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dimanche 20 octobre 2019

HAITI: LA CRISE QUI ÉNERVE

Quand on dit pays de crise ou pays en crise, il faut bien vite penser à Haiti. Je me rappelle l´avoir déjà mentionné dans un article qu´Haiti est une société crisiologique, c´est-à-dire celle qui créerait une nouvelle discipline scientifique qu´on appelerait la crisiologie. Certes, Haiti n´est pas le seul pays - disons plutôt le seul endroit de la Caraibe - où les crises et les problèmes sont fréquents. Cependant, c´est la gestion de ces dernièrs qui demeure frustrante, énervante et révoltante. C´est d´ailleurs le poids de cet énervement que suscitent en nous les évenements actuels qui nous amène cet article.

En effet, nos frères et soeurs haitien-nes traversent ces jours-ci des moments noirs: des gens meurent faute de soin de santé et de nourriture, avec une alimentation brutalement réduite (on ne vit dans certaines familles que de miettes dans d´autres que de rapines, les réserves domestiques étant à sec ) une morte est certaine attend d´autres, les écoles sont fermées, d´où le gâchis de l´avenir des enfants et des jeunes, les rues sont désertes, car les petits commerces fixes ou ambulants se font rares, les entreprises publiques et privées ne fonctionnent pas, aucun couloir humanitaire n´est créé même pas pour évacuer des gens gravement malades et souffrants, en fait, Haiti vit une situation qui outrepasse la guerre puisque la guerre obéit à des règles parmi lesquelles l´évacuation des civils, la protection des écoles et la garantie de fonctionnement des hopitaux qui permet de sauver des vies.

Ce qui date plus de 6 mois depuis lorsque les événements de juillet 2019 ont déclenché n´a pas de nom. Car, face à une présidence décriée, vilipendée et méprisée vu la présence en son sein d´un individu accusé de corruption, de détournements des fonds PétroCaribe, d´usurpation de titre, enfin, qui a tous les péchés du monde sur son dos, le peuple n´ayant aucun état d´âme n´en démort pas: il veut à tout prix la tête de ce dernier et il semble être plus que jamais déterminé. À vrai dire, il n´est ni le premier ni le seul chef d´État à se trouver épinglé dans un dossier de ce genre, d´autres avant lui ont passé par là. De plus, s´il est vrai que la corruption est notre ADN, mais quand elle est si visible et criante - dans le cas qui le concerne plus précisément - elle devient insupportable et agaçante. 

Ce que le peuple haitien exprime présentement c´est son énervement des politiques publiques infructueuses et ce qui tend à l´énerver encore plus, c´est la volonté d´un type qui se croit maître de lui-même et veut lui imposer cette volonté. Il n´y a rien de plus énervant que de vivre dans une société où la sacralisation de la vie a perdu tout son sens, toute son essence et toute sa valeur, où l´humanité, le respect et la dignité sont de vains mots, où la mort n´est point un passage obligé auquel chacun attend son tour, mais la meilleure option qui reste, enfin, où le pouvoir et l´égoisme rendent les gouvernants insensibles aux souffrances des plus faibles.

Or, on veut croire que lorsque qu´un groupe de gens - pour ne pas dire le peuple - choisit une personne pour le diriger, ou de même, lorsque c´est cette dernière qui se présente volontiers à une fonction - élective ou nominative -, c´est qu´il y a deux phénomènes importants qui se produisent concomitamment, qui se parlent, se communiquent et interagissent en même temps. Il y a, d´une part, cette relation sociale qui se crée qu´on appelle confiance, celle-ci est placée dans la capacité de la personne à résoudre les problèmes passés, présents et futurs. D´autre part, c´est que le choix de cette personne traduit l´existence réelle de problèmes pour lesquels elle a été appelée ou elle s´est offerte lui-même. Ainsi donc, sa survie et sa permanence dans cette relation il les doit au conditionnement de ces deux principes. Rappelons qu´il est dit que c´est au pied du mur qu´on reconnaît le vrai maçon. Paraphrasant cette locution, je dirais que la vraie valeur d´un chef se mesure à la pointe de sa capacité à gérer des crises et à résoudre des problèmes. Autrement dit, un dirigeant n´est mature, performant et efficace que tant qu´il aura su gérer les crises.

En vertu de ces deux principes, il y a - sans besoin de reprendre les grands philosophes du contrat social tels que Rousseau et Hobbes - un accord tacite entre ces gens et le choisi ou le volontaire, un accord selon lequel il est conditionné par sa productivité et son résultat. Du coup, il devient impératif que ce résultat soit en harmonie avec leur attente. Du moment qu´une incapacité, une incompétence et un manque de performance sont constatés, l´une des parties a le droit de résilier ce contrat. Et, loin de discuter ici les conditions dans lesquelles l´individu a été élu ou nommé ou choisi, la réalité du terrain veut que les résultats dont on espérait de lui doivent être à la hauteur des besoins de ceux et celles de qui sa fonction dépend, dans le cas contraire, il faut qu´il abdique.

Il n´y a pas un seul chef d´État qui puisse se dédouaner du mensonge. Certes, la morale chrétienne défend de mentir, elle en fait même un des sept péchés capitaux. Mais qui ne mentirait pas pour sauver la vie de son être cher? Qui ne mentirait pas pour garder ses privilèges? Nous ne sommes pas ici pour faire une morale du mensonge, mais de souligner une pathologie du mensonge que l´on peut constater aujourd´hui au niveau de la gouvernance en Haiti. Celle-ci a deux sens: le menteur ne sachant pas mentir devient un malade du mensonge, irrationnel et schizophrène, ceux et celles à qui il ment découvre ses faibles stratégies mensongères, d´où, la raison qui enflamme le peuple et le pousse à bout. 

Enfin, en tout cas la situation s´empire, énerve et continue d´énerver beaucoup de gens - même certaines personnes jadis alliées du pouvoir vu que leurs intérêts sont déjà affectés, même certaines catégories sociales habituellement silencieuses et passives dans les crises haitiennes, les prêtres et les artistes, par exemple -, car être contraint de se cloîter chez soi est un mode de vie qui ne plaît à personne, faire d´Haiti une prison à ciel ouvert, un désert et un espace invivable constitue le point culminant d´une crise qui a déjà fait trop de victimes, innocentes de surcroît. Ainsi, au rythme que vont d´un côté les mouvements protestaires, d´un autre côté la position radicale et entêtée du pouvoir en place ne voulant pas entendre raison (résoudre la crise ou capituler), Haiti doit se préparer soit à vivre un lendemain meilleur soit à faire face à une pire catastrophe.

Jean FABIEN
Campinas 20 octobre 2019