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POUR UNE INTERPRÉTATION SOCIOLOGIQUE DE LA CÉLÉBRATION DE LA MORT DE JEAN-JACQUES DESSALINES




Cet article se veut une réflexion succinte sur le sens sociologico-religieux de la célébration de la mort de nos ancêtres vu et interprêté par la sociologie de la religion à la lumière de la théorie du sacré de Durkheim.



La mort engendre automatiquement le deuil qui est par essence, de l´avis de Durkheim, un phénomène social. Phénomène social dans le sens que le deuil est un devoir, une obligation rituelle qu´impose la société. Dans le sens durkheimien du terme, la société n´est pas uniquement une construction d´individus, mais il y est ajouté les forces invissibles, les choses, les événements. Il est difficile d´expliquer la mort, de dire ce qu´elle est effectivement, mais ses effets planent sur l´ensemble de la société. Ils ne la laissent pas indifférente. La mort réveille la conscience morale de la société et son remort de la perte d´un des membres du corps social. La mort d´un seul membre rend triste tout le corps social. Comment cela se fait-il? Pourquoi la société accorde-t-elle une si grande importance au deuil? Et que lui arriverait-il si elle ne le respectait pas?

En effet, la théorie durkheimienne de la sociologie de la religion dominée par l´opposition sacré-profane nous dit qu´en chaque être humain réside un principe sacré qui est l´âme et ce principe sacré exige qu´il soit objet d´un devoir de mémoire. L´âme est sacrée et tout ce qui est sacré dégage une attitude de vénération et de célébration rituelle et cérémonielle dont l´irrespect et la désobéissance sont automatiquement synonymes de sacrilège : la société a horreur des sacrilèges et ne les laisse pas impunis. Ce qui est sacré en nous c´est l´âme et le sacré est une force contraignante. D´un point de vue sociologique, l´âme est le principe immortel qui anime la société : la société perdure par le seul fait que l´âme est  éternelle. Donc, en respectant la mémoire d´un mort, ce n´est pas envers sa personne que ce respect est exprimé, mais plutôt envers son âme, le principe sacré par excellence. Or, il est incontestablement admis que la mort est la rupture physique entre le corps et l´âme qui habite l´homme, ainsi la mort devient un phénomène plus ou moins complexe ayant pour mission de mettre fin à la vie corporelle qui régit l´âme, car elle a une double vie : corporelle et spirituelle. Et, c´est en vertu de cette vie spirituelle, qu´elle se doit de mener, en se séparant du corps, qu´elle jouit d´une immortalité. Donc, quand un membre de la société nous quitte, son âme continue de vivre, nous allons pas entrer dans les détails, à savoir, où les âmes résident et comment elles se réincarnent.

Si la mort est la cause d´une séparation physique entre l´âme et son substrat, à savoir, le corps, or l´âme est une substance spirituelle que la société considère comme sacrée, c´est que la mort vient ipso facto ébranler un ordre social. C´est pour cette raison que c´est toute la société qui se révolte quand un crime audieux a été commis, quand un meurtre s´est produit : la société répugne qu´une quelconque force vienne lui causer des obstacles. Ainsi, même la mort d´un nouveau-né révolte la conscience sociale, parce qu´il ne s´agit pas de l´être entant que tel, mais de préférence, du principe sacré qu´il porte en lui, à savoir, l´âme dont la société fait exclusivement sa propriété privée. Pour réparer ce tort qui lui a été causé par la mort, la société crée et exige le deuil pour, non seulement vénérer l´âme, la perpétuer, la rendre éternelle, mais surtout garder en mémoire le fait redoutable. Nous laissons de côté les théories particulières et complexes sur les différents types de deuil et les autres considérations y relatives. Toutefois, nous pouvons retenir, dans le cas qui nous préoccupe ici, que la mort de Toussaint, de Dessalines, de Christophe, pour ne citer que ces héros nationaux, fait appel à un deuil à la fois national et éternel. Éternel dans le sens de la durabilité et du renouvellement, pas en terme de temps. En d´autres termes, chaque année où s´approche la date de la mort de ces héros, la société se réveille pour ne pas laisser passer inaperçu un tel événement, et cet acte n´est nullement différent de celui commis par cet individu qui va, à une date bien précise de l´année, généralement la date du décès du défunt, sur la tombe de ce dernier pour y déposer un gerbe de fleurs ou quelque chose d´autre. Il s´agit de la même cérémonie cultuelle en l´honneur de l´âme de cette personne, répondant aux mêmes devoirs de mémoire, avec la seule différence, l´une est nationale, et l´autre est particulière, domestique, familiale, etc. En ce sens, nous ne choisissons pas volontiers d´observer ou de ne pas observer le deuil, sinon nous serions contradictoires en disant qu´il est un phénomène social. Tout ce qui est social, nous dit Durkheim, a de la contrainte, toute force sociale est contraignante et, là où il y a contrainte, il y a obligation. Les faits sociaux dégage une force qui vient faire obstacle à nos instincts en nous privant généralement de notre volonté : tu ne peux pas ne pas faire ceci sous peine d´être sous l´emprise des sanctions sociales. Par exemple, quelqu´un qui est mort et que sa famille n´a pas eu la chance de lui administrer les obsèques obligatoires, d´ériger en l´honneur de son âme un deuil familiale, cette famille se sent victime d´un double affront : la mort de l´individu et le refus involontaire du deuil, même si dès fois, l´on s´efforce de respecter sa mémoire. De même que, par ailleurs, quelqu´un qui est mort et à qui la famille aurait refusé, bien qu´extrêmement rare, les obsèques, cette dernière est en parfaite contradiction avec les normes sociales qui exige le deuil. Cependant, suivant la vie terrestre menée par la personne, le deuil social peut lui être refusé ou lui être administré d´une manière insignifiante. En effet, selon la doctrine du Kharman en Inde, nous dit Weber, la vie terrestre détermine le félicité à recevoir par l´âme dans l´au-delà, autrement dit, c´est la vie qu´a menée l´individu de son vivant qui déterminera la destinée de son âme. De ce fait, la mort d´un criminel c´est comme une délivrance pour la société, et son âme, selon les croyances, n´est plus un esprit, mais un démon destiné à nuire l´ordre social, donc il est susceptible d´un deuil de moindre valeur que s´il s´agissait d´un génie, d´un scientifique, d´un révolutionnaire, en fait, de quelqu´un qui, de son vivant, a servi valablement et courageusement les causes sociales. Néanmoins, dans les deux cas, le deuil est respecté et, respecter le deuil c´est répondre à l´exigence de la société.

La mort de Dessalines est, tant pour les Haitiens en Haiti que pour ceux vivant à l´extérieur, un véritable rituel dont la société haitienne ne peut se passer, d´ailleurs elle se l´est créé. À noter que, quelle que soit la religion, la célébration de la mort de n´importe quel héros, remplit les mêmes fonctions que celles que nous avons décrites ci-dessus. La mort de Dessalines est un deuil national qui se renouvelle annuellement et cela traduit que ce n´est pas au héros entant que personne morte que s´adressent ces cérémonies rituelles, mais à son âme et, en célébrant cette mort, la société se renouvelle elle aussi. Elle y retrouve son essence et son fondement. C´est pour cette raison pour ne pas dire l´unique qu´elle ne tolère pas que le deuil soit vilipendé et bafoué, car découlant d´un principe sacré, le deuil est par conséquent sacré. Comme nous l´avons souligné précédemment, tout sacré implique un respect, une soumission et une révérence inconditionnels. À cet effet, je m´interroge sur la vision de l´homme religieux haitien au sujet de la commémoration de la mort de Dessalines. Pour les chrétiens qui croient que l´âme n´est pas immortelle, le problème est résolu : Dessalines est un héros certes, mais nous ne l´honorons pas ni n´accomplissons aucun acte en sa mémoire, car nous n´adorons pas les morts. Dessalines est un mort pour les chrétiens et non un héros d´une âme vivante. Pour les catholiques, le problème est moins complexe, car s´ils ont leurs saints patrons, tels que Saint Pierre, Saint-Paul et autres, Dessalines peut jouir des mêmes considérations qu´eux, même si la dimension rituelle et cultuelle varie. Cela revient-il à dire que les chrétiens seraient en rebellion avec les règles morales de la société et qu´en revanche les catholiques agiraient de façon contraire? C´est une question très délicate à aborder ici dans cette succinte réflexion. Toutefois, nous savons que toute religion, quelles que soient son origine et sa nature, accorde une grande importance à l´âme. Tout le débat se situe à la question de l´immortalité de l´âme, un sujet qui, de notre point de vue, n´avance pas le problème, au contraire, il le ralentit. De ce fait, toute considération préalable accordée à l´âme se rapporte directement à la société. Il est évident que la mort de Dessalines entant que l´un des plus grands héros qu´Haiti n´ait jamais produit, fasse l´objet de diverses approches surtout contradictoires, comme, par exemple, notre essai de réflexion à la lumière de la sociologie religieuse de Durkheim, mais c´est qu´au moyen du deuil, la société ressuscite ses membres et si elle ne le fait pas, son existence peut être vouée à l´anéantissement. Elle ne peut ne pas accorder une place importante au deuil, car il est un des principaux éléments qui la maintiennent en vie. En d´autres termes, c´est pour se perpétuer que la société a créé le deuil. En ce sens, est-ce que la mort est une bonne ou mauvaise chose? Il est difficile de le dire, néanmoins, la mort joue un rôle crucial de régénération de la société. La société se régénère, se renouvelle, se recrée en contrôlant le va et vient de ses membres. Elle peut être apparue dérangeante, et est de fait très dérangeante, mais la mort joue un rôle important dans la transformation de la société de telle sorte que l´on dirait de la mort qu´elle est une étape utile dans le changement social. Le deuil, produit de la société, est comme une réponse spontanée aux effets de la mort. Dans cette perspective, le deuil serait moins un effet qu´un réplique à la mort, pour  ainsi dire, en dépit de tout, elle ne pourra pas anéantir l´ordre social.

Cette autre facette de voir la mort de Dessalines plaide en faveur d´une sociologie de la mort, c´est-à-dire comprendre et interpréter les effets sociaux de la mort, mais surtout de la mort des héros. Car, ce n´est pas sans raison que celui qui a été traité comme un deviant au sein de la société, n´est objet d´aucun culte. Le deuil est un culte qui impose ses propres manières de faire en s´aproppriant tout ce qui a un caractère pur. Cela traduit que la société semble avoir choisi arbitrairement de se mettre aux côtés du sacré en rejetant tout ce qui est profane, car c´est le sacré qui lui procure tout ce dont elle a besoin pour se maintenir en vie, comme par exemple, les mythes, les légendes, les croyances magico-religieuses,  etc. De même que la religion immortalise ses Saints Patrons, la société immortalise ses héros, car elle n´est totalement ni religieuse ni laïque. Elle emprunte de la laïcité des pouvoirs lui permettant d´être pour tous une source de civilisation, car l´homme ne se civilise qu´au sein de la société, en d´autres termes, seule la société a ce pouvoir magique de civiliser l´homme, c´est un point sur lequel il nous faudrait revenir. D´un autre côté, la société est religieuse par le fait qu´elle est restée connectée au sacré dont est issue la majeure partie de ses normes : droit, politique, économie, etc. Sur le plan de la sociologie de la religion, la commémoration du 207ème anniversaire de la mort de Dessalines, traduit clairement que la société n´oublie jamais ses ancêtres surtout ceux dont son extravagance tend à déifier, les héros sont, dans les consciences collectives, des êtres sacrés à qui il n´est pas possible de refuser des honneurs. Cependant, bien qu´ils soient tous des héros, la société les classe par ordre d´importance : certains ont une image plus populaire que d´autres. Il est difficile de rencontrer un haitien qui ne se souvienne pas de la date de l´assassinat de Jean-Jacques Dessalines, pourtant il ignore celle de Capois Lamort, de Boirrond Tonnerre, et même dès fois, celle de Henri Christophe voire Alexandre Pétion s´il ne recourt à un certain effort intellectuel. Ce choix n´est pas de lui, mais de la société qui le lui impose. Elle lui exige un modèle de héros qu´il se doit de reconnaître et de respecter. Cette marginalisation des héros qui ont tous sacrifié leur vie pour cette Patrie, trouve sa signification dans le monde religieux où Durkheim distingue sacré pur et sacré impur en ce sens que, bien qu´apppartenus à un même ordre héroïque sacré, les héros auraient été distingués en héros supérieurs et héros inférieurs, de même, dans l´initiation magique ou religieuse, il y a les initiés supérieurs et les initiés inférieurs de telle sorte que tout ce qui appartient aux uns doit s´interdire de tout contact avec les autres. En un mot, le sacré impur est une sorte de chose profane pour le sacré pur. Il s´agit, en tout cela, d´une construction sociale et que la société creuse elle-même ses propres fossés d´inégalités et de préjugés. C´est elle qui décide quel héros méritant ses hommages alors que tel autre est traité en parent pauvre.

C´est par cette division faite par la société entre le sacré et le profane, que la mort de Dessalines revêt, depuis deux siècles, toute cette importance. Nous voulons dire par là, en répétant Durkheim, que cet antagonisme et cette rivalité entre sacré et profane sont le centre de la société, ils en sont le fondement. Et c´est en vertu de cette division qu´elle distingue les héros du commun des hommes, qu´elle reconnaît à chaque catégorie de personnes des privilèges spéciaux et particuliers. De plus, c´est la conjugaison de ces deux pôles, à savoir, le sacré et le profane, qui lui permet de maintenir un certain équilibre. Un héros n´est pas n´importe qui, et la société ne le voit ni ne le traite comme n´importe qui, mais il est un être sacré dont il ne faut s´approcher de n´importe qu´elle manière. C´est pour cette raison, la conscience collective a été profondément choquée en voyant le président Michel Martelly en tenue de Jans et chemise décoltée lors de la célébration du 206ème anniversaire de la mort de Dessalines l´an dernier. La société a conscience de ce que représente ses héros : des êtres sacrés qu´il faut respecter dont on ne peut approcher que par le culte et le rite qui imposent tout un ensemble de dispositions à la fois vestimentaires, physiques et morales. Le culte des êtres sacrés ne se réalise pas avec les vêtements ordinaires que l´on porte au jour le jour. Il y a des habits que le rite et le culte exigent d´être portés au cour des cérémonies, et ceci la société le sait parfaitement bien. Voilà pourquoi, la société haitienne n´a pas toléré le comportement de Son Excellence non seulement d´être absent pendant cette date, mais encore de se revêtir de tels habits dits profanes. Tout cela, parce que la société a peur de déclencher la colère des dieux qui habitent les objets ou les personnes dits sacrés. Elle sait pertinemment qu´un quelconque manque de respect à leur égard pourrait bouleverser l´ordre social. 

En définitve, que l´on veuille ou non, croyant ou pas, religieux ou non-religieux, les croyances religieuses aux choses sacrées constituent la base de toute société, la société crée ses propres mythes, fonde ses propres objets sacrés et vit d´eux.

Référence
1.       DURKHEIM, Émile. Les formes élémentaires de la vie religieuse. Paris, PUF, 1968.
2.       _______________. Texte 2. Religion, morale, anomie. Paris, éd. de Minuit, 1975.

3.       WEBER, Max. Hindouisme et Bouddhisme. Paris. Flammarion, 2003.


CAMPINAS, 17/10/2013

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