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dimanche 21 février 2016

FRANCKY, TU ES PARTI SANS QU´ON NE SE SOIT REVU TEL QU´ENTENDU!

     Il fut un ami et notre amitié s´est construite d´abord à l´École Normale Supérieure (ENS) de l´Université d´État d´Haiti (UEH) pour ensuite se renforcer et se consolider à l´Université d´État de Campinas (Unicamp) au Brésil. Un grand ami avec qui les discussions intellectuelles, très fructueuses, se déroulaient dans un atmosphère de respect et d´humour en faisant valoir la divergence des opinions. Tout ce qu´on peut espérer de la compagnie d´un camarade dans une ambiance académique et universitaire, c´est sa capacité à susciter l´approfondissement des débats à travers ses interventions, à trouver en lui des sources d´inspiration pour aller plus loin, à accepter la contradiction des idées afin que la lumière jaillisse, enfin, à mûrir avec lui des rêves de changement d´une société. Tels furent quelques des grands caractères de Francky Altineus dont le départ, survenu dans des circonstances regrettables et lamentables, m´a plongé dans une profonde tristesse vu que je pratiquais le personnage depuis exactement 9 ans.

     Nous avons, en effet, développé une amitié si franche et intime au département des Sciences Sociales de l´ENS, où nous avons été admis en 2007, que tu m´appelais ''Maître Faboulo'', parce que tu savais que j´étudiais parallèlement le Droit à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l´UEH. C´était juste pour me taquiner et on se sentait bien de la sorte, on s´en amusait, on s´en riait. Cela, devenu une sorte d´habitude affectionnelle et en ayant traversé les frontières haitiennes, s´est poursuivi jusqu´au Brésil où, sous le croisement de nos derniers regards en 2014, tu devais me laisser pour retourner en Haiti. Séparé physiquement de toi, un de mes meilleurs amis, je m´en sortais très difficilement. Dans la soirée du 8 août 2011 - date à laquelle correspond l´entrée légale et officielle sur le territoire brésilien d´un groupe d´environ quatre vingt étudiants haitiens - du nombre desquels nous nous figurions - bénéficiaires des bourses d´études octroyées par le gouvernement brésilien dans le cadre du programme Pró-Haiti financé par la CAPES (Coordination pour l´Approfondissement et le Perfectionnement des Études Supérieures) -, dans cette chambre très exigue de 6 personnes où toi et moi partageâmes un petit espace très coincé, nous avons fait le serment, y compris les 4 autres camarades, de revenir en Haiti dès que valablement formés, pour y servir et y être totalement impliqués dans sa marche vers le développement, te le rappelles-tu? Te souviens-tu m´avoir dit, après ta maîtrise, à la défense de laquelle j´ai été malheureusement empêché de prendre part, que ton plan était de retourner au Brésil pour y poursuivre tes études doctorales? Tu te rappelles qu´on s´était entendus de se rencontrer en Haiti lorsque j´y rentrerai? Tu te rappelles qu´il fallait se revoir immédiatement dès j´aurai mis les pieds sur la terre d´Haiti pour travailler ensemble sur ton projet doctoral? 
     He! bien je suis désolé, mon grand ami, de ce que cette rencontre ne pourra plus jamais avoir lieu, car tu es parti sans me prévenir. Si c´est Dieu, maître de vie et de mort, qui en a décidé autrement, alors je n´y peux rien. Pardonne-moi mon ami, car cela dépasse non seulement ma capacité, mais encore mon pouvoir! Je te prie de recevoir toutes mes excuses! Oui, tu t´en es allé sans qu´on ne puisse se revoir tel qu´entendu pour discuter ensemble de notre projet de construire une école. 

     Certes, aucun misérable être humain ne peut décider de la manière dont il doit mourir. Il est toutefois cruel et dur d´admettre que cela soit arrivé par des actes de barbarie et d´irrespect à la vie qui nous enlèvent des êtres chers et nous privent de leurs affections. Peut-être mon sort sera-t-il pir que le sien, mon ami, mais, cela m´importe très peu! Pendant que je suis encore en vie, je ne peux laisser inexprimé ce regret de n´avoir pas pu te convaincre sur le fait qu´Haiti est une mère qui mange et n´arrête pas de manger ses propres fils et filles, le jour où nous fûmes entrain de débattre ce sujet sur le campus de l´Unicamp. Néanmoins, tu avais tellement de nostalgie de revenir sur ta terre natale pour y aider - un mal du pays, dirait Maurice Syxto -, tu étais tellement animé d´une soif démesurée de revenir partager avec tes compatriotes le peu de savoirs acquis à l´Unicamp, plus particulièrement, à l´Institut de Géosciences où tu as décroché ton diplôme de maîtrise en Géographie de l´environnement entre 2012 et 2014, que rien ne pouvait te retenir au Brésil. De fait, tu es revenu dans ton pays tout enthousiasmé, tout frais et super motivé pour servir. Mais, malheureusement, ce rêve que tu caressais si joyeusement dans ton coeur, que tu me partageais infatigablement dans des échanges, celui d´être un grand Géographe à l´image de George Anglade (Géographe haitien) et de Milton Santos (Géographe brésilien) tes préférés, tu ne pourras plus jamais le réaliser. Car, tu étais persuadé et convaincu que c´est en travaillant dans ton pays, en partageant les connaissances avec tes frères que tu pourras atteindre ce but. Mais hélas! Tous ces efforts n´ont eu pour récompense que ta mort tragique.

     Je ne sais pas où tu es maintenant et je n´ai pas non plus envie de le savoir, mais, qu´importe l´endroit où se trouvent actuellement ton âme et ton esprit (dans le pays ou le monde des âmes et des esprits), saches que je pleure amèrement ton départ autant que je me lamente sur cette pratique voire cette culture d´impunité et d´injustice qui s´érigent en norme dans cette Haiti que nous chérissons tous malgré tout. L´impunité et l´injustice t´obstrueront le chemin de la justice et de la paix mon ami. Aussi te troubleront-elles le sommeil. La justice est la seule et unique chose qui puisse minimalement consoler ta famille, tes proches et tes amis, moi en particulier. Elles, l´impunité et l´injustice, nous agressent, nous maltraitent, nous démoralisent, nous attristent, nous déconcertent, nous affaiblissent, nous démotivent, nous animalisent plus que tout autre acte en soi, qu´importe sa nature. Elles brisent nos rêves et détruisent nos projets. Elles transforment les agresseurs en victimes, les victimes en agresseurs. C´est tout un monde à l´envers qu´elles bâtissent autour d´elles mon ami. Enfin, l´injustice et l´impunité cultivent en nous, victimes, la peur de nos bourreaux devenus seigneurs, un sentiment de honte et de culpabilité et nous rendent étrangers dans notre propre pays natal. 

     Néanmoins, comme le veut la formule de politesse, le voeu pieux, bien que je doute fort de sa matérialisation tant à moyen qu´à long terme, ce serait de voir qu´une différence soit faite dans ton cas, mon cher ami. Autrement dit, que la justice soit rendue en signe de respect pour ton âme et celle des autres qui ont péri avec toi dans cette malencontreuse journée à l´Arcahaie. Ce sera, en dépit de tout, un soulagement pour ta famille, tes amis et tes proches afin d´amoindrir en eux les impacts psychologiques et mentaux inefaçables laissés par ce départ si prématuré. En effet, une fois de plus, les efforts et les sacrifices pour se construire d´un jeune cadre intellectuel en herbe de la société haitienne viennent d´être gaspillés. C´est le rêve de toute une famille de voir son fils briller après de nombreuses tribulations consenties au quotidien qui vient de se briser, c´est l´espoir de toute une société juvénile en quête de formation de compétence qui vient d´être interrompu, enfin,  c´est tout un petit arbre en phase de germination qui vient d´être prématurément abattu. Tu as donc râté ton sublime rêve d´être un grand géographe pour ta famille, ta communauté et ta société mon ami! Une gloire manquée que ta famille aura constamment du mal à digérer. Que c´est frustrant, révoltant et désolant!

     Enfin, s´il advient que je dois partir de la même façon que toi, mon ami, qu´il en soit ainsi! Alors, nous aurons certainement beaucoup de choses en commun à nous raconter tous les deux et là tu pourras me dire clairement toute la vérité sur ce qui s´est réellement produit ce dimanche 7 février 2016 à l´Arcahaie, car toi seul et toi seulement sais véridiquement ce qui t´est arrivé là-bas. Je te pleure moins quand il me vient à l´esprit quelques paroles spirituellement fortifiantes et réconfortantes d´Ecclésiaste selon lequel la mort nous libère des vissicitudes de la vie, les morts sont plus heureux que les vivants parce que désormais les affres de la vie cessent de les atteindre et de les tourmenter. C´est une vérité difficile à accepter. En outre, quand je sais que c´est une traversée que tu viens d´effectuer - bientôt je t´y rejoindrai -, que, finalement, dans cette traversée il n´y a ni devant ni derrière, ni premier ni dernier, ni supérieur ni inférieur, ni maître ni esclave, alors c´est ce qui me donne la force et l´énergie de rester encore débout, car tellement abattu par ton assassinat qui me laisse un choc psychologique et mental irremédiable. Dans ce tourbillon de traversée, les vivants et les morts ne forment qu´une seule et même entité. L´homme vit autant qu´il meurt et meurt autant qu´il vit! Seuls les vivants parlent de la mort et ils peuvent en parler pour la simple et bonne raison qu´ils sont vivants, donc la mort c´est encore la vie sous une autre forme qui dépasse non seulement la dimension de ce monde physique qui nous entoure, mais surtout notre entendement, nous autres êtres humains. Sur ce, vis dans mon coeur et dans mon esprit, mon ami, car, à la vie comme à la mort, notre amitié demeure éternelle, fidèle et sincère.

Pour saluer, dans un esprit d´amitié éternelle, le départ de Francky Altineus à la famille duquel j´adresse toutes mes sincères condoléances!


Jean FABIEN

Campinas, dimanche 21 février 2016


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