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vendredi 23 novembre 2018

HAITI, OTAGE DU DESSALINISME ET DU PÉTIONNISME?

Résumé

Depuis un certain temps dans ce pays, il se développe une volonté acharnée - accompagnée d´une violence (verbale, psychologique et langagière) démesurée - de défendre Dessalines, de récupérer son drapeau et de démoniser Pétion. Les dessalinistes se seraient réveillés contre les pétionnistes, s´enragent, s´enflamment, se débordent et seraient prêts à tout prix à restituter à Dessalines le pays ou le rêve dérobé. Pourtant, plus d´uns ne s´imaginent guère que cette prétention divise plus le pays qu´il l´organise et l´expose à un désastre social. Le 18 novembre 2018, une action a donné une autre portée à cette tendance: le brandissement du bicolore noir et rouge en coexistence sur le sol national avec le bleu et rouge  - pour ne pas dire en remplacement de celui-ci. L´idée ici consiste à proposer une réflexion autour de cette action sous deux angles: historique et social, ce, en inscrivant notre démarche dans une approche sociologique qui s´attelera à montrer qu´il s´agit d´une action sociale ancrée à une visée de dessalinisation de la société haitienne, laquelle poussée étant elle-même contraire et opposable à ce que les historiens appelent l´idéal dessalinien, annoncerait un nouvel ordre social dans un désordre social. Il s´agit de comprendre si Haiti pourrait supporter d´être l´otage d´un dessalinisme aveugle ou d´un pétionnisme insoutenable.

Introduction

En effet, c´est dans le but de matérialiser leur intention que la première action, obscène et souillante, que les dessalinistes posent à la veille d´un 18 novembre 2018, hautement historique et significatif pas seulement pour nous autres Haitiens, mais aussi pour notre exploît de peuple créateur de liberté et d´humanité, c´était, dans le vrai sens du terme, non pas de remplacer un drapeau bleu et rouge par le noir et rouge à Vertières, au Cap-Haitien ou autres endroits, mais de déclencher un désordre qui, pour eux, sera le nouvel ordre social et politique dessalinien pendant que celui-ci suscitera lui-même d´autres désordres sociaux. Il faut dire aussi que, par cette action, il y a un zèle de leur part à déifier un héros au détriment des autres, plus particulièrement Pétion et ses partisans à qui ils ne cessent de faire porter le fardeau du crime du 17 octobre 1806. Ainsi, ils prônent un ordre social dessalinien qui est en lui-même l´annonce d´ores et déjà à un désordre social généralisé dans la mesure on ne résout pas un mal par un autre mal: Pétion et Dessalines - en terme d´idéologie et de fanatisme - sont deux maux historiques d´Haiti. En agissant de la sorte, ils ne sont pas conscients qu´ils sont entrain d´assassiner le noble esprit avec lequel nos ancêtres ont lutté pour matérialiser ce projet social et politique de liberté, d´égalité et de justice dont ils étaient porteurs.

Prétendre renverser non pas un ordre social pétionniste préétabli vu que, en fait, cela n´avait jamais existé auparavant, soutenu ou défendu par une couche sociale, mais entamer une chasse aux pétionnistes dans l´esprit de venger Dessalines et lui rendre justice, c´est de la pure folie humaine, c´est comme allumer une cigarette aux deux extremités, dirait l´autre. Aujourd´hui, c´est par une guerre de drapeaux qui met la société haitienne face à une espèce de dessalinisme aveugle et radical que cela se symbolise. Celle-ci est profitable à la division, au discorde, à l´exclusion plutôt qu´à la cohésion sociale dont elle nécessite plus que jamais urgemment afin qu´elle puisse avancer. À la fois nouvel ordre et désordre social, guerre et soulagement, cette opposition entre un dessalinisme vengeur et justicier et un pétionnisme silencieux voire insoutenable ou intenable c´est la pire rivalité qui puisse arriver à ce pays et le dévaster par la haine, la trahison et l´hypocrisie, car, depuis que nous pratiquons entre nous autres Haitiens cette  culture de "bay kou bliye pote mak sonje", le pays est pris en otage.

On pourrait se demander qu´arrive-t-il aux Haitiens qui, dans les manifestations pour réclamer des comptes sur les fonds Pétrocaribe, brandissent en même temps un drapeau noir et rouge au profit duquel s´est effacé le bleu et rouge? Quelle rapport entre hisser ce bicolore à Vertières et Pétrocaribe? Toutefois, que l´on veuille ou pas, l´affaire Pétrocaribe est devenue l´espaçe de la nouvelle étape franchie dans la haine implacable entre dessalinistes et pétionnsites, car depuis après 1806, jamais deux bicolores ne flottent en Haiti, sur les édifices publics ou privés, ce, en dépit du fait que les dessalinistes n´ont cessé de revendiquer leur allégeance à ce drapeau, de manifester leur volonté de détroner les pétionnistes, disent-ils, au pouvoir depuis qu´ils ont eux-mêmes assassiné l´empereur, enfin, de laisser apparaître une obsession dessalinique à mettre le pays à feu et à sang s´il n´est pas dessalinisé tout en attribuant uniquement à Dessalines l´héritage ancestral légitime de cette terre, ce, à l´oubli de tous les autres héros qui ont combattu au côté de cet homme magnanime. Ainsi, nous allons essayer de faire ressortir que, produite en plein coeur du dossier Pétrocaribe, cette action a fini par faire de lui une espèce de fourre-tout pour ne pas dire une véritable occasion pour que chaque secteur règle son compte  à sa propre manière (point 1), loin d´être une volonté réelle de bien gouverner le pays, elle est un véritable scandale social (point 2), que l´assassinat de Dessalines a laissé advenir (point 3) et qui laisse entrevoir clairement que le pays est bel et bien plongé dans le désordre social total et la guerre fratricide couverts par la couche de peinture Pétrocaribe (point 4), ce qui, enfin, ne nous laisse jamais le choix de ne pas nous plonger dans un éternel hier (point 5) .

1. Le dossier Pétrocaribe, un fourre-tout

Depuis le jour où l´espaçe social et politique en Haiti est dominé par le déclenchement de l´affaire Pétrocaribe, la pensée haitienne n´est polluée que par ça, la pensée critique trouve donc peu d´espaçe. En même temps d´autres sujets se règlent, on en profite pour tout vider et faire ressortir toute notre violence par le biais de nos attitudes et comportements sociaux désastreux et dévastateurs qui ne font qu´enfoncer le pays dans l´abime. Bien que ce soit un autre sujet, mais il y a lieu de souligner que les manifestations en Haiti sont et ont toujours été purement et simplement de la manifestation de la violence collective. C´est un fait de constater que, paralèllement à ce dossier, d´autres questions gagnent de l´ampleur: de la demande de démission du président par l´opposition radicale à la substitution du bicolore bleu et rouge par le noir et rouge en passant par l´amplification de l´insécurité infernale accompagnée d´une débilité des trois pouvoirs de l´État (l´exécutif, le parlement et la justice). C´est ce qui transforme le Pétrocaribe en une espèce d´égout où tout cela est jeté, une sorte de  fourre-tout où tout cela se règle. De nos jours, La Saline, Cité de Dieu, Fontamara, Grand Ravines sont les grand centres des violences urbaines et des rivalités entre groupes armés à un point tel qu´autorités étatiques (parlementaires et judiciaires) cherchent à fuir le Bicentenaire - à proximité duquel se trouvent La Saline et Cité de Dieu - en abandonnant ces zones entre les mains de civils lourdement armés et en fuyant leur responsabilité d´établir l´ordre, la sécurité et le droit de circulation de tout le monde.

Or, si les autorités craignent pour leur propre sécurité, si elles n´arrivent pas à contenir et neutraliser ces groupes, si elles cherchent à fuir la violence comme n´importe quel citoyen, que feraient alors ces pauvres habitants, véritables otages des groupes armés? Doit-on fuir ou résoudre la violence? En agissant de la sorte, les gouvernants ne pensent pas qu´ils créent eux-mêmes la méfiance entre eux et ses gouvernés dans les communautés où surgissent des sujets armés qui les terrorisent, justitifent leur force, ouvrent par conséquent la voie à ce que j´appelerais une complicité involontaire ou encore une collaboration contraignante puisque la vie de ces individus, tout ce qu´ils sont et ont dépendent en grande partie de la bonne grâce de ces malfrats, enfin, facilitent ce que j´appelerais aussi la délocalisation du phénomène de la violence en ce sens que prétendre fuir la violence, elle te poursuivra - te pourchasseras même - où que tu te rendes. Les sujets armés - véritables promoteurs de la violence criminelle - n´ont pas besoin d´attendre qu´il ne leur reste plus rien à piller dans les zones défavorisées où ils habitent pour aller chercher ailleurs.

D´ailleurs, beaucoup d´entre eux finissent par se rendre compte que, pour échapper au controle policier, il est intelligent de protéger leurs voisins, d´où la problématique d´une collaboration police et communauté. Voyons, à titre d´exemple, ce qui se passe actuellement à Pétion-ville où à Canaan (le nouveau bidonville surgi sauvagement après le séisme de 2010). Beaucoup de criminels se sont transportés dans ces zones qui, aujourd´hui, deviennent invivables comme ce fut le cas de Cité Soleil il y a deux ans. On oublie complètement que la faim chasse le loup hors du bois. La violence est partout, c´est de la pure illusion de s´imaginer à la fuir. On ne fuit pas un tel phénomène social, mais on le résout avec de vrais projets sociaux consistants, non pas avec des coups de peinture de Ti mamman cheri, panye solidarite, kantin popilè, et puis tout s´arrête là. Il est vrai qu´on ne peut évoquer ou penser Haiti sans que ces phénomènes n´exercent sur notre pensée une violence psychologique, mais pour l´instant c´est plus particulièrement l´élément drapeau accompagnant en quelque sorte la trajectoire et l´évolution du dossier Pétrocaribe, qui doit guider nos points de vue. 

De l´avis de certaines personnes, exhiber le drapeau noir et rouge en plein jour en présence de centaines de personnes est une action politique dans la mesure où elle s´inscrit dans la démarche d´un acteur politique, chef de parti, qui croit dans un passé historique et défend une idéologie politique liée voire inséparable de ce passé, d´autres l´entendent comme une action subversive constituant une véritable provocation au pouvoir central, un irrespect à l´ordre établi, aux lois et à la constitution de 1987, défiant l´autorité de l´État. D´autres encore l´acclament comme un geste héroïque et patriotique de ceux et celles qui se réclament fils et filles légitimes de Dessalines et cherchent à transformer le pays à son image. Toutes ces opinions ont leur valeur et sont intéressantes, néanmoins, nous aimerions aller un peu plus loin d´elles en soutenant que, compte tenu de cette tenacité du parti Pitit Desalin à défendre le drapeau noir et rouge ainsi que la vision de l´État pronée par Dessalines, un tel acte fait appel à un dessalinisme sans Dessalines, fait renaître cette lutte inutile et gratuite de classe et de race entre nèg anwo ak nèg anba, moun rich ak moun pòv, moun nwa ak moun po klè, laquelle lutte est loin d´être terminée, rappelle, en conséquence, que le contentieux social et historique entre dessalinistes et pétionnistes vient à peine de commencer.

Nous disons qu´il s´agit, d´un côté, d´une lutte inutile parce que celle-ci ne rend aucunement service à nos ancêtres dont nous avons hérité ce coin de terre dans l´espoir d´en faire un paradis terrestre, y compris à Dessalines lui-même - l´accomplisseur du rêve de la liberté dont ils étaient assoiffés - encore moins à la société dont la tête est chargée comme Legba, dirait notre cher Languichatte Debordus. D´un autre côté, gratuite parce que, au lieu de valoriser nos points forts: histoire, culture, art et litterature elle les vilipende et donne de plus en plus raison aux autres nations (anciennement ou nouvellement libres et indépendantes) qui doutent de notre capacité à nous autogouverner, nous autodiscipliner et de surpasser nos égos en résolvant entre nous nos conflits, qui croient enfin que seule la verge puisse nous faire bouger et que seule la chaine liant nos mains et pieds nous ressemble. C´est ce qui me pousse à demander si Dessalines était lui-même dessaliniste, de la même manière que des sociologues cherchent à comprendre si Marx était marxiste, Durkheim durkheimiste ou Weber webériste.

En fait, si on oserait procéder par un peu de la psychologie de Dessalines lui-même à travers ses propres mots - faisant en sorte qu´il était vivant et que l´on interrogerait son intention, sa vision et son plan pour ce pays, on serait étonnés de constater qu´il serait en désaccord avec ce que nous sommes entrain de produire et reproduire aujourd´hui en son nom, car, il nous a legués un pays pour faire mieux que lui et non pir que lui, pour l´améliorer et non le rendre invivable, le transformer et le construire, non le détruire et le paralyser, donc, nulle part dans son intention ne se rencontre l´idée - avant de mourir - de dessaliniser le pays, c´est-à-dire le restreindre à sa petite personne ou à sa stricte vision. Si tel était le cas, une pétionisation ou une christophisation - pour ne faire référence qu´à ces deux héros qui, comme tant d´autres, ont sacrifié leur vie à la liberté et à l´indépendance - non seulement serait tout aussi légitime qu´une dessalinisation du pays, mais précipiterait surtout le pays dans un historicisme assombrissant et encombrant, puisque dans une pareille circonstance notre histoire serait une sorte de condamnation. Et, si l´on appliquait cette même méthode à chacun de nos héros, ou du moins, si chaque groupe dans la société se choisissait son petit héros à lui et entendait le magnifier, dans ce cas le pays ne finirait jamais d´être partagé en miettes. Or, telle est la croix qu´il traine depuis deux ans d´histoire, mais ce n´était pas, bien sûr, le voeu de Dessalines quand il avait prononcé cette phrase: " Et les pauvres noirs dont les pères sont en Afrique n´auront-ils donc rien"? Celle-ci résume toute la vision sociale et politique qu´il avait pour ce pays. 

2. Le symbolisme du drapeau haitien scandalisé

Un petit rappel historique succinct sur le symbolisme de notre drapeau devrait nous aider à mieux cerner ce qui s´est produit au Cap Haitien, plus précisément, à Vertières, à la veille du 18 novembre 2018. D´entrée de jeu, le noir et rouge ou encore le bleu et rouge seraient le symbole de la célébration de l´union et l´unité de deux groupes sociaux distincts: les noirs et les gens de couleurs qui, après avoir survécu aux guerres indépendantistes, ont choisi de vivre ensemble en partageant le même espaçe territorial. Le nouveau gouvernement dirigé par Dessalines aurait pu aussi faire le choix du bleu, et de fait à l´Arcahaie en 1803 c´était le bleu et rouge qui flottait, mais, sous son influence il a opté pour le noir. Pourquoi? 

Certains historiens soutiennent la thèse que ce choix rentrait dans le cadre de la volonté du nouvel État libre et indépendant de marquer une rupture totale et radicale avec le drapeau français (bleu, blanc, rouge) et le tout symbolisme français: le bleu et rouge ressembleraient trop au drapeau français. Si cette thèse peut accuser une certaine vérité historique, dans une certaine mesure elle comprend néanmoins deux défauts d´ordre méthodologique. D´une part, le rouge conservé faisait aussi partie du drapeau français qui était tricolore, donc il ne fallait pas non plus le garder, on devait le remplacer par une autre couleur, de plus, symbolisant la race métissée qui, selon Vertus Saint-Louis, est le fruit du viol d´un colon sur une esclave, le rouge est à mon sens l´image parfaite de l´esclave souillée, violée et violentée par les spermes du colon blanc. Toutefois, dans l´Haiti indépendante le sens du rouge se rapportait également au sang des esclaves coulé pour se libérer des chaines esclavagistes. De plus, nous étions tellement attachés à cette couleur si vrai que tous les changements apportés au drapeau haitien ont laissé le rouge intouchable. D´autre part, si sur le plan politique Haiti avait réellement et brutalement rompu avec la France en ce sens qu´elle n´est plus sa colonie et que désormais elle ne dépend pas de ses aides économiques et financières, cependant, sur le plan social, culturel, administratif, judiciaire, législatif, littéraire, le pays demeurait dans l´âme une France d´outre mer autant que nous n´arrêtions pas de copier et d´imiter les Français.

Mais, ce qu´il faut comprendre c´est dans la logique du nouvel État qui a surgi, le noir par rapport au bleu paraît symboliser et caractériser plus directement la race noire, alors que le bleu projeterait une image ambigüe et floue de cette classe sociale, le noir est indiscutablement le symbole clair et simple du peuple noir. En fait, sur le plan historique ou anthropologique le bleu ferait référence à une intersection entre nouveaux libres et anciens libres qui, tous deux, appartiennent à la même catégorie sociale: les esclaves, à la seule différence que les premiers ont conquis leur liberté plus tardivement que les seconds. De plus, contrairement à ceux-ci, ceux-là peuvent se rejouir, se vanter et même s´enorgueillir de l´avoir acquise au prix de leur sang, de durs combats et de luttes continues, que leur liberté n´avait pas été un privilège du maître blanc et, enfin, qu´elle n´est pas un bien mercantile, mais un acquis. Le bleu créerait dans les esprits de réels confusion et doute parce qu´il serait cette espèce de mélange de noirs et mulâtres qui ne l´est pas en fait. Donc, cette ambigüité n´ayant pas été résolue a tenu lieu d´une facilitation au choix d´une autre couleur plus symbolique de la réalité socioraciale de la société indépendante que l´empereur cherchait à représenter, tel est, selon un premier raisonnement, le sens du choix du noir. Le second point de vue, c´est qu´il était clair dans la tête de Dessalines lui-même que, dans la nouvelle société indépendante, il fallait résoudre définitivement le problème racial. Sur ce, il a fait inscrire dans la constitution de 1805 que tous les Haitiens soient reconnus comme étant appartenus à la race noire sans aucune distinction. Et, étant donné qu´il ne faisait aucune différence entre noirs et mulâtres, anciens libres et nouveaux libres, alors, pour symboliser cette décision le noir était la couleur la mieux appropriée que le bleu.

C´était une décision prise en dehors de toute prétention raciste ou coloriste, en d´autres termes, le choix du noir et rouge ne s´ancrait nullement à une démarche de primauté de race ou de couleur, et, bien que le racisme ait fait rage à l´époque et ait été un des handicapes cruciaux dont a hérité Haiti, la disposition verticale du premier bicolore national où les deux étoffes se regardent face à face signifierait l´égalité entre tous et le droit de tous de se tenir débout pour jouir le fruit de l´indépendance. L´objectif était d´unir et de réunir tout le monde ensemble sous une seule couleur afin de prouver au monde entier notre cohésion, alors on comprend qu´une telle vision ne saurait ne pas faire des jaloux tant internes qu´externes. Les Français nous ont légués le pir de leur mal, le racisme, et, ajouté aux questions foncières, tout ceci allait être, d´une part, l´épine mortelle au talon de l´administration de Dessalines jusqu´à son élimination physique, un petit os de poisson à la gorge d´Haiti jusqu´à aujourd´hui, de l´autre. Voilà pourquoi, après s´est débarassé de Dessalines pour toutes les raisons que l´on sait et que l´histoire a mentionnées, il était tout à fait prévisible que tout ce qui symbolisait son administration soit détruit, et, plus particulièrement, le drapeau qui a été changé en bleu et rouge. Celui-ci aura un autre sens: la discrimination raciale entre deux couches sociales (noirs et mulâtres) antagoniques depuis le temps colonial dont une cause historico-circonstancielle a réussi à mettre sous une même bannière; par ceci il est clairement remarquable de façon systématique et catégorielle la distinction sociale entre elles dans la jouissance des choses publiques même si cela doit découdre le tissus social en phase initiale de couture.

Ainsi, les bourreaux qui ont liquidé Dessalines et ceux qui croyaient en sa vision se sont attaqué à ses biens, à ses proches et entourages, et, bien que sa veuve Claire Heureuse ait été en quelque sorte épargnée, elle a vécu dans le silence, la peur, la clandestinité et le chagrin.  Comme le font aujourd´hui les sujets armés impitoyables dans les zones populaires, qui enlèvent aux familles le droit de pleurer leur mort voire de l´enterrer, tout le droit pour cette femme de pleurer son mari voire de lui offrir un enterrement digne de quelqu´un qui a combattu pour son pays a été interdit. Les dessalinistes trouvent dans tout cela une certaine raison de s´attaquer aux pétionnistes. Or, Dessalines, Pétion et les autres héros serions plus fiers de nous si nous reussissions à accomplir ce dont ils étaient empêchés de faire à cause de l´isolement international, à réussir là où ils ont trébuché, c´est-à-dire, construire une société axée sur l´intérêt collectif. Donc, ils ne nous ont pas transmis cet héritage pour accumuler entre nous des haines sociales insensibles et insupportables entre dessalinistes, pétionniste et autres, les quelles inimitiés sont traduites aujourd´hui par cette guerre de drapeaux.

3. Ce qui est advenu après cette élimination

Dans un premier temps, depuis cette élimination, il y a une tendance qui veut faire passer le bicolore bleu et rouge comme représentant le symbole des assassins de Dessalines. Ceci est peut-être vrai, mais ce langage ne se tient pas moins d´un extremisme que  l´action de hisser le noir et rouge pour faire croire à une renaissance non pas de l´idéal dessalinien, mais pour promovoir un certain dessalinisme féroce, sauvage, aveugle, creux, radical, contraire et opposé à l´essence même de cet idéal selon lequel, en résumé, l´empereur se déterminait à mettre tout le monde ensemble autour d´une cause commune: Haiti, construire une nation, établir un État fort et reconcilier les Haitiens avec eux-mêmes. L´action de fouler au pied l´actuel bicolore c´est faire croire que Dessalines avait un problème personnel avec le bleu ou qu´il lui exprimait une haine démesurée comme on tend à le véhiculer au sein de la société. Or, tout cela ne repose sur aucun fait objectif, mais appartient de préférence à nos préjugés, nos subjectivités, nos émotions, nos pulsions passionnelles, nos étroitesses d´esprit, nos limitations intellectuelles et rationnelles, car il est à noter que le choix du noir fut un acte intelligent, objectif et rationnel susceptible d´éviter toute confusion sur son projet de société qui, bien sûr, déplaisait à toute personne qui aspirait à une jouissance personnelle et à un accaparement individualiste des biens publics.

En second lieu, depuis cet assassinat, la société haitienne ne s´est plus reconciliée avec elle-même, elle est déchiréé et cette haine implacable entre héritiers et descendants auxquels on identifie seulement les pétionnistes et dessalinistes est loin d´être une simple affaire de race et de couleur, elle cache de grands intérêts sociaux, politiques, culturels et économiques. Ce qui nous fait tomber dans un troisième type de considérarion selon laquelle les dessalinistes nostalgiques cherchent éperdument à rétablir le noir et rouge puisque, d´une part, selon eux ce bleu et rouge symboliserait le règne de Pétion, le présumé assassin de Dessalines, alors qu´ils oublient que Christophe a lui aussi utilisé ce bleu et rouge à son sens, en pensant d´autre part que par cette démarche ils feront les premiers pas vers une justice rendue à Dessalines, une restitution de son projet de société. Or, tout ceci est une perte d´énergie et une fausse bataille qui ne mèneront qu´à la ruine, et, si ni pétionnistes ni dessalinistes ne sont pas prêts à lâcher prise, alors on se dirige tout droit vers une descente aux enfers. Pour l´instant, nous faisons face à une décomposition du tissus social, où plus rien ne va entre les Haitiens comme un malade allergique à tout type de médicament qu´on lui administrerait. Enfin, l´exemple de Duvalier qui avait rétabli le bicolore dessalinien - si on peut l´appeler ainsi - n´a rien apporté de renaissant de l´idéal dessalinien, bien au contraire il l´avait bien souillé. C´est donc dans un tel esprit de division, de discorde, de haine , d´animosité et d´inimitié qu´il faut placer cette volonté de revenir, dans l´irrespect total du choix du peuple haitien, sur le bicolore noir et rouge. Mais, pourquoi devrait-on accorder une certaine importance à cette action?

4. Une action d´ordre et de désordre 

Pour deux raisons fondamentales, l´on ne saurait commettre l´erreur grotesque de prendre à la légère ou de minimiser une telle action. La première chose c´est qu´elle provient d´un meneur d´hommes qui, ayant sous son influence une multitude de gens qui l´écoute et adhère à son idéologie, annonce un nouvel ordre social qui sera régi par un certain dessalinisme. Dans toute société, un meneur d´hommes peut constituer à la fois un avantage et un danger. Le plus souvent, dans les sociétés pauvres, inégalitaires et injustes comme la nôtre, donc sociétés fragiles et vulnérables tant sur le plan politique et systémique qu´idéologique, le meneur d´hommes est perçu comme un danger socia, un dérangeur de l´ordre social qui risque de tout basculer en manipulant les consciences, en provocant le désordre social. Mais, en fait, ce que les autres voient comme désordre, pour lui c´est un ordre, un nouvel ordre. Deuxièmement, c´est une action éminemment politique survenue dans un contexte d´agitation sociale et politique où Haiti est déchiré par l´esprit du déchoucage, de la violence, du coup d´état et du "ôte-toi de là que je m´y mette", où le pays est ingouverné. Elle en a belle et bien profité de la conjoncture sociopolitique pour sémer le doute, le chaos et la discorde.

Sans besoin de s´attaquer au côté du fondement juridico-légal et constitutionnel de l´action, il y a lieu de souligner que, sur le plan de la sociologie politique, elle reflète d´un côté la justification de l´éffondrement de l´autorité de l´État et la décomposition sociale de cette société, traduit d´autre part un autoritarisme politique puisque, jusqu´à preuve du contraire, le choix n´a été l´objet d´aucun débat social et politique. Tel es le signe de toute dictature et de tout facisme. Or, pour doter le pays du bicolore noir et rouge, Dessalines s´est réuni à l´Arcahaie avec les généraux de l´armée et, d´un commun accord, ils ont choisi ce drapeau. C´est encore l´une des raisons qui nous pousse à dire que cette action écarte nettement l´idéal dessalinien dans la mesure où il s´inscrit dans le désordre et l´irrespect des monuments historiques et du symbolisme social. Cette action tend à renverser l´ordre actuel pour le remplacer par un autre projeté d´une dessalinité arrogante, elle est sur le point  de faire ressortir l´aspect dilémique de l´État populiste qui, par essence, est un État affaibli, faible et failli, intéressé et vilipendé, pourri et corrompu.

Elle prouve, en outre, que nous ne vivons pas dans un État de droit dans lequel c´est le respect des coutumes, des normes, de la constitution, des lois et des jurisprudences qui prévaut et vaut à tout un chacun, un État où les sanctions aux actions sociales déviantes de telle nature sont prévues et s´appliquent quoiqu´ils adviennent des conséquences pourvu que l´on soit dans la légalité et non le politisme, dans la justice et non dans l´injustice. Grâce à cette action, le monde entier est entrain de constater que l´État haitien fait face à une déliquecence et laisse entrevoir sa peur ou sa faiblesse de ramener à l´ordre tout individu qui serait allé à l´encontre des normes républicaines et s´est cru tout permis. Enfin, l´action en elle-même démontre également que nous avons réellement affaire à une société à double vitesse, deux poids deux mesures, une société dévoyée, un État voyou, une société haitienne plus que jamais déchirée et en pleine décomposition sociale.

5. L´éternel hier

Certains n´aiment pas Jean-Claude Duvalier à cause, bien sûr, du système oppresseur et dictatorial dont il a hérité de son père alors qu´il n´était qu´un gamin de 19 ans. Lorsqu´il est rentré au pays en 2011, 25 ans plus tard, il a eu le culot de demander aux dirigeants haitiens ce qu´ils ont fait à son pays après tout ce temps d´exil. Plus d´uns - même moi - s´en prenaient à lui estimant que c´était une impertinence, une ruse, une arrogance voire même une indécence de sa part de parler de la sorte considérant que lui aussi a fait partie des artisans et constructeurs de cet État destructuré, désarticulé, gangtériste, banditiste, affairiste, enfin, de ce système étatique érigé contre la société. Cependant, par ailleurs, il n´avait pas tout à fait tort vu que ses successeurs, depuis son départ, ont passé tout leur temps à se foutre de ce pays, ils n´ont pas fait mieux que lui à tel enseigne que beaucoup d´Haitiens se rejouissent encore du temps de son règne et de celui de son père, se rappellent encore le bon vieux temps duvaliérien où l´ordre et le respect régnaient dans presque tous les compartiments sociaux: de la famille à l´école en passant par les clubs sociaux fréquentés.

On l´a vu et on l´a même senti sous le visage de ces derniers à l´aéroport Toussaint Louverture où ils se sont rendus ce jour-là pour accueillir celui qui était chassé comme dictateur, ils vont jusqu´à extérioriser les nostalgies du temps duvaliérien. Trouver un pays dans une pareille déconfiture sociale, une saleté environnementale sans pareille, de telle sorte que tout ce qui reste à faire est de l´abandonner et ne plus y revenir, ne saurait ne pas foueter l´orgueil et augmenter la fierté des duvaliéristes. Il y a ici suffisamment de quoi à comprendre que c´était Duvalier ou Aristide et leur place que l´on enviait, mais non pas ce qu´il faisait dans le système puisque tous ceux et toutes celles qui viennent après ont inscrit leurs actions dans la même continuité. C´est pourquoi nous sommes perdus dans un éternel hier, nous ne voyons point le présent et nous ignorons complètement que l´avenir existe.

Cette même démarche s´inscrirait également dans ce que diraient et penseraient de nous nos ancêtres qui ont tout fait, donné et abandonné pour transformer cette terre coloniale et esclavagiste en terre de liberté et de jouissance de la liberté, de l´égalité et de la justice, biens précieux à l´humanité que nul ne saurait détruire, pour rendre ce pays vivable, agréable, accueillant, hospitalier du point de vue du respect des droits des humains et de la démocratie. Que diraient-ils donc de nos comportements, nos atittudes et nos habitudes qui, à l´inverse des exploits auxquels ils se sont sacrifiés, ne cessent de réduire ce coin de terre en un enfer pour ses propres fils? Seraient-ils contents et fiers de nous? Accepteraient-ils cette division gratuite à laquelle nous nous sommes livré entre entre dessalinistes et pétionnistes alors que eux-mêmes n´etaient ni l´´un ni l´autre? Tout ceci a un prix, c´est qu´il continue, une fois de plus, à donner raison à ceux et celles qui croient que nous sommes anormaux. Certes, nos héros n´étaient pas toujours d´accord sur certaines questions realtives à la liberté et à l´indépendance, mais, en mettant de côté leurs animosités et haines personnelles, ils ont réussi à faire ce qui aurait été impossible à un groupe distinctif. Cette terre d´Haiti dont nous héritons de nos ancêtres africains - qui n´est toujours pas construite - ce n´est pas pour l´habiter et y vivre comme des hypopotames, de vulgaires paresseux et parasites, mais pour le construire, l´embélir, l´organiser et l´enlever à la dignité de leurs exploîts. C´est ainsi que nous les honorerons dans des actes concrets et réalistes, non pas dans des maquillages célébrationistes insipides et honteux.

Conclusion

En résumé, tout ce qui se passe actuellement dans le pays est découlé des événements de 1806 qui ne font que ranimer les haines sociales entre nous et faire ressurgir une guerre raciale couverte par le drapeau noir et rouge ou bleu et rouge. Les questions de couleur et de race, les accusations ça et là sur les véritables assassins de Dessalines, les discussions sur ce qui devrait être notre drapeau national, en revenant sur le devant de la scène, se faufilent dans le dossier Pétrocaribe où tous les comptes se règlent en même temps. En fait, les Haitiens ont un contentieux historique, social, racial et coloriste avec eux-mêmes et veulent le régler au sein de ce grand et brûlant dossier. Ce torchon qui brûle entre dessalinistes et pétionnistes sent mauvais et très mauvais, son odeur est cancérigène et contagieuse, donc nous contamine tous, il est donc urgent de l´éteindre. C´est une situation qui, en devant interpeler tout être humain, traduit notre incompréhension de notre propre histoire, ce qui fait que nous sommes condamnés à la revivre constamment en commentant les mêmes erreurs, en s´enfonçant dans un immobilisme et amateurisme atroce, en crachant sur les cadavres de nos ancêtres, en oubliant que nous avons un pays à construire, un État à bâtir, une société à unir, une nation à créer. Sur ce, puisqu´Haiti ne peut, sous aucun prétexte, être l´otage de ce dessalinisme aveugle et de ce pétionnisme intenable, alors il serait temps et grand temps d´arrêter ces idioties et travailler à ce qu´aucun haitien ne se prenne pour un miraculé, mais un construit et un produit de la société dont il sera fier de servir.

Campinas, 23 novembre 2018

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