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lundi 17 janvier 2022

LES DESSOUS D´UN CRIME : ET SI LES ASSASSINS ETAIENT DANS LES FAMILLES PLUTÔT QUE DANS LA VILLE ?

 Constat des faits

Dans la nuit du mercredi 7 au jeudi 8 juillet 2021, un événement tragique s'est produit à Pèlerin 5: le président Jovenel Moïse est abattu de plusieurs balles chez lui, en présence de sa femme et de ses enfants. Haiti se réveille sous le choc, car, historiquement parlant, c'est pour la quatrième fois qu'un président - la personne la plus protégée du pays - est mort dans des conditions si odieuses, occultes et tristes. Nombreux sont ceux qui, par un exercice insipide et embarrassant, essaient de comparer ce drame à un assassinat qui remonte à plus de deux siècles d´histoire : celui du père fondateur de la nation haïtienne, en l´occurrence Jean-Jacques Dessalines, le 17 octobre 1806. Ce faisant, ils tentent de faire de M. Moïse un martyr et par ce martyrisme il entrerait immaculé dans le panthéon historique haïtien. Une telle volonté à lui vouer tout un culte de martyr, alors que tout le monde sait pertinemment dans quelles conditions il était devenu président, souille la mémoire de nombreuses victimes - qu'elles soient fameuses ou pas. Nous pensons plus précisément à Me. Montferrier Dorval, froidement assassiné l'entrée de sa maison quelques jours avant; ce constitutionnaliste habitait le même quartier que le président. Il s'agit donc de deux cas de meurtre en moins d'une semaine dans le même endroit. Alors, pourquoi voir l'un comme martyr et l'autre non?

Cet effort cultuel est creux, méchant et indécent. Si ce n´est par mécompréhension de notre histoire, c´est peut-être par ignorance et étroitesse d'esprit qu´une telle comparaison s´installe dans les pensées. En effet, bien que M. Moïse devienne le quatrième sur la liste des chefs d´État – après Jean-Jacques Dessalines, Vilbrun Guillaume Sam et Cincinnatus Leconte – à avoir subi une fin si ténébreuse, son cas ressemble plus à une exécution sommaire qu´à un assassinat dans le sens classique du mot, même si, admettons-le d'ores et déjà, la frontière différentielle entre ces deux termes n´est pas toujours bien définie. De plus, les contextes sociaux et politiques dans lesquels ces hommes d'État se sont fait tuer diffèrent complètement, en ce sens que Dessalines est mort dans une embuscade dans les rues de Pont-Rouge, Sam a subi le lynchage d´une foule enragée et incontrôlable, quant à Leconte, son sort est le plus occulte de tous: le Palais national a explosé avec lui et d'autres personnes à l'intérieur. On ne saura jamais combien de morts. M. Moïse a été exécuté chez lui, dans sa propre maison, ce qui revêt ce dernier crime d'un sens symbolique particulier, que nous essayerons de décortiquer plus loin. Mais, retenons pour l'instant que ces quatre meurtres de l´histoire politique récente de ce pays ont pourtant quelque chose en commun : c´est que les assassins, les vrais bien entendu, demeurent et demeureront introuvables.

Pourquoi ? La raison est simple : en Haïti, la justice est de plus en plus décevante, elle est souffrante, enfin, elle est mourante. Si les trois premiers cas d´assassinat de chefs d´État – sans compter les innombrables assassinats faits sur d´autres personnes plus ou moins célèbres dans la société – n´ont jamais fait l´objet d´un procès national, si la justice, même à titre posthume, n´a jamais été rendue aux victimes, pas plus à leur famille, si les auteurs intellectuels et exécuteurs de ces crimes n´ont jamais été clairement identifiés ni ébranlés, alors, il m´est difficile de comprendre par quelle logique l´on connaîtra aujourd´hui les auteurs de ce dernier crime, à moins qu´on veuille faire de la démagogie. Car, d´un côté, le pays en lui-même ne dispose ni de système judiciaire fort ni de moyens technique, technologique, logistique et structurel pour un tel exploit, d´un autre côté on ne ressent pas vraiment une volonté au niveau des plus hautes instances de l´État à se pencher sur cette affaire. En plus, on constate que toute personne œuvrant dans ce sens est écartée, à commencer par le ministre des Affaires étrangères, M. Claude Joseph, qui, en dépit de tout, on doit admettre qu´il a travaillé à l´arrestation d´un auteur important dans cette exécution. Il ne s´agit pas de basculer dans le pessimisme ou le fatalisme, mais d´être réaliste. Il est vrai que le monde a grandement évolué et la justice possède aujourd´hui plus de moyens pour traquer les assassins, mais la justice haïtienne, elle, a-t-elle évolué ? La réponse, tout le monde la connaît. Il suffit juste de jeter un simple coup d´œil tant sur l´état des locaux de justice que sur les conditions de travail des juges.

Néanmoins, ce qui est arrivé à M. Moïse fait ressurgir un tas d´interrogations, certaines plus classiques que d´autres : à qui profite le crime ? Quels sont les commanditaires, auteurs intellectuels et exécuteurs ? Comment un crime se commet-il ? Dans le cas qui nous concerne présentement, posons plutôt ces questions autrement : à qui l´exécution sommaire de Jovenel Moïse profite-t-elle ? Les premiers témoins, des plus immédiats aux plus éloignés, qui sont-ils ? Quels sont le sens, la signification et la dimension d´un tel acte survenu dans un contexte d´insécurité et de violence généralisé ? Que notre démarche s´appuie sur des analyses personnelles de la situation, il s´agit d´essayer de répondre aux questions ci-dessus en soutenant l´hypothèse qu´il faudrait rechercher les assassins dans les entourages familiaux et politiques plutôt que de le faire ailleurs, en faisant nôtre l´idée d´une exécution sommaire plutôt que d´un assassinat par une démarche de parallélisme cinématographique. Ce qui est loin d´être une tâche facile.

2.      A qui profite l´exécution sommaire du 7 au 8 juillet 2021 à Pèlerin 5 ?

On sait que même dans les pays les plus avancés, dotés d´un système policier et judiciaire fort et solide, retrouver l´assassin d´une haute personnalité politique, d´un chef d´État de surcroît, participe d´une tâche titanesque parfois même impossible. Ce n´est point l´affaire d´amateurs en raison du caractère sensible de la question et les grands intérêts qu´elle peut cacher. Outre que, partout et ailleurs, ces genres de crime sont le plus souvent profitables à une élite – raciale, religieuse, politique, économique ou conservatrice –, ils témoignent surtout d´un conflit idéologique issu de la volonté d´une classe à faire échoir une autre. C´est ainsi que plusieurs personnes croient que l´exécution de M. Moïse cache d´innombrables intérêts, qu´elle a été planifiée à l´intérieur même de la famille politique du président. Que ces allégations soient vraies ou fausses, il convient de retenir qu´assassiner un chef d´État réunit une batterie de complicités et provoque une infinité de réactions. Le cas de M. Moïse n´est pas si différent.

En effet, certains pensent qu´on en voulait à M. Moïse depuis qu´il était allé chercher des alliés ailleurs (chez des Russes, chez des Taiwanais, croit-on) sans la permission des États-Unis, du coup un complot international aurait été mis en marche pour l´éliminer. Pour d´autres, l´affaire du Sogener, groupe de fourniture d´électricité en Haïti, doit être mise en première ligne de mire, en raison du fait qu´il aurait pris contre ce groupe des décisions qui visaient à réduire voire bloquer considérablement ses avantages économiques. Ces décisions, dit-on, avaient pour but de défendre les intérêts du peuple haïtien. D´autres encore soutiennent que la question raciale, ancrée dans les haines sociales haïtiennes, ainsi que le fait pour M. Moïse de s´être violemment attaqué aux intérêts de la classe économique traditionnelle et conservatrice haïtienne, tout cela aurait quelque chose à voir avec cette exécution. Autant d´opinions qui supposent que la tête de M. Moïse avait été, depuis longtemps, mise à prix d´or si bien qu´auteurs nationaux et internationaux se seraient associés pour parvenir ensemble à un tel but. Fort de ces opinions, les unes plus intéressantes que les autres, il existe par ailleurs plusieurs autres hypothèses qui puissent permettre de comprendre en profondeur cette exécution.

J´essaierai d´approcher la première hypothèse par un parallélisme cinématographique. Tout cinéphile et amant de film mafia sait que, d´un côté, quand quelqu´un a un dividende envers la mafia qu´il n´honore pas, la question de sécurité tant pour lui que pour sa famille ne tient plus, l´intégrité de sa maison ou l´inviolabilité de sa résidence perdent ainsi toute leur valeur. D´un autre côté, un deal mal tourné entre un membre de la mafia et les autres expose celui-ci au paiement d´un prix mortel. Si tel est ainsi dans les films, qui sont une facette explicative de la vie, pourquoi ne peut-il pas l´être également dans la vie réelle ? En fait, ce rapprochement entre le cinéma et la réalité – tant dans la forme que dans le fond – s´impose par la façon dont tout s´est déroulé : un commando lourdement armé s´est introduit dans la résidence privée de M. Moïse, l´a maitrisé et torturé avant de le cribler de balles, de briser ses membres supérieurs et inférieurs, de crever ses yeux et de blesser sa femme. Ces agissements et acharnements sur le corps disent long sur la façon dont il s´est fourré dans un deal lugubre qui a mal tourné et auquel son destin était désormais lié. Cela trouve son explication aussi bien dans son abandon par des acteurs internationaux que dans les interminables conflits d´intérêts au sein même de sa famille politique au point que, entre lui et ses alliés, rien n´allait plus au dernier moment. Il a donc été exécuté comme une vulgaire personne. Dans ces genres de situation, il est fort probable qu´une règle d´or ait été violée, mais laquelle ? On ne la saura peut-être jamais, car c´est de la pure mafiocratie en puissance.

Toutefois, une évidence tout au plus tranchante reste à soulever pour montrer qu´en plus d´être une exécution sommaire, il s´agit également d´un crime d´État. C´est que lors de cet événement, aucune riposte de la part des gardes rapprochés de M. Moïse n´a été rapporté, aucun policier n´a été blessé ou tué, aucun échange de tirs n´a été entendu, aucune autre personne n´a été victime, hormis sa femme atteinte de projectiles au bras. Tout ceci donne à comprendre qu´il s´agissait d´une exécution bien orchestrée au plus haut sommet de la hiérarchie décisionnelle à la fois nationale et internationale qui a le contrôle de ce pays. Elle montre aussi que M. Moïse avait perdu tout instinct de protection personnelle. Tout le contrôle du territoire, de l´appareil d´État, de son environnement familial, de son entourage politique direct ou indirect lui avait échappé. Ce manque de vigilance traduit l´affaiblissement des structures étatiques de surveillance et de protection des hommes d´État auquel il a lui-même contribué.

La deuxième hypothèse fait appel à ce que j´appellerais une liquidation « blancomanique » de M. Moïse, sachant que, dans le sens commercial et économique du terme, on liquide toujours ce dont on n´a plus besoin ou ce qui est de trop. Que faut-il entendre d´abord par l´expression « blancomanisme » dont souffre le pays ? Il n´est un secret pour personne qu´Haïti est un pays où c´est le blanc qui dit, domine et décide tout, ainsi, tout émane de sa volonté. Même pour « boucher un trou de rat », construire une latrine, il faut absolument passer par lui, à tel enseigne que dans certains quartiers populaires, à Cité Soleil ou à Martissant, par exemple, les murs de cantines populaires, de toilettes communautaires, de citernes d´eau – et j´en passe – sont trempés des logos de l´USAID pour montrer que c´est l´œuvre de cette agence étasunienne. Ce n´est qu´un exemple parmi tant d´autres étant donné que dans ce pays le blanc est surtout symbolisé par trois puissances occidentales : États-Unis, France (plus Union Européenne) et Canada. C´est ce trio, croit-on, qui décide de ce que le petit haïtien doit mettre dans son ventre, sans son accord, sa bénédiction, sa permission, son approbation, rien n´est possible. De ce fait, en Haïti, le blancomanisme n´est ni une fiction ni une invention, mais une réalité vivante, réelle et irréfutable. Mais le blanc qui est-il vraiment ? C´est un sujet que nous avons déjà abordé dans un article publié sur jeandefabien2614.blogspot.com.br.

Cela étant, nous sommes donc en droit d´avancer l´hypothèse qu´un tel crime ne se serait jamais produit si le « tonton blanc » ne l´avait pas permis. L´accuser, l´incriminer, le culpabiliser ou l´innocenter, tel n´est pas le but que nous poursuivons ici, et, de toute façon ce serait une entreprise inutile qui ne nous amènerait nulle part. Mais il s´agit plutôt de comprendre que, suivant un raisonnement logique simple, si le blanc a le contrôle de toutes les frontières et de toutes les institutions clefs du pays, à savoir, le palais national, la primature, le parlement, la banque centrale, la police – pour ne citer que celles-là –, sans compter les capacités technologiques sophistiquées qu´il détient, il avait non seulement la prémonition de ce qui se tramait contre M. Moïse, mais surtout le pouvoir de l´empêcher. « Qui peut le plus peut le moins », dit le proverbe. S´il a laissé les exécuteurs agir alors qu´il avait la pleine capacité de les arrêter, il a sans aucun doute ses raisons et il faut croire qu´il y est aussi trempé. Ce n´est pas sûre qu´on puisse connaître ces raisons parce qu´en fait elles resteront malheureusement à jamais inconnues. En attendant de résoudre ce grand désespoir, il faudrait peut-être se consoler sur cette demi-vérité : l´exécution du 7 juillet 2021 ne saurait ne pas émaner du plus haute intelligentsia des blancs internationaux mêlés aux blancs Haïtiens ayant cessé d´être nègres, qui ne voyaient plus leurs intérêts dans cet homme.

En dernier ressort, il faut prendre en compte l´avantage que procure cette exécution à la classe politique haïtienne, véreuse et pourrie, qui, quelle qu´elle soit son implication, directe ou indirecte, fait toujours sortir ses griffes de discorde lorsqu´il s´agit de défendre ses intérêts mesquins. Cet assassinat balaie le terrain politique et fait place non seulement à de nouveaux acteurs et à de nouvelles tendances, mais surtout à de nouvelles contradictions, à de nouveaux déchirements pour des portefeuilles ministériels et à de nouvelles ambitions. L´ambition la plus ressentie ces jours-ci provient, à la grande surprise de tout le monde, de la veuve de M. Moïse qui ne cache pas ses prétentions présidentialistes. Elle multiplie déplacements, interventions et prises de position politiques en s´adressant surtout aux gens de la province. Ce faisant, elle suit les traces de son feu mari. Pour certains, cette stratégie sert à brouiller et à obstruer les pistes de son témoignage, précieux en tant qu’épouse et témoin important du drame, sur l´exécution de son mari. Pour d´autres, il s´agit d´une technique d´intimation étant donné que, avant la mort de son mari, les deux étaient suspectés d´implication dans l´assassinat du célèbre avocat haïtien, Me. Montferrier Dorval. Cette exécution s´avère un déblayage qui n´a toutefois pas résolu le problème politique complexe haïtien. Elle a plutôt fait naître de faux espoirs et laissé un cigare allumé dans les deux bouts.

3.      Les premiers témoins : des plus immédiats aux plus éloignés, qui sont-ils ?

Où sont passés les premiers témoins de cette exécution ? Combien de personnes se trouvaient à la résidence de M. Moïse le soir même du crime ? Qui sont-elles ? Que sait-on sur leur identité ? Ont-elles été identifiées ? Si oui, ont-elles donné leur témoignage ? Qu´est-ce qu´elles ont déclaré au juste ? Où étaient les gardes du corps de M. Moïse qui avaient la charge de le protéger ? Où étaient les enfants ? Toutes ces questions traduisent que beaucoup de détails importants et de zones d´ombre planent gravement sur cette affaire, surtout ceux relatifs à la quantité et à l´identité des personnes présentes ce soir-là à la maison. En effet, si l´on doit partir des entourages familiaux de M. Moïse – des plus proches aux plus éloignés –, il faut d´abord cibler les membres de sa famille (sa femme et ses enfants) et ceux de sa belle-famille. Ensuite, il est important de considérer la présence des personnes fréquentant habituellement son domicile et partageant son quotidien, en l´occurrence les servantes, les gardiens de cour, les amis, les visiteurs, même un jardinier serait le bienvenu. Enfin, les dernières personnes avec qui il était en contact vingt-quatre heures avant la perpétration de l´acte ont aussi leur mot à dire. Tout dépend de la complexité de l´enquête, la police peut même envisager de remonter jusqu´au dernier mois de ses contacts. Sa femme, la survivante de cette tragédie, est, jusqu´à présent, la seule personne que nous savons qui se trouvait là.

C´est quand même très étrange pour la résidence d´un président dont on suppose être un endroit très fréquenté par des gens qui y arrivent pour diverses raisons : réunion, rencontre, demande, sollicitation de toute sorte. De plus, le jour même du drame, il se jouait un match intéressant de l´Euro 2021 : l´Angleterre affrontait le Danemark en demi-finale. Même si, il faut le préciser, on ne connait pas la préférence sportive de M. Moïse, mais s´appuyant sur l´amour et la passion de la majorité des Haïtiens pour le football, on pourrait insinuer que, mise à part sa famille, d´autres personnes auraient pu être présentes chez lui ce 7 juillet, ne serait-ce que pour cette raison sportive. Peut-être M. Moïse lui-même s´était-il intéressé à regarder le match. Toute carte doit être filée. S´il n´est pas possible d´affirmer ou d´infirmer ces présences, il est tout aussi difficile de croire qu´il n´y en avait pas. Qui étaient ces gens ? Où sont-ils maintenant ? On l´ignore. À ce que l´on sache, elles ne furent pas tuées puisqu´on n´a trouvé qu´un corps sans vie, celui de M. Moïse. Où étaient sa femme et ses enfants lors du drame ? Qu´est-ce que les policiers et les juges ont trouvé sur le lieu du crime ? Autant de questions qui resteront sans nul doute sans réponse. C´est dur. Il nous reste l´approche analogique avec les films – malgré sa limite par rapport au réel – pour comprendre cet événement.

Sur les lieux du crime – ainsi que cela se passe dans les films – tous les éléments sont importants et utiles pour l´investigation policière. Le triage et la sélection peuvent venir après, mais dès les premiers instants rien ne doit être négligé, tout doit être envisagé. C´est-à-dire qu´en matière de crime, réunir les premiers indices de façon immédiate et instantanée ainsi qu´interroger les premiers témoins présents sur le lieu du crime s´avère deux méthodes préliminaires fondamentales qui contribueront au bon déroulement de l´enquête. Le plus profane des humains le sait, nul besoin d´être savant ou expert pour le comprendre. Pourtant, c´est tout le contraire qui s´est produit dans le cas de M. Moïse : la scène de crime a été souillée, les premiers indices ont disparu, sur le lieu du crime la police n´a trouvé personne, outre qu´on ne sait rien sur l´identité des gens présents la principale survivante, l´épouse de la victime, n´était plus là. Peut-on mettre tout ça sur le compte d´un principe de secret de défense comme on le voit souvent à la télévision ? Entre temps, le peuple, lui, a ses petites idées en tête et s´imagine des noms. De fait, que la police le veuille ou pas, beaucoup de noms circulent déjà tant dans la presse nationale qu´internationale, parmi lesquels l´homme qui occupe actuellement la primature, un haut gradé de la police, des mercenaires colombiens et j´en passe. La police s´acharne à trouver les acteurs et commanditaires externes, ce faisant, elle privilégie les pistes externes par rapport aux pistes internes. Cette méthode apportera-t-elle des résultats fiables et efficaces ? C´est du moins ce que tout le monde espère. Mais préférer les preuves externes alors que les preuves internes sont tout aussi importantes et utiles – je dirais même indispensables – me semble être une méthode suspecte.

Pourquoi la police et la justice n´expliquent pas les raisons pour lesquelles, après le drame, l´épouse de M. Moïse, le témoin le plus immédiat voire le plus important dans cette affaire, a vite été évacuée par je ne sais qui ? Elle s´est réveillée sur le lit d´un hôpital étranger à Miami pour se faire opérer au bras où elle aurait reçu quelques projectiles. Comment cela s´est-il produit ? Avait-elle un accompagnement policier pour effectuer ce déplacement ? Pourquoi y a-t-il eu un tel empressement pour la faire soigner ailleurs ? N´y avait-il pas vraiment d´hôpital dans le pays qui pouvait réaliser cette opération ? Nous n´en saurons pas plus. Mais une chose est sûre, c´est que cette précipitation a carrément anéanti toute chance d´obtenir des témoignages, pistes et preuves fiables. Il n´est pas anodin d´entrevoir là encore la main manipulatrice d´un blanc, s´il faut considérer le fait qu´elle soit revenue au pays accompagnée d´agents de sécurité étrangers. Depuis ce retour, elle ne s´adresse qu´aux journalistes étrangers et ne fait qu´accroître son quotient politique. Tout ceci donnerait à croire qu´elle est sous haute protection du Département d´État américain. Ainsi, si les premiers témoins des plus immédiats aux plus éloignés sont flous, si le témoin le plus important est sous l´emprise américaine, des personnes puissantes essaient d´étouffer les preuves internes. En conséquence, je crains fort que le système judiciaire haïtien soit en mesure de rendre la justice, ce malgré toute sa bonne volonté.

4.      Le sens, la signification et la dimension d´une telle exécution

Il est temps maintenant de se pencher sur le caractère pluridimensionnel de cet événement qui marque le XXIe siècle haïtien. Cette exécution cache derrière elle beaucoup de penseurs et d´idéologues – des plus actifs aux plus invisibles. Elle met en lumière d´innombrables réalités, elle brasse avec elle plusieurs tendances, elle concerne un nombre incalculable d´acteurs, d´auteurs intellectuels et d´exécuteurs, bref, elle est plusieurs choses à la fois. C´est une exécution d´abord nationale vu que le nom de plusieurs haïtiens y sont cités ; elle est ensuite multinationale et transnational en raison de l´implication de plusieurs autres nationalités (Colombiens, Dominicains, Américains, etc.) et de sa matérialisation par quelques étrangers aidés des nationaux, elle est enfin internationale à cause de sa répercussion à l´échelle mondiale. Avant le drame plusieurs acteurs politiques et organismes de droits humains avaient dénoncé la présence de mercenaires colombiens, américains et dominicains sur le territoire national. Alors qu´au départ ils n´ont pas été pris au sérieux – soit parce que leur information était peu fiable, soit parce que les décideurs concernés savaient ce qui se tramait et ont choisi de fermer les yeux –, on apprendra que les principaux individus ayant pris part à cette exécution étaient particulièrement de nationalité colombienne, dominicaine et américaine. Ce qui se traduit par une sorte de complicité entre acteurs haïtiens et étrangers.

Par ailleurs, tandis que quelques minutes après le drame le monde entier était déjà au courant, en Haïti d´aucuns, juge et commissaire de police, n´étaient présents à temps pour constater les dégâts, recueillir les témoignages et rassembler les premiers éléments de preuve. La présence de ces derniers ne s´est manifestée que vers les cinq heures du matin, soit quatre heures plus tard puisque selon les voisins tout s´est passé entre minuit et une heure du matin. Fut-ce un hasard ? Peut-être. Mais, tout religieux et spiritualiste sait ce que cet horaire représente dans l´imaginaire haïtien. Le fait qu´un commissaire et un juge de paix aient pointé leur nez au domicile de la victime si tardivement, cela a été perçu par plus d´uns comme une sorte de mépris non seulement pour la personne du président, mais encore pour la présidence en tant qu´institution.

Or, dans les premières heures qui ont suivi le drame, la femme de la victime a été reçue dans un hôpital américain, des soins intensifs lui ont rapidement été administrés pendant que le corps sans vie de son mari allongé sur le sol gisait encore dans son sang. Entre temps, personne ne sait rien des enfants de la victime – s´ils étaient présents lors de l´exécution de leur père ou pas –, des serviteurs de la maison, des gardes rapprochés, des parents et beaux-parents, des gens de la maison. Ayant trouvé refuge au Canada, un fils de la victime se met à faire des déclarations suspicieuses pendant que sa mère n´a qu´un souci, celui de promouvoir sa candidature à la présidence. Qu´est-ce qu´est devenue cette famille ? Qu´en reste-t-il d´elle ? Par tout cela, on finit par comprendre que M. Moïse c´est d´ores et déjà du passé, que les manœuvres des autorités policière et judiciaire à lui rendre justice n´est que de la pure hypocrisie. D´ailleurs, leur arrivée tardive a non seulement été une entrave à la fiabilité de l´enquête, mais surtout une aubaine pour ceux qui auraient un quelconque intérêt dans cette évacuation précipitée de l´épouse de la victime.

5.      Considérations finales

Il faut, à titre de conclusion, réfléchir sur la rapidité avec laquelle la police haïtienne a réagi à cette exécution. Loin de lui tendre des fleurs, cette célérité est plutôt questionnable, elle aussi, dans la mesure où cette même police porte dans ses actifs une sacrée réputation d´être lente et de faire souvent preuve de faiblesse voire d´inexistence dans des cas d´enlèvement, de kidnapping et d´assassinat, devenus monnaie courante depuis bien avant la mort de M. Moise. Dans ce cas, qu´est-ce qui a pu bien motiver ce comportement même si le cas en question a concerné un ancien président ? Qu´est-ce qui prouve que les personnes arrêtées sont les vrais coupables ? N´est pas un stratagème de la police pour faire porter le chapeau à des innocents ? Ne cherche-t-elle pas elle-même à brouiller alors que son rôle principal est de protéger les vies et les biens ? Où était-elle avant la matérialisation de l´acte d´exécution ? Pourquoi n´a-t-elle pas pu le prévenir et l´anticiper ? Ne dispose-t-elle d´un service de renseignement ? Dire qu´elle savait et qu´elle a laissé faire, ce serait manquer de respect à l´institution policière. Mais la dédouaner de l´une de ses principales responsabilités, celle de prévenir les crimes, ce serait la pire insulte qu´on n´ait jamais faite à l´intelligence humaine. En tout cas, rien n´est sûr dans ce pays où l´on ne fait que poser des questions, qui resteront toujours sans réponses. Mais, cette célérité policière après coup fait revenir à l´esprit la fameuse théorie de conspiration dont l´un des principes fondamentaux est l´invention de boucs émissaires, la fabrication de fausses preuves. Or, tout bouc émissaire n´est qu´une fiction pour brouiller les pistes et créer des faux : faux acteurs, faux témoins, faux témoignages, faux coupables et fausses victimes.

Par ailleurs, il y a un dernier aspect qui mérite notre attention, c´est que plus d´uns pensent que si M. Moise avait été pris dans un guet-apens ou une embuscade hors de chez lui, cela aurait été moins humiliant, douloureux et triste pour sa famille. Ce point de vue renvoie à quelque chose comme : il n´y a aucun lieu où l´on puisse se sentir plus en sécurité que dans sa propre maison. Cet analogisme entre un lieu plus sanctuarisé et protégé qu´un autre possède, à notre avis, tout son intérêt et dégage un élément significatif qu´il importe de prendre en considération. Mais d´entre de jeu, que les choses soient bien claires : un assassinat – une exécution pour rester dans le sujet qui nous préoccupe – reste et demeure douloureux, agonisant et inacceptable quel que soit le lieu de sa perpétration, en d´autres termes, le lieu ne change rien à la souffrance provoquée par la mort brutale d´un être humain. En effet, l´idée qui est derrière cette exécution à domicile est la désacralisation et la désanctuarisation du domicile privé. Se faire assassiner chez soi, à l´intérieur de sa propre résidence, un chef d´État de surcroit, est une chose qui frémit et fait carrément tomber toute idée de forteresse, de sacralisation et de sanctuarisation que revêtait la résidence pas seulement d´un président, mais tout individu ordinaire.

Si autrefois dans ce pays le domicile privé d´une personne était un sanctuaire inviolable vu son caractère privé, sa maison était le lieu où elle se sentait le plus en sécurité, cet acte vient tout juste de mettre fin à toute cette représentation sacrosainte. Et de fait, aujourd´hui, aucun lieu ne revêt cette dimension sacrée si bien que des groupes armés se sentent de plus en plus à l´aise pour enlever des gens voire tuer un diacre au sein même d´une église avant de séquestrer sa femme. En réagissant à cet acte, certaines personnes déplorent une absence totale de solidarité, mais le problème concerne plutôt la fin de toute nature inviolable, sanctuarisée et sacrée de la propriété privée : les espaces religieux ne sont plus les lieux dont on avait peur auparavant, dont on craignait la nature sacrée et déclenchement des courroux divins. Et c´est ce qui est le plus préoccupant.

Enfin, cette exécution est un échec pour la démocratie occidentale telle qu´elle est imposée en Haïti. Car, choisir de se débarrasser de quelqu´un par ces méthodes si extrêmes et radicales remonte au temps de la barbarie. Elle regorge d´infinis mystères et dévoile par conséquent le vrai visage du champ politique : une jungle où tout petit se fait dévorer par le grand, où tout élément gênant est ipso facto éliminé.


Jean FABIEN

PHD en Sociologie.

 17/01/2022

Comment citer cet texte?

FABIEN, Jean. Les dessous d'un crime: et si les assassins étaient dans les familles plutôt que dans la ville? Campinas, SP: 2022. Blogspot. Disponible sur (...). Dernier accès le: jour/mois/année.

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