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jeudi 30 août 2018

LE DOSSIER DE CORRUPTION PÉTROCARIBE: ENTRE INDIGNATION, ÉMOI ET HYPOCRISIE

Il ne fait aucun doute que, depuis un certain temps, le monde est informé du dossier Pétrocaribe qui accuse, selon les rapports, une gestion catastrophique. Si ce dossier trainait - il y a un bail - entre le parlement (le Sénat surtout) et la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) dans presqu´un sempiternel va et vien, aujourd´hui, désormais, les mouvements populaires - organisés ou pas - s´en accaparent, veulent s´en charger, se l´approprient, demandent des comptes et réclament que les coupables soient traduits en justice. Est-ce une bonne chose? Cela dépend du côté où l´on se positionne. Néanmoins, il y a lieu de souligner que le Pétrocaribe n´est qu´une goutte d´eau dans cet océan de corruption qui paralyse la société haitienne. Elle commence dès les petites mauvaises moeurs au sein des familles, à l´école ou dans des cercles socio-amicaux jusqu´à la corruption formelle et institutionnelle en passant bien sûr par "ce n´est pas moi c´est lui". Il faut un début en tout, certes, mais ce début tel qu´il est annoncé dans ce dossier-ci est craintif et l´on ne pourrait ne pas se questionner sur son issu.

Dans ce dossier vaste et complexe - laissant les côtés technique, juridique et politique -, j´aurais aimé réflechir sur trois aspects qui m´intéressent plus particulièrement: d´abord l´indignation collective qu´il suscite, ensuite, les émois psychologico-sociaux qu´il crée dans les pensées des différentes catégories sociales - les classes moyennes et pauvres surtout -, enfin, l´hypocrisie qui rode autour de lui. Sur ce, bien qu´important et même si un jugement a lieu suivi de condamnation des uns ou d´acquitement des autres, la trajectoire que prend le dossier de corruption Pétrocaribe me donne l´impression qu´il pourrait bien se terminer en galvaudage. J´entends par là le fait d´indexer uniquement le Pétrocaribe comme paroxisme de la corruption dans la société haitienne, alorsqu´au même moment on continue de cuisiner dans cette vieille chaudière trouillée de corrupteurs et de corrompus qu´est le système social haitien.

1. L´indignation collective

 Il s´avère tout à fait juste et compréhensible qu´un tel sujet indigne, car, ceux et celles qui ne sont pas nés de la dernière pluie, savent très bien que pas seulement eux-mêmes, mais leurs petit-fils et leurs arrières petits-fils (et même leurs arrières arrières petits fils) vont continuer à payer cette dette qui, contractée en leur nom et en celui de leur progéniture, ne leur a rien rapporté de concret dans l´immédiateté en termes de changement ou d´amélioration de vie sociale ou économique, mais surtout ne résoudra pas non plus pour leur progéniture les problèmes de toute sorte: santé, éducation, eau potable, logement, emplois et autres auxquels ils font face dans ces temps présents.

En effet, dans la société haitienne comme dans sa diaspora (États-Unis, Brésil, Chili, République Dominicaine), la presse nationale et internationale nous ont permis de constater combien le dossier de Pétrocaribe est devenu très préoccupant pour les Haitiens. Pour une fois, peut-être, depuis des années ils s´uniraient d´une seule et même voix pour demander des comptes. Devrions-nous, de ce fait, espérer un second procès de la consolidation? L´avenir le dira. Toutefois, il reste à entrevoir que des milliers de gens pour la plupart issus de la classe pauvre se sont massés devant la CSCCA, la seule instance responsable et compétente en matière de jugements relatifs aux dossiers de gestion des fonds de l´État, pour dénoncer cette grande injustice et violence sociale que représente la dilapidation des fonds Pétrocaribe.

Oui, en plus d´une grande injustice sociale puis qu´une catégorie aura toujours la chance d´en profiter plus largement qu´une autre et au détriment de son bien-être social, la mauvaise gestion des biens publics y compris ce fonds constitue une violence sociale sur chaque haitien en ce sens qu´il appauvrit et misérabilise plus qu´il améliore les conditions de vie. Dans le monde d´aujourd´hui, ce qui importe aux chercheurs (anthropologues, sociologues, historiens, politiologues, etc.) est moins la pauvreté que l´appauvrissement ou la paupérisation (un processus) ajouté à cela le misérabilisme (l´état de fait), deux véritables crimes contre chaque être humain qui aspère ne serait-ce qu´à un mieux être. Autrement dit, l´appauvrissement n´est autre que les mécanismes mis en place par la classe dominante et l´État complice pour appauvrir ceux et celles qu´ils visent. Donc, la pauvreté serait une création de cette classe en complicité avec l´État.

Il n´est pas possible d´entamer, dans le cadre de cet article, un débat mûr intellectuel et scientifique autour des concepts tels que pauvreté, appauvrissement et misérabilité. Néanmoins, de manière très succinte et objetive, ce qu´il y a lieu de retenir ici, c´est que, contrairement aux idées reçues, la pauvreté n´est pas un état, mais un processus né d´un ensemble de mauvaises décisions prises en matière de gouvernance. Voilà pourquoi, on emploie de préférence l´expression paupérisation ou appauvrissement, dont les résultats débouchent généralement sur le misérabilisme, pour désigner cette étape de la vie humaine qui n´est pas du tout plaisante.

La pauvreté telle qu´il existe dans les pays du sud comme Haiti est née de volontés politiques accumulées pendant de longues années, c´est en outre la résultante de tout un ensemble de choix, d´orientation, de vision et de décision pris par les hommes politiques de ce pays depuis des générations. Et c´est ce que symbolise le dossier Pétrocaribe qui fait partie de cette dynamique de socialisation de la pauvreté en Haiti. C´est ce qui justitifie, en outre, que dans la presse parlée, écrite, télévisée et radiofusée, les mots ne manquent pour qualifier ce crime contre l´humanité et la société en même temps. Car, les endettements d´Haiti, au lieu de profiter aux familles pauvres , ils ne font plutôt que les enfoncer encore plus dans la pauvreté et la misère. Alors que s´ils étaient bien gérés, cela aurait pu, d´une part, être une motivation sociale pour beaucoup de gens de savoir que leur état de pauvreté n´est pas une fatalité, faciliter des ascensions sociales, de l´autre. C´est dans cet angle là qu´il faut surtout situer l´ampleur et la dimension profonde de l´indignation collective, car, le Pétrocaribe rappelle aussi le phénomène de la fin tragique du pauvre de telle sorte que le pauvre a été prédestiné et élu pour vivoter et mourir dans cet état. 

Or, l´inverse est tout aussi vrai. Quand on naît d´une famille aisée, on vit ainsi et on y meurt tel quel, donc, si pour celle-ci on peut parler de stagnation sociale, pour la famille pauvre on constate qu´il n´y a pas d´ascension sociale. Ou du moins, on aurait pu parler de changement social vers le bas pour certains (les classes pauvres) et vers le haut pour d´autres (les classes aisées). Sur ce, il est difficile de parler de transition ou d´ascension sociale dans la société haitienne de telle sorte que des études et recherches scientifiques démontreraient clairement comment s´est effectué ce changement ou cette amélioration dans la trajectoire des conditions de vie de l´individu tant sur le plan social qu´économique et financier. Voilà pourquoi l´indignation collective que suscite le dossier de corruption Pétrocaribe doit plus que jamais porter chaque haitien - surtout ceux et celles en position de leadership - à prendre conscience de l´état gravissime de ce pays. Et, si ce dossier nous permet de rappeler qu´au lieu d´ascension sociale, il vaut mieux parler de sursaut social dans le cas de la société haitienne, ce que langage populaire appelle "dòmi pòv leve rich", c´est pour dire qu´il est aussi sociétal.

Si le peuple s´indigne c´est parce qu´il réfléchit et comprend ce qui est entrain de se passer autour de lui, donc, il n´est pas bête, comme dirait l´autre, "l´analphabète n´est pas bête". Et s´il comprend ce qui se passe, c´est qu´il a la capacité de réagir et quand il le fait, il peut en sortir - souvent, mais pas toujours - une colère noire et une violence collective incontenable et incontrolable. C´est ce qu´il ne cesse de faire remarquer depuis des années par des sorties fracassantes: 1946 des soulèvements populaires ont fait chuter Magloire, 1950 c´était le tour d´Estimé, 1986 la maison Duvalier malgré son apparente inébranlabilité s´est effondrée, 2004 M. Aristide a reçu sa part du gâteau, 2008 les émeutes de la faim ont contraint M. Alexis à la démission, et plus récemment, les violences des 6 et 7 juillet 2018 ont ouvert la voie au choix d´un nouveau premier ministre qui, depuis plus d´un mois que ces événements se sont déroulés accompagnés de leurs conséquences désastreuses, n´est pas toujours ratifié par le parlement. Tout cela a un coût plus précisément social.

Ainsi, il faut remarquer une chose, c´est que chacun de ces événements produit comme effet des changements d´hommes au niveau du système socio-étatique régnant en permanence, mais jamais ni de changement du système en lui-même ni de changement de mentalité pour que, par la suite, l´on obtienne le résultat escompté, à savoir, le changement des conditions de vie et des comportements sociaux nocifs à la bonne marche de toute société. Il en émerge le plus souvent une nouvelle catégorie d´hommes qui, n´ayant pas été ou n´étant pas mieux que les autres, coûtent socialement plus chers. Tout changement apporte son coût social et sociétal à lui, certes, mais, le nôtre est le plus souvent trop élevé parce que les indignations populaires sont toujours restées lettre morte, sans réponse ni réaction positive. Pourquoi? La réponse ne peut pas être donnée ici, toutefois, on ne peut que formuler le voeux pieux que cette fois-ci le Pétrocaribe puisse interpeler les consciences - les plus têtues surtout - afin qu´un nettoyage social total, global et profond soit rapidement entamé dans le système. C´est tout ce dont l´indignation collective a besoin pour avoir de l´effet, car, si le peuple s´indigne et investit les rues de la capitale et des villes de province - et peut-être continuera-t-il à y rester - ce n´est pas pour badiner ni rigouler, mais pour réclamer justice voire réparation, exprimer sa fatigue et sa colère contre un système corrompu et pourri de la tête au pied, mais surtout faire ressortir ses émois qui le tracassent en augmentant chaque jour.

2. Les émois psychologico-sociaux

L´émoi, selon Larousse, caractérise une profonde inquiétude qui est le fait d´être privé de certitude et d´assurance du lendemain. L´inquiétude, quand elle se nourrit, peut déboucher sur la peur, la peur de vivre, d´aimer, d´être aimé(e), de mourir, de circuler, d´entreprendre des relations, de s´engager, de voyager, de parler, de s´exprimer, d´échanger, de faire confiance à quelqu´un, de dialoguer, enfin, la peur d´accepter d´être soi-même. Qui en Haiti - à quelle que classe sociale il appartient - peut oser dire qu´il n´est pas terrassé par toute sorte d´inquiétude? Les inquiétudes sont multiples dans la société haitienne et peuvent être, pour le moins qu´on puisse dire, de caractère naturel, environnemental, social, économique. L´affaire Pétrocaribe à elle seule suscite déjà surtout des émois psychologico-sociaux et économiques au sein de différentes catégories sociales.

En effet, tout d´abord, ce dossier provoque tellement d´émois sociaux et psychologiques qu´elle est perçue, en Haiti et dans la communauté haitienne à l´étranger, comme l´affaire du siècle ou le péché fatal méritant la peine capitale. Car, il fait revenir aux esprits ce grand fossé social existant entre riches et pauvres, ou ici, entre cette mauvaise gestion et les conditions de vie de la majorité des Haitiens (avec moins de 65 gourdes par jour). Il est en quelque sorte le point culminant du fossé de la honte, de l´inéquitabilité, de l´injustice, de l´indignité et de l´inhumanité, voilà pourquoi Haiti figure sur la liste des pays où le bonheur (qui, dans les pays du nord, atteint déjà le stade de bien collectif et un état social auquel doit aspirer tout individu) reste un énorme défi.

Plusieurs catégories sociales s´inquiètent pour des raisons diverses. La première est composée, bien évidemment, de gens des classes moyennes et pauvres qui sont beaucoup à s´inquiéter de leur lendemain, et cela est expressif sur leur visage dans les manifestations et dans leur langage sur les réseaux sociaux, de l´avenir de leurs enfants qu´ils ne pourront plus continuer à envoyer à l´école, à donner à manger, à habiller, à soigner vu que leur avenir se trouve déjà hypothéqué en vertu de ce prêt gaspillé par des dirigeants qui ne font qu´accumuler des mauvaises notes en matière de gouvernance, de gestion des biens publics et de répartition des maigres ressources naturelles et humaines dont dispose le pays. Cette catégorie sociale est la plus vulnérable de toutes, car, indécise et plus affectée par les émois psychologico-sociaux et les besoins économiques, elle sait qu´elle vend et va continuer à vendre encore plus tout ce qui reste de sa force de travail pour gagner un salaire suicidogène.

D´autres s´inquiètent de se faire rattraper puis culpabiliser, car on ne sait jamais s´il ne reste un dernier homme honnête et courageux au sein de la justice haitienne qui, au péril de sa vie et de celle de sa famille, accepterait de mettre la main au collet des plus puissants corrupteurs et corrompus de ce pays. Car, que l´on veuille ou pas, Pétrocaribe est un grand dossier avec lequel on ne peut badiner dans la mesure où il implique de puissants hommes d´affaires (haitiens et étranger) et de dignitaires d´État. Certains juges auraient préféré ne pas avoir sous la main un tel dossier brûlant où de grands intérêts sont en jeu, donc, ils sont tout aussi inquiets que les coupables. En fait, n´importe quel vulgaire citoyen indirectement mouillé par ce dossier a le droit de s´inquiéter, qu´il soit dans le sens positif ou négatif.

Les émois continuent d´envahir d´autres personnes encore qui, si le dossier est bien géré et la réforme du système entamé, verront leur pouvoir de corruption subir de sérieux impacts ou même affaiblir. Il y a par conséquent la bonne gestion de ce dossier qu´il faut espérer. Or, cette bonne gestion est-elle possible avec cet appareil judiciaire dont on sait qu´il est truffé de corrompus et de corrupteurs? Bien qu´on doute fort, on peut tout de même espérer en la bonne volonté de certains hommes de ce pays qui souhaiteraient combattre la corruption sous toutes ses formes. Cela paraît étonnant. He bien oui, il existe en Haiti une poignée d´hommes qui gagne honnêtement sa vie, fait de bonnes affaires, fuit les contrebandes tout en voulant lutter de toute sa force contre la corruption qui a déjà fait trop de dégats à ce peuple. Mais, hélas!, non seulement, ces gens-là sont très peu nombreux, mais encore s´ils sont intellectuellement influents, socialement importants, techniquement et politiquement ils sont impuissants: les corrompus et les corrupteurs sont plus pluissants qu´eux, car la corruption est d´abord hautement politique avant d´être sociale.

Ainsi, les émois émergent de toute part tant au milieu des victimes (les masses crasseuses et miséreuses qui subiront le plus le poids de cette dette) qu´au sein des dilapidateurs de ce fonds et leurs bénéficiaires. La réalité sociale nous rattrape toujours et la corruption est un couteau doublement tranchant dont les conséquences, surtout dans le cas d´un pays pauvre comme Haiti, répercutent sur tout le monde. Le dossier Pétrocaribe est eau qui mouille tout le monde.

3. Les hypocrisies

En fait, le côté hypocrite de ce dossier c´est l´image qu´il tend à projeter dans la société en ce sens qu´il serait le paroxisme des affaires de corruption en Haiti. Une image totalement fausse. Si le Pétrocaribe traduit la haute corruption, il est plus vaste que ça, il va au-delà d´une simple question de corruption. Ce serait malhonnête de le réduire uniquement à sa dimension corruptible, ce même si la corruption est présente au quotidien dans les petites moeurs jusque dans les hautes fonctions en passant par les relations sociales, familiales et amicales. Car, au moment même où des manifestants étaient massés devant la CSCCA contre Pétrocaribe et contre la corruption - car les deux rentrent depuis un certains temps dans une sorte de simbiosité parfaite - une plume était entrain de signer un papier destiné à la corruption. Le temps ni l´espace ne se prêtent pas pour discuter de la corruption, ce sujet si complexe et compliqué, mais il faut souligner que le Pétrocaribe est orné d´autant de méchancetés que d´hypocrisies. Je crains fort, pour cela, qu´il ne soit voué à un regrettable échec. Mais, cela se comprend, car le Pétrocaribe est la goutte d´eau qui vient renverser la vase. D´où toute son ampleur et sa traduction comme la corruption du siècle dont tout le monde a soif d´un jugement.

En outre, ce dossier attise une autre forme d´hypocrisie qui se symbolise par des exclusions, des intolérances et des violences verbales ou physiques des uns qui se croient plus haitiens que les autres et veulent, en toute exclusivité, faire leur ce dossier. Dans ce cas, il y a distinction entre haitiens de première classe des haitiens de troisième classe. En effet, dans les manifestations, nous avons assisté à des scènes pareillles, où des personnes dont la présence a été jugée inappropriée - peut-être une base de mauvaise expérience ou de trahison par le passé - ont, malheureusement, été bousculées ou même chassées du milieu des manifestants. Une telle atmosphère, n´est pas socialement favorable au procès social qu´on recherche en parallèle au procès politique et juridique. Le procès social veut l´inclusion et non l´exclusion, et doit faire appel à l´unité sociale, à la cohésion sociale et à la conscience sociale. Aborder le Pétrocaribe en excluant l´autre, c´est comme se planter un poignard dans le coeur, car mis à part le procès surtout juridique que tout le monde hâte de voir poindre, il y a le procès social qui, à mon avis, est le plus important et ne se fera jamais dans ce climat d´intolérance et d´exclusion.

Il est important de comprendre que, dans un premier temps, le Pétrocaribe est un dossier national auquel tout haitien, où qu´il soit, quelles que soient sa famille et sa classe sociale, peu importe son rang et ses relations, doit participer. Et, j´oserais même aller un peu plus loin en disant que même les dilapidateurs ont leur place dans les débats autour de ce sujet, car ils sont les véritables concernés. L´esprit de la contradiction et de l´acceptation de l´autre doit commencer à être valorisé parmi nous si l´on veut aboutir à des résultats socialement satisfaisants dans ce dossier. Certes, ce serait irrationnel  d´espérer que certaines personnes d´ores déjà indexées participent aux mouvements anti-Pétrocaribe, mais, se trouvant de l´autre côté de la barre, il faut qu´on les écoute à moins qu´ils soient à court d´argumentations. Donc, c´est un dossier qui, pour une fois, doit unir les Haitiens (coupables ou non coupables; complices ou non complices), non pas les diviser encore plus qu´ils le sont aujourd´hui. Car, même pour les dilapidateurs, leurs complices et bénéficiaires ainsi que pour leurs enfants et les enfants de leurs enfants les résultats de cette affaire doivent être socialement profitable, sinon c´est l´échec social total.

Dans un second temps, le dossier Pétrocaribe a déjà transcendé le milieu social haitien pour se porter à un niveau international et je dirais même mondial et global, alors à quoi sert cette exclusion ridicule qui, à mon sens, est une forme d´hypocrisie tendant à l´exhibitionisme de ceux ou celles qui  se croient ou prétendent être plus Haitiens que les autres? Or, en allant plus loin, on oublie qu´il y a même des étrangers qui y sont concernés vu qu´ils vivent dans le pays, y investissent, y ont de grands intérêts. Eux aussi subiront les impacts de la mauvaise gestion du fonds Pétrocaribe et de la corruption sous un angle général, en ce sens qu´ils sont exposés aux mêmes calamités dues à la circulation, au manque de transparence, à la santé, à l´insalubrité environnementale, à la vulnérabilité écologico-naturelle etc.

Et, finalement, même si beaucoup d´étrangers - certains haitiens issus des familles aisées également - qui vivent dans le pays ont des moyens pour se louer un avion-ambulance pour des soins de santé préliminaires qu´ils peinent tant de trouver ici, il appert qu´ils restent extremement vulnérables en vertu du fait que ce moyen de secours coûte beaucoup plus cher et est moins sûr que si les infrastructures médicales et hospitalières étaient déjà sur place pour procurer les premiers soins de santé. L´avion-ambulance deviendrait, par conséquent, l´ultime recours dans le processus médical de sauvetage des vies, et jamais le premier. Dans les pays très avancés, la santé, un bien collectif et commun à tous, est rigoureusement bien géré et pris en charge par l´État, un pauvre est beaucoup moins vulnérable que n´importe quel "richard" en Haiti.

Ainsi, le procès Pétrocaribe auquel le plus commun des mortels parmi les haitiens aimerait assister, ne se fera pas si, d´abord, la réforme du système judiciaire n´est pas enclenchée, ensuite, si la sécurité des juges qui auront à statuer sur cette affaire n´est pas assurée voire renforcée, enfin, si les témoins (à gages ou pas), les victimes (directes, indirectes ou colatérales), les auteurs, co-auteurs et complices ne bénéficient pas d´une haute surveillance et protection policière, afin de faire obstacle à toute tentative ou tout acte d´intimidation, de pression, de chantage, de fuite, de suicide, d´assassinat, d´empoisonement. Contrairement au procès de la consolidation, qui a marqué le 20ème siècle haitien et a impitoyablement permis la promotion sociale et politique à certains auteurs, on espère bien que les coupables du Pétrocaribe, qui marque d´ores et déjà le 21ème siècle haitien, ne seront pas réintégrés dans d´autres fonctions publiques ou privées, éclipsés sous des statuts de conseillers spéciaux ou chargés d´affaires dans des cabinets (présidentiel, ministériel ou parlementaire) ou transférés dans des postes à l´étranger, mais que leur jugement soit impartial et leurs sanctions justes et équitables.

Considérations finales

Enfin de compte, si le Pétrocaribe a la capacité d´unir, il peut aussi diviser et il divise déjà. De plus, s´il arrive à susciter autant d´indignation sociale c´est qu´il invite à aller beaucoup plus loin dans le combat contre la corruption en guérissant le mal par ses racines. Même si le Pétrocaribe est un dossier de haute corruption, susceptible d´initier le grand combat à la corruption, il y a par contre la culture de la corruption en elle-même contre laquelle il faut ardemment, durement et rigoureusement lutter. Une question me perturbe souvent l´esprit: comment quelqu´un peut prétendre être en sécurité avec le ventre rempli au milieu d´une bande d´affamés? La corruption c´est ça, on se mord le doigt sans s´en rendre compte. Haiti est ce paradoxe. Les manifestations contre Pétrocaribe doivent être le signal qui permet d´entrevoir que le problème est beaucoup plus vaste et compliqué que ce que l´on voit. En s´y attaquant ainsi qu´aux auteurs et complices, sans profiter pour procéder à un nettoyage absolu du système, on ne fait que mettre du vin nouveau dans de vieilles outres. 


Campinas, 30 août 2018