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jeudi 30 avril 2015

L´INTOLÉRANCE À L´HAITIENNE: UNE RÉFLEXION SUR LA MENTALITÉ ''MACOUTIQUE'' HAITIENNE AU-DELÀ DU SYSTÈME DICTORIAL

     L´objectif de cet article est de provoquer une réflexion sur la mentalité macoutique qui caractérise les Haitiens dans leurs relations avec eux-mêmes et leurs semblables. Une mentalité macoutique qui se lit à la fois à l´haitienne et dans le comportement le plus simple soit-il de chaque haitien d´une part, et se tisse dans les moeurs des Haitiens eux-mêmes d´autre part, c´est-à-dire, notre culture d´intolérance qui consiste à agir en ignorant complètement, de bonne ou de mauvaise foi, que l´autre existe, comme si nous agissons dans le vide.

     Au départ, la dictature, qui est une des sources imposantes de cette mentalité, n´est pas seulement un système, c´est d´abord une mentalité, une façon d´agir, d´être et de penser qui se rumine et se nourrit quotidiennement dans les relations humaines. Elle se manifeste surtout dès l´instant où quelqu´un, pour quelque érudit, scientiste ou intellectuel qu´il se prenne, n´accepte ou ne tolère pas l´opinion contraire de l´autrui et veut lui en imposer une autre, soit la sienne ou une empruntée à quelqu´un d´autre dont il fait sienne. Dans la construction d´une mentalité dictatoriale - appelée désormais macoutique dans le cas d´Haiti, vu cet héritage de nature mentale et psychologique caractérisé par l´intólérance, laissé par notre histoire - l´autre n´est plus, il est totalement transparent voire même absent, et son opinion ne vaut rien. Voilà pourquoi, même au plein pied d´un régime démocratique, cette mentalité peut ne plus disparaître soit partiellement ou entièrement dans la mesure où, même dans les plus minuscules et insignifiants débats, la violence verbale prime; la pluralité  des valeurs s´effrite, la confrontation des idées s´éclipse et la diversité des arguments s´affaiblit considérablement. De ce fait, quand dans un cadre de communication sociale ou un espace de croisement culturel et d´échange dialogique, l´individu est réduit à moins qu´un rien ou à une espèce d´éponge qui absorbe, malgré lui, les idées de l´autre, les relations et interactions sociales sont de plus en plus faibles et fragiles voire inexistentes, alors c´est l´obscurantisme total et absolu.

     Aujourd´hui, à l´ère de la post-modernité et à l´avènement de nouveaux paradigmes pour repenser et redéfinir la démocratie en la rendant beaucoup plus pratique, plus sociale que politique, il est embarrassant de dire que la société haitienne a réussi à rompre avec ce type de mentalité d´intolérance qui, sans esprit d´éxagération, nous transforme en de véritables aliénés mentaux souffrant de ce qu´on pourrait appeler d´une pathologie macoutique.  Alors, la démocratie sertai-t-elle en mesure d´affronter cette mentalité macoutique dont nous portons en nous le gêne? En effet, si l´on se réfère aux faits historiques, il est vrai que la dictature est un système de terreur et inhumain, qui a connu son plus grand succès dans le monde contemporain notamment en Amérique, et particulièrement en Haiti, nous pouvons dire qu´une mentalité macoutique naît bien avant la dictature en tant que système. Celle-ci s´établit au fil du temps, car c´est un long processus. Donc, la mentalité macoutique est avant tout plus comportementale et affectivo-actionnelle que systémique. De notre humble point de vue, la mentalité macoutique est une lacune grave de notre irrationalité et notre inintellectualité à défendre et non à imposer notre point de vue, elle renvoie, en outre, à toute pratique ou culture de ne pas écouter l´autre afin de ne pas accepter son argument contraire. Il s´agit bien ici de l´emploi du verbe écouter, et non entendre, puisque écouter l´argumentaire de l´autre revient à en percevoir le sens, en apprécier le contenu, le recevoir, le comprendre, enfin, il s´agit de respecter la valeur de sa pensée en dépit de son désaccord avec elle. C´est un exercice ardu auquel, malheureusement, très peu d´Haitiens parviendraient ou voudraient bien se livrer. Néanmoins, c´est également une pratique qui s´apprend au quotidien.

     Chez nous, il est plus facile d´interpréter la pensée de l´autre qu´avant de l´avoir comprise. C´est très paradoxal de le dire, mais cela fait partie de la façon de penser de l´être haitien dans son univers relationnel! Car comprendre l´autre c´est aussi le prendre comme tel, c´est-à-dire un sujet de droits avec ses opinions, pour quelque analphabète qu´il puisse être perçu. Or, de quel droit une personne pourrait prétendre que son idée soit meilleure que celle d´une autre au point de vouloir la lui imposer? L´Occident a quelque chose à nous dire au sujet de ces quatre siècles d´esclavage, d´exploitation et de déshumanisation dont les fondements ont été justement marqués par cette même question de supériorité de sa rationalité, de sa mentalité et de la taille de son cerveau  en matière de réflexion intellectuelle et scientifique.

     À ceux, notamment les plus jeunes, qui croient que les périodes dictatoriales - participant bien sûr à la construction de cette mentalité macoutique dont nous héritons et dans laquelle la volonté d´un seul personnage est incontestable - sont l´oeuvre exclusive et brutale des Duvalier, il est important de rappeler que depuis son indépendance, Haiti a connu plusieurs dictaures subséquentes dont la plus récente remonte à Aristide de 2001 à 2004. Toutefois, la première dictature date du règne de Henri Christophe qui, s´étant auto-proclamé roi, a dirigé pendant 14 ans (1806-1820) le grand Nord avec un bras de fer pendant que Pétion établit dans l´Ouest et le Sud une république relativement ''démocratique''. La dictature des Duvalier est, à dire vrai, la plus cruelle des dictatures de l´époque contemporaine à laquelle Haiti n´ait jamais fait face, mais Haiti a connu des formes diversement variées de dictatures. Cependant, qu´est-ce qui a véritablement changé au cours de ces 50 dernières années depuis l´effacement symbolique de ce système dictatorial duvaliériste? Absolument rien, car, mentalement et psychologiquement nous demeurons des macoutes, d´autres le sont en herbe, le macoutisme nous devient une sorte d´obsession, une endoctrinement démoniaque duquel nous avons du mal à nous séparer. De plus, non seulement, dans les relations avec nous mêmes et avec l´autre, nous affichons des comportements macoutiques, mais surtout le macoutisme apparaît comme un mode de vie normal avec lequel nous nous complaisons.

     Il faut rappeler aussi, par ailleurs, que l´une des causes de l´élimination de Jean-Jacques Dessalines fut surtout cette même mentalité d´intolérance de nature macoutique. Ainsi, toute intolérance nourrie d´une telle mentalité n´expose qu´à la dégradation des relations sociales et à l´élimination de l´acteur porteur d´idées contraires qui, au premier chef, sont considérées comme dérangeantes par le vis-à-vis plutôt que valables. Voilà pourquoi, dans cette mentalité, la dfficulté de se mettre d´accord avec l´autre se résout le plus souvent par son élimination. L´arme forte d´une telle mentalité consiste à voir l´autre comme un adversaire, un ennemi, une cible à éliminer et non comme un sujet de droits capable d´avoir et de faire valoir ses idées contraires. En Haiti, nous avons, malheureusement, la culture de voir celui qui a une idée contraire et opposée comme un ennemi, un adversaire dont il faut à tout prix se débarrasser. Seule, enfin, une vraie éducation - mais l´éducation réformée, pas celle telle qu´elle est présentement dans cet état de pourrissement - peut aider à combattre cette mentalité macoutique, qui nous rend de plus en plus infructueux et inefficaces dans nos rapports sociaux, dans notre productictivité, enfin, dans notre vie intellectuelle, ce, en jouant son rôle de transformation sociale le plus fondamental.

     Sur ce, l´intention de cet article n´était pas d´historiser longuement sur cette mentalité macoutique, qui va, nous l´avons dit, bien au-delà du système dictatorial traînant derrière elle toute une tradition à la fois religieuse, idéologique, politique et sociale, mais, tout simplement, de provoquer une réflexion en mettant l´accent sur la forme qu´elle prend aujourd´hui dans les plus minuscules relations humaines. En effet, à l´ère contemporaine, ce, plus d´un demi-siècle après la dictature des Duvalier, nous constatons que, malgré le retrait de ce régime et la rentrée brusque et boiteuse du pays dans un système démocratique, les Haitiens portent et continuent de porter en eux les séquelles traumatiques, les traces et les cicatrices psychologisantes d´une mentalité macoutique dans leurs comportements, leurs fréquentations, leurs gestes, leurs expressions, enfin, dans leurs relations avec les autres marquées par une intolérance flagrante et cancéreuse, autrement dit, le macoutisme s´ancre aux mentalités haitiennes et aux interrelations que les Haitiens s´efforcent de construire entre eux, considérant que le macoutisme, étant une mentalité née même avant la dictature des Duvalier et s´enracinant dans notre culture de peuple, n´accepte aucune opinion contraire à la sienne. D´où vient-elle cette mentalité macoutique? Ce sera, peut-être, l´objet d´un autre article pour mieux l´illustrer, mais, pour l´instant, il faut retenir que, afin d´identifier cette pratique, il suffit d´observer la qualité des échanges ''dialogiques'' médiatisés ou non médiatisés entre les Haitiens, soit dans un cadre privé, soit à la radio, à la télévision, soit sur les réseaux sociaux ou autres: Ils se caractérisent généralement par la violence verbale et la monopolisation d´un discours qui a du mal à se tenir.

     Enfin, cette mentalité macoutique ne nous arrange pas parce qu´elle nous rend obstrus, improductifs, agressifs et nous ramène à notre pure et plus profonde animalité. Elle tue et étouffe les idées, or, ce n´est qu´avec les idées qui s´épanouissent et se développenet, il est possible de construire une société meilleure. Nous autres Haitiens, devons savoir cultiver entre nous la tolérance et la capacité d´accepter les idées contraires d´abord, ensuite savoir vivre avec elles pour pouvoir évoluer avec elles, enfin, voir l´autre non pas de la façon dont nous nous regardons nous-mêmes, mais de la façon dont il est effectivement avec ses différences et ses opinions qui n´ont pas besoin d´être forcément et nécessairement les nôtres.

Jean FABIEN
Doctorant en Sociologie (Unicamp)

CAMPINAS, 30/04/2015