Pesquisar seu artigo aqui

mercredi 30 janvier 2019

PEUT-ON ÊTRE NATIONALISTE ET PATRIOTE EN HAITI PENDANT QU´ON VIT OU RÉSIDE À L´ÉTRANGER OU SA FAMILLE?

Résumé

Cet article propose de mettre en relation l´aspect s´intéressant au sentiment nationaliste et patriotique dont, apparemment, nombreux haïtiens se raffolent et le phénomène de familles résidant à l´étranger et celles qui, restant en Haïti, cherchent à les rejoindre. Pour ce faire, nous n´allons pas chercher à savoir les raisons difficiles et complexes qui motivent les Haïtiens en terre étrangère à s´y résider définitivement ou celles qui animent ceux-là restés en Haïti à vouloir obsessionnellement les rejoindre, ou encore à nous attarder sur la discussion sur les concepts nationalisme et patriotisme, mais nous allons de préférence nous intéresser à comprendre cette volonté obsessionnelle dans les deux cas et le rapport qu´elle développerait avec le sentiment nationaliste et patriotique afin de voir si ces deux réalités peuvent être compatibles.

Introduction

L´idée de migrer dans un pays étranger - soit pour y vivre ou résider - n´a en soi rien de péjoratif ni de discriminatoire encore moins de rabaissant, car migrer est plus qu´un droit, ce processus répond à la nature même de l´être humain. De plus, les migrations humaines en général se font dans un but de découverte, de curiosité et de nouvelle expérience et non pas impérativement dans celui d´un abandon de sa terre natale ou de rupture absolue des liens sociaux, même si cela peut arriver dépendamment des circonstances. Les migrations familiales en particulier ne sont pas totales, mais se produisent surtout à dessein de conserver et de consolider les liens familiaux, essentiels et indispensables à la survie et au renforcement des relations sociales. Ainsi donc, le phénomène migratoire nous met plus précisément en présence de modèles de familles coupés en deux dont une branche se trouve en terre étrangère tandis que l´autre reste en terre natale. Et entre ces deux branches les relations sociales se resserrent, car elles font l´objet d´une promesse “d´envoyer chercher” à venir. Toutefois lorsque celle-ci tarde à s´accomplir, elle peut générer l´impatience de la famille restée en Haïti, laquelle impatience peut déboucher sur des conflits allant jusqu´à une rupture des liens sociaux et familiaux.

Il se trouve que la seconde catégorie est obsédée par la confiance qu´elle a dans la première de la prendre avec elle et de l´extirper de la misère noire qu´elle connaît en Haïti. Alors que la première, pour s´assurer une vie sociale et économique, se trouve elle-même profondément préoccupée par l´idée d´obtenir sa carte de résidence pour s´y établir définitivement ou la naturalisation afin de bénéficier d´autres privilèges sociaux, politiques et économiques que cela peut générer. Des deux côtés une volonté obsessionnelle fait rage et on pense qu´elle ne saurait s´aligner au côté du nationalisme et du patriotisme qu´il faut comprendre comme un sentiment d´attachement aux valeurs nationales et la défense des intérêts communs. C´est pourquoi un problème de logique et de rationalité survient lorsqu´on essaie de relationner cette obsession de vivre ou de résider à l´étranger et sentiment patriotique et nationaliste. C´est à la question de savoir si on cesse d´être patriote et nationaliste quand on vit ou réside à l´extérieur ou quand on a sa famille (en entier ou en partie) qui vit ou réside en terre étrangère que cet article sera consacré.

1. Un proverbe haïtien pour expliquer cette obsession

Un proverbe haïtien dit ceci: “Chak moun gen yon grenn zanno kay òfèv”. Celui-ci voudrait traduire que dans la réalité socio-anthropologique haïtienne en fonction de la situation ou de la nature du phénomène, chaque haïtien ou un membre de sa famille en est concerné directement ou indirectement, donc inutile de jouer l´innocent ou de se comporter en donneur de leçon, en saint, en patriote zélé, en nationaliste aveugle ou en personnage neutre. À l´égard du sujet que nous nous proposons d´aborder ici, ce proverbe nous sert à faire ressortir qu´il serait difficile voire impossible de rencontrer une seule famille haïtienne qui n´ait pas un de ses membres vivant ou résidant en terre étrangère, soit aux États-unis, en France, au Canada ou en République Dominicaine, dont il dépend totalement ou partiellement du point de vue économique et financier ou dont il espère une application de résidence. 

D´autre part, ce proverbe peut signifier aussi que, en se basant sur la mentalité des Haïtiens, beaucoup d´entre eux même quand ils sont en Haïti ont leur tête à l´extérieur, principalement dans un de ces pays sus-mentionnés. En d´autres termes, d´un côté, vu la situation dégradante du pays une grande partie des Haïtiens rêve de le quitter légalement ou illégalement, avec ou sans l´intention d´y retourner un jour, de l´autre, ceux qui sont en terre étrangère cherchent par quel moyen ils peuvent avoir leur carte de résidence ou encore répondre aux critères de la naturalisation, car leur retour est indécisif. Pour l´instant nous laissons de côté la question de la naturalisation. Ces deux réalités se confrontent avec ce qu´on appelle le sentiment patriotique ou nationaliste au point tel que nous nous demandons si entre elles il n´existe pas une certaine incompatibilité. Pour parodier notre proverbe, chaque haïtien ayant un membre de famille vivant ou résidant en terre étrangère caresse l´espoir chaque jour de le rejoindre. Il faut analyser chacune séparément en relation avec ce sentiment pour comprendre ce qui se passe.

2. La branche familiale restée en Haïti

Il faut rappeler - et ceci n´est un secret pour personne - que c´est depuis tantôt 80 ans que l´un des plus grands rêves de l´haïtien est celui de migrer soit aux États-unis ou au Canada. Ce rêve reste et demeure encore d´actualité malgré les changements apportés aux politiques migratoires dans ces pays. Il n´est pas sans savoir non plus qu´en fuyant les dictatures des années 60 à 80, beaucoup de familles haïtiennes ont réussi à trouver asile ou refuge dans ces pays avant de s´y établir définitivement en construisant d´autres familles. Ce flux migratoire forcé avait touché même les côtes d´Afrique, notre terre ancestrale, notamment le Bénin et la RDC. Les dictatures ont provoqué des cassures familiales originelles. Mais, en fait, ces hommes et ces femmes qui ont immigré dans des circonstances très difficiles pour la plupart ont laissé derrière eux des parents qui non seulement attendent leur support financier, mais surtout croient qu´ils enverront les chercher.

Ce qui fait que l´haïtien resté sur le territoire national, dont le corps physique est en Haïti, a aussi son âme, sa tête, son esprit, sa pensée et son cœur ailleurs pour ne pas dire là où se trouve le trésor de la résidence, c´est-à-dire la terre étrangère où vit ou réside sa famille parce qu´il somnambule à longueur de journée d´y être avec elle. De plus, entre lui et ce parent en terre étrangère il se développe une relation de complicité dès fois antinationaliste ou antipatriotique dans la mesure où celui-ci qui s´est sauvé lui-même peut estimer qu´avec cette Haïti il n´a plus rien à voir, entre elle et lui c´est fini, tandis que l´autre veut s´empresser à le quitter parce qu´il ressent en lui-même que sa place n´est plus ici mais au lieu où se trouve la famille diaspora dont il constate la réussite sociale et économique. Toutes ces envies le traversent la tête et le portent à réfléchir sur le vrai sens des mots nationalisme et patriotisme. Par conséquent, ils se complotent ensemble de laisser derrière eux les souvenirs douloureux et cauchemardesques de cette Haïti. Donc, la branche familiale restée en Haïti caresse toujours l´espoir de quitter le pays pour rejoindre les siens en terre étrangère ou tout au moins d´y immigrer légalement ou illégalement parce que entre les deux branches il y a une synergie attractive et imitative qui se crée et qui cause la perte des valeurs nationalistes et patriotiques.

Par ailleurs, la branche familiale restée en Haïti vit au dépens du capital étranger et de l´assistance étrangère que lui apporte cette famille à l´extérieur, et le dollar devient l´unique vrai saint qu´elle prie et qui, effectivement, arrive, dans la majorité des cas, chaque mois ou peut-être chaque semaine au bon moment. Dès fois, elle ne peut rien mettre à la bouche sans que les transferts ne se pointent. De ce fait, elle se sent parfois étrangère dans son propre pays et ne peut qu´assister impuissamment à l´effritement ou à la détérioration de son sentiment d´appartenance. Elle se voit comme l´autre et non comme elle-même, elle s´imagine à travers l´autre et comment le devenir, mais jamais voir comment se construire à l´intérieur de son propre environnement puisque celui-ci lui est complètement inaccessible voire incompatible avec sa vision.

Autrement dit, sans besoin de se référer aux aides étrangères des associations sociales, religieuses ou caritatives, la diaspora haïtienne représente le moteur de l´économie de nombreuses familles haïtiennes à tel enseigne que certaines d´entre elles mourraient déjà de faim si, pour revenir à notre proverbe, elles n´avaient un anneau chez cet orfèvre qu´on appelle l´Oncle Sam. Même s´il n´est pas le seul - il faut rappeler que le Canada, la France et la République Dominicaine sont rejoints par le Brésil dans la liste des pays d´où proviennent les transferts d´argent -, mais il occupe la plus grande place dans les transferts internationaux vers Haïti. Donc, de toute façon l´étranger supplante le national en tout et on n´a même pas besoin d´être à l´étranger pour se nourrir du capital étranger, il se transpose déjà à l´intérieur de la société et y occupe une place autonome.

Or, si l´on admet que l´étranger n´est autre que le contraire du national, mais non son opposé, alors en abandonnant son être, son avenir et son devenir à une famille à l´étranger, qu´elle soit naturelle ou adoptive, on agit contrairement à tout ce qui relèverait du nationalisme ou du patriotisme. Au lieu d´être nationaliste ou patriotique, la famille haïtienne restée en Haïti est plutôt terrassée par le sentiment de ne plus appartenir à cette terre et hantée par l´esprit que son bien-être et sa réussite se trouvent ailleurs. Il est inutile de lui faire croire le contraire, car, dans la mesure où la réalité qu´elle a en face explique tout sur sa condition de vie et ne lui offre d´autre option que de laisser cette terre maudite, elle sera difficilement convaincue qu´ici il peut réussir.

Enfin, vaccinés par les promesses fallacieuses et traditionnelles des dirigeants, les haïtiens se sentent de moins en moins atteints par les discours ancrés à l´appartenance nationale et calqués sur le modèle patriotique. Leur haïtianité est parvenue à un niveau humiliant. Entre eux et leurs dirigeants il se développe un langage de contre-vérité projetée dans la réalité vécue par les masses désespérées qui, nous ne cesserons pas de le répéter, ne demandent que le strict minimum en ce qui concerne les services sociaux, les besoins alimentaires et les soins sanitaires.

3. Les Haïtiens résidents à l´étranger et le sentiment nationaliste ou patriotique

Par faute de disposer de données statistiques officielles permettant de mieux évaluer cette question et, par-dessus tout, soutenir clairement que de telles demandes se trouvent en hausse plus aux États Unis qu´ailleurs, nous procédons dans notre démarche par un simple raisonnement logique à partir duquel une telle assertion pourrait être vraie. En effet, depuis le début du phénomène migratoire haïtien, les USA ont toujours été la destination préférée dans le répertoire migratoire des Haïtiens et, vu les opportunités que ce géant américain peut offrir et offre, ils s´attachent mordicus à l´idée d´obtenir là une résidence de façon à s´y installer définitivement même si leur intégration sociale, culturelle, politique et économique reste à désirer. De plus, bien que présente partout, c´est aux États unis que la diaspora haïtienne représente une très forte majorité.

Dans cette catégorie, il y a au moins deux tendances qui s´affrontent. La première concerne la plupart des haïtiens qui ont décidé de rompre avec Haïti même s´ils gardent en quelque sorte un certain lien avec leur famille restée là-bas. La deuxième se réfère à ce groupe d´haïtiens qui, bien qu´en terre étrangère, se sent trop éloigné de leur famille et tombe dans des nostalgies profondes. N´était-ce pas leur travail et leurs obligations, ils s´y trouveraient chaque mois. Ce dernier groupe est intéressant dans la mesure où il est exactement l´opposé du premier et, de surcroît, de ce groupe d´haïtiens en Haïti qui a hâte de quitter voire d´abandonner le pays. Par contre, beaucoup d´haïtiens, quoique vivant ou résidant à l´étranger depuis bien longtemps, ont continuellement conservé les liens sociaux et familiaux qui les tissent avec amis et familles, ce, avec ou sans la promesse d´un “envoyer chercher”. En outre, quand l´occasion leur est favorable, ils se précipitent pour venir les voir.

Ce n´est pas seulement l´aspect ontologique qui justifie cet attachement, il y a également l´aspect culturel et social qui, quand ils sont à l´extérieur, leur manque énormément, car, que l´on veuille ou pas, le vécu culturel voire culinaire haïtien ne saurait être comparé à celui en France, au Brésil, aux États unis ou au Canada, il est unique en son genre comme le vécu culturel de chacun de ces pays d´ailleurs. Donc, si l´on compare les deux groupes du point de vue de sentiment nationaliste et patriotique, on se rendra compte que la seconde est beaucoup plus proche du baromètre tandis que l´autre e cache pas sa haine viscérale pour le pays. N´étant pas ici pour juger ni l´un ni l´autre, il y a lieu d´admettre que cette haine aussi bien que cet amour ne viennent pas du néant, les deux ont été greffés tant sur les vécus quotidiens de chaque groupe en ce qui le concerne que sur les circonstances sociales dans lesquelles eut lieu sa migration. De fait, de même que certains haïtiens exhibent leur dépréciation à l´égard du pays, il n´est pas étonnant de trouver un haïtien qui, même naturalisé, garde toute son affection pour le pays et cherche à l´aider par les moyens - suffisants ou insuffisants - qui lui sont donnés.

Sur ce, les haïtiens en terre étrangère, contrairement à ceux restés en Haïti et qui cherchent mordicus à le fuir, n´ont pas le sentiment d´être abandonnés par le pays, mais ressentent en eux le devoir de l´aider, c´est pourquoi d´ailleurs ils sont dehors, à les entendre parler. Mais, cette vérité est loin d´être absolue, car l´image que projette le pays à l´extérieur et qui arrive aux yeux des haïtiens vivant ou résidant à l´étranger suscite la fuite encore plus plutôt que le retour, provoque l´envie de rester - même illégalement - plutôt que de revenir, car la perplexité et l´incertitude quant à ce qu´ils pourront venir faire gagnent beaucoup d´haïtiens. Or, ce sont ces mêmes perplexité et incertitude qui les ont poussés à fuir le pays. Il ne peut y avoir de sentiment nationaliste et patriotique quand perplexité et incertitude dominent les cœurs et les pensées. C´est une réalité presqu´absolue que le sentiment nationaliste et patriotique ne saurait être compatible avec la méfiance dans les institutions nationales, la dominance de la corruption, la misère, la pauvreté, enfin, avec l´immoralité politique.

En guise de conclusion, on peut soutenir que le sentiment nationaliste ou patriotique ne se réfère pas à ce que l´on soit physiquement présent dans son pays natal ou l´on réside en terre étrangère, mais répond à un sentiment de confiance que l´on a en son pays, en son système surtout celui de la justice, dans les institutions morales, politiques, religieuses, économiques et juridiques. Un Français qui migrerait en Allemagne ne serait pas moins nationaliste et patriotique que celui qui n´a jamais mis les pieds dans un pays étranger, mais les deux se sentent nationalistes parce qu´ils partagent les mêmes sentiments de confiance dans les institutions françaises et dans le système français, sont prêts à défendre les mêmes intérêts nationaux, enfin, sentent qu´ils forment entre eux une nation autour de la patrie, un des intérêts communs qu´ils doivent pas seulement défendre, mais aussi élever en dignité et valoriser. Un tel sentiment ne devrait pas s´effriter, se dévaloriser, s´affaiblir voire se détériorer. Sur ce point-là, on peut de dire que chez la majorité des Haïtiens il y a une méfiance et même un mépris pour les institutions, la justice en particulier. Les haïtiens n´ont pas conscience qu´ils forment entre eux une nation, ils ne se sentent pas concernés de près ou de loin par les problème sociaux, politiques et économiques qui bouleversent le pays, en fait, la patrie est pour la plupart un vain mot qui a perdu tout son sens. Sur ce, vu sa condition de vie et en cherchant ailleurs le strict minimum qu´on aurait dû lui offrir dans son propre pays, l´haïtien se rend, malgré lui, apatride et antinationaliste.

Campinas, 31 janvier 2019