Pesquisar seu artigo aqui

''TÉMOIGNAGES VIVANTS'' (Quatrième Partie): LA CULTURE DE L´INTOLÉRANCE

          Dans la première partie de cette série de témoignage vivant sur le séisme publié en 2011, soit un an après, nous avons eu le courage de partager avec nos valeureux compatriotes rescapés de cet événement notre vécu personnel de cette expérience, car c´était pour la première fois de notre vivant que nos yeux ont vu une telle catastrophe. La seconde partie, parue en 2012, s´est articulée autour de l´entraide mutuelle incroyable que les Haitiens se sont offerte courageusement le jour de ce drame avant l´arrivée des aides des pays voisins et lointains. La troisième partie était rédigée sous le titre de Pensées Spéciales en 2013 à la mémoire de ceux qui ont péri dans cette tragédie, et à l´attention de ceux qui, dans cette triste circonstance, cherchaient à adresser quelques mots de reconfort à leur proche dans le but de saluer ce douloureux  départ. Nous avons l´intention, par contre, de consacrer cette quatrième partie à insister sur la culture de l´intolérance qui touche à la pratique religieuse et à l´orientation sexuelle, deux aspects parallèles qui, depuis ce jour d´agonie, continuent de marquer la société haitienne. En écrivant cet article, l´objectif est de montrer qu´un tel moment de douleur, de souffrance, de pleur et d´agonie a, malheureusement, été pour certains haitiens l´occasion de se mettre à discriminer leurs propres semblables sur le plan religieux et sexuel en voulant leur faire porter le fardeau de ce drame, pendant qu´un autre groupe priait, jeûnait, devenait plus croyant qu´il ne l´était auparavant, se fourvoyait dans des activités spirituelles. Une telle expression de foi démésurée d´un peuple en agonie s´accompagne d´une rivalité religieuse entre différentes confessions religieuses qui profitent de l´ignorance de la population pour les faire croire dans des miracles farfelus pendant que les leaders de ces confessions religieuses accroitent leurs chiffres d´affaire. C´est un point - à publier l´année prochaine s´il plaît à Dieu - que nous aurons à développer plus amplement dans la cinquième partie de cette série.

          Cependant, en passant, il importe de souligner que, d´une part, nous n´avons aucunement l´ambition de nous atteler au cours des ans à une espèce de routinisation au sujet de ce drame de telle sorte que nous nous souvenons d´un proche, d´un ami, d´un collègue de travail, d´un membre de famille, des disparus, des morts, des estropiés que nous avons aidés, soutenus, pleurés ou mis en terre uniquement en cette date. D´autre part, l´intention n´est pas non plus d´en faire un rituel, même si tout être religieux ou a-religieux individuel ou social vit et se nourrit de rituels. Néanmoins, c´est un moment solennel qui, nous imposant un devoir de mémoire, fait surgir dans notre pensée d´autres séquences de ce séisme cachées dans un coin de notre cerveau, nous instruit, nous motive et nous interpelle chaque jour sur notre manière de vivre. Donc, il est difficile de tout rappeler en un seul instant en vue de tout dire, tout raconter et tout expliquer sur Goudou Goudou dans un seul ouvrage voire dans un article. Bien que les faits nous viennent à l´esprit par séquence, le plus important à retenir c´est que cet instant tragique de la vie du peuple haitien s´avère inoubliable.

          Ainsi, les aspects autour desquels nous aimerions articuler cet article, tout en saluant la mémoire de tous ceux qui nous ont quittés, sont, d´un côté, l´intolérance vis-à-vis la diversité religieuse dont le vodou est le plus frappé, et celle concernant l´orientation sexuelle de l´autre, qui guètent malheureusement notre soicété depuis longtemps. Cette situation s´est exagérée avec le séisme de telle sorte que nous pourrions dire qu´il représentait l´une des causes principales de son aggravation,  lui a été une sorte de catalyseur, ou qu´il constituait l´une de ses plus malheureuses conséquences. Cette mauvaise pratique, ayant toujours existé dans nos murs, a bouleversé et continue de bouleverser la société haitienne d´une monstrueuse intolérance qui l´attriste profondément.

La culture de l´intolérance contre la diversité religieuse: le vodou la principale cible

          Il y a lieu de souligner que, en termes de conséquences, ce tremblement de terre a été surtout marqué par une très forte intolérance religieuse, le vodou ainsi que ses pratiquants et adeptes en était la cible principale. En effet, au lendemain de cette catastrophe meurtrière, certaines personnes rafolées, désespérées, désolées, confuses, perdues, mais surtout plongées dans un sentiment de critique horrible non pas contre Dieu, mais contre la religion vodou, vont même jusqu´à attribuer le culte vodou à cette tragédie, d´autres, dans leur aveuglement, leur étroitesse d´esprit, leur capacité très limitée d´imagination et leur animalité, ont persécuté les vodouisants, brûlé leur temple et massacré quelques adeptes trouvés sur les lieux où ces actions inhumaines et homophobes ont été commises. L´idée n´est pas de faire ici une plaidoirie pour le vodou bien qu´il le nécessite - et si un jour le devoir nous l´impose, nous le ferons avec joie et gaieté de coeur, ce dans un esprit scientifique, critico-analytique et intellectuel - encore moins de le blanchir de ses gangues, car, lui aussi, comme toute autre religion d´ailleurs, en comporte énormément, mais, d´une part, de dénoncer cette intolérance religieuse, cette chasse contre le vodou, cette discrimination religieuse, ces préjugés, ces homophobies qui sont des ennemis vénimeux du développement de la culture et de la diversité culturelle et religieuse, d´autre part d´exprimer notre profonde indignation contre ces pratiques lugubres qui n´ont pas leur place au sein d´une société humaine laique où chacun a le droit d´être libre d´adhérer à une confession religieuse ou à une religion de son choix, et de ce fait, ne doit en aucun cas subir des persécutions et des discriminations à cause de ce choix et se retrouver dans la difficulté soit de l´exercer ou de le faire valoir.

            C´est triste d´évoluer au milieu des gens acculturés à ce point. C´est regrettable, par ailleurs, que des gens mal éduqués, mal formés et mal instruits ont pu profiter d´une si affreuse situation pour faire de leurs semblables la cause de leur malheur ou celle de tous les maux d´Haiti. Cela prouve que nous avons un problème d´éducation et de culture grave dans ce pays, que nous souffrons d´un mal appelé le respect de la liberté, de la personne humaine et de la diversité religieuse et culturelle. Toutefois, cela ne peut aucunement nous ravir le droit de continuer à espérer de vivre dans une société formée de gens cultivés, éduqués et instruits capables d´accepter de vivre dans les désaccords, les divergences et la diversité. Si la justice élève une nation, l´éducation et le respect de la diversité culturelle et religieuse doivent transformer une société.

          Le comble de tout cela, c´est que quatre ans plus tard après ce séisme, soit récemment en 2014, un très respectueux et respectable cardinal haitien répondant au nom de Chibly Langlois s´est ajouté à la liste de ceux qui ne cessent de s´attaquer férocement au vodou en l´identifiant à un blocage du développement du pays. En effet, selon cet acteur de la religion catholique, le développement d´Haiti ne peut pas passer par le vodou, comme si la religion a une fois développé un pays depuis que le monde existe. L´honorable cardinal a toutefois oublié que le catholicisme était à l´origine du génocide des Indiens en Amérique et que les guerres les plus meurtrières de l´histoire de l´humanité impliquaient, directement et indirectement, de près comme de loin, des religions. En outre, soit plus récemment, la religion a eu une part de responsabilité énorme dans le génocide rwandais en 1994. Et si le cardinal voulait faire allusion à la pensée scientifique, à l´imagination, à la rhétorique et à la création intellectuelle, alors là, sans vouloir l´offenser, nous pensons qu´il se tromperait grandement, car, chaque religion a sa vision du monde et sa manière de concevoir l´épanouissement de l´être humain et le développement de la société. Donc, il n´y a pas lieu et il ne peut pas avoir lieu d´établir entre les religions des rapports de supériorité ou d´infériorité, car elles sont égales, vraies et fausses à la fois.

          Ceci nous permet de comprendre, par conséquent, que le problème de discrimination et d´intolérance religieuse que nous confrontons - à noter qu´il existait bien avant le séisme - n´est pas seulement d´ordre analphabétique, mais aussi intellectuel et est frappé d´un profond illetrisme, car ceux-là qui combattent le vodou en Haiti ou qui suscitent la haine ou l´animosité religieuse, non pas seulement contre le vodou, même s´il en est la principale victime, mais contre les autres religions ou confessions religieuses ou cultures religieuses qui ne s´allient pas avec eux, sont des gens, pour la plupart, formés et instruits, et je dirais même, bien formés et bien instruits dans les plus prestigieuses écoles et universités à travers le monde. C´est dommage!
          Il est vrai que le séisme du 12 janvier 2010 y compris les dégats qui en résultent n´étaient pas d´ordre naturel, mais de nature humaine, c´est-à-dire dû aux concéquences de nos actions négligeantes qui ont entrainé la dégradation de la nature et de l´environnement, ce séisme n´a fait que mettre à nu la gravité de notre milieu socio-environnemental et de notre manière inhumaine de vivre. Cependant, en dépit des effets aggravants, cela n´a conféré le droit à quiconque d´indexer personne ou tel groupe de personnes, qu´il soit ethnique, racial, religieux ou social. Donc, c´est abérant, insultant et révoltant d´attribuer ce séisme ou un quelconque autre phénomène à un groupe ou groupement d´individus en fonction de son appartenance sociale, familiale, religieuse, professionnelle, politique, intellectuelle ou autre. Si nous vivons dans de telles idiotie et imbécilité comment pouvons-nous évoluer?

L´orientation sexuelle touchée aussi par cette culture de l´intolérance

          Par ailleurs, dans ce même cadre d´idées d´intolérance, l´orientation sexuelle a été également au coeur d´une discrimination sociale accrue au lendemain du séisme. En effet, ceux qui pratiquent l´homosexualité masculine aussi bien que féminine ont été, malheureusement, accusés d´être, au même titre que les fidèles du vodou, à l´origine du séisme et certains ont fait preuve d´une exagération pas croyable en appelant à la sanction de Sodome et Gomorrhe qui s´est abattue sur Haiti à cause de la présence de ces gens-là. Une campagne de persécution, de déchoucage, une chasse à l´homme et une tendance à mettre en péril les libertés individuelles acquises à l´orientation sexuelle se sont enclenchées contre ces individus qui s´acquièrent le droit le plus entier de choisir l´orientation sexuelle qui leur convient. Encore une preuve qui montre que nous sommes loin d´accepter dans notre environnement la diversité culturelle, religieuse et sexuelle voire la respecter. C´est une preuve palpable que la société haitienne n´est pas encore prête à accepter encore moins à vivre au milieu de ce phénomène sans être obligée de l´aimer. Si nous sommes à ce stade de déliquescence culturelle, éducative et morale, il est inutile de parler de société démocratique. Dans toute société démocratique la liberté individuelle ne doit courir aucun danger permanent et aucun risque, la démocratie marche en parfaite harmonie avec les libertés individuelles qui impliquent purement et simplement le respect de la volonté et du choix de chaque personne humaine. Nous sommes très loin d´atteindre ce but qui doit nécessairement passer par un respect du droit de chacun en tout dans la mesure où son droit n´outre passe pas les limites de celui du prochain.

          Le séisme du 12 janvier 2010, en dépit de ses conséquences douloureuses telles que nous le savons déjà tous, a été une occasion de montrer la fragilité et la maladie de la société haitienne en matière du respect de la liberté et du droit individuels tandis que nous ne nous lassons pas de nous réclamer d´être une société démocratique. C´était aussi l´opportunité de constater à tel point le peuple haitien est intolérant du moins sur ces deux points. Le séisme n´aurait pas dû être utilisé à de telles fins. Et, comme je le répète  assez souvent, ce n´est pas le séisme qui a tué, mais notre manière de penser et de vivre qui se trouve malheureusement infectée par cette intolérance et cette homophobie dans lesquelles nous nous complaisons de vivre chaque jour. Il faut que ces pratiques cessent.
          Dans toute société démocratique normale, l´amour et le respect ne se mélangent jamais. L´amour reste sentiment et le respect obligation. Étant relatif, l´amour est un choix sentimental délibérément facultatif, il n´est pas interdit à une personne d´aimer ou de ne pas aimer le vodou ou l´orientation sexuelle de quelqu´un. Il n´est pas non plus demandé de l´aimer ou de ne pas l´aimer, cependant, il est impératif que le choix religieux ou sexuel d´une personne soit doué d´un digne respect sans esprit de stigmatisation et de discrimination, car, non seulement, personne ne peut se faire condamner pour n´avoir pas aimé quelqu´un ou quelque chose dans la mesure où l´amour reste et demeure une qualité universelle et profondément humaine, mais encore, en tant qu´êtres humains nous sommes des êtres libres, multiples, divers, universels. Le respect du droit et de la liberté de l´autrui, étant nettement antérieur à l´amour à lui témoigner, s´impose au même titre que celui dû aux saints sacrements et j´y tiens fermement.

          Enfin, c´est dur et même très dur de tenir de tels propos à un moment où il devrait être question de se consacrer à la prière, à la méditation et au recueillement pour saluer la mémoire de tous ceux et toutes celles qui ont pris les devants dans le cadre de ce voyage obligatoire, pour apporter quelques propos d´encouragement aux survivants amputés physiquement et mentalement. Mais, qu´avons-nous appris cinq ans plus tard? Avons-nous réellement inicié la reconstruction de l´être haitien? Avons-nous appris à cesser ces barbarismes contre la personne humaine? En dépit des conséquences de cette tragédie prises dans le sens positif ou négatif, regrettables ou méprisables, ce séisme nous rappelle que la vie est fragile et que chaque instant mérite d´être vécu dans la paix, l´humilité, l´amour, le respect et la sagesse, car l´arrogance, l´intolérance et la grosse tête ne peuvent nous amener nulle part. La vie ne vaut rien, mais il vaut mieux l´avoir et l´avoir vécue, bien que dans la société haitienne les gens meurent avant d´avoir vécu. Elle doit être comprise comme une aventure à laquelle chacun doit répondre, un film dans lequel chacun a son rôle, une pièce de théatre qui interpelle chacun à l´accomplissement de sa partition. Il est inutile de chercher à connaître ce que c´est que la mort et de passer son temps à spéculer là-dessus, car, le temps de nous consacrer à chercher à la connaître nous serons déjà morts. Seule la vie donne sens à la mort. Voilà pourquoi ceux qui sont morts vivent encore parmi nous, en nous et pour nous. C´est par cette seule disposition spirituelle que nous pouvons leur rendre un vibrant hommage, peu importe la circonstance dans laquelle ils nous ont quittés et peu importe les impacts que ce tremblement de terre a produits. Ainsi, vivons sans penser à la mort, vivons pour rendre heureux nos morts afin qu´en mourrant nous devenions immortels.




CAMPINAS, 12 janvier 2015

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de préférer ce blog.