midi, l´annulation de celles-ci. Couvert par la honte, le CEP a fait mention dans sa note d´un repport sine die, mais, en fait, il s´agit d´une annulation pure et simple. Cette note en elle-même annonce pas seulement l´annulation des soi-disant élections à organiser en cette date, mais surtout la caducité du CEP lui-même. 
     Par ailleurs, cette nouvelle est loin d´être surprenante, car tous les signes montraient clairement qu´il était impossible au CEP de franchir la frontière du NON au 24 janvier du peuple haitien, malgré certaines réticences à l´admettre. Sinon, il fallait s´attendre au pir que ce qui s´est produit au cours des principales journées de manifestations et de révendications des 21 et 22 janvier où il y a eu des casses, des incendies, des vols, des victimes en vie humaine, des arrestations, des emprisonnements forcés etc. En tout cela, les responsabilités tombent sur le CEP, l´exécutif et tous ceux-là, acteurs nationaux et internationaux, qui criaient aveuglement en Avant dans un contexte aussi fragile et voulaient poser un défi au peuple haitien. 

Ce que l´histoire doit retenir de cette annulation 

     L´histoire retiendra que cette annulation traduit pour le peuple haitien une première victoire sur la soumission aveugle et sourde de ses dirigeants aux étrangers, un pas vers la révolution sociale qui doit avoir lieu, une gifle au Département d´État Américain, à l´Élysée, à l´Ambassade du Canada et à l´Union Européenne qui, commettant toujours de l´ingérence dans les affaires d´Haiti et voulant induire en erreur les gouvernements haitiens, criaient Adelante à un soi-disant processus électoral entaché de toutes les fraudes du monde. Mais le peuple y a vigoureusement riposté. Par  ailleurs, elle exprime une déception pour le gouvernement en place qui vient de perdre complètement la confiance de ses parisans et la crédibilité du peuple; un refus à accepter l´autorité de ce dernier. 
     Que l´histoire, qu´elle soit haitienne ou mondiale, retienne cette date dans la vie socio-politique du peuple haitien qui, à travers ses multiples manifestations et révendications ces derniers jours, demande à ces barons internationaux de se mettre à l´écart de la vie politique haitienne et de laisser au peuple haitien le soin de résoudre ses propres crises tout en leur lançant un signal fort pour le futur de ce qui pourra arriver s´ils s´entêtent dans cette voie. Néanmoins, cette alerte doit nous concerner d´abord parce qu´en plusieurs occasions nous montrons notre incapacité à gérer nos crises internes.

     L´histoire retiendra que le peuple haitien, bien que pauvre et miséreux, ne se laisse pas marcher sur les pieds, sa révolte et ses soulèvements sont toujours la preuve que, en dépit de tout, son NON est irrévocable. C´est une erreur grave - et je l´ai montré dans un article publié en 2011 - d´avoir eu un homme comme M. Martelly à la tête de la suprême magistrature haitienne, il n´était pas possible par conséquent d´encaisser une autre bétise plus affreuse que celle du 24 janvier avec ce dernier. 

     L´histoire retiendra une fois de plus que le peuple haitien résiste à toute tentative de piétiner ses droits politiques les plus élémentaires, par exemple, ses droits à la manifestation, au vote, à la révendication, à l´autodétermination, à dire NON dont il est parfaitement conscient. De plus, si le peuple est contraint, malgré lui, de tolérer dans une certaine mesure que ses droits sociaux comme ceux à la nourriture, à l´eau, au travail, au logement, peuvent être constamment, continuellement et quotidiennement violés, il ne peut pas accepter le pir, c´est-à-dire la violation de ses droits politiques, le peu qui lui reste pour survivre. Ce n´est pas que ceux-ci soient plus importants que ceux-là, mais parce que seules les luttes politiques mènent vers le progrès social.

     Toutefois, que personne, ni le peuple ni l´opposition politique ne se rejouisse pas si vite après cette défaite du CEP. Mais, nous devons y entrevoir de préférence une véritable honte pour nous autres Haitiens qui aimons forcer l´impossible et attendre qu´une catastrophe, si évidente et prévisible soit-elle, arrive avant de nous rendre compte de ses conséquences désastreuses, enfin, nous avons l´art de nous rejouir dans nos propres malheurs. Cette annulation si tardive est une preuve palpable que nous avons des dirigeants irresponsables et incapables d´agir sur les problèmes avant qu´ils ne se dégénèrent, de gérer les institutions comme il le faut, car les vrais dirigeants ne sont pas ceux qui agissent sur les problèmes au moment où ils se produisent, mais qui savent les prévoir, vont au-devant d´eux et ont la capacité et la lucidité de prendre toutes les dispositions nécessaires afin qu´ils ne débouchent sur des catastrophes. 
     Ce qui s´est passé, ce vendredi 22 janvier 2016, est une catastrophe parce que, tant prévisible qu´il fut, nous n´aurions pas dû en arriver là.  Voilà pourquoi, il ne faut pas vite s´enorgueillir, mais plutôt réfléchir et travailler afin que, plus jamais, des dirigeants comme ceux du CEP n´exposent le pays à de telles situations désastreuses ni n´essaient de lancer un défi au peuple haitien. 
     Même si le départ de M. Martelly est évident et que théoriquement ou symboliquement son administration se conjugue au passé composé, il convient de préparer ce départ de telle sorte que les mêmes erreurs de 2004 ne se reproduisent plus. En effet, après le renversement de M. Aristide en 2004 par l´opposition et les luttes des étudiants, c´est Washington lui-même qui a imposé le premier ministre Gerard Latortue au peuple haitien qui, bien que victorieux de ce renversement, en a été le principal perdant. Cela ne doit plus se répéter. 

Le rôle de l´opposition

     Le rôle de l´opposition dans cette annulation a été crucial et s´est manifesté par les mobilisations populaires et les manifestations continuelles. Elle a été impécable dans son combat contre la gouvernance de M. Martelly depuis l´arrivée de ce dernier à la tête de l´État de telle sorte que nous pouvons dire qu´elle nous a épargné certaines actions plus graves auxquelles celle-ci aurait pu exposer le pays. Néanmoins, son manque de structuration, d´organisation et de cohérence a fini par remonter le moral à ce régime qui était sur le point de sombrer. Voilà pourquoi, si elle veut rester forte, vivante et efficace, elle devrait s´abstenir de tout poste politique au sein de la transition. Dans le contexte de la crise actuelle, elle devrait plutôt jouer le rôle d´accompagnatrice du peuple dans ses révendications politiques, d´orientatrice et de préparatrice de la prochaine transition politique d´après M. Martelly pour non seulement mieux gérer et savourer cette victoire avec le peuple, mais surtout c´est le moment de définir un autre contrat social et politique pour le pays. 

     Même s´il paraît normal qu´une opposition aspire à des postes politiques, dans le contexte actuel, il serait préférable qu´elle s´en écarte pour éviter qu´il ne s´agisse d´un ''Ôte-toi que je m´y mette'' tel qu´il se pratique malsainement dans la culture politique haitienne. C´est une pratique avec laquelle il faut rompre. Si cette opposition va s´entredéchirer pour des postes politiques - ce qui arrive ordinairement - alors là les luttes menées auparavant seront vaines et demain c´est contre elle que ce peuple en retour se lèvera. Les barons étrangers qui dominent Haiti, il faut le savoir, sont un liquide qui prend toujours la forme du récipient qui le contient et un caméléon qui épouse la couleur de la cible qu´il cotoie. Étant très intelligents et jouant actuellement ses dernières cartes pour reprendre le controle de la situation en Haiti, ils seraient probablement en train de voir dans quelle mesure où ils pourraient collaborer avec les potentiels acteurs politiques, car, de toutes les façons, ils ont du mal à digérer ces gifles imposées au CEP et à l´exécutif, qui les affectent aussi vu qu´ils les soutenaient, et à sortir perdants de la crise. 

     Par ailleurs, pour le bien être du pays et l´avenir politique d´Haiti, nous avons besoin d´une opposition forte et structurée telle qu´elle a surgi sur la gouvernance de M. Martelly sans ignorer pour autant qu´il a lui-même contribué à la création et à la constitution de celle-ci à travers ses dérives. Une opposition qui, en défendant les principes démocratiques, parvient au pouvoir par la voie des élections et non dans le cadre d´une transition ne serait-ce que pour le respect des règles d´éthique. Une opposition dans un pouvoir de transition me semble être un échec de l´opposition elle-même et une contradiction flagrante des principes démocratiques pour lesquels elle se bat. Elle se creusera son propre trou et préparera sa défaite s´il veut accéder au pouvoir dans un tel contexte de transition. S´il faut admettre que le seul et unique moyen de parvenir légalement et légitimement au pouvoir c´est par les élections, alors l´opposition qui a combattu les dérives d´un pouvoir survenu dans les conditions que nous le savons, doit passer par le même chemin pour le simple respect de la démocratie. Par conséquent, il est souhaitable qu´elle reste à l´écart du pouvoir politique et joue le rôle que lui assigne l´histoire tout en se renforçant davantage. Enfin, c´est une opposition qu´il faut entrevoir d´ores et déjà se soulever même contre la transition politique, qui surviendra après le départ de M. Martelly, dans le cas où cette dernière continuerait les mêmes pratiques de l´ancien régime.

Le dilemme victorieux et gagnant

     Le peuple a une fois de plus mis en déroute ses détracteurs, mais sortira-t-il gagnant ou victorieux des luttes qu´il mène? L´histoire a déjà prouvé que nous sommes autant capables de grandes révolutions que piètres, médiocres et impotents à les gérer convenablement sans une main étrangère au-dessus. Le peuple en sort toujours perdant parce que le plus souvent ses problèmes sociaux ne sont jamais pris en considération. Nos proverbes disant: ''Aprè bal tanbou lou'', ''Bourik travay pou chwal galonen'' sont malheureusement une réalité qui nous surprend et nous tombe constamment dessus à chaque événement. Autrement dit, il y a toujours un ou des intrus internationaux à s´infiltrer ou à faire irruption dans nos affaires politiques pour venir prendre le controle de nos révolutions afin d´en donner l´orientation qui leur convient par le fait que généralement nous nous montrons incompétents de gérer la victoire de nos propres luttes. Certes, l´échec des journées du 24 janvier s´avère une victoire du peuple haitien, il en est victorieux mais pas encore gagnant, car il est fort probable qu´il ne jouisse pas cette victoire. Quand les hommes politiques disent: ''Viktwa pou pèp la'', ils savent très bien ce qu´ils disent. Ils ont parfaitement raison de dire cela et disent vrai en plus, car, en vérité, le peuple est toujours victorieux mais jamais gagnant. 

     ''Que le peuple se contente de sa victoire et la contemple avec joie, tandis que, eux-mêmes, les acteus politiques, ils se jouissent de son gain: privilèges économiques, ascension sociale, pouvoir politique etc'', déclarent-ils impitoyablement. Pour le présent moment, dans le contexte de cet échec du CEP et de l´exécutif, le peuple est victorieux, il est souhaitable qu´il en soit aussi gagnant. En différenciant victotieux et gagnant, il est important de rappeler que, historiquement parlant, les gagnants des crises politiques en Haiti sont toujours un corps étranger et le peuple dans tout cela n´est qu´un admirateur honteux et méprisé d´une victoire mémorielle qui, le plus souvent, ne lui laisse que des souvenirs amers. Quand on réclame que le peuple soit à la fois victorieux et gagnant cela sous-entend qu´après les luttes pour lesquelles nombreux de ses fils et filles ont sacrifié leur vie, il est impératif d´entrevoir un véritable changement de ses conditions de vie sociale et économique. C´est ce vers quoi il faudrait tendre!

Des incertitudes aux évidences

     Après le 24 janvier, le 7 février est encore une autre date très préoccupante tant pour le peuple haitien que pour les opposants à la gouvernance de M. Martelly. Nombreux sont ceux qui se demandent ce qui va se passer dans les jours avenirs: 1- M. Martelly laissera-t-il le pouvoir? 2- Si oui à qui puisque techniquement parlant il est impossible d´avoir un président élu avant le 7 février pour le remplacer constitutionnellement? 3- Si non, comment partira-t-il, de gré ou de force? 4- Aura-t-il une transition politique telle que le veut depuis bien longtemps l´opposition? 5- Y aura-t-il un consensus politique qui permetterait à M. Martelly de rester provisoirement au pouvoir jusqu´à l´arrivée de son successeur issu d´une vraie élection? En tout cela, il existe un dernier cas où il peut être forcé de partir avant même cette date.

     D´entre le jeu le cinquième scénario n´est même pas imaginable entre une opposition si radicale et un Martelly à tempérament récidiviste. De plus, même si une telle proposition aurait été soutenue à M. Martelly, il devrait la refuser, ce pour deux raisons. D´une part, un minimum de moralité et d´éthique - loin delà de dire que M. Martelly est un homme moral - ne lui permet pas de rester au pouvoir, il est évident qu´il parte en laissant la gestion du pouvoir aux acteurs politiques qui décideront de l´avenir politique d´Haiti. La tâche de la destinée politique du pays ne lui appartiendra plus à l´expiration de cette échéance constitutionnelle. Pour permettre de délier la crise politique actuelle, il est prudent qu´il n´évoque pas l´article de la constitution qui veut que le président ait pour devoir de garantir le bon fonctionnement des institutions, car, avec ou sans un président prêt à investir le pouvoir pour le succéder, après le 7 février, M. Martelly perdra tout droit que lui confère la constitution et toute légitimité, donc il ne pourra rien gérer ni controler. 

     D´autre part, pour son bien-être et celui de sa famille, il est mieux qu´il laisse le pouvoir le 7 février pour ne pas compliquer et envénimer davantage la crise et rendre sa situation et celle de sa famille encore plus grave et difficile. En outre, il  y va de son intérêt à ce qu´il parte du pouvoir bien - sans être exilé bien entendu - après tout ce qu´il a fait à ce pays. Son entêtement d´y rester - ce qui ne devrait même pas être envisageable - justifiera ou la méconnaissance de M. Martelly des réalités socio-politiques du pays ou sa méchanceté à le faire exploser. Car, tenant compte de tout ce qui vient de se passer, de tout ce qu´il a fait durant son règne au pouvoir, il n´est pas certain qu´un seul élément de l´opposition acceptera de passer une seule seconde de plus avec ce monsieur dont on s´empresse de débarasser le plus vite parce qu´il devient indésirable. Ainsi, il reste, de toute évidence, que ce CEP de M. Opont a échoué, n´existe plus et M. Martelly partira quoiqu´il advienne le 7 février ou même avant, de gré ou de force, ce pour son bien et celui du pays. Alors, il s´agit maintenant de penser l´après Martelly non seulement en terme de la gestion des pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif, des secteurs social, politique et économique, mais encore en ce qui concerne le soi-disant processus électoral brutalement interrompu.

     Il est clair que, le 7 février 2016, nous allons vers une phase transitoire. Ce qu´il fallait à tout prix éviter. Mais, comment se fera-t-elle? C´est là l´épineuse question à laquelle il n´est pas facile de trouver une réponse.

 La transition politique

     En effet, après le 7 février 2016 - dans l´esprit du respect de l´échéance constitutionnelle de M. Martelly - la transition, qui doit être la responsabilité de l´opposition et des associations sociales, économiques et politiques nationales, entrera en jeu. Une fois installée, elle ne pourra pas tout faire et tout résoudre en même temps, c´est d´ailleurs la prétention qu´elle ne doit avoir ni l´erreur qu´elle ne doit commettre. En toute logique, il ne reviendrait pas à l´opposition d´être dans le pouvoir, mais de préparer et d´orienter correctement la transition politique et de veiller sur ce gouvernement de transition comme elle l´a fait auparavant, car si elle en fait partie, elle ne pourra pas le combattre en cas de dérives, mais créera d´autres oppositions parallèles. La transition elle-même doit préparer la scène politique afin qu´il y ait un accord duquel découlera un nouveau CEP qui organisera de réelles et vraies élections qui accoucheront des élus légitimes. 

     Pour qu´elle soit efficace, celle-ci doit préparer la future gouvernance démocratique du pays pour les cinq prochaines années tout en évitant des dépenses exorbitantes et inutiles et d´aller dans la même ligne des jouissances économiques malsaines et corruptibles de l´ancien régime soit par l´irrespect de son delai constitutionnel, qui est généralement de 90 jours, soit en cherchant à le prolonger par de faux prétextes. Son rôle fondamental est l´organisation des élections pour que le Palais national soit officiellement et définitivement occupé par un président correctement élu. Parallèlement, elle peut, très légèrement, agir sur quelques problèmes techniques sans esprit d´excès ni d´extravagance. 

     Le peuple, de sa part, doit éviter de réclamer de cette transition ce qui lui est, techniquement et chronologiquement, impossible de réaliser. Car, le plus souvent, au-delà de la volonté manifeste des hommes de la transition d´y rester, le peuple qui les exige l´impossible les incite aussi à violer le delai qui leur est imparti. Que le peuple sache, d´une part, que le rôle principal et fondamental de la transition est de le mener vers de vraies et correctes élections pour lesquelles il ne cesse de se battre, d´autre part, que ses problèmes cruciaux et profonds seront abordés par les dirigeants qu´il aura choisis dans ces élections. La seule chose qu´il doit exiger de cette transition est le respect de son delai et la tenue de vraies et correctes élections. Haiti, par le truchement de cette transition, a devant elle une grande opportunié d´un changement social et politique radical. Par contre, dans le cas d´une mauvaise gestion de celle-ci par la répétition des mêmes erreurs, c´est la catastrophe totale. Alors, en tant que peuple, il ne nous restera qu´à nous enterrer nous mêmes, car, le peu de dignité qui nous restera aura été anéantie. Ainsi, non seulement nous allons tout droit vers l´abîme, mais encore nous allons donner raison, pour une inième fois, à ceux-là, nationaux et étrangers, qui sont convaincus que nous sommes ingouvernables.

Considérations générales

     Somme toute, le peuple haitien a franchi une étape importante dans son histoire et sa vie politique en montrant sa capacité, son courage et sa détermination à dire non à l´indésirable et à l´inacceptable. Mais, il lui reste un combat plus consistant et profond à mener, celui pour l´amélioration de sa vie sociale et économique de tous les jours pour lui, ses fils et petits fils. À force de gaspiller des énergies à se battre à chaque fois pour les mêmes choses, à refaire les mêmes erreurs grotesques (complot, trahison et conspiration pour le pouvoir) non seulement les situations du peuple restent inchangées, mais encore le pays s´enfonce dans la monotonie voire l´immobilisme, car les plans de sortie de crise des transitions passées accusent toujours de beaucoup de faiblesse de vision. Il est important que cette étape franchie ne soit pas minimisée, mais doive de préférence permettre d´espérer un mieux être et un avenir meilleur pour le pays. L´histoire doit retenir, en 2016, comment le peuple haitien s´est déterminé à être seul maître de sa vie sociale et politique même s´il doit compter sur la collaboration de certains acteurs internationaux. À quoi devrait-il s´attendre dans les jours avenirs puisque M. Martelly c´est du passé? Laissons donc à l´avenir et au temps de dire le reste!

Campinas, 24 janvier 2016