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jeudi 31 août 2017

CITÉ SOLEIL VEUT-ELLE RÉELLEMENT EN FINIR AVEC LES VIOLENCES ARMÉES?

CITÉ SOLEIL VEUT-ELLE RÉELLEMENT EN FINIR AVEC LES VIOLENCES ARMÉES?
Résumé
Les violences armées collectives dont les derniers épisodes remontent à octobre 2015 lorsque des bandes rivales de Bois Neuf et de Projet Drouillard se contre attaquaient sont-elles sur le point de disparaître à Cité Soleil? La cité veut-elle tourner sa page d´histoire marquée par la violence sociale recurrente? Faisant partie d´une enquête sociologique réalisée dans cette commune en 2017, ce travail propose, pour comprendre la sincérité de cette volonté de rupture, de passer en revue quelques éléments tels que origine, sources, nature et géolocalisation de ces violences, de problématiser surtout le processus de la paix de 2016 qui serait à l´origine de leur suspension sans qu´il n´y ait eu de désarmement. Pour y parvenir, interviews, enquêtes de terrain et théorie sur la violence nous serviront de méthode. Nous espérons montrer à travers ce travail que, malgré toute sa bonne volonté, cette paix ambigüe est loin d´être celle dont Cité Soleil a besoin pour sortir réellement des violences collectives.

Mots-clés: Cité Soleil. Violence armée. Processus de Paix. Macoutisme. Banditisme.

Collective armed violence, the last episodes of which date back to October 2015 when rival gangs of Bois Neuf and Projet Drouillard were fighting against each other, are they about to disappear in Cité Soleil? Does the city want to turn its page of history marked by recurrent social violence? As part of a sociological survey carried out in this commune in 2017, this work proposes, to understand the sincerity of this desire for rupture, to review some elements such as origin, sources, nature and geolocalisation of this violence, the 2016 peace process that would have caused their suspension without disarmament. To achieve this, interviews, field surveys and theory on violence will serve as a method. We hope to show through this work that, despite all its goodwill, this ambiguous peace is far from what Cité Soleil needs in order to truly emerge from collective violence.
 
Keywords: Cité Soleil. Armed violence. Peace Process. Macoutism. Banditry.

Avant-propos: L´expérience de terrain

En déposant les pieds sur le sol de notre terre natale, dont, d´ailleurs, nous avions éprouvé tant de nostalgie, la première chose qui nous a le plus impressionné, en dépit du fait que pas grand´chose n´y a vraiment changé, est l´atmosphère de calme, de paisibilité, de paix et de pacificité qui traversait Cité Soleil, commune depuis longtemps réputée pour ses infinités d´actes antisociétaux: vol, viol, crimes organisés, enlèvement, kidnapping, gangstérisme, rivalités intergroupales, meurtres etc. Notre stupéfaction allait devenir encore plus grande lorsque nous nous mettions à fréquenter et à circuler avec une tranquilité inimaginable dans presque tous les petits coins et recoins de la cité sans être ciblé, interrogé voire agressé par un quelconque individu armé. Les armes aussi bien que les attroupements armés se font de plus en plus invisibles. On ne se fait plus piquer son porte-feuille, agresser par un mandiant, cibler pour ressembler à un espion de la police, voler ses petits objets précieux. Franchement, nous n´aurions jamais imaginé un jour nous voir, nous-même, entrain de promener dans l´enceinte de Cité Soleil avec des objets de valeur comme ordinateur portable, celular, Ipad, caméra numérique, et, plus est, faire sortir notre Ipad afin de prendre des fotos sans être contrarié.

Peut-être d´autres personnes y ont-elles vu, vécu et expérimenté le contraire avant nous tel qu´il en sera de même après nous, peut-être les crimes s´y poursuivent-ils en catimini même pendant notre séjour sans qu´on ne le sache, peut-être les animosités, frustrations, insatisfactions et haines entre groupes rivaux armés sont-elles encore latentes et irresolubles, peut-être après cette expérience de paix les violences collectives vont-elles redémarrer pour la plus belle, mais, en ce qui concerne cette expérience de 6 mois de fréquentation ininterrompue de Cité Soleil – ceci dit, sans esprit de propagantisme, de vantardisme et de publicité, car notre intention est de produire un article avec autant d´objectivité qu´il soit permis au lecteur de comprendre les doutes qui entourent cette paix –  au cours desquels nous avons réalisé nos travaux de recherche sans grands incidents, l´aspect sécuritaire nous a énormément étonné, bien que sur les autres plans social, économique, politique et environnemental aucune amélioration. Mais, comme nous aurons le temps de le voir dans cet article, ce climat de paix ou de nonviolence n´a presqu´aucun effet sur le sentiment d´insécurité des habitants de Cité Soleil.

Nous aimérions ajouter que pas un seul jour, pas une seule nuit, au cours de nos 6 mois d´un travail de terrain colossal et lassant à Cité Soleil notamment dans les zones conflictuelles jadis les plus dangereuses[1], un pistolet ne s´est fait entendre; des groupes armés ne se sont soulevés les uns contre les autres; une rue ou une ruelle n´a été assiégée par une troupe de bandits. Où sont-ils passés? Ont-ils disparu? Ont-ils quitté la cité? Ont-ils été neutralisés par la Police ou la Minustah? Non, rien de tout cela. Ils sont bel et bien présents à l´intérieur de la cité, mais ils se sont eux-mêmes pacifiés, maîtrisés et neutralisés. Cette autoneutralisation – si l´on peut appeler ainsi – suscite pas mal d´inquiétudes dans les esprits de ceux et celles appartenant à la communauté soléenne et de toute autre personne désireuse d´y entamer un projet. Ils se demandent s´ils peuvent vraiment se fier à cette paix. Alors que les appels à l´aide et à l´investissement tant du côté de la Mairie que du côté des organisations sociales et politiques se bouculent, l´étau des doutes se serre davantage autour de la sincérité et de la véracitié de cette paix. C´est l´une des raisons d´ailleurs qui nous a poussé à écrire cet article.

Introduction

Cité Soleil a, depuis les années 1990, la réputation d´être l´endroit le plus dangereux de la zone métropolitaine si ce n´est, au point de vue sécuritaire, l´une des villes les plus violentes en Haïti voire à léchelle mondiale. Dans un rapport de la Banque Mondiale, Cité Soleil, Bel Air et Martissant sont parmi les villes dans les Amériques où les conditions de vie sont les plus mauvaises (WORLD BANK, 2008, p. 2). La PNH, très fortemente politisée entre 2001 et 2004, n´a pas su s´y imposer en tant que force de l´ordre. Par ailleurs, depuis son arrivée au pays, en avril 2004, en vertu de la résolution 1542 du Conseil de Sécurité de l´Organisation des Nations Unies, la Minustah essaie tant bien que mal d´aider et d´accompagner la PNH dans son souci de faire revenir l´ordre et la paix dans cette banlieue port-au-princienne bouleversée, saccagée, ravagée et enterrée dans des violences armées intestines par des individus armés qui sortent de partout.

L´enjeu est de taille et le but inévitable: imposer la paix par la force des armes si elle ne peut l´être par des méthodes pacifiques. Dangereux, agressifs et criminels, les sujets armés à Cité Soleil ne laissent aucune chance à la méthode dialectique. De l´autre côté, impatientes et pressées de rétablir l´autorité de l´État, la PNH et la Minustah n´entendent non plus durer dans un processus de dialogue et de discussion qui se pourrait être sans issu. Selon la Commission Nationale Épiscopale Justice et Paix, les violences ont causé la mort d´environ 700 personnes de 2005 à 2008 sans compter les dégats matériels (JILAP, 2005, 2006, 2008). Par ailleurs, la Radio TéléKiskeya a fait état de 400 arrestations lors des interventions conjointes de la Minustah avec la PNH parmi lesquelles de potentiels chefs de bandes armées (RADIO TÉLÉKISKEYA, 2007).

Des morts incalculables, des victimes indénombrables, tel était le prix à pays pour que l´ancienne cité des Duvalier respire un air de calme et de tranquilité entre 2006 et 2007 jusqu´à très récemment sans oublier de passer par la période de 2008 et 2009. En effet, après les raids menées par la Minustah conjointement avec la PNH de 2004 à 2006 dans les quartiers violents comme Boston, Bois Neuf, Projet Drouillard; après la soi-disante cérémonie de remise des armes par les bandes armées à Warf Jérémie dans le cadre du programme gouvernemental de désarmement, de démantèlement et de réinsertion (CNDDR) en 2007[2]; plus d´uns n´espéraient penser entendre un coup de feu à Cité Soleil.

Or, tout a repris pour de bon surtout après le séisme du 12 janvier 2010 au point que, en 2013, la PNH a effectué une chasse à l´homme dans le quartier de 3BB, et  la Brigade d´Opération et d´Intervention Départementale (BOID) des interventions musclées à Wharf Jérémie et à Projet Drouillard en 2015. En effet, ce séisme, ayant provoqué une évasion massive de prisonniers pour la plupart de chefs de bases armées de quartiers populaires très dangereux, a eu un impact considérable sur l´augmentation du taux de criminalité et de banditisme en particulier à Cité Soleil, car ce fut, semblait-il, leur première destination.

Les slogans révolutionnaires fleurissent sur la tôle ondulée des habitations du vaste bidonville de Cité Soleil en Haïti, où des milliers de détenus qui se sont évadés après le séisme du 12 janvier ont trouvé refuge [...] Les détenus évadés de la prison centrale de Port-au-Prince se seraient retranchés à Cité Soleil le soir du séisme qui a fait plus de 220.000 morts et détruit les principaux bâtiments publics dont le pénitencier où s'entassaient plus de 4.000 prisonniers. (LE NOUVELLISTE, 2010a).

Hélas!, ces interventions brutales et violentes n´ont guère apporté la paix et la sécurité tant escomptées, elles continuent de fuir la commune. Bien au contraire, elles ont augmenté les hostilités entre les bandes armées et provoqué d´autres sentiments d´animosités, de haines, de frustrations et de dégouts au milieu de la population soléenne, car si elle est obligée de vivre chaque jour dans une violence collective, ces interventions lui reproduisent une autre forme de violence. De ce fait, non seulement les violences armées entre groupes rivaux demeurent la migraine des forces de l´ordre, mais la population, qui en est la principale victime se trouve surtout coincée entre cette violence collective quotidienne et ces interventions violentes. Les accords de paix verbale ne sont jamais respectés par les bandes armées elles-mêmes. Les ententes d´un cessez-le-feu sont toujours de très très courte durée. Donc, nul besoin de passer par mille chemins, c´est que les efforts de la PNH et de la Minustah dans le rétablissement de la paix et de la sécurité à Cité Soleil ont produit très peu d´effets.

Or, cela fait environ 18 mois depuis qu´un climat pacifique règne à Cité Soleil – le plus durable et le plus long de toute son histoire des tentatives de paix depuis le début des conflits armés qui la terrorisent. Survenue depuis fin 2015 selon la déclaration de plusieurs individus interrogés à ce propos, cet accord tacite de paix – si on peut bien l´appeler ainsi – fait qu´aujourd´hui les violences, les vols, les viols, le kidnapping, les conflits armés, les confrontations et attaques armées entre les différents groupes rivaux armés, enfin, les violences ne sont plus visibles à Cité Soleil et n´exposent plus la vie et les biens des personnes. Même le larçain et l´agression verbale ou physique a, semble-t-il, disparu. Les armes se taisent et les quartiers ne s´entretuent plus. La Cité s´ouvre désormais sur de nouvelles perspectives et tente de conjuguer dans un passé douloureux les crimes et les violences qui l´ont de terreur inimaginable. Elle est devenue avec ses débris, ses maisons trouées de cartouches, ses routes désafaltées, ces corridors fétides, une ancienne cité de guerre. On peut y circuler actuellement sans crainte de se faire agresser. Plus raison d´avoir peur pour son cellulaire, son porte-feuille, son smartphone, son ipad etc.

Si entre 2016 et 2017, les articles qui paraissent dans les jounaux nationaux parlent très peu de Cité Soleil en termes de violence armée, si, par ailleurs, au cours de 2016 le taux de morts et de blessés par balles dans des affrontements armés a considérablement baissé – 44 en 2016 selon le dernier rapport de la JILAP (2016) – pour  être réduit presqu´à 0 % en 2017, c´est que quelque part un réveil ou une tentative s´annonce dans ce quartier de fortune. Mais, cela voudrait-il dire que les violences armées y sont terminées? Qu´est-ce qui explique cet atmosphère de paix, de tranquilité et de pacificité que projette Cité Soleil aujourd´hui? Les habitants de Cité Soleil ont-ils le sentiment d´être en sécurité dans ce climat de paix? Ce climat de paix doit-on le traduire comme un divorce définitif ou partiel de la cité d´avec les violences armées? Ces questions constitueront le socle du présent article dont l´objet se réfère à cette volonté de rupture qui, par l´intérêt qu´elle suscite, relance le débat de la paix à Cité Soleil qui désormais cherche à s´ouvrir sur d´autres projets.

Ainsi, l´objectif principal autour duquel s´articulera ce travail est de questionner la sincérité de cette volonté de sortir des violences armées. Les enquêtes, interviews et la théorie de la violence nous aideront dans cette quête en mettant l´accent sur au moins huit éléments. Les quatre premiers consisteront à situer le problème des violences armées à Cité Soleil puisqu´ils commencent, d´une part, par questionner un certain réveil qui s´annoncerait dans la cité et rappeler les moments-clés des violences sociales qu´elle a vécues, d´autre part par localiser les foyers où elles se produisent le plus souvent et faire appel à la théorie de la violence pour mieux nous aider à cerner ce problème. Les quatre dernières parties du travail, ayant pour objectif spécifique de comprendre le processus de la paix dans son contenu et son fondement, mettent en relation macoutisme et banditisme, retracent l´origine de la paix par le moyen de diverses versions obtenues, interrogent les conditions qui la régissent, et se terminent par l´accent mis sur sa fragilité. Le travail se conclut d´une façon très inhabituelle parce qu´il recentre le débat des violences armées à Cité Soleil en rappelant leur inséparabilité de l´histoire contemporaine haïtienne.
1.      Cité Soleil se réveille-t-elle?

Cité Soleil, fraîchement sortie des violences collectives qui l´ont minée tant sur le plan humain que matériel, réclame aujourd´hui bibliothèque, université, logements sociaux, emplois, santé, sécurité, non utilisation des jeunes chomeurs à des fins politiques malsaines, non alimentation des conflits entre les groupes rivaux etc. À vrai dire, ces revendications ne cachent rien de nouveau. Ceci dit, la façon dont les choses tournent aujourd´hui à Cité Soleil, s´il ne s´agit pas de la part des sujets armés d´une vraie et sincère prise de conscience et d´un vouloir de revenir à la normale par la détermination d´emprunter une autre voie, il s´agit peut-être d´une autoconversion ou d´une autotransformation de Cité Soleil. Selon ce que nous avons pu saisir dans le langage d´un interviewé qui est lui-même chef de bandes armées, c´est que si les chefs de groupes armés qui l´ont précédé n´avaient pas l´autoconscience de leur valeur et de leur importance, cette nouvelle génération de sujets armés se sait puissants, influents, importants voire indispensables pour ceux qui solliciteraient discrètement ou secrètement de leur service.

C´est l´une des raisons pour lesquelles d´ailleurs la cessation de ces violences s´est accompagnée d´un silence des armes et non d´un dépot des armes. La violence dont il est question dans le cas de Cité Soleil en plus d´être collective elle est armée[3], sociale, criminelle et  interindividuelle. Collective car elle est produite par des groupes d´une même communauté et affecte la vie de la collectivité dans toute sa dimension. Sociale parce qu´elle agit sur d´autres déterminants sociaux tels que la santé, l´éducation, la famille etc. Criminelle en raison du fait qu´elle s´attaque aveuglement à la population civile abandonnée à elle-même, enfin, interindividuelle parce que les conflits armés des vingt dernières années à Cité Soleil étaient la plupart du temps liés à des causes strictement individuelles qui n´ont rien à voir avec les intérêts collectifs. Quand ce n´est pas une femme ou une arme, c´est l´argent ou l´influence politique d´un secteur qui causent tout désagrément social entre les groupes et incitent à la violence. La bataille pour le controle de l´espace et les intérêts économiques qu´il génère, c´est-à-dire le fleurissement de l´économie informelle est aussi au coeur des rivalités intergroupales.

En tout cela, c´est l´impuissance de l´État, l´échec de la quadruple éducation familiale-sociale-scolaire-culturelle qu´il faut remettre en cause. Ce qui débouche sur la dégénérescence sociale totale du phénomène de la violence dans les quartiers populaires. Une violence qui n´a d´autre finalité que la destruction des vies humaines, qui s´attaque à des biens culturels et symboliques comme l´église et l´école, qui n´a d´autre cible que ses propres entourages qu´elle dévalise, qui est sans discours, sans parole, sans espace de débat et d´interaction, qui est uniquement animée d´une soif maladive de tout chambarder, enfin, qui n´appporte ou ne s´articule autour d´aucune idéologie, ne peut-être, pour répéter Robert Rodeker et Mezri Haddad, qu´anomique, aveugle, inutile et silencieuse (DRAÏ et MATTÉI, 2006). Telles étaient quelques-unes des caractéristiques des violences armées à Cité Soleil. Or, il semble que tout cela se conjugue désormais au passé: par le processus de la paix entamé en 2016, la cité redeviendrait l´un des endroits le plus tranquile de la zone métropolitaine.

Ce qui veut dire que si avant, politiciens, commerçants, hommes d´affaires, ONGs et autres savaient compter sur les groupes armés de Cité Soleil pour intensifier l´insécurité et la violence non pas exclusivement à l´intérieur de ses différents quartiers, mais encore dans presque toutes les zones environnantes et la capitale, car située à seulement 5,3 kilomètres de Port-au-Prince, toute grippe d´insécurité et de violence qui frappe la cité peut facilement atteindre le centre-ville, et ceci a déjà été prouvé lors du déclenchement, entre 2004 et 2006, d´une violence généralisée portant le nom de Opération Bagdad à la tête de laquelle l´on retrouvait Cité Soleil, Bel Air, Martissant, Solino, La Saline, Fortouron et j´en passe, alors, aujourd´hui, il paraît que les sujets armés de Cité Soleil se décident à ce que leur utilisation se fasse autrement tout en s´engageant dans le social.

Cette paix dont la sincérité, la fragilité et la fiabilité seront problématisées plus loin, et, par laquelle les sujets armés ont changé de perspective, d´objectivité et de stratégie, est l´élément fondamental qu´il faut questionner pour comprendre la nature et le fondement de la rupture que Cité Soleil veut réaliser par rapport aux violences armées. En effet, la cité semble donc se réveiller par le changement d´attitudes chez les sujets armés d´aujourd´hui qui se cherchent un avenir. Un changement de comportement qui ne saurait ne pas être étonnante dans la mesure où personne ne s´y attendait si bursquement. La cité veut rompre avec ce qui, depuis 1990, a constiué sa carte postale et sa nourriture quotidienne, à svoir, la violence. Sans cette paix la rupture reste un vain voeu et sans la rupture la paix redeviendra la peur. Et, comme nous allons le voir, s´il n´y a rien de surprenant dans cette paix qui règne actuellement à Cité Soleil, les procédés et les mécanismes par lesquels elle a été engendrée méritent par contre d´attiter notre attention. Mais, pour comprendre pourquoi Cité Soleil se déciderait à rompre avec les violences armées qui l´ont ravagée pendant des décennies, il faudrait faire une retrospection sur quatre grands épisodes de violences sociales qui ont marqué son existence.

2.      Les quatre moments clés des violences sociales à Cité Soleil

Les violences qui, en demeurant dans un état latent, s´amplifient et se complexifient à Cité Soleil peuvent se regrouper en plusieurs générations qui se ressemblent en même temps qu´elles se distinguent. La cité a connu tellement de générations de violences sociales – allant de celles dont elle a souffertes avec les sbires des Duvalier (des cagoulards aux Tontons macoutes) pour parvenir à celles que ses propres fils lui ont fait subir en reproduisant en revanche sous d´autres formes les violences passées en passant bien sûr par celles des Attachés et Fraph du général Raoul Cédras – qu´il est difficile de les rappeler les unes après les autres. Les groupes armés qui se sont succédé ont maintenu la cité dans un climat de grande tension de violence sociale pendant plus d´un quart de sièlce. Il faut d´une part remonter aux années 1990 pour parler du début des conflits armés et de la constitution des premières bandes armées, aux années 2000 d´autre part pour mettre l´accent sur leur dégénérescence. Sur ce, sans alourdir le texte, même si nous procédérons succintement par une méthodologie chronologique qui prendra en compte les quatre moments clés de l´histoire violente de cette commune, nous aimérions quand bien même mettre l´accent par la suite sur la nature interindividuelle ou interpersonnelle, sociale et politico-collective de ces violences.

2.1.Que sait-on réellement de la nature des quatre grandes générations de violences sociales à Cité Soleil?

La première commence en 1967, date à laquelle correspond la fondation de la cité et s´étend jusqu´à 1986 où le dictateur Jean-Claude Duvalier a dû fuir le pouvoir pour s´exiler en France. La seconde va de 1987 à 1994, marquée par des coups d´état militaires successifs dont le dernier fut celui administré contre M. Aristide en 1991, elle se termine avec le retour en 1994 de M. Aristide. La troisième part de cette même année et couvre la période de sa réelection en 2001 dans le cadre des élections de 2000 vigoureusement contestées par l´opposition et plusieurs secteurs de la société, ce après que M. Préval a achevé lui-même son premier quinquenat. Enfin, la dernière période prend en compte exactement le second mandat présidentiel brigué par M. Aristide et s´étend jusqu´à fin 2015. Elle est marquée d´abord par la création des OP – sorte d´embryon des groupes armés dans les quartiers populaires proches du mouvement Lavalas –, ensuite par le second exil de M. Aristide en 2004, et, enfin, par la dégénérescence sociale totale graduelle de la situation où des conflits violents opposaient les bandes armées rivales entre elles et celles-ci à la police et à la Minustah. Ce qui a débouché, entre 2004 et 2007, sur ce que l´histoire contemporaine récente d´Haïti retient comme Opération Bagdad.

Il faut souligner que jusqu´en 1986 les violences sociales dans le plus gigantesque bidonville de la capitale étaient, dirait-on, de nature pacifique et interindividuelle. Ce n´est qu´à partir de 1990, elles ont commencé à prendre des tournures de persécutions politiques et de chasses aux sorcières d´où leur nature violente et incriminée. Il fallait attendre les années 2000 pour vivre des conflits sociaux d´une extrême violence et gravité à Cité Soleil qui se traduisaient d´un côté par des rivalités sociales fréquentes des bandes armées entre elles où la police – avant l´arrivée de la Minustah en 2004 – s´interposait difficilement et dès fois avec une grande brutalité dans le souci de faire revenir l´ordre, par des affrontements armés qui les opposaient à la PNH rejointe plus tard par la MInustah lorsque celles-ci décident de les poursuivre, de l´autre.

Ainsi, les échanges de tirs entre les forces de l´ordre et les bandes armées peuvent s´expliquer de trois façons: quand la PNH est contrainte de donner une réponse aux attaques des commissariats ou sous-commissariats de police[4] perpétrées par des individus lourdement armés dont le controle échappe aux autorités de maintien d´ordre; quand, ne pouvant pas rester passive, avec ses faibles moyens elle se trouve obligée de s´interposer entre les bandes armées rivales qui, selon que nous laissent croire certaines sources médiatiques, s´entredéchirent pour avoir le controle de la cité; quand finalement l´institution policière se décide péremptoirement à mener des opérations musclées de retour à l´ordre contre les bandes armées qui nuisent à la tranquilité de la population et lui empêchent de vaquer à ses différentes occupations.

2.2.Une violence interindividuelle ou interpersonnelle jusque là ambigüe

Les violences qu´a vécues Cité Soleil dès sa naissance jusqu´au début du premier mandat d´Aristide en 1990 en passant bien sûr par le renversement de la dictature jean-claudiste en 1986 étaient fortement marquées par leur nature interindividuelle ou interpersonnelle. Toujours est-il qu´il faut saisir l´interindividualité ou l´interpersonnalité dans sa dimension sociologique, c´est dire que celle qui implique les rapports sociaux dans un contexte social déterminé. Ainsi, est-il possible de dire que Cité Soleil n´est pas née avec la violence, mais elle l´est dans une atmosphère sociétale violente qui existait depuis longtemps déjà avant sa création.

En effet, bien avant que Cité Soleil ait subi les répressions des Tontons macoutes, des Attachés et des Fraph et ne soit élevée au rang de commune en 2002, nous attribuons aux violences qui l´ont caractérisée des causes strictement liées aux conditions sociales de vie précaires de la population. Elles revêtaient deux natures distinctes, l´une sociale et l´autre interpersonnelle ou interindividuelle. Dans leur nature sociale, nous trouvons une population qui, en luttant pour des causes sociales justes et valables, était bien imbue malgré son analphabétisme de ce qu´elle réclamait, savoir, l´eau, la nourriture, l´électricité, les logements sociaux décents, la santé, le travail, l´éducation. La cité était devenue, au cours de cette période, un espace d´interaction sociale et politique entre les organisations sociales devenues plus tard des Organisations Populaires (OP) et le gouvernement, un espace où les revendications sociales pouvaient être facilement audibles et entendues.

Il se créait donc un espace de dialogue et de discussion qui, même si à un certain moment ce dialogue paraissait être celui d´un sourd et d´un muet et commençait à s´effriter au fil du temps, était quand bien même important dans la mesure où il facilitait une sorte d´intermédiarité démocratique et permettait aux actions collectives – malgré leur petite dose de violence – d´être dignement appelées de mouvements sociaux au sens que l´entend Alain Touraine (1968, 1982), pour qui les mouvements sociaux sont porteurs d´idéologie adaptée aux buts qu´ils poursuivent suivant leur situation. Disons d´une autre manière, ils représentent l´arène sociodémocratique et politique créée en vue de l´implication et de la participation des acteurs notamment le collectif et le politique, le lieu par excellence d´expression et de validation de leur parole. À ce titre, les violences traduisaient les besoins sociaux les plus élémentaires de la communauté soléenne qui revendiquait ses droits en accomplissant ses devoirs démocratiques.

C´étaient, par ailleurs, des violences interpersonnelles ou interindividuelles caractérisées par des conflits isolés entre pécheurs, petites querrelles des familles entre elles, engueulades pour l´accès à l´eau[5] ou à cause d´un enfant turburlent ou impoli, petites bousculades dans les rangs où l´on attend de recevoir les kits alimentaires du Centre de Développement Social (CDS) de Réginal Boulos ou du plan parrainage de Père Lanaud ou de Père Bonnhen, et j´en passe. Ces petites bousculades, engueulades ou querelles isolées survenues au hasard pouvaient facilement donner lieu à de véritables conflits interpersonnels, interindividuels ou encore interfamiliaux. Il ne faut pas avoir honte de le dire: à Cité Soleil on pouvait s´entretuer à l´époque même pour une boite de lait ou un morceau de pain à force que la situation sociale était catastrophique.

De simples bousculades dans une longue ligne d´attente lors des distributions de rations alimentaires, des petits malentendus à cause d´une femme, d´un enfant, d´un animal ou d´un objet de valeur, pouvaient générer une haine continuelle, car dans cette petite communauté où plus tard émergeaient de véritables foyers de conflits armés tout le monde se connaissait. Ainsi donc, imperméables et impénétrables à toute influence politique – c´est ce qu´on a cru tout au moins – ces situations socio-individuelles étaient vues comme des choses normales qui arrivaient fréquemment et dont personne ne se montrait choqué puisque dans les petites cellules microsociales, au-delà des petites incompréhensions éparses et disparates, tout le monde se cotoyait, se fréquentait, se faisait confiance, s´aimait, s´entre´aidait, se secourrait et se taquinait avec plaisir. La vie communautaire était si bien importante qu´il fallait la préserver au-delà de celles-ci.

2.3.Une violence sociale mais ratrappée par les facteurs politiques compliqués

Les violences sociales qui sont le fait de l´insatisfaction des besoins sociauxet économiques de base des habitants de la commune depuis sa création sont ratrappées par la politique qui, en se mêlant de la partie, corrompt tout, bascule tout et complique tout. Dans un premier temps, la politique s´y invite par les persécutions et les pourchasses politiques des Tontons macoutes d´abord, des Attachés et du Fraph ensuite symbolisant ainsi les forces infernales du régime putchiste de 1991 dirigé par les plus célèbres comme Raoul Cédras, Michel François et Emmanuel Constant. Deuxièmement, l´immixtion de la politique à l´haïtienne crée dans les esprits une confusion totale entre ce qui est cause sociale ou économique et ce qui cause politique de ces violences. En d´autres termes, le champ politique en profitant de la situation de misère, de pauvreté, de chômage et d´illetrisme des jeunes les incite à la violence. Ce qui veut dire que les problèmes sociaux irresolus ou irresolubles ont frayé un chemin propice aux facteurs politiques pour qu´ils viennent corrompre les luttes sociales des habitants de Cité Soleil.

Donc, jusqu´au retour de M. Aristide en octobre 1994 en passant par les gouvernements militaires provisoires de très courte durée il s´agissait d´une violence de nature étatique et politique orchestrée par l´armée[6] contre son propre peuple. Dans un article publié tout récemment, nous nous sommes évertué à faire ressortir le caractère systémique de cette violence et montrer comment elle a pu se culminer jusque vers une violence sociale endémique et chronique (FABIEN, 2017, p. 10-22). Par la création, la prolifération et la multiplication dans les banlieues sud (Martissant, Fontamara), sud-est (Bel Air), nord (Cité Soleil) et nord-est (Simon Pelé, Delmas 2) de petits groupes armés vers les années 1990 s´augmentaient par conséquent animosités, grognes, haines, frustrations, inimitiés, barrières sociales, dérèglements sociaux des jeunes dans une société fracturée.

En effet, la dernière étape des violences sociales fait appel à l´entrée en scène des facteurs politiques haïtiano-discriminatoires, c´est-à-dire une politicaillerie mêlée d´une débilité intellectuelle à partir de laquelle les conflits ont commencé à prendre une autre tournure hautement politisée vers les années 2000. Ils se dégénèrent plus précisément à partir de 2003 et 2004 où les problèmes économiques et les besoins sociaux s´effacent ou disparaîssent considérablement au profit du jeu politique malsain. Autrement dit, les problèmes d´ordre social et économique n´ayant jamais été améliorés voire résolus devenaient une source indispensable d´exploitation à laquelle s´est vite agrippé le champ politique déjà pourri et corrompu. Ceci s´explique par le fait que des groupes armés[7], se sachant très influents et puissants se laissent manipuler par des individus véreux qui, avec leurs puissants moyens économiques, ne savent recourir qu´à la violence pour résoudre leurs problèmes avec ceux ou celles qu´ils classent au rang de leurs ennemis à éliminer. On pouvait toujours essayer d´entrevoir une main politique derrière les conflits armés à Cité Soleil au cours des années 1990, mais celle-ci n´a jamais été aussi visible, claire, criante et cruelle qu´au début des années 2000. D´où le début de la complexité du phénomène des conflits armés à Cité Soleil et de la complication de la situation sociale et économique de ses habitants.

La répartition inégale ainsi que le stockage de la plus grande partie des aides sociales à distribuer gratuitement aux populations vulnérables, à dessein de les revendre sur le marché à des prix exorbitants au vu et au su de ces pauvres malheureux, n´ont fait que créer des frustrés, des gens qui ont conscience d´être exploités et utilisés comme des cobayes pour que d´autres deviennent plus riches en accumulant sur leur dos des fortunes. Ces exploitations ont généré de grandes et profondes animosités au sein de la population soléenne. Sur ce, les facteurs qui peuvent expliquer les violences à Cité Soleil sont donc multiples et complexes et varient suivant le contexte. Si, par exemple, vers les années 1990, les affrontements armés à Cité Soleil (à armes blanches pour la plupart) pouvaient être liés exclusivement – sans risque de nous tromper – à des problèmes d´ordre social et économique comme nous l´avons souligné ci-dessus, à partir des années 2000, ils sont extrêmement politisés sans nullement faire disparaître les besoins sociaux qui attendent toujours des solutions plus ou moins durables.

2.4.Un résumé du lourd bilan des générations de violences sociales

Ces diverses générations de violences sociales ont laissé derrière elles des pertes humaines et des dégats matériels et environnementaux encore visibles, irreparables et indénombrables. De 1995 à 2000, l´insécurtié et les violences de toute sorte ont coûté la vie à plus de 76 habitants de Cité Soleil (AVRIL, 2000, p. 329-361). À elle seule l´année 2005 en a emporté plus de 77 pendant que l´une des années la plus sanglante à Cité Soleil reste celle de 2012 au cours de laquelle environ 110 personnes ont été tuées par des individus armés d´armes à feu (COMMISSION NATIONALE ÉPISCOPALE JUSTICE ET PAIX, 2005, 2012). En 1993, un feu dévorant a détruit plus de 1500 maisons et maisonnettes à Cité Soleil tandis qu´en septembre 2002 des individus armés continuant de sémer le deuil et la désolation au milieu de la population soléenne ont massacré près de 20 personnes, blessé une centaine et incendié environ 500 maisons et maisonnettes (METROPOLE, 2002b).

Ce qui a provoqué une dégradation macabre et monstrueuse de l´environnement de Cité Soleil, car ces violences discontinuent ou empêchent les travaux de curage des rigoles pour créer le passage aux eaux diluviennes, d´urbanisation, d´assainissement et de boisement. Par ailleurs, ces travaux auraient pu générer des emplois à moyenne, courte ou longue durée et cela améliorerait la vie économique des individus. En conséquence, avec un niveau économique relativement amélioré, l´individu pourrait pourvoir à ses besoins et à ceux de sa famille: santé, éducation, nourriture, vêtement et autres. Or, les victimes à armes à feu ne cessent de s´accroître pendant que celles à armes blanches diminuent considérablement. Entre juillet et août de l´année 2005, on a enregistré uniquement pour Cité Soleil 120 morts par balles contre 44 à armes blanches tout type confondu (COMMISSION NATIONALE ÉPISCOPALE JUSTICE ET PAIX, op. cit. 2005,).

Il est évident que depuis 2000 la nature des conflits armés s´est transformée, l´espace où ils se produisent a considérablement changé de paysage et la configuration sociologique des groupes armés n´est plus la même. Car, premièrement, ils deviennent plus violemment armés qu´ils ne l´étaient auparavant, deuxièmement, ils reproduisent une violence sans nom, troisièmement, les armes dont ils disposent ce n´est pas pour plaisanter mais pour gagner de l´argent et se procurer une survie précaire ou pas, enfin, quatrièmement, l´entrée en scène des éléments politiques supplantant les facteurs social et économique viennent jeter des confusions et des troubles qui nous obligent à prendre en compte des facteurs multiples pour comprendre le phénomène. Ils rendent, d´une part, les groupes sociaux très marginaux et ciblés, l´analyse et la problématisation du phénomène des conflits armés encore plus complexe, de l´autre.

Comme le montre le tableau  ci-après construit à partir des statistiques annuelles sur les actes de violence dans les zones métropolitaines et Port-au-Prince de la Commission épiscopale Justice et Paix, les violences armées ont fait des ravages à Cité Soleil. Au cours des 11 dernières années plus de 426 personnes sont mortes dans des circonstances liées directement ou indirectement aux violences orchestrées par des individus armés. Cité Soleil à elle seule accuse un taux de décès par balles de 66,56 %. Une situation extrêmement alarmante.
Tableau du pourcentage de victimes par balles pour Cité Soleil
Année
Total des victimes par balles des individus armés à Cité Soleil
Total des victimes par balles des individus armés pour les zones métropolitaines
Pourcentage
2005
34
77
44,15%
2006
3
6
50%
2007
5
30
16,66%
2008
11
30
36,36%
2009
11
18
61,11%
2010
71
104
68,26%
2011
50
59
84,74%
2012
87
110
79,09%
2013
68
92
73,91%
2014
18
26
69,23%
2015
35
44
79,54%
2016
33
44
75%
Total
426
640
66,56%
Source: Commission nationale épiscopale Justice et Paix.

Nous pouvons dire, en résumé, que l´absence d´éducation, la démission des familles, le manque de lucidité et d´intélligence chez les sujets armés, le problème de conscience et de formation ont été à l´origine de cette manipulation, utilisation et exploitation politique des groupes armés composés en grande majorité de jeunes abandonnés par leurs parents, arrachés sur les bancs de l´école, interdits d´entrer à l´université ou à un centre professionnel, privés de loisirs et d´activités culturelles, sportives et récréatives, victimes de phobie de toute sorte et partout, méprisés et humiliés sur le marché du travail à cause de leur qualification inadéquate, enfin, trompés, violés, violentés dans leur conscience par un système social vampir et corrompu. Ainsi donc, à partir des différentes générations nous pouvons dire que les violences sociales urbaines de Cité Soleil ont passé de l´étape étatico-politique à l´étape normale avant d´arriver à un stade anomique qui est celui des dix dernières années, c´est-à-dire une violence qui se veut criminogène. Il n´est pas vrai que les groupes armés ne savent pas pourquoi ils se battent. Ils en sont très conscients. Mais, le problème c´est que la force politique qui les controle est plus contraignante et plus puissante que leur volonté de changer de vie.

3.      Sociogéographie des violences armées à Cité Soleil

Entendons, d´une part, par sociogéographie ou géographie sociale des violences armées cette branche de la géographie qui permet d´étudier les groupes sociaux dans leurs rapports avec l´espace qu´ils occupent tout en géolocalisant les foyers de conflits armés, c´est-à-dire les espaces où se déroulent de manière plus ou moins fréquente les violences armées. Cette méthode permettra de distinguer les zones conflictuelles des zones non conflictuelles ou moins conflictuelles. D´autre part, foyers de violences armées sous-entendent les espaces géographiques les plus exposés à ce phénomène même s´il peut avoir des impacts sur les autres localités environnantes. Ainsi, la sociogégraphie permet d´identifier les zones qui réunissent toutes les conditions sociales, culturelles, politiques, économiques, psychologiques voire environnementales possibles de l´éclatement des conflits armés.

 3.1. Géolocalisation de Cité Soleil

Située au nord de la capitale et du centre-ville, Cité Soleil, la plus populeuse de toutes les communes de Port-au-Prince, s´étend sur une superfície de 22 km², comprend deux sections communales Varreux I et II, trente quatre quartiers environ qui ne sont pas tous livrés aux violences armées, une population de 265.072 habitants, essentiellement urbaine qui ne vit pas tous sous le seuil de la pauvreté extrême (IHSI, 2015). Les limites territoriales de Cité Soleil ne sont pas clairement définies. Les conflits territoriaux entre la Mairie de Cité Soleil et les hommes d´affaires arrivent souvent. Très récemment, par exemple, une succursale de KOTELAM, caisse populaire d´épargne et de crédit, située à Damiens en face de la Faculté d´Agronomie et de Médecine Vétérinaire à l´ouest, a fait l´objet de discussion puisqu´il s´agit de savoir à quelle municipalité cette dernière doit verser ses obligations fiscales: à celle de Croix-des-Bouquets, de Tabarre ou de Cité Soleil?

De plus, certaines industries, maisons batties, centres de commerce se revendiquent de la commune de Tabarre, d´autres de celle de Croix-des-Bouquets. D´où une guerre silencieuse de territoire due à un désordre généralisé dans la délimitation de la commune de Cité Soleil. La raison est simple, c´est que la loi qui l´a créée (celle de 2002) et modifiée (celle de 2004) accusent toutes deux un déficit de clarté sur les zones et les quartiers qu´elle contient et ses limites territoriales. Toutefois, selon sa loi créatrice, celle de 2002, Cité Soleil est bornée au nord par la rivière grise et Damiens, au sud par Carrefour Aviation - récemment rebaptisée Carrefour Jean-Jacques Dessalines dont on ne sait par quel décret - à l´est par le Wharf Jérémie et la baie de Port-au-Prince prolongeant le long des mers jusqu´à Wharf et la mer des Caraïbes en passant par Bélécou, à l´ouest par Delmas, Simon Pelé, Cité Militaire et la Route de l´Aéroport où se concentre le parc industriel.

3.2. Cité Soleil et ses principales institutions publiques

Les zones les plus reculées telles que Sarthe, Terre-noire, Blanchard, Rapatrié, Duvivier – pour ne citer que celles-là – sont pour le moins perçues comme milieu rural de la commune habitées par des individus qui ont des capacités économiques très moyennes. Une sociogéographie des violences armées à Cité Soleil permet de comprendre que, malgré sa paupérisation et sa misère, elle n´est pas violente dans sa totalité et sa globalité, mais la violence est répartie dans une dizaine de quartiers sur les 34 qui la composent que nous pouvons appeler foyers de conflits armés. Et, comme nous allons le voir, même à l´intérieur de ces foyers, il y a des zones plus belligérantes et belliqueuses que d´autres, qui, de par leur histoire, leur influence et leur nombre imposant de groupes armés, s´imposent tout naturellement aux autres.

Le lieu où le pouvoir public et politico-administratif se centre et se concentre, où les activités sociales, économiques, culturelles, éducatives et artistiques ont plus d´ampleur et d´intensité, où l´on trouve les universités, les grands centres commerciaux, hospitaliers, bancaires et médiatiques, où les mobilités sociales sont plus intences, est souvent considéré comme l´espace urbain où s´organise la plus grande partie de la vie sociale, économique, culturelle et politique des individus. Dans le cas de Cité Soleil c´est un peu différent: sa ruralité et son urbanité forment un tout confondu. Il n´y a pas lieu de séparer géographiquement l´urbain du rural et vice versa comme cela est possible pour d´autres communes comme Port-au-Prince, Gonaïves, Croix-des-Bouquets. Sur ce, vivant au plein coeur des zones métropolitaines, les habitants de Cité Soleil n´ont absoluement rien qui s´accomode à une vie rurale proprement dite.

L´administration municipale s´établit à Sarthe, zone apparemment rurale, moins exposée aux conflits armés. Celle-ci se situe au nord-ouest tandis que le Tribunal de Paix et l´Office d´État Civil se trouvent au sud-ouest de la Nationale #1. Sur cette même Nationale #1, le carrefour du cimetière de Drouillard au nord et la Station Gonaïves au sud sont tous deux flanqués d´un poste de police. À côté d´un chateau d´eau à l´entrée est de la commune on rencontre un Sous-Commissariat de police, cible de nombreuses attaques criminelles par des individus armés. Par le Boulevard des Américains appelé aussi 4 carrefours ou Route 9, il y a à l´est un peu plus au fond des institutions scolaires et religieuses parmi lesquelles l´Église Catholique Immaculée Conception et l´École nationale de Cité Soleil, à l´ouest le Lycée nationale de Cité Soleil et plus en avant jusqu´à la mer le Wharf muni d´un autre Sous-Commissariat de police et d´un média, Radio Boukman.

Alors qu´au sud l´on retrouve le Wharf de Jérémie fraîchement renové et le quai où les compagnies pétrolières viennent s´approvisionner le gaz à seulement une centaine de mètres de Bélécou – banlieue sud-est de Cité Soleil –, au nord se trouve l´ancien marché communal transformé en base militaire de la Minustah où cohabitait également l´unique Commissariat de police. Actuellement, tout l´espace est occupé par l´Unité Départementale de Maintien d´Ordre)  (UDMO) – une untié de la PNH –  vue le départ de cette force onusienne. Enfin, plus au nord en direction du côte des Arcadin de la Route 9 se trouve un troisième Sous-Commissariat de police situé entre Rapatrié, Truitier et Duvivier, secteurs  nord´ouest de la cité.

Sarthe et Cazeau, pratiquement perçus comme milieu rural de Cité Soleil, désignent respectivement le centre du pouvoir politico-administratif et la Direction Générale des Impôts de la municipalité, les activités commerciales (petites ou grandes) se concentrent par contre entre Wharf Jérémie, Wharf, Carrefour Aviation, Station Gonaïves et le marché communal de Brooklyn sans compter les divers petits commerces informels éparpillés ça et là. Même s´il n´est pas tout à fait aisé de distinguer le rural et l´urbain, bien que la commune soit située dans la périphérie nord de Port-au-Prince avec la mer pour limite, malgré les difficultés de situer clairement ses limites territoriales, enfin, en dépit du fait qu´il est pratiquement impossible d´identifier de grands centres commerciaux, culturels et artistiques formels et que le commerce informel pillule, la commune reste très urbaine et les violences armées dont elle souffre le sont aussi.

3.3. Sociolocalisation de groupes armés

Le carrefour Boulevard des Américain ou Boulevard Soleil qu´on appelle aussi 4 carrefours parce qu´il permet de répérer les 4 côtés de Cité Soleil du nord au sud, de l´est à l´ouest, et d´en avoir une vue globale, est extrêmement stratégique pour les raisons suivantes. Dans un premier temps, il connecte Cité Soleil avec les deux grands pôles du pays: pôle nord considéré comme poumon touristique du pays et celui du sud où l´on rencontre les centres commerciaux et les compagnies pétrolières. En deuxième lieu, il divise la cité en deux grandes parties catégoriquement et radicalement opposées: le Haut (est) et le Bas (ouest) d´où le conflit interminable entre nèg anwo kont nèg anba. C´est donc la frontière à la fois virtuelle et réelle qui sépare les principales zones conflictuelles. Le troisième aspect stratégique de ce carrefour s´explique par le fait qu´il constitue l´espace d´affrontements violents des bandes armées entre elles et d´elles-mêmes avec la police. De plus, mis à part les différents affrontements violents entre les bandes armées rivales au cours des vingt dernières années, c´est à ce carrefour que pour la première fois une foule en liesse avait célébré sa supposée victoitre après avoir mis en déroute quelques policiers en 1995 date à la quelle la fameuse « armée rouge » aurait été créée (FABIEN, 2017, op. cit. p. 23-24).


En effet, le Haut-Soleil va du côté est de ce Boulevard descend jusqu´à Bélécou en touchant bien entendu les zones comme Soleil 6, Boston, 3BB, 1ère et 2ème Cité, Cité Lumière, Rue Volcy, Projet Drouillard. Le Bas-Soleil – si l´on se permet de les appeler ainsi – part de ce même Boulevard à l´ouest, descend jusqu´à Wharf en couvrant les zones telles que: Soleil 4, 13, 15, 17, 19, Ti Haiti, Projet Linthau 1 & 2, Cité Gérard, Brooklyn, Bois Neuf[8]. Ce sont exactement ces différentes zones qui constituent le noyau des foyers de violences armées à Cité Soleil. Sur ce, il y a lieu de signaler qu´au premier abord, les violences collectives à Cité Soleil sont de nature urbaine, ce qui veut dire, en second lieu, que tous les secteurs de la commune n´y sont pas nécessairement touchés ou impliqués, enfin, même à l´intérieur de cette sociogéographie des zones conflictuelles, il y en a qui sont plus violentes que d´autres, en d´autres termes celles où les violences sociales atteignent un niveau de criminalité beaucoup plus élevé. Nous voulons parler donc des quartiers comme Boston, Bois neuf, Soleil 17 et 19, Projet Drouillard, Cité Lumière, Ti Ayiti, Brooklyn.

Si chaque quartier a sa petite bande armée à lui c´est justement pour protéger et défendre ses intérêts, avoir sa part du gâteau quand il le faut, ne pas se soumettre à la bonne grâce des autres, enfin, pouvoir lui-même controler son propre espace. Il faut savoir que l´armement clandestin et invisible des groupes à Cité Soleil est très dynamique et s´inscrit dans une course à la rivalité, à l´influence et au controle de la cité qui représente un grand centre d´intérêt économique non seulement pour les bandes armées mais aussi pour les personnalités politiques et hommes d´affaires qui se servent d´elles pour créer de l´insécurité et de l´instabilité. Une approche simpliste et unilatéralliste ne permet pas de caractériser les violences sociales qui l´affectent. Toutefois, il y a lieu de comprendre que, même si quelques fois ces violences prennent l´allure d´une folie criminelle, d´une guerre fratricide, ont un caractère inutil et hybride, elles cachent néanmoins derrière elles de grands intérêts sociaux, économiques, politiques et financiers tant pour les acteurs que pour les auteurs intellectuels, car, il est faux de croire que ces jeunes sont fous pour s´entretuer pour rien. Ces intérêts ne sont pas collectifs, ils sont par contre individuels ou personnels, c´est pour cela que chaque groupe cherche par la violence à obtenir sa petite part au détriment de la collectivité. D´où la dangerosité de ces violences.

Nous venons de montrer que les violences armées se concentrent dans des zones urbaines stratégiques – les plus pauvres, insalubres, vulnérables, inaccessibles sur le plan écologique et environnemental – controlées par des bandes armées. Couvrant une bonne partie de la commune, ces dizaines de quartiers même s´ils symbolisent le bastion des conflits armés ne représentent pas à eux seuls la totalité de la cité qui est un vaste bidonville où vivent des milliers de gens dans la misère et la pauvreté extrême. Les zones moins conflictuelles comme Sarthe, Terre-Noire, Blanchard, Village Rapatrié, Duvivier – pour ne mentionner que celles-là – sont pour le moins habitées par des gens de la classe moyenne moyenne s´il faut distinguer la classe moyenne intermédiaire et avancée. Depuis la fin de 2003, les bandes armées contrôlent une bonne partie de la cité malgré la présence de la Minustah et de la PNH. Ces violences se déroulent dans les espaces sociogéographiques auxquels elles accèdent facilement et empêchent aux forces de l´ordre d´en avoir elles aussi accès.

4.      La théorie de la violence, sa nature et son applicabilité dans le cas de Cité Soleil.

4.1.La violence, un concept polysémique

La notion de violence est très polysémique et signifie: contrainte, agressivité, utilisation de la force, brutalité, destruction, abus, utilisation de l´arme (tranchante ou à feu) etc. Selon Larousse, la violence constitue des actes caractérisés par des abus de la force physique, des utilisations des armes et des relations d´une extrême agressivité. Il s´agit d´une contrainte physique ou morale exercée contre une personne en vue de l´inciter à réaliser un acte déterminé (LAROUSSE, 2017). Par ailleurs, si nous tenons compte de la définition de Small Arms Survey – empruntée elle-même à la Déclaration de Génève, il faudra souligner dans la violence l´usage intentionnel et illégitime de la force contre une personne, un peuple, une communauté ou un État. Au lieu de sa dimension intentionnelle, nous nous intéresserons plutôt à sa manifestation physique et matérielle. Ainsi, le sens que nous lui accorderons ici est strictement sociologique, c´est-à-dire celui qui, en se concentrant sur les aspects de relations sociales des groupes, permet de prendre en compte le caractère général et contraignant de la violence. 

Les violences – qu´elles soient armées ou pacifiques; collectives ou individuelles; physiques ou verbales; conjugales ou interpersonnelles; urbaines ou rurales; sexuelles ou morales – frappent continuellement les sociétés. Le mérite des sociétés contemporaines revient au fait qu´elles ne se contentent pas de les regarder impuissamment en spectacle, mais qu´elles les problématisent, les théorisent en en faisant un champ de recherche particulier et leur trouvent des propositions de solution à caractère pacifique, juridique et progressif. Cependant, leurs caractères multiformes adviennent à compliquer davantage le travail des sociologues, psychologues, criminologues, anthropologues, travailleurs sociaux et politologues. Par ailleurs, la violence armée urbaine – une autre forme de violence qui se développe dans les milieux urbains – constitue un autre problème que confrontent les grands centres urbains: Paris, New York, Bruxelles, Londres, Rio de Janeiro etc. À longeur de journées, la violence fait la une des journaux nationaux et internationaux. Les villes et l´espace urbain aussi bien que les cités et les banlieues en constituent le bastion. Enfin, chaque jour apporte son lot de violences[9].

Si certains voient dans la violence un mal ou quelque chose d´anormale voire pathologique cela dépend des causes et des circonstances qui l´engendrent et de la façon dont ceux-ci comptent l´aborder. Tel que l´ont soutenu Mezri Haddad et Robert Redeker, les violences urbaines quand elles sont dépourvues d´antécédents, de tradition, et d´histoire, ne se reposent pas sur le verbe, la parole, un leader et un leadership, elles ont tendance à être de nature anomique et nihiliste. Ce fut le cas des révoltes des banlieues françaises en automne 2005 dont les auteurs ont traité. Selon eux, l´absence de la parole, la haine de la culture et des symboles culturels, l´anomie et l´aveuglette ont caractérisé singulièrement ces émeutes. (DRAï et MATTÉI, 2006, p. 34-36; 38-40). D´autres – les sociologues surtout – priorisant l´aspect socio-relationnel et la dimension sociétale qui la dominent, la considèrent comme étant un état inérent aux relations sociales sans cependant insinuer qu´il est impératif de construire une société – du moins une communauté – sous l´égide de la violence. La violence que toute société est appelée à connaître peut s´inscrire dans le cadre d´une réponse à fournir au historiquement, socialement, politiquement, économiquement, structurellement ou culturellement incorrect et inacceptable. Sur ce fait, elle en appelle donc à un changement social radical de la société.

Néanmoins, la violence ne doit pas être toujours la formule souhaitée ou prioritaire ou encore le premier moyen auquel devrait recourir un groupe même en pourfendant une cause juste et justifiée. La justification de la violenceest parfois problématique dans la mesure où il existe d´autres alternatives réalistes de résolution non violente des problèmes. En effet, pour Gene Sharp, il existe une multitude de méthodes nonviolentes que les groupes opprimés peuvent utiliser pour s´attaquer aux injustices sociales dont ils sont l´objet parmi lesquelles il enumere protestation et persuasion (opposition pacifique); noncoopération sociale (boycot social), non coopération économique (grève); noncoopération politique (interruption des unités politiques) (SHARP, 2005, p. 75-84).

Le problème des méthodes proposées par l´auteur, c´est qu´elles sont trop idéalistes et abstraites, ne réflètent pas vraiment la réalité des mouvements sociaux. Elles ne peuvent s´appliquer à toute société et ne se valent que dans les sociétés théologistes où c´est la crainte de l´être suprême qui fait reculer les foules et non la pointe des fusils ou les canons. En outre, plus descriptives qu´analytiques, elles ne prennent pas compte de la profondeur et de la complexité des realités sociales, de la pluralité des acteurs qui existent sur le terrain. Toutefois, cela ne signifie qu´elles ne peuvent porter des fruits. Gandih, exceptionnellement, a prouvé que la lutte nonviolente était possible. Peut-être - comme nous le verrons plus loin - les bandes armées à Cité Soleil ont-elles compris cela en décidant de s´engager dans cet accord tacite de paix.

Or, un auteur comme Frantz Fanon inscrit la violence, pas la moindre d´ailleurs, mais celle engendrée par l´esclave opprimé et broyé par la machine esclavagiste, comme le seul moyen pour celui-ci d´échapper au joug de son maître qui suce son sang et le réduit à un être couvert de chair et d´os. Contrairement aux autres commentaires, le but de Fanon n´était pas de faire une apologie de la violence ou de l´élever aveuglement au rang des stratégies les plus efficaces de libération des peuples colonisés, mais de montrer qu´elle est une des alternatives de lutte qui s´offrent à eux après maints échecs de luttes pacifiques. C´est dire que la violence du colonisé correspond à la circonstance sociale, au contexte politique de la colonie et à la réponse du régime colonialiste. Dans les propos de l´auteur, bien que provoquée par le colonisateur lui-même dans son obsession d´exploiter et son refus de comprendre, la violence n´est jamais encouragée ou priorisée et n´a pour rôle de résoudre tous les problèmes de l´esclavage et de la colonisation. Elle saurait exprimer une proportionnalité des effets de l´esclavage, une force à laquelle personne – ni le colonisateur ni le colonisé – ne saurait résister. Citons de ce fait cet extrait de son célèbre ouvrage Les damnés de la terre:
La violence du régime colonial et la contre-violence du colonisé s´équilibrent et se répondent dans une homogénéité réciproque et extraordinaire. Ce règne de la violence sera d´autant plus terrible que le peuplement métropolitain sera important. Le développement de la violence au sein du peuple colonisé sera proportionnel à la violence exercée par le régime colonial contesté (FANON, 1961, p. 91).

Pour Marx et Engels, la violence, en s´inscrivant dans les luttes de classes, s´avère, dans l´histoire de la bourgeoisie, du développement industriel et de celui du capitalisme, l´un des moyens par lequel les conditions de vie des ouvriers et leurs relations sociales se sont considérablement améliorées. En ce sens, les luttes révolutionnaires et revendicatives, toujours de nature violente, participent des grands changements sociaux mondiaux. C´est à l´intérieur des luttes que naissent les grandes transformations sociales. Engels pour sa part a plus particulièrement mis l´accent sur le fait que la violence n´a jamais été une technique employée par les bourgeois capitalistes pour construire leurs fortunes économiques, néanmoins, de connivence avec l´État, elle leur a toujours servi d´arme puissante en tant que classes possédantes pour défendre et protéger leurs intérêts en contrecarrant les révoltes des classes prolétaires afin d´affaiblir leurs luttes (ENGLES, 1972; MARX et ENGLES, 1970). Les violences bourgeioise et étatique sont une attaque anticipative aux violences populaires parfois impitoyables.

Dans le cas de Cité Soleil – pour ne pas dire d´Haïti tout entière – la violence est souvent utilisée dans les quartiers populaires par une main politique et commerciale invisible afin de livrer les couches sociales appauvries à un état de dépendance économique et de mendicité sociale, à la délinquance généralisée, à la criminalité, à l´insalubrité, à l´impropreté, au banditisme. La violence en Haïti en creusant les fossés d´inégalités sociales, en augmentant la misère et la pauvreté des masses est un bien marchand: plus on est violent plus on gagne de l´argent et du respect. La violence est une arme puissante entre les mains des classes économiques puissantes qu´elles utilisent non seulement pour défendre et sauvegarder leurs intérêts, mais encore pour inculquer aux jeunes des quartiers pauvres qu´elle est leur principal moyen de réussite. Ainsi, l´état misérable actuel de Cité Soleil est la traduction directe, complète et criante des violences dont elle est l´objet, celles-ci en sont à la fois cause et conséquence.

Or, la violence est un tout complexe. Une spirale. Elle est transcendentale. Si les classes possédantes l´utilisent pour protéger leurs intérêts contre les idées subversives des masses populaires, celles-ci, à leur tour, l´emploient pour essayer de sortir des situations d´oppression en tentant de freiner la cupidité de celles-là. Dans les deux cas le mal est infini. Chaque classe sociale fait usage de la violence à sa propre manière et pour son propre compte. Donc, elle n´est pas propre à une classe sociale déterminée. Dans un sens comme dans un autre, elle traduit une réponse proportionnelle aux actes dont le groupe social s´estime victime. La violence, en fin de compte, devrait être la plus des embarrassantes options qu´un mouvement ou un groupe social jugerait nécessaire d´utiliser pour lutter. Elle peut se targuer d´être un moyen, mais jamais une fin.

4.2.Les violences sociales à Cité Soleil: des violences urbaines semblables à certaines autres espèces
Si certains mouvements populaires malgré leur dimension violente portent en eux l´essence logique d´une révolution et d´une revendication sociale, se reposent sur le verbe, de la même manière dont furent les mouvements sociaux de 1946, 1986 et 2004 pour déraciner trois types de régime dictatorial (DALVIUS, 2008);, les soulèvements de mai 1968 en France (TOURAINE, 1968), le conflit entre Juifs et Noirs de New York à Océan Hill-Brownsville, quartiers de Brooklyn aux États Unis en 1960 (BODY-GENDROT, 1993, p. 51-53), d´autres par contre peuvent revêtir un caractère anomique, nihiliste et pervers dans la mesure où ils ne renvoient à aucune revendication (sociale, politique ou économique) juste et valable à laquelle se joindraient l´opinion publique et la société civile en s´inscrivant dans le temps (sur le plan historique) et dans l´espace (sur le plan social et culturel). Les révoltes populaires d´automne 2005 en France –auxquelles un ouvrage collectif écrit sous la direction de Jean-François Mattéi et Raphael Draï (2006) a consacré quelques réflexions – et les rivalités conflictuelles aveugles à Cité Soleil entre 2004 et 2006 accusent ce nihilisme et cet anomisme.

Ce dont traite cet ouvrage collectif c´est le caractère inutil, aveugle, anomique et nihiliste des violences populaires survenues en cotobre 2005 dans des banlieues françaises. Elles n´avaient rien de constructif, de revendicatif et de révolutionnaire, mais étaient tout simplement animées par un désir fou de tout détruire en s´attaquant même aux symboles socio-culturels tels que l´école, la bibliothèque, les églises (op. cit. p. 17-23). À cette même époque, Cité Soleil était entrain de vivre une situation de tension pareille: entre 2005 et 2006 des affrontements armés entre les forces policières nationales et la Minustah contre les bandes armées ont fait des centaines de morts sans compter les dégats matériels catastrophiques et les exodes massives urbano-internes.

N´ayant désigné aucun porte-parole ou leader influent pour les représenter et avec lequel les autorités politiques et le gouvernement pouvaient dialoguer et discuter, tout ce qui caractérisait les deux événements était l´inutilité, l´hybridité et l´aveuglement de la violence. Ce furent des entraves violentes. Chacune des catégories de mouvementistes était uniquement traversé par son propre désir obsessionnel: les jeunes de Cité Soleil ont commis des actes de vandalisme, de banditisme et de haute déliquance uniquement pour réclamer le retour de leur leader charismatique, Jean-Bertrand Aritisde, exilé en Afrique du sud depuis février 2004, ceux de la France réclamaient tout simplement le départ de Sarkozy, ministre de l´intérieur à l´époque dont le langage politiquement incorrect a été l´élément enclencheur de ces révoltes.

Les émeutes populaires françaises aussi bien que les violences collectives à Cité Soleil étaient orchestrées par des jeunes civils qui, au lieu de se retrouver à l´école ou au milieu de leur famille entrain de dormir ou d´étudier, se livraient de préférence à des actes de nature délinquante, criminelle et banditiste tels que l´incendie des batiments publics et privés, le pillage des magasins, callasserie des voitures etc. Ces jeunes français et haïtiens s´en prenaient à la vie et aux biens publics et privés d´honnêtes et paisibles citoyens pour la plupart des classes moyennes. Si les jeunes français ripostaient par des jets de pierres aux forces de l´ordre, ceux de Cité Soleil avaient des armes à feu pour sémer la pagaille dans la commune et toute la capitale.

Sophie Body-Gendrot nous présente une autre facette des violences urbaines dans les banlieues new yorkaises semblables à celles qu´ont vécues les jeunes de Cité Soleil, seules les raisons distinguent les deux mouvements. Si en effet à New York c´est la race et la couleur de la peau qui servaient de prétexte aux luttes armées, à Cité Soleil c´est le controle de la zone et le jeu politique qui poussaient les bandes armées à se battre en 2005. Si ces mouvements se ressemblent en terme de nature, sous d´autres aspects ils se différencient nettement. En terme de durée, les violences populaires de France de 2005 n´ont duré qu´une quinzaine de jours et celles des Noirs et Juifs de New York quelques semaines, alors que celles survenues à Cité Soleil entrecoupées par des calmes apparents s´étendent jusqu´à la fin de l´année 2015. Mais, la différence fondamentale entre ces différents mouvements et ce qui se passait à Cité Soleil c´est que dans ce grand bidonville il s´agissait d´un phénomène de conflits armés continus et répétitifs. Une espèce de guérilla urbaine.

Haïti n´est pas en état de guerre civile ni en situation postconflits. Mais plus de dix ans après la dernière intervention militaire sanctionnée par l´ONU, la violence armée est de nouveau très répandue dans le pays, qui reçoit une aide étrangère massive. Confronté à ce qu´il faut bien appeler un état de guérilla urbaine, Haïti est un état déstructuré par excellence (MUGGAH, 2005, p. 1).

En résumé, pour Marx et Engles comme pour Fanon, ce qui engendre la violence ce sont les conditions économiques et matérielles de vie marquées par l´exploitation et la domination dont souffre l´exploité et que ce dernier se détermine à améliorer. Il faut comprendre que celui ou celle qui devient violent est un être humilié, maltraité, exploité, broyé, frustré et rejeté, mais surtout un assoiffé de justice et de liberté pour Fanon, un infatigable lutteur pour l´amélioration de sa vie sociale et économique et pour l´abolition des classes sociales pour Marx et Engels. Or, lorsque cette violence dépasse les bornes, maintient le révolté dans un état hors de lui-même en le transformant en une machine à tuer, alors là elle atteint son niveau paroxiste le plus terrifiant. C´est ce qui s´est produit avec le macoutisme suivi immédiatement du banditisme à Cité Soleil.

5.      Le macoutisme et le banditisme: deux frères siamois à l´origine des violences sociales à Cité Soleil

On peut se demander entre le macoutisme et le banditisme, lequel a causé plus de torts au pays en général et à Cité Soleil en particulier? Or, c´est comme choisir entre Lucifer et Satan qui, dans la mythologie chrétienne, désignent le même être dans la mesure où il faut comprendre que le changement de fonction et de statut compatit à un changement de nom. Ce qui veut dire qu´entre le macoutisme et le banditisme, il y a tout simplement un changement de nom qu´a exige un contexte socio-historique particulier, sinon les deux ont, au même dégré, causé d´énormes méfaits à Cité Soleil et demeurent son pir cauchemard. En effet, après avoir été violemment terrorisée par le macoutisme duvaliérien de 1957 à 1986, c´est au tour des banditisme socialement constitué de la faire connaître un calvaire. Dans ce qui suit, nous allons essayer de montrer que le second est la continuité du premier sinon son héritier. Car, en prenant le temps de bien observer Cité Soleil – symbole d´impitoyabilité, d´inhumanité et d´impunité – elle est le produit manifeste des oeuvres sanguinaires continuelles des Tontons macoutes qui, par leur agissement, ont créé des frustrés et des révoltés de diverses catégories et à plusieurs niveaux dont sont issus les bandits armés eux-mêmes. Disons d´une autre manière, la terreur du macoutisme a fait place au banditisme et même au banditisme institutionnalisé.
Les Tontons macoutes, nous dit Bernard Diederich dans son récit journalistique sur le régime de François Duvalier, ont été précédés par les cagoulards, sorte de groupes de personnes portant des cagoules, opérant surtout la nuit et chargées d´exécuter les basses bésognes de son créateur en l´occurrence M. Duvalier (DIEDERICH, 1969, p. 105).

Il fut un temps, c´étaient les Tontons macoutes, les Attachés et le Fraph qui sémaient le deuil, le désaroi, la tristesse et la désolation au milieu des familles tant dans tout le pays qu´à Cité Soleil. Cette tâche s´est poursuivie, au cours des 15 dernières années, par des mercenaires qui se sont illégalement et illicitement armés. Nous employons le thème banditisme pour désigner ce que le dictionnaire Larousse appelle la crimnalité organisée d´un groupement ou un ensemble d´abus d´un groupe social contraires à l´éthique de la société à laquelle il appartient (LAROUSSE, 2017). À ce titre, on ne voit pas comment les macoutes, les Attachés et le Fraph peuvent échapper au nom de bandits. De sa part, l´expression macoutisme s´emploie comme comportement et mode de pensée issus des séquelles dictatoriales de 29 ans.

La dictature des Duvaliers demeure, sans nul doute, la période la plus durable si ce n´est également la plus méconnue de l´histoire contemporaine d´Haïti (CHARLES, 1994). Cette déficience historique s´explique par le problème d´archives qui sont pas disponibles et, quand ils le sont, ils sont éparses: la destruction des archives est une pratique très courante dans les régimes dictatoriaux (DIEDERICH, 2005). Le macoutisme est en outre cette manière de penser, d´agir, de sentir et de se comporter contraire à la vie en société. C´est cette façon de s´affirmer autoritaire, intolérant, réactionnaire, agressif et violent physiquement et verbalement. Malheureusement, il  a survécu au duvaliérisme, cette sorte de dirigisme politique impitoyable. Entre le macoutisme et banditisme il y a des liens de continuité à faire ressortir.

Même si le second découle en quelque sorte du premier, nous y entrevoyons par leur mode d´agissement, leur technique d´opération et de fonctionnement aussi bien que par les effets dévastateurs dont ils sont la cause, une continuité de la criminalité et de l´insécurité sous toutes ses formes. Le macoutisme n´était pas exclusivement limité à la capitale haïtienne, le milieu rural en souffrait encore plus (PÉAN, 2007, p. 326-329). Le banditisme criminel à la cité soléenne est peut-être une exception selon sa forme ou sa nature, toutefois, il n´est pas propre à Cité Soleil, toute la capitale et même les milieux ruraux les plus réculés en souffrent. Le macoutisme va au-delà de la présence physique du macoute en uniforme, il est d´ordre psychologoique et mental.

Le macoutisme est cette sorte de mentalité radicale et extrêmiste – encore présente dans la société haïtienne –, qui, ayant une phobie pour la pluralité des idées et la contradiction; étant allergique à la dialectique, au verbe, au dialogue et à la critique, se rapproche très vraisemblablement du banditisme qui, dit-on, est organisé par des hors la loi. Or, les comportements et les agissements des Tontons macoutes n´ont rien à envier à ceux des bandits. Tontons macoutes et bandits symbolisent quoi au juste? Trois mots: peur, terreur et torture tant du point de vue physique que moral. Peut-être ne trouve-t-on pas forcément la torture physique dans le banditisme qui est moins systémique que le macoutisme, mais, étant deux phénomènes sociaux qui se rapprochent, il est clair que tant le macoutisme que le banditisme, les deux ont un système d´opération très identique, celui de la négation des valeurs humaines.

Le macoutisme c´est aussi le dérèglement comportemental, l´irrespect à la vie humaine et au bien des personnes. Au même titre que les macoutes les bandits sèment le désaroi, piétinent les cultures humaines, crachent sur les symboles et s´en foutent éperdument de la démocratie et des libertés d´autrui. Ils survivent en éliminant les autres. Les deux caractérisent la ténèbre, la cruauté, l´impitoyabilité, la criminalité et la méchanceté. Le macoute un bandit légal et le bandit un macoute illégal. Outre qu´ils traduisent le désordre social et le sentiment d´insécurité, le macoutisme et le bandistime intriguent par des enlèvements, disparitions forcées, exécutions sommaires, et, pour répertorier tout opposant ou aspirant opposant, ils emploient la méthode d´espionage des uns contre des autres[10]. Le macoutisme et le banditisme c´est le tripotage, la surveillance mutuelle et la suspicion. D´où l´établissement d´un système de méfiance les uns vis-à-vis des autres et la disparition des moindres civilités chez les Haïtiens dont l´une d´entre elles relatée par Diederich est le Onè respè (DIEDERICH, 2014, p. 12-14).

Or, il est un véritable héros, à l´instar de ce que soutient Bob Nérée (1988), cet haïtien – simple citoyen ou personnalité influente – qui, au cours des trente dernières années, arrive à se maîtriser, à se controler, à se contenir afin de ne pas reproduire les mêmes comportements déréglés et délinquants des macoutes dans ses rapports avec les autres ou avec le pouvoir. Celui qui se garde par des efforts intellectuels, la culture, l´échange culturel et l´éducation de rester chaste à la mentalité macoutique mérite d´être décoré au plus haut degré non seulement à cause de la durabilité du système dont elle est née, mais surtout à cause de ses dégats psychologiques considérables dans la manière de penser, d´agir et de sentir des Haïtiens. Si un certain nombre d´Haïtiens a du mal à se contenir dans les débats publics contradictoires au point de devenir violent et agressif, le macoutisme est en grande partie responsable.

Alors, on peut dire que le chef-créateur de cette milice, en l´occurrence François Duvalier, a atteint son objectif, car, à ce qu´il paraît, il s´agissait pour celui-ci non seulement d´avoir le controle absolu du pouvoir en dehors de l´armée – acteur par excellence des coups d´états dont il se méfiait –, mais surtout de créer un système de méfiance et d´ingratitude dans les esprits de chaque Haïtien. Se méfiant de l´armée controlée par la bourgeoisie rapine, traditionnelle et corrompue, il mijotait le plan de repandre cette mentalité de méfiance à l´échelle macrosociale. Formés pour la plupart de paysans pauvres, d´analphabètes et de chomeurs, les macoutes étaient sous-payés pour ne pas dire mal payés, car, en réalité, ils ne recevaient aucun salaire. Leur principale source de survie était le racket, le vol, l´assassinat pour de piteuses sommes et le pillage. Les bandits présentent presque les mêmes caractéristiques: analphabètes, inclutes et chomeurs, ils se livrent à des activités criminelles comme vols, braquages et kidnappings afin de survivre.

Au temps des Duvalier, les Tontons macoutes seuls faisaient régner leur propre loi à eux seuls là où ils demeuraient, les bandits en font autant partout ils passent. Le macoutisme c´est le vol, le rançonnement, le viol des fillettes, le tremblement, l´effroi, les assassinats, les exécutions sommaires la nuit et en plein jour, les arrestations sans mandat à n´importe quelle heure, les maltraitrances, les sévisses corporelles. Les bandits reproduisent les mêmes exactions et en font même pir à Cité Soleil. Il arrive qu´après les affrontements ils enterrent eux-mêmes leurs cadavres et emportent comme des tromphées de guerre ceux de leurs ennemis avant de les faire disparaître à jamais.

Les bandits n'aident pas. Ils emportent les cadavres de leurs victimes comme des trophées de guerre. A Bois-Neuf, les cadavres de deux femmes enceintes, tuées vendredi matin, ne sont toujours pas retrouvés” (LE NOUVELLISTE, 2015a). Si l´on considère le sujet macoute en tant que tel, on peut considérer que ce dernier s´erre dans la nature[11], alors que le sujet bandit venant à peine de le remplacer se fond au milieu des communautés. Mais, le macoutisme et le banditisme en tant que comportement déréglé, mentalité sans idée ni idéologie et façon de penser sans pensée sont loin de disparaître dans la société haïtienne. Ce sont deux faits sociaux qui s´harmonisent, se parlent, s´interagissent. Or, si le premier se fait de plus en plus apparent, effaçant et pâle, le second s´impose et ne cesse d´endeuiller les familles. Donc, sous l´angle de la violence sociale macoutisme et banditisme sont intimement liés.

Certains jeunes des générations antérieures ont eu la mauvaise chance d´en faire l´expérience, soit en tant qu´acteurs, coupabes ou victimes, de vivre les violences politiques du système macoutiste. D´autres en ne faisant que le reproduire se félicitent implicitement d´en avoir été le produit, sans oublier ceux qui, malgré tout, ont, d´une manière ou d´une autre, essayé de le combattre au péril de leur vie. Les violences armées à Cité Soleil, à la fois cause et conséquence des conditions infrahumaines dans les quartiers pauvres d´une puanteur insupportable, proviennent surtout de la volonté de ces jeunes à la fois coupables et victimes, d´extérioriser l´esprit macoutique. Leurs actions non seulement témoignent de l´influence subie par les Tontons macoutes, mais encore traduisent leur volonté de reproduire les actes délirants de ces derniers. Donc, consciemment ou inconsciemment ils font d´eux leur modèle social.

Or, le processus de paix qui a débuté à Cité Soleil en janvier 2016 n´enlève rien à cette présence macoutico-banditiste au sein de la communauté soléenne. Au contraire, bandits-macoutes ou macoutes-bandits se croisent et se cotoient à longueur de journée: ils sont loin d´y disparaître. Cette paix, de l´avis de certaines personnes, serait un masque pour cacher les petits crimes et tous les types de malversations qui se continuent sous un couvert silencieux dans la cité balnéaire. Donc, il y a des difficultés à croire dans la sincérité et la fiabilité de cette paix. Pourquoi? Pour comprendre ce problème, nous allons essayer d´aborder l´origine de la paix de 2016 qui, même si elle acquiert quelques éléments de ressemblance aux autres tentatives de paix qui ml´ont précédée, s´en distingue par la nouvelle dynamique qu´elle met en place, à savoir, les Fondations interquartiers. À cet effet, nous nous accentuerons sur deux éléments: les différentes versions obtenues et l´expérience du passé.

6.      Qu´est-ce qui serait à l´origine du climat de paix à Cité Soleil à partir de 2016?

Les derniers épisodes de violences armées survenus à Cité Soleil remontent à octobre 2015 lorsque des troupes armées de Bois Neuf et de Projet Drouillard se sont attaquées réciproquement à coups de fusils, de machettes, de pierres et de couteaux. Ces affrontements armés ont causé la mort des dizaines de personnes, provoqué l´incendie d´une vingtaine de maisons dans les deux camps et l´exode urbaine d´un certain nombre de personnes vers la plaine du Cul-de-sac et d´autres zones avoisinantes pour y trouver refuge. La journée du 16 octobre 2015, de l´avis de Le Nouvelliste (2015) (un journal de la place) et le RNDDH (2015) (organisme de droits humains), se compare à une des plus sanglantes dans le phénomène des conflits armés à Cité Soleil.

C´est la population civile qui, prise entre la folie criminelle des bandits armés et les interventions violentes et brutales des forces de l´ordre, en paie principalement les conséquences. Les violences civiles et policières font le plus souvent de victimes inoncentes. Il paraît donc que c´est suite à ces derniers actes de violences que la conscience collective s´est finalement révoltée par la voix de plusieurs organisations sociales et politiques, des citoyens pères et mères de familles indignés pour dire halte! aux pertes des vies humaines. Ils  ont décidé de mener des marches pacifiques antiviolence et appelé au secours des autorités gouvernementales afin que ces folies instinctives et ces soifs maladives de tuer entre les sujets armés prennent fin dans la cité et que la paix, la tranquilité et la sécurité y reviennent. C´est ainsi que depuis 2016 les conflits armés entre les groupes rivaux se sont arrêtés à Cité Soleil. Il y a des lustres que des marches pacifiques, programmes socio-culturels, festivals musicals et autres contre la violence se tiennent à Cité Soleil, pourtant, quand le calme survient par la fenêtre, la reprise des guerres fratricides le chasse par la grande porte.

Dans les enquêtes sociologiques que nous avons menées sur l´origine de cette paix suite de l´arrêt des conflits armés entre les différentes bandes rivales, au moins quatre versions nous ont été fournies. Nous pouvons qualifier la première d´officiel vue sa dimension institutionnelle et par le fait qu´elle provient d´un personnage agissant en sa qualité d´autorité publique; la seconde de socio-groupale parce qu´elle s´accentue sur les opinions des représentants des groupes armés eux-mêmes transformés aujourd´hui en fondations. Si  la troisième est de nature socio-organisationnelle, c´est-à-dire la version soutenue par certaines organisations de base interviewées, la quatrième enfin est d´ordre socio-communautaire vu qu´elle se base sur les avis des membres de la communauté étant donné qu´à première vue ils seraient les principaux bénéficiaires de cette paix. Nous n´allons pas les détailler tous même si cela paraîtrait intéressant, nous allons de préférence analyser la logique sociale derrière laquelle se cache cette paix.

6.1.Version officielle-institutionnelle
La version institutionnelle en provenance de la Mairie de Cité Soleil nous a été fournie par le chef du cabinet de ladite institution répondant au nom de Past. Jean Enock Joseph. Cette voix officielle a mis l´accent sur un travail colossal de longue durée caractérisé par des manifestations populaires, des mobilisations, des sensibilisation et des journées de formation de longue haleine tenues depuis longtemps par les membres de la communauté et de la société civile à Cité Soleil, les chefs de fil des groupes armés, les autorités policiaires et judiciaires, les organisations sociales, les groupements politiques. Ce dernier a également mis l´accent sur la détermination du nouveau conseil municipal qui, lors des campagnes, avait toujours prôné un retour à la paix et les groupes armés, vers qui il s´était rendu, ont, à ce qu´il paraît, entendu leur appel à l´union et à l´unité. C´est ce qui a permis de parvenir aujourd´hui à ce résultat qu´il qualifie de nouveau départ pour la cité (information verbale)[12].

Ceci n´a pas été tâche facile puisque les groupes armés étaient toujours en position de force et le principal acteur dès fois inflexible avec lequel il faut absoluement parler ou négocier. En effet, selon pasteur Jean Enock Jospeh, également leader religieux et communautaire, que nous avons rencontré, cette paix, même si elle est fragile est le fruit d´un long processus de 15 ans de lutte contre le banditisme et l´insécurité dans la commune de Cité Soleil où étaient impliquées toutes les couches sociales de la cité: acteurs sociaux, agents communautaires et sanitaires, notables, religieux, leaders politiques, artistes, policiers, agents de la justice, la collectivité et j´en passe.

6.2.Version socio-groupale: les représentants d´anciens membres[13] de groupes armés

Ce qu´une seconde version – soutenue par d´anciens membres de bandes armées –  contredit en insistant avec véhemence et force sur le fait que cette paix – différente de toutes celles qui l´ont précédée – est le produit des bases elles-mêmes par une entente volontaire sans contrainte ni l´argent ni bain de sang trouvée entre les différents chefs de fil afin que la cité devienne un endroit agréable pour vivre. Un jeune identifié au #22 parmi nos interviewés du questionnaire 1, agé de 35 ans, ancien membre de groupes armés qui aujourd´hui occupe le poste de président d´une fondation dénommée Fondation Gabriel, que nous avons rencontré dans le cadre de cette enquête soutient que: “il s´agit d´une entente entre les différents groupes belligérants” (information verbale)[14]. Pendant que la Mairie, la Police et le secteur politique sont entrain de s´enorgueillir de ce que la paix retourne à Cité Soleil, les sujets armés s´en moquent puisque ce sont eux les héros de celle-ci. Deux autres jeunes d´une fondation appelée Sabathem située à Boston, banlieue est de Cité Soleil, allant dans le même sens, affirment que cette paix est à l´origine de la conscientisation des bandes armées.

6.3.Version socio-organisationnelle: les organisations sociales de base

Entre 27 et 29 mars 2017, nous avons rencontré un ensemble d´organisations sociales de base à l´hopital Sainte Cathérine. Ces rencontres s´articulaient autour de la problématique de la paix. Prenant la parole les uns après les autres, les représentants de chacune des organisations sociales présentes ont émis des opinions qui laissaient entrevoir que cette paix a été possible surtout grâce au travail de militance des organisations sociales et politiques de base de Cité Soleil dont le Collectif des Notables de Cité Soleil et le mouvement populaire appelé MOPSIS (Mouvman Pèp Site Solèy) qui, pendant plus de quinze ans, se sont affirmé par un militantisme infatigable pour que la paix soit rétablie dans la cité. Leur lutte s´est fait accompagner de campagnes de proximité et d´appels à la nonviolence lancés aux bandes armées sur des pancardes. Ainsi, s´il y a cette paix aujourd´hui c´est la preuve que ces dernières, par autoconscience ou autorevirement, ont répondu favorablement à ces appels. Cette version contraste toutefois avec la première.

Dans un sens comme dans un autre le contexte électoral dans lequel s´inscrivaient les mobilisations pour la paix a joué un rôle déterminant dans ce processus. Et, si les trois premières versions n´ont attribué aucun rôle à la police, à la justice et à la Minustah dans ce processus de paix, c´est que quelque part celui-ci pose un problème de juridicité, de justice sociale et du respect des droits de l´homme compte tenu des crimes commis. Or, ce serait mentir de dire qu´elles y ont pris part, car comment expliquer cette participation sans qu´il n´y ait eu un désarmement formel de ces bandes armées à Cité Soleil?  Comment expliquer que les bandes armées n´ont-elles pas été démobilisées? Ceci rentre dans le cadre de cette culture de kase fèy kouvri sa[15].
6.4.Version socio-communautaire: les membres de la communauté

Enfin, la toute dernière version, qui est celle de la plupart des habitants de Cité Soleil interrogés à ce sujet, prend en compte leurs opinions. Ils soutiennent que comme à la coutumée les groupes armés auraient reçu de l´argent pour cesser tout conflit entre eux. Chaque groupe armé influent communément appelé "tête de pont" dont la majorité a soutenu la canditature de l´actuel député du parti Renmen Ayiti dans les élections législatives de 2015, aurait reçu chacun son enveloppe. Le partage a, semble-t-il, été équitable entre les bandes armées voilà ce qui explique aucun signe de mécontentement parmi elles. De ce fait, la paix à Cité Soleil devient un moyen pour les groupes armés de gagner de l´argent autrement.  Dans le cadre du questionnaire 1 titré Situation des conflits armés à Cité Soleil dont l´objectif était de comprendre comment les habitants de Cité Soleil ont vécu et appréhendé les situations de hauts conflits armés, 50 % de nos 24 interviewés ne croient pas à cette paix.

Un chef d´organisation qui requiert l´anonymat[16] afin de protéger son identité et sa vie privée nous a fait comprendre que ‟c´est une paix apparente construite sur une base d´intérêts. Je n´y crois pas parce que les intérêts ne sont pas collectifsˮ. Trois de nos enquêtés (les números 9, 13 et 24) du même questionnaire vont dans le sens identique et croient que cette paix, qui ne durera pas a été conditionnée par une distribution d´argent aux plus influentes bandes armées par le gouvernement Martelly, le secteur politique et celui des affaires liés au pouvoir. Sur ce, nous pouvons nous poser les questions: Quelle somme chaque groupe armé aurait-il reçu? D´où proviendrait cet argent? Qui dans le gouvernement Martelly ou le secteur politique ou celui des affaires partisans du pouvoir aurait été chargé de cette négociation et distribution? Poser de telles questions c´est comme chercher midi à quatorze heure ou encore chercher la pierre jetée à la mer.

Par ailleurs, une autre enquête a, semble-t-il, donné raison à ceux et celles qui croient que cette paix est le fruit exclusif de la volonté des bandes armées sans laquelle elle n´aurait jamais été possible. En effet, dans le cadre d´un questionnaire 3 titré Gestion politique des conflits armés poursuivant l´objectif de recueillir les opinions des habitants de Cité Soleil sur la « gestion politique » par l´état central des violences armées à Cité Soleil, 40 personnes ont accepté de répondre à nos questions fermées. Le résultat obtenu était impressionant, car, en répondant à la question suivante: Vrai ou faux : Cette paix n´est pas le fruit de la bonne gestion politique des conflits armés, mais l´entente personnelle et volontaire trouvée entre les différents groupes armés?, 31 répondants représentant un pourcentage de 77,5 % ont choisi vrai.
Suivant tout ce qui vient d´être dit, aucun doute n´est encore dissipé sur la sincérité et la vraie origine de cette paix, car, est-ce possible compte tenu de ce lourd passé que des groupes armés choisissent tout naturellement de faire taire leurs armes? Ainsi donc, il y a lieu de croire que, tout en conservant son caractère fragile, éphémère et conditionnel, cette paix pourrait être le fruit d´une négociation secrète entre les acteurs politiques, les ONGs, le secteur des affaires et les groupes armés, qui sont les principales entités ayant de grands intérêts dans les conflits aussi bien que dans la paix. En outre, certains signes présagent que ce sont ces derniers qui ont eux-mêmes défini les conditions et les modalités de cette paix. Donc, elle cache beaucoup de choses, il faut pousser nos analyses un peu plus loin.

6.5.À la recherche d´une confirmation ou infirmation du rôle de la police, la justice et la Minustah dans le processus de la paix

Nos démarches auprès des autorités policiaires, et onusiennes judiciaires pour confirmer ou infirmer leur rôle dans le processus de paix étaient restées vaines. Pour pallier à cette déficience, nous avons dû nous recourir à quelques sources médiatiques en vue de trouver les actions de la police, de la Minustah ou de la justice qui auraient oeuvré dans le sens de la paix survenue dans la cité soit par les actions de traquer les bandits armés ou par la création de  programmes à caractère social, culturel, artistique ou éducatif à l´attention des groupes violents et de la communauté de ce vaste bidonville. En effet, mis à part les interventions musclées, brutales et violentes de la police dont celles d´octobre 2013 à 3 BB dans le but d´y démanteler des réseaux de bandits armés – laquelle opération s´est soldée par la mort d´un jeune homme de 26 ans et la saisie d´un revolver de calibre 38 (LE NOUVELLISTE, 2013a) – et d´octobre 2015 à Projet Drouillard et à Wharf Jérémie (RNDDH, 2015), les actions sociales de la PNH oeuvrant dans le sens de la paix à Cité Soleil sont si faibles que l´on ne peut compter que sur son rôle à sécuriser les manifestations, à accompagner les dignitaires  de l´État qui la visitent. La police communautaire reste un vain mot.

En ce qui concerne la Minustah, nous pouvons citer, à titre d´exemple, le  forum contre la violence que sa Section de la Réduction de la violence communautaire (RVC) a organisé le 29 octobre 2013 à Cité Soleil. Dans le cadre de ce même programme, des jeunes ont bénéficié des formations professionnelles dans l´un des centres renommés de la capitale, à savoir, le Centre Pilote de Formation Professionnelle (CPFP). La justice, elle, même dans son rôle de dire le mot du droit reste la grande absente si ce n´est que rarement elle trouve la possibilité d´aller faire les constats. Par ailleurs, dans une interview qu´un des juges au Tribunal de Paix de Cité Soleil nous a accordée, celui-ci confirme effectivement que la justice a été l´une des principales absentes de ce processus de paix si ce n´est qu´à titre informatif. Les programmes ou actions de la Minustah ont-ils contribué à cet arrêt brusque des conflits armés? Difficile de le dire, néanmoins, si nous nous basons sur les opinions de nos répondants des questionnaire 1 et 3, la Minustah conserve une vision très négative au sein de la communauté de Cité Soleil pas seulement à cause du choléra, mais surtout à cause de ses interventions violentes et brutales des années précédentes qui ont causé la mort de beaucoup de civils.

Parmi ces versions, laquelle paraît être la plus véridique en terme de matérialisation possible de cette paix? Dans un souci d´objectivité et de recherche de la vérité scientifique qui nous doit motiver nous devons nous référer à l´élément le plus central et le plus problématique de la question de la "fin" des violences armées à Cité Soleil, à savoir, la logique et le mécanisme capables d´expliquer cette paix tant en termes de création qu´en termes de durabilité. Ce qui s´est joué dans le contexte de cette paix, c´est que, d´un côté, les bandes armées sans désarmement et démantèlement par une  force légale, ont elles-mêmes décidé de ne plus utiliser leurs armes à des fins criminelles et destructrices, mais cette fois à des finalités humanistes, sociales, culturelles et développementales. De l´autre côté, sous le couvert de fondations, elles ont pris l´initiative de se neutraliser, de se pacifier, de s´effacer et de s´éclipser elles-mêmes en sortant du bourbon violent, en choisissant de donner une nouvelle orientation à leurs actions au sein de la communauté et en éliminant pratiquement l´influence des organisations sociales préexistantes. Ceci se fait bien sûr avec les armes à la main.

Or, si les doutes persistent autour de la crédibilité de cette paix, c´est bien à cause de cela. Les tentatives de paix précédentes n´ont guère duré, mais l´explication de leur échec doit normalement se trouver dans la nature des éléments qui lui ont donné naissance. De même, s´il y en a une qui, n´étant ni éphémère ni durable, a jusqu´à présent fait preuve de consolidation et de conservation, il y a lieu également de rechercher l´explication de cette tenacité dans la nature même des éléments qui cousent cette nouvelle paix. Mais, avant d´y parvenir il serait intéressant d´évaluer les raisons de l´échec des paix antérieures.

6.6.Pourquoi les tentatives de paix antérieures ont-elles toutes échoué?

La main politique invisible et manipulatrice de politiciens, hommes d´affaires et ONGs véreux est toujours à l´origine des fausses paix à Cité Soleil après que les conflits armés ont fini de faire des ravages. Le poids politique a toujours l´habitude de compromettre la paix à l´intérieur de Cité Soleil même quand elle se veut morale et volontaire de la part des sujets armés moyennant une autre alternative fiable, durable et confiante. Les groupes armés constatent tout simplement une paix fabriquée et importée de toute pièce qui leur vient du dehors à laquelle ils sont astreints. Les moyens les plus courants utilisés pour les y soumettre ce sont les menaces, les offres d´argent, les promesses d´embauchage, les aides sociales, les cartes de téléphones, les fiches de gaz ect. Cette main qui impose cette paix est à l´inverse la même qui alimente les conflits selon le contexte sociopolitique qui va dans le sens de ses intérêts. Voilà pourquoi, ces paix pharisianistes n´ont jamais fait long feu.

Ce qui signifie que l´une des raisons – il peut bien en avoir une multitude – qui puisse expliquer cette éphémérité de la paix à Cité Soleil c´est qu´elle a toujours été imposable, manipulable et controlable par les mêmes acteurs qui jouent le dieu et le diable; l´ange et le démon. C´est-à-dire le secteur politique, commercial, économique ou financier – très puissant sur le plan économique – qui a le controle des violences armées ainsi que les groupes qui les administrent tant à Cité Soleil qu´ailleurs se met à distance pour manipuler une fausse paix qu´il impose quand il le désire. Disons d´une autre manière, la paix à Cité Soleil était souvent truquée, conditionnée, forcée et intéressée.

L´investiture d´un conseil municipal contesté, la prise de fonction d´une équipe intérimaire, l´avant-pendant-après les élections, le départ forcé d´un leader populaire, l´arrivée d´une nouvelle vague d´ONGs, le traitement privilégié accordé à un groupe, la distribution inégalitaire des aides sociales, la prise de contact par un parti ou leader politique avec une base privilégiée, sont pour la plupart des facteurs capables de susciter des conflits armés autant qu´ils sont susceptibles de créer une paix que nous pouvons appeler paix marchande, car elle répond à la logique du marché économico-social des conflits armés où une multitude d´acteurs parmi lesquel les sujets armés, les acteurs politiques et économiques, les ONGs se concurrencent. Dans ce cas, la paix intervient pour masquer les effets des conflits sanglants, faire oublier ses dégats comme si rien ne s´était passé et cracher sur ses victimes. Cela voudrait-il dire que la paix trouvée en 2016 s´éloigne de ces facteurs ultraconditionnalistes, d´où sa persistance? Bien au contraire, celle-ci est, d´un point de vue structurel, la plus conditionnelle de toutes les autres, mais une conditionnalité d´un tout autre genre dans la mesure où, d´une part, les caractères fondamentaux dont elle revêt ne sont pas traditionnels, de nouveaux acteurs rentrent en jeu de l´autre.

7.      La logique de la conditionnalité de la paix de 2016 à Cité Soleil

L´atmosphère de paix dont jouissent actuellement les habitants de Cité Soleil aujourd´hui n´est pas le fruit du hasard. Et, même si elle s´inscrit dans un processus, elle n´est pas non plus le résultat du long processus tel que le soutiennent certains commentaires, mais elle obéit à une logique sociale de négociation donnant-donnant et à des raison sociales et politiques inédites dans l´histoire des conflits armés dans le plus grand bidonville de Port-au-Prince. Dans cette partie, nous allons mettre l´accent sur quatre grands éléments conditionnels qui caractérisent cette paix, et qui peuvent aussi paradoxalement la rendre permanente ou éphémère.

7.1.Les élections: une conditionnalité politique de la paix

En tout premier lieu, cette paix est strictement liée, mariée et imbriqueée au mandat de l´actuel député et du conseil municipal qui, semble-t-il, ont obtenu l´aval de la plus forte majorité des bandes armées des zones conflictuelles à l´exception de celles se trouvant à Bélécou, un quartier situé au sud-est de Cité Soleil. Ce qui leur a garanti une sorte de légitimité populaire en plus de la légitimité constitutionnelle. C´était l´une des conditions que les groupes armés les plus influents à Cité Soleil avaient posé pour que la paix y soit rétablie: les élections d´un député et d´un conseil municipal qui traduiront effectivement le choix de la majorité populaire.

La situation de Cité Soleil faisait pleuvoir dans les campagnes électorales une panoplie de discours en faveur de la paix. Mais, il paraît que seuls ceux de Lemaire Pierre et de Jean Hislain Frédéric respectivement député et maire principal de la commune aient été porteurs d´un espoir et inspiraient plus de confiance chez les bandes armées. Pourquoi? Premièrement, il est bruit que le plus influent chef de groupes armés actuellement à Cité Soleil - très appuyé par le pouvoir de l´avis de certains - est un membre de la famille élargie de ce député. En second lieu, le maire principal a des antécédents d´un homme pacifique, modéré et conciliant, d´où le fondement du crédit que lui accordent ces groupes armés. Enfin, en troisième lieu, le cartel dont il est issu a bénéficié du soutien d´un des hommes forts de Cité Soleil répondant au nom de Pasteur Jean Enock Joseph en plus du support des organisations importantes comme MOPSIS, CONOCS ect.

De l´avis de plusieurs, ces deux candidats s´étaient activement impliqués depuis longtemps, même avant leur éventuelle candidature, dans des luttes et manifestations contre les violences armées à Cité Soleil. À ce qu´il paraît, cela leur aurait valu un électorat gagné d´avance malgré les contestations. Leur vision de paix a eu en tout cas gain de cause sur celle prônée par les autres candidats concurrents. Ainsi, les différents blocs  et les divers groupes armés de Cité Soleil se sont, semble-t-il, alliés à la logique de paix dont le député et le nouveau conseil municipal se sont fait les principaux porte-paroles.

En outre, incarnant l´expoir, symbolisant l´action sensibilisatrice envers la paix tant rêvée et ayant pris des risques en même temps des avantages sur les autres candidats, ils ont bénéficié de l´alliance de plusieurs autres candidats et des bases. Donc deux hypothèses. D´un côté, strictement liée à la fonction politique de ces élus cette paix se maintiendra tant qu´aura duré le mandat de ces derniers, car beaucoup de gens croient que cette paix est conditionnée par l´élection de ce député et de ce conseil municipal. De ce fait, s´ils ne veulent pas un retour au statu quo ante, ils doivent d´autre part travailler à maintenir les bandes rivales dans la pacificité non seulement durant leur mandat, mais surtout après la fin de leur mandat moyennant qu´ils satisfassent les besoins de celles-ci.

7.2.Le ralliement des bases armées

Le second élément qui fait suite à la première conditionnalité de cette paix est le ralliement de la majorité des bases armées – à l´exception de ceux de Bélécou[17] – autour de ces deux personnages qui, n´étant pas issus du parti Lavalas, ont bénéficié de la confiance de ces groupes armés, ce, même si la méfiance les guette toujours. Ce ralliement peut s´expliquer par le fait que les bases armées de la cité ne sont plus totalement lavalassiennes ou aristidiennes comme par le passé. Le mouvement lavalassien même s´il y reste encore influent perd de plus en plus de poils, il n´est plus dominant.

En assistant à l´effritement de leur allégeance à leur idole des années 90 et 2000, nous pouvons dire que Cité Soleil est devenue multi et pluripartidaire. Les élections de 2015 l´ont montré avec cette kyrielle de candidats issus d´autres partis politiques que Fanmi Lavalas comme, par exemple, Renmen Ayiti, Fusion, Randevou etc. Ces derniers ont pu mener leurs campagnes électorales sans incidents majeurs. Malgré cette tendance pluraliste, il est difficile de dire si les électeurs ont pu voter dans plusieurs sens ou si leur vote a été influencé comparativement à ce qui s´est passé en 2000 lorsque le parti Lavalas avait emporté presqu´à 100 % les élections municipales et législatives à Cité Soleil.

7.3.Le respect mutuel des bandes armées: condition sine qua non à la consolidation de la paix

Comme troisième élément conditionnel, qui ne peut ne pas attirer notre attention parce qu´il est fondamental, nous faisons appel au respect mutuel que chaque base armée s´impose strictement et se doit inévitablement l´une l´autre. Par ce principe, la frontière virtuelle se trouve une fois de plus renforcée mais cette fois-ci dans l´idée de protéger les petits groupes armés des abus des plus forts, de consolider la paix et de mieux canaliser les aides sociales qui rentrent à Cité Soleil. La nouvelle logique de l´organisation sociale des quartiers veut que la cité soit controlée par trois grandes bases établies dans les trois principales zones stratégiques de conflits armés, savoir, Boston, Bélécou et Soleil 17. À l´exception de Bélécou qui choisit d´évoluer dans une espèce de solitisme, chacune des deux principales bases a ses petites bases que nous pouvons appeler des cellules-satellites éparpillées à l´intérieur des différentes zones conflictuelles. Par exemple, Ti Haïti, Projet Drouillard, Cité Gérard etc. sont connectés avec la base de Soleil 17 tandis que Bois Neuf, Cité Lumière, 3 BB et autres le sont avec celle de Boston.

Le respect mutuel en matière de microterritorialité entre les différents quartiers s´entend comme l´un des principes sacramentels de la consolidation de la paix auquel chaque base doit se garder de ne pas dérroger. C´est-à-dire le Carrefour Boulevard des Américains n´étant plus la frontière virtuelle qui suscite cette haine sociale entre le haut et le bas, les frontières se trouvent carrement tracées à l´intérieur même de chaque quartier sur le plan matériel, humain, social et culturel. L´espace d´un quartier doit être inviolable par un autre. Par exemple, si une personne est accusée de quoique ce soit, désormais, on ne procède plus à sa mort subite, elle est questionnée d´abord sur son lieu de domicile, on la neutralise s´il le faut et l´affaire est déférée par devant la justice.

Il fut un temps, les bandits armés, se substituant à la justice, tranchaient eux-mêmes les différends entre deux ou plusieurs personnes[18]. De nos jours, ils ne s´occupent plus des affaires civiles et des conflits interpersonnels. En ma présence, lors d´une rencontre avec un des représentants de la fondation Gabriel, une femme couverte de sang, car battue par son mari, était venue se plaindre au président de ladite fondation avec qui je m´entretenais, afin qu´il aille faire quelque chose. La réponse de celui-ci a été sèche et directe: “nous ne sommes pas la justice, allez porter plainte au Tribunal de Paix”. Or, la question se traite tout autrement s´il s´agit d´un membre de leur sein.

En effet, un soldat appartenant à l´une ou l´autre base, accusé d´un acte répréhensible, n´est pas traité de la même manière qu´un simple citoyen, ce qui veut dire que l´affaire se règle différemment. Selon les explications obtenues, il arrive qu´après la localisation du lieu de résidence de celui-ci, son chef supérieur est informé de la situation qui sera traitée entre les bases à l´intérieur même du lieu du domicile de l´auteur. Les sanctions y relatives peuvent aller du simple blame à lson élimination physique tout dépend de la gravité de l´acte. De telles sanctions sont prises à l´intérieure de la base respective du soldat fautif: l´une des conditions sine qua non qui renforce le respect mutuel entre les bases et garantit en conséquence la consolidation de la paix. Ceci évitera non seulement les vengeances inutiles qui, par le passé, étaient l´une des principales causes d´éclatement des violences interquartiers, mais permettra surtout de responsabiliser chaque chef de base dont la principale tâche est de veiller sur le comportement de ses soldats, car le plus souvent ce sont les débordements, les abus, les dérapages et les excès de ces derniers qui enclenchent un conflit interminable.

Mis à part les contradictions, les oppositions, les divergences, les mécontentements, les murmures, les réticences, les méfiances, les indécisivités dans un camp comme dans un autre, les acteurs sociaux, politiques et économiques, les organisations sociales de base, les bandes armées s´entendent au moins sur un point commun: les violences armées doivent cesser à Cité Soleil par la consolidation et la conservation de cette paix. Les nouvelles structures fondationnelles constituent des forces-tampons qui s´impliquent dans les programmes de développement et les activités sociales et culturelles qui concernent la cité dont se chargerait la Mairie. En revanche, les bases s´entendent à ne plus s´attaquer les unes des autres, s´engagent à se respecter réciproquement, à s´investir dans le social, à se partager les informations et à oeuvrer à l´avancement de Cité Soleil.

Donc, pour éviter tout dérapage, non seulement il y a une interconextion à l´échelle macro entre les trois grandes bases qui controlent actuellement la cité, mais aussi au niveau micro, les petites cellules-satellites s´interconnectent entre elles et sont connectées avec la base jouant le rôle de supérieur hiérarchique immédiat. Ainsi, d´une part, à la tête de chacune de ces cellules-satellites sont placées des petits soldats chargés de rendre des comptes au chef de tutelle, de l´autre les trois grands pôles se dotent chacun de sa propre fondation, une nouvelle donne pour neutraliser et calmer les sujets armés qui demeurent toujours des éléments fragiles. Comment expliquer le phénomène des fondations dans le processus de la paix à Cité Soleil?

7.4.Les Fondations: nouvelles structures organisationnelles pour la paix ou un moyen de dissimuler les violences armées[19]?

La dernière condition qui nous semble être aussi fondamentale que la troisième pour protéger ce pacte implicite de paix, c´est le fait que désormais les groupes armés s´éclipsent derrière ce qu´ils appellent les fondations qui se partagent la canalisation des aides sociales, exercent une certaine influence sur les programmes de développement et avec lesquelles ONGs, partis politiques ou n´importe quel autre organisme national ou international et même la Mairie doivent traiter pour entreprendre quelque projet que ce soit à Cité Soleil, car, les groupes armés s´entendent, pour qu´il n´y ait plus entre eux des rivalités, que, dorénavant, c´est aux fondations (une grande nouveauté dans ce nouveau processus de paix) qu´il revient le droit, en tant que représentants autoproclamés de la société civile, de définir les priorités sociales, politiques et économiques, le lieu et l´exécution d´un projet qui concerne Cité Soleil. Ceci ne devant pas s´arrêter là, pour attirer les aides sociales des ONGs, les programmes sociaux alléchants du gouvernement et de la Mairie, doivent cesser les vols, les larçains, les viols, les kidnappings, les assassinats, les rançonnements, enfin, tout autre type de crime susceptible d´intimider ou de faire fuir les bailleurs de fonds et les investisseurs.

Les fondations – si on peut les appeler des « fondations populaires » – constituent une grande nouveauté dans le processus de la paix à Cité Soleil en 2016 après les dégats catastrophiques sur le plan humain et matériel que les conflits armés ont causés. Cela ne veut nullement dire qu´il n´en avait jamais existé, des fondations comme Tertulien ont existé bien avant celles qui portent des noms bizarres comme Fondation Gabriel (Soleil 17), Fondation Sabathem (Boston), Fondation Siloé (Bélécou), Fondation Alovi (Projet Drouillard). Ces dernières, en représentant quatre grands foyers de violences armées, répondent à un besoin d´ordre circonstanciel. Elles mettent en présence un tout autre genre de fondation différent du genre traditionnel qui sort de l´ordinaire et de toute formalité administrative et institutionnelle. Elles nous permettent de saisir une autre réalité sociale qui s´explique par la transformation, l´effacement ou l´éclipsage des groupes armés au profit d´elles comme nouvelles structures qui désormais jouent le rôle de canalisateur, d´orientateur et de distributeur des aides sociales et alimentaires.

Les fondations existent paralèllement aux groupes armés qui ne disparaîssent pas totalement. En font partie à la fois des sujets armés et des individus qui ne sont pas forcément armés jouant le rôle de ressources humaines, de penseurs et d´idéologues. Le chef de bande armée est d´office une sorte de PDG (Président Directeur Général) de la fondation, mais vu son statut fragile, il fait nommer un président fantoche qui est un civil par l´intermédiaire duquel il dirige la fondation indirectement ou discrètement. Les fondations sont une espèce de paravent des groupes armés qui continuent d´exister sans problème. Sur ce, la création de ces structures fondationnelles ne signifie aucunement ni le démantèlement ni la négation encore moins la fin des groupes armés.

Dans un premier temps, nées dans un contexte de guerres fratricides interquartiers, ces quatre fondations dont l´existence est postérieure à la paix, ont pour principal objectif de la consolider et de dissiper la peur que suscitent les groupes armés dans les esprits des habitants de Cité Soleil. En second lieu, leur rôle dans le processus de paix consiste en ce qu´elles changent la vision populaire des sujets armés qui s´autoproclament donc agents sociaux de développement qui n´ont plus le droit de circuler, de promener et de balader avec les armes à feu visiblement comme auparavant. Les fondations parlent un autre langage cette fois-ci audible et compréhensible autre que la violence, l´agressivité, la menace, elles deviennent un espace de dialogue, de discution et d´échange pour les sujets armés entre eux et pour ceux-ci avec les autorités politiques. Dans un autre sens, ces nouvelles structures socio-organisationnelles que sont les fondations viennent blanchir en toute impunité tout sujet armé et semblent faire tomber pratiquement toute poursuite policiaire ou judiciaire dans le temps ou dans l´espace contre un quelconque bandit, puisqu´avec elles la police et la justice auraient tendance à oublier les actes criminels passés.

À présent, nous comprenons tout simplement que les fondations ont concrétisé proprement ce que la CNDDR et le gouvernement haïtien n´ont pas réussi à faire, c´est-à-dire d´une part réintégrer les bandits armés dans la vie sociale et orienter leurs activités sociales en transformant leur statut, voir Cité Soleil se transformer en une structure capable de s´organiser elle-même, de l´autre. En fait, il s´agit pour les sujets armés plus d´une mutation sociale, d´un changement de statut que d´une réintégration sociale ou d´une transformation sociale à proprement parler. D´ailleurs, avec les fondations les sujets armés deviennent plus armés qu´ils ne l´étaient auparavant, mais ils se sentent plus en sécurité puisqu´ils ont désormais une couverture apparemment légale ou sociale; ensuite les violences armées se dissimulent donc les fondations traduisent l´invisibilité des conflits armés, enfin elles sont l´expression de la guerre silencieuse entre les bandes rivales et le pir cauchemar de certains habitants de la cité, car la pratique de certaine d´entre elles consiste à raffler une bonne partie des aides sociales.

Ainsi, à travers les fondations qui représentent une sorte d´éponges pour absorber les crimes des bandits armés, les groupes armés s´imposent de nouvelles formules et stratégies de luttes armées. Elles représentent une nouvelle forme sociologique d´organisation des groupes armés, ce qui leur permet dorénavant de se doter d´un instrument d´autocontrole et d´autosurveillance, c´est-à-dire les invasions clandestines et les attaques fortuites d´un quartier par un autre pour quelle que soit la raison sont révolues. Les fondations servent de structure d´autosanction aux bandes armées qui n´entendent pas livrer leurs sujets à la police encore moins à la justice: elles les jugent et les sanctionnent elles-mêmes. De cette façon, les sujets armés croient ne nuire plus ni à la population ni à la police ni à la justice ni au gouvernement, bien au contraire leur autoneutralisation arrange chacune de ces institutions qui se montraient incapables de les évincer. Mais, en dépit de toutes ces précautions, la paix survenue en janvier 2016 à Cité Soleil accuse une extrême fragilité.

8.      La fragilité de la paix de 2016

8.1.Une paix peureuse et inquiétante
Les craintes, les doutes, les incertitudes et les inquiétudes que suscite cette paix sont justes, justifiées et légitimes, car les armes se taisent mais les groupes armés n´en ont pas été dépossédés dans le cadre d´un éventuel programme de désarmement[20].  En effet, lors de nos enquêtes sociologiques au sein de la population soléenne, près de 90 % des personnes que nous avons cotoyées pour répondre à nos questions sur la confiance qu´elles auraient en cette paix et le sentiment de sécurité qu´elle leur apporte ont exprimé beaucoup de réserve et de préoccupation quant à la sincérité et à la crédibilitéde celle-ci issue d´ailleurs d´un ensemble de procédés jusque là ambigüs. Les habitants de la cité demeurent jusqu´à présent stupéfaits de cette paix, étrangers de sa nature, de son fondement, de son origine et de ses raisons. Justement sur l´origine de la paix, comme nous allons le voir, les opinions divergent.

Cette "paix" à laquelle nous assistons dans cette commune où elle fleurit depuis plus d´un an a des racines qui la rapprochent d´un deal. Car, si cela fait environ 18 mois depuis que les groupes armés cessent toute rivalité violente entre eux, tout vol à main armée, tout larçain, toute agression physique, tout rançonnement et veulent dorénavant se consacrer à des activités comme le nettoyage, l´assainissement, le sport, le camp d´été, la canalisation des aides sociales par le truchement des fondations, l´aide aux personnes agées, c´est que non seulement il faut interroger la sincérité et la fiabilité de cette paix, mais surtout ceci ne peut pas être le résultat d´une simple entente entre eux et les autres acteurs concernés. Les sujets armés ne sont pas dupes pour se laisser si facilement convaincre à faire la paix. C´est que cette paix dans laquelle tout n´a pas été dit, éclairci, élucidé, mis à nu regorge de nombreux éléments secrets qui peuvent surprendre dans un avenir pas trop lointain.

Compte tenu de l´échec des autres tentatives de paix dans le passé – il est difficile de les énumérer, toutefois les deux dernières étaient très courtes dont l´une date de 2006 et l´autre remonte à 2009 entre notamment Boston, Soleil 17, Projet Drouillard et Bois Neuf, ce après que les violences armées ont fait des centaines de victimes – il y a matière pour les habitants de Cité Soleil de s´inquiéter pour cette dernière qui, jusque là, s´avère être la plus durable et jeune à la fois. Or, à cause des jeux d´intérêts, d´hypocrisie, de tromperie, de trahison, d´inconsistance, d´incohérence qui ont caractérisé les paix antérieures, d´où leur éphémérité, nous sommes en droit de nous interroger d´une part sur les raisons de la durabilité de celle de 2016, d´autre part sur sa fragilité et sa conditionnalité. En effet, c´est dans sa propre durabilité qu´il faut chercher à comprendre la sincérité qui l´entoure, car la fin des violences armées à Cité Soleil n´est ni pour aujourd´hui ni pour demain et ne peut être non plus l´objet d´une paix peureuse, inquiétante et incertaine. La paix à Cité Soleil doit être intimement liée à un retour du sentiment de sécurité chez chaque soléen, une des conditions sine qua non de croire à sa fiabilité et à sa sincérité.

8.2.Une paix d´une multiple fragilité

La fragilité de cette paix est qu´elle ne repose sur aucun fondement politico-juridico-légal, qu´elle se greffe aux anciennes inégalités sociales et aux réalités microsociales lamentables préexistantes et qu´elle évolue dans une ambiance où tout le monde est gentillement armé. En effet, théoriquement présentes, mais institutionnellement dysfonctionnelles, la police et la justice – principales absentes du processus de la paix – n´ont pas le controle de ces fondations encore moins les groupes armés avec lesquels elles se confondent. Même si elles le prétendent, la réalité sociale sur le terrain montre le contraire de telle sorte qu´une fondation peut décider d´organiser une activité sans que la police ne soit mise au courant. Au niveau du Tribunal de Paix, les plaintes sont de plus en plus vaines, aucun procès ni condamnation n´en sont suivis. Cette paix est non seulement fragile sur le plan de relations sociales des membres de la communauté soléenne entre eux, mais crée surtout dans leurs esprits la méfiance, la peur et la crainte d´être dénoncé, donc c´est une paix peureuse.

Au cours de nos petites enquêtes, nous avons été à maintes reprises mis en garde contre les espionages des bandits armés qui sillonnent et controlent les quartiers où nous passions. Une sextagénaire nous a averti de savoir à qui parler et de ne pas nous fier à tout le monde, car cette paix n´apporte pas réellement la liberté de dire ce qu´on veut sur les bandits comme certains s´illusionnent à le penser, cela peut être fatal. Cela signifie que la paix cache les petits crimes qui se continuent sous d´autres formes, la disparition forcée par exemple ou forcer un individu à abandonner sa maison. À Projet Drouillard, un habitant a refusé de répondre à nos questions en voyant passer deux jeunes garçons qui, dit-on, appartiennent à la bande armée de cette localité. Selon lui, s´ils le surprennent entrain de nous parler, après notre départ, il sera rappelé par le chef de la zone pour fournir des explications sur ce dont lui et moi étions entrain de parler.

De plus, ces enquêtes nous ont permis de découvrir la principale préoccupation des bandes armées et des fondations: très désintéressés à nous parler, ils accordent une priorité à des organismes nationaux ou internationaux qui viennent pour réaliser un quelconque projet capable de leur permettre de soutirer de l´argent, car en plusieurs occasions nous avons été pris pour un agent de ceux-ci. Sur ce, la paix est fragile parce que les bandes armées, en se fondant dans les fondations – difficile de les séparer –, deviennent avides d´initiatives qui peuvent les faire gagner de l´argent vite. De plus, la fragilité de cette paix s´explique également par le fait que les deux, savoir, les fondations et les groupes armés, controlent les aides sociales rentrent dans la cité et en font une distribution complètement inéquitable et inégalitaire. Elles réclament toujours leur part et leur participation dans tout ce qui est entretenu actuellement à Cité Soleil. Enfin, elles sont sur le qui-vive et menacent quiconque oserait dénoncer leur attitude autoritaire. Cette paix ne peut être sincère car elle cache trop de grands intérêts, par conséquent, elle n´est autre qu´une farse pour tromper ceux qui peuvent l´être.

Les inégalités sociales, la misère, le chômage chronique, la faim sont autant de facteurs qui, n´étant pas du ressort des bandes armeés et des fondations ni du processus de la paix de résoudre, peuvent, malgré tout, la rendre très vulnérable parce qu´ils sont encore criants, visibles et palpables dans la commune. Une paix autoproclamée s´avère une initiative vachement louable, cependant, une paix sans un changement social radical des conditions qui avaient créé les guerres dont elle est sortie n´est rien d´autre qu´un calme apparent. À vrai dire, afin d´attirer plus d´aides sociales des ONGs, plus d´activités socioculturelles lucratives, plus de circulations des biens et services qui procurent des enveloppes alléchantes, la mission de cette paix est de maintenir la cité dans un état de pacificité et d´invisibilité des armes, mais pas de leur silence puisqu´elles se parlent maintenant d´une autre façon.

Cette paix est fragile en raison du fait que les armes des bandes armées se sont tues mais elles n´ont pas été remises aux autorités légales compétentes, donc, le silence des armes ne signifie pas les déposer; le silence des armes ne renvoie pas à la vraie paix; le silence des armes que se sont auto-imposé les bandes armées n´est qu´une méthode de s´autotranquiliser et de les faire parler d´une autre façon moyennant que ce soient elles qui symbolisent la société civile à Cité Soleil, la force collective par laquelle tout doit passer, que leurs fondations bidons – puisqu´elles n´ont aucune reconnaissance légale, à part la Mairie qui, de connivence avec elles, leur délivre des certificats de fonctionnement – soient l´espace de discussion, de négociation et de décision sur les grands chantiers de développement social qui engage la commune. Le silence des armes traduit la force tranquile et silencieuse des groupes armé et l´exercice d´un sentiment de sécurité insécutaire. Et, le fait que tout le monde reste "tranquilement-poliment-gentiment" armé dans son fief, même si on ne s´emmerde pas, on sent déjà toute la fragilité qui caractérise cette paix à travers cette situation.

Cette est paix est fragile parce qu´elle ne procure à proprement parler aucun sentiment de sécurité. Par sentiment de sécurité il faut entendre, de l´avis du sociologue français Sebastian Roché, un bien collectif par excellence, et l´État a constitué son pouvoir sur sa capacite à l´assurer. Le socle de sa légitimité est là (ROCHÉ, 2004, p. 228). Dans cette définition, l´auteur met l´accent sur l´État non pas seulement en tant qu´appareil repressif auquel Weber (1971) consacre l´usage légitime de la violence, mais surtout en tant que garant et protecteur par excellence de la circulation et de la mobilité sociale des citoyens où, quand et comment leur semble. Il n´y a pas d´autre institution qui assure ce rôle. Sur ce, l´on peut comprendre qu´en aucun cas cette paix ne peut enlever dans les esprits des habitants de Cité Soleil le risque de se faire dénoncer, la menace de se faire exécuter silencieusement sous le rideau de la paix, enfin, le sentiment d´insécurité qui les hantait dans le passé continue de les bouleverser.

Un autre élément de la fragilité de cette paix – qui mérite d´être appelée plutôt un apaisement ou un calme partiel – s´explique par le fait qu´elle est loin d´être le fruit d´une résolution technique, professionnelle, réelle et institutionnelle des conflits armés comme ceux qui ont pris en otage le plus vaste bidonville de Port-au-Prince. En Haïti, on n´est pas habitué à institutionnaliser les conflits qui, par la force des choses, naîssent, germent, fleurissent, s´affaiblissent ou meurrent de par eux-mêmes ou par le miracle de la nature, donc ils disparaissent tels qu´ils étaient nés. Les conflits dans ce pays qu´ils soient de nature sociale ou politique, personnelle ou individuelle, institutionnelle ou structurelle s´amplifient en même temps qu´ils périssent comme des fleurs sauvages. Or, même si les contextes sociaux et politiques sont différents, nous nous attendions tout au moins à quelque chose semblable à ce qui vient de se passer en Colombie.

En effet, il n´est pas sans savoir que les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) – devenues aujourd´hui la FARC (Force Alternative Révolutionnaire Commune) – , ont, après un démi siècle de conflits armés qui ont causé la mort à plus de 260.000 personnes, fait disparaître environ 60.000 autres et contraint 7 millions d´individus à se déplacer, décidé de signer un accord de paix avec l´État colombien au vu et au su de tout le monde. Et, pour couronner ce long et douloureux processus de paix, elles se transforment aujourd´hui en un parti politique auquel cinq sièges sont déjà réservés au niveau des deux chambres. L´accord de paix a permet la réintégration des anciens guérillos dans la vie sociale et politique de la Colombie. Là au moins même si la garantie n´est pas totale, mais on peut s´attendre à une paix durable, car non seulement il y a eu l´intervention manifeste du gouvernement colombien dans ce processus de paix, mais encore les armes des FARC ont été remises à l´État colombien. D´où, en dépit de tout doute, le côté fiable et sérieux de ce processus de paix[21].

Si au niveau le plus élevé des institutions nationales (publiques ou privées), les conflits sont étouffés mais non résolus, pis est au plus bas niveau des échellons sociaux. Ainsi donc, il s´en faut en Haïti – dans le cas qui concerne Cité Soleil surtout – la culture de résolution technique des violences peu importe leur nature, le professionnalisme et l´institutionnalisation dans la gestion de ces phénomènes font énormement défaut. On les laisse donc s´évaporer dans l´atmosphère. D´où leur nature latente, enveilleuse et répétitive. La répétitivité des violences armées sous-entend sa nature inchangée et son caractère irrésoluble. Il faut se vouer constamment à Dieu, étant donné que les Haïtiens sont courageusement croyants, que de nouvelles violences collectives ne s´abattent à nouveau sur Cité Soleil à cause de la nature ambigüe et mystérieuse qui cache cette paix.

Cette paix à Cité Soleil, en résumé, renforce bien au contraire le pouvoir de vie et de mort des bandes armées sur la popualtion civile en raison du fait que cette fois-ci elles peuvent commettre leurs actes en s´obstruant derrière cette paix mythique. Puisque la paix revient dans la cité, il est donc faux croire que des gens continuent de mourir, d´être assassinés, violés, rançonnés, harcellés. S´ils ne le sont plus dans les affrontements physiques et visibles des bandes armées rivales entre elles, dans des actions revenchardes de celles-ci contre celles-là ou encore de celles-ci avec la police, ils le sont par les disparitions forcées et les déguerpissements forcés. Un jeune homme m´a raconté qu´il a été contraint d´abandonner sa maison à Projet Drouillard pour se refugier en plaine du Ccul-de-sac parce qu´il avait refusé de supporter la canditature à la députation d´un homme au passé louche. Ainsi, les doutes d´hier relatifs à la véracité, fiabilité, sincérité et honneteté de la paix à Cité Soleil persistent encore aujourd´hui parce qu´elle survient toujours dans le noir.

Conclusion: les violences armées à Cité Soleil un problème social lié à l´histoire contemporaine haïtienne
En conclusion de tout ce qui vient d´être dit, il ne reste qu´à rappeler une seule chose: les violences armées à Cité Soleil s´inscrivent, s´anracinent et s´ancrent dans un cadre plus global de problème sociétal lié à l´histoire sociale contemporaine haïtienne. Elles en sont indéfiniment inséparables et indétachables. C´est dire qu´il n´est pas possible de comprendre ces violences sans les insérer ou dans notre histoire coloniale ou dans notre histoire indépendantiste ou dans notre histoire contemporaine, toutes essentiellement et fondamentalement imprégnées de violence sous toutes ses formes. Notre histoire contemporaine a moins de 70 ans si on la fait remonter à partir de 1950, laquelle période fut antérieurement et fortement marquée par les révoltes populaires de 1946 contre la dictature de Lescot suivie plutard des dictatures magloiriste (1950-1957) et duvaliériste (1957-1986) qui ont fait voir de toutes les couleurs à ce peuple bon, vaillant et courageux, mais déshabillé, dépouillé, affamé, appauvri, broyé, mutilé, méprisé, maltraité et meurtri.

Si l´on revient un plus en arrière, on verra qu´en amont et la société coloniale et la société postcoloniale étaient toutes deux ancrées à la violence: les maltraitances deshumanisantes du colon sur son esclave (1492-1789);  luttes armées des esclaves pour la liberté et l´indépendance ; guerres indépendantistes (1789-1804); rivalités politico-internes pour le pouvoir (1804 à nos jours); conflits sociaux de nature diverse; folies criminelles des jeunes des banlieues de Port-au-Prince; violences policières; violences étatiques continues contre les pauvres; violences conjugales et sexuelles au quotidien, violences scolaires et universitaires, enfin, violence sociale, culturelle, structurelle, médiatique, langagière, systémique, institutionnelle, alimentaire, économique, politique tout court. Notre Haïti chérie a connu, connaît et connaîtra encore toutes ces formes de violence. Donc, inutile de lamenter quand on voit Cité Soleil dans cet état.

Il est vrai qu´il n´existe pas une seule société où les violences collectives ne soient pas présentes, mais si là elles créent des opportunités de changement social, ici, en Haïti, elles sont comprises comme des situations paranoïaques et anormales. Si, d´autre part, dans les sociétés technologiquement, scientifiquement et institutionnellement plus avancées que la nôtre, elles agitent les débats et les forums publics, chez nous les violences laissent presqu´indifférentes les élites intellectuelles. D´où la nécessité de comprendre le problème théorique que pose le phénomène de la violence dans la société haïtienne en général et la communauté de Cité Soleil en particulier. La violence à Cité Soleil est une construction socio-historique et l´image symbolique de la victimisation de la dictature, la plus accablante des violences. Parlant de dictature, c´est à celle des Duvalier - la plus récente et durable en même temps - qu´il faut attribuer les causes principales des violences dans toutes les structures sociales.

En effet, nous avons montré que les violences armées à Cité Soleil lui viennent du dehors par le macoutisme et le banditisme d´état, donc des violences importées, fabriquées et à inspiration criminelle dès sa fondation. La dictature des Duvalier a créé tout un système de violence qui s´anracine dans notre être et notre quotidien. Donc, ce n´est pas en claquant les doigts par une paix camouflée et mensongère qu´elle sera déracinée. Aller à Cité Soleil ce n´est plus affronter la mort, s´offrir en holocauste, se kidnapper soi-même, se faire bruler vif ou mutiler, se livrer au viol, au vol, à l´assassinat, serrer la main du diable en l´embrassant, mais c´est surtout lier connaissance à une misère sociale abjecte, à une paupérisation anonyme, à une inhumanité incomparable, à un environnement insalubre, fétide et invivable, à une guerre silencieuse: la faim chronique, à une exploitation sexuelle à outrance, à une déresponsabilisation familiale décriée, à une délinquance juvénile accrue.

Ainsi, aucune paix, la vraie paix, ne peut être triomphante dans de pareilles conditions. Aucune paix ne peut subvenir dans un contexte postconflictuel sans de sanctions sévères contre les groupes belligérants. Aucune paix n´est possible sans être accompagnée de véritables programmes de développement économique durable et d´épanouissement spirituel, social, intellectuel, moral et psychique. Dans ce cas, Cité Soleil aura beau espérer sortir des violences armées. Ce n´est pas que nous soyons pessimiste. Mais, nous avons le devoir d´être réaliste et objectif tout en cultivant l´honnêteté intellectuelle. L´automensonge est aussi terrible que la violence elle-même. C´est en arrêtant de mentir sur cette paix qu´il sera possible à Cité Soleil de trouver la vraie paix. C´est arrêtant de prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages qu´elle commencera par entamer le vrai processus menant vers la paix durable.

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*Doctorant en Sociologie à l´Université d´État de Campinas (São Paulo, Brésil) sous l´orientation du Prof. Dr. Renato Ortiz. E-mail: jeandefabien1982@yahoo.fr Blog: https://jeandefabien1426.blogspot.com.br/.
[1] Nous voulons parler donc de Boston, Bois Neuf, Projet Drouillard, Brooklyn, Ti Ayiti, Cité Gérard, Cité Lumière, Brooklyn, Soleil 4, 13, 15, 17 et 19, Rail, Wharf, Bélécou qui, il fut un temps, étaient pratiquement inacessibles même aux forces de l´ordre. Des journalistes nationaux et internationaux se sont vus à maintes reprises refuser l´accès de couvrir des reportages sur les violences sanglantes qui tenaient cette immense bidonville en otage. En janvier 2002, un journaliste canadien en stage en Haïti a failli laisser sa peau à Cité Soleil en voulant, malgré les mis en garde de la Police de ne pas pouvoir assurer sa sécurité, relever le défi de faire un reportage sur la situation des violences armées qui sévissait là (MÉTROPOLE, 2002a).
[2] Depuis son arrivée au pouvoir pour un second mandat, l´administration d´Aristide a fait du programme de désarmement des civils armés dans l´idée de la régularisation des armes à feu sur le territoire national. Critiqué sévèrement, ce programme a été un fiasco. La raison est simple, c´est que la majorité des armes illégales en circulation sur le territoire sont détenues  par des civils et le nombre avoisinerait, selon l´estimation de Small Arms Survey, les 170.000 armes légères (MUGGAH, 2005, p. xxv) .
[3] On pourrait la qualifier aussi de anti-humaine et d´anti-sociale, c´est-à-dire celle animée d´une folie criminelle excessive de mettre fin à des vies humaines, ce, en attentant à leur vie, à leurs biens, à leur intégrité physique et morale, enfin, à tout ce qui représente leur patrimoine symbolique, religieux ou culturel. Celle qui a pour but également de détruire la société et ses valeurs sociales et culturelles.

[4] Il est difficile d´évaluer le nombre d´attaques perpétrées par les groupes armés sur les commissariats de police à Cité Soleil. Certaines sources comme Métropole et Le Nouvelliste parlent d´une dizaine de grande envergure au cours des vingt dernières années.  Toutefois, celle de 2004 a retenu plus d´attention parce que non seulement elle était survenue dans un contexte de violence sociale générale, mais elle était surtout marquée par la destruction totale des deux commissariats dont celui à l´entrée est de la commune et l´autre à Wharf, le dysfonctionnement général de la justice et l´accès pratiquement limité aux forces de l´ordre de pénétrer dans certaines zones de grande tension.
[5] Sur ce sujet voir HOPQUIN, Benoît. La guerre de l´eau à Cité Soleil. Le Monde, Paris, 15 jun. 2007. Disponible sur: <http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2007/06/15/haiti-guerre-de-l-eau-a-cite-soleil_923953_3222.html?xtmc=cite_soleil&xtcr=5>. Accès le 30 jul. 2017.
[6] L´armée haïtienne, comme l´ont démontré si brillamment et objectivement plusieurs auteurs notamment Prosper Avril (1997), Kern Délince (1994), Michel Rolph trouillot (1986) et Gérard Dalvius (1987), surtout dans sa version post-occupationnelle nord-américaine, est une institution créée pour museler et mater le peuple. Donc, à l´origine elle est anti-peuple et anti-nation, et, entre elle et le peuple ça ne va toujours pas alors que historiquement et socialement les deux sont inséparables.
[7] Le processus de l´armement des groupes armés à Cité Soleil reste et demeure très mystérieux. Et, même si nous en disposons quelques indices, ils ne sont pas assez suffisants et convaincants pour l´expliquer avec autant d´objectivité que cela exige.
[8] Depuis la paix qui s´est trouvée entre les différents foyers conflictuels à Cité Soleil, sa configuration sociale et politique a pratiquement changé. Désormais, la cité est controlé par trois grands chefs de bande. Le premier a son fief à soleil 19, le second à Boston et le troisième à Bélékou. Si le premier controle tous les quartiers de bas soleil et le second ceux de haut soleil, le troisième, lui, plus hostile aux conditions de cette paix, affiche un comportement isole. Il convient de comprendre en outre que à la tête de chaque quartier – soit à bas ou à haut soleil – est placé un petit sujet armé jouant le rôle de satélite.
[9] Ce matin, 17 août 2017, en me réveillant à 16h30, je consulte mon e-mail et les grandes machettes de l´actualité nationale et internationale comme d´habitude. La première nouvelle, déconcertante, boulversante et révoltante, sur laquelle je suis tombé sur le site de Le Figaro.fr, était l´attentat de Barcelone qui a fait 13 morts et 80 blessés selon la même source. L´État Islamique vient encore de sémer le deuil parmi les honnêtes gens par sa violence radicaliste, extrémiste, et je dirais même aveugle. Car, qu´est-ce que de paisibles personnes qui passaient des moments intimes en famille ou entre amis ont à voir avec l´État Islamique?
[10] Outre que l´on pouvait se faire dénoncer par un ami intime soit pour sauver sa peau ou avoir une promotion, mais les dénonciations sans preuve ni fondement entre membres d´une famille ou d´une belle-famille étaient également courantes. D´où le règne de la méfiance au sein des familles. La croyance qui constitue un élément central des relations sociales a totalement disparu tant dans les familles que dans les cercles amicaux. Alors c´était en partie ça le macoutisme (DIEDERICH, 2014).
[11] Mais il y en a plusieurs qui sont encore et toujours présents dans le système politique haïtien. S´ils se font invisibles, c´est peut-être en raison du contexte, mais ils attendent toujours des occasions. Il fallait les voir, ce 16 janvier 2011, se rejouir du retour de leur feu père, Jean-Claude Duvalier. De ce fait, leur influence ne demeure pas moins négligeable. Ils peuvent frapper et réapparaître à tout moment. Car, comme le dit Michel Montas, veuve de Jean Léopold Dominique, journaliste de la Radio Haïti Inter assassiné en arvil 2001, une autre dictature est encore possible en Haïti, ce à cause de l´impunité et du non respect des droits de l´homme qui règnent dans ce pays.
[12] Propos recueillis dans une interview qu´il nous a accordée le 22 mai 2017.
[13] Nous utilisons le thème anciens membres parce qu´à l´époque où nous avons réalisé ces enquêtes et nous nous sommes entretenus avec quelques sujets armés, le contexte sociopolitique des conflits armés a pratiquement changé et les groupes armés en présence projette une autre configuration sociale: ils s´éclipsent derrière des fondations, et se disent des travailleurs sociaux en s´investissant désormais dans le social, l´artistique et le culturel, donc ils ne sont plus des bandits notoires mais se considèrent comme des agents sociaux. . Ainsi, la façon dont ils se comportent aujourd´hui laisserait comprendre que le temps des guerres rivales interquartiers est révolu même si la question du banditisme n´est pas encore tranchée.
[14] Propos recueillis lors d´une interview accordée le 1 juin 2017.
[15] Cette expression créole très courante dans le milieu social et politique haitien peut être synonyme d´impunité et de corruption. Son sens ici se rapproche plus du premier que du second.
[16] Bien que notre travail ne soit pas un récit journalistique, mais, nous privilégions la méthode d´anonymat, non seulement pour protéger la personnalité et la vie privée de ceux ou celles parmi nos enquétés (e) qui ont exigé cela, mais surtout compte tenu de la fragilité du sujet, qui reste et demeure encore d´actualité. Dans certains cas, nous pouvons nous garder de ne pas citer des noms si nous ne le jugeaons pas nécessaire. Ainsi, aux personnes non citées nominalement seront attribués  – dans le cadre de chaque formulaire d´enquête – des numéros.
[17] Il est important de souligner entre autre que le quartier de Bélécou s´oppose catégoriquement aux modalités de la paix pour deux raisons: l´assassinat de la mère du chef de ce quartier par des bandits rivaux de Bois Neuf et le massacre d´au moins cinq personnes dans la nuit du 22 au 23 août 2014 par, dit-on, des bandits armés en provenance de Soleil 17, base au sein de laquelle l´on trouve les adeptes de la paix et partisans du régime actuel. En entendant faire cavalier seul comme d´habitude, Bélécou est vu comme menaçant et inquiétant mais pas dangereux de l´avis de certains, car les principales bases de Boston, Soleil 17, Projet Drouillard et Bois Neuf s´accordent déjà sur le controle intégré de la cité ainsi que les limites d´intervention de chaque base.
[18] Sur cette question nous invitons les lecteurs à visualiser le film documentaire Ghosts of Cité Soleil du réalisateur Danois Asger Leth. Disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=_-D0dItn0Qc. Dernier accès le 4 sep. 2017.
[19] C´est un sujet sur lequel nous aurons à revenir de manière plus ample et détaillée vu son importance et son rôle dans le processu de la paix à Cité Soleil. Pour l´instant, il s´agit pour le lecteur, par ces explications, de comprendre succintement sa dynamique.
[20] L´administration aristidienne de 2001 à février 2004 a essuyé d´énormes échecs dans des programmes de désarmement subséquents. La transition a connu les siens entre mars 2004 et mai 2006. Le président Préval en accédant au pouvoir s´est aussi lancé dans cette démarche en s´adressant clairement aux bandits, particulièrement, à ceux de Cité Soleil où il s´est rendu. Mais, il s´en est cassé les dents. Le but de tous ces programmes était unanime: faire régner un climat de paix et de sécurité, mettre hors d´état de nuire toute personne mal intentionnée voulant créer la panique dans la capitale et ses zones environnantes, plus précisément dans les quartiers populaires comme Cité Soleil, Bel Air, Martissan, Fortouron, La  Saline, Simon Pelé pour ne citer que ceux-là. Les programmes de désarmement en Haïti s´avèrent un véritable fiasco.
[21] Il y a une multitutde d´articles médiatiques écrits sur le sujet. Le dernier en date consulté est En Colombie, l´ex-guérilla des FARC lance son parti. Le Monde. 1 septembre 2017. Disponible sur www.lemonde.fr. Les ouvrages par contre sont encore rares. Toutefois, on peut tout au moins consulter: JARAMILLO, Ana Maria. La fuerza de la razón sobre las armas: resistência civil no violenta y participación ciudadana en el Oriente Antioqueño, Colombia (2001-2004). Buenos Aires: Clasco, 2010.