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dimanche 20 octobre 2019

HAITI: LA CRISE QUI ÉNERVE

Quand on dit pays de crise ou pays en crise, il faut bien vite penser à Haiti. Je me rappelle l´avoir déjà mentionné dans un article qu´Haiti est une société crisiologique, c´est-à-dire celle qui créerait une nouvelle discipline scientifique qu´on appelerait la crisiologie. Certes, Haiti n´est pas le seul pays - disons plutôt le seul endroit de la Caraibe - où les crises et les problèmes sont fréquents. Cependant, c´est la gestion de ces dernièrs qui demeure frustrante, énervante et révoltante. C´est d´ailleurs le poids de cet énervement que suscitent en nous les évenements actuels qui nous amène cet article.

En effet, nos frères et soeurs haitien-nes traversent ces jours-ci des moments noirs: des gens meurent faute de soin de santé et de nourriture, avec une alimentation brutalement réduite (on ne vit dans certaines familles que de miettes dans d´autres que de rapines, les réserves domestiques étant à sec ) une morte est certaine attend d´autres, les écoles sont fermées, d´où le gâchis de l´avenir des enfants et des jeunes, les rues sont désertes, car les petits commerces fixes ou ambulants se font rares, les entreprises publiques et privées ne fonctionnent pas, aucun couloir humanitaire n´est créé même pas pour évacuer des gens gravement malades et souffrants, en fait, Haiti vit une situation qui outrepasse la guerre puisque la guerre obéit à des règles parmi lesquelles l´évacuation des civils, la protection des écoles et la garantie de fonctionnement des hopitaux qui permet de sauver des vies.

Ce qui date plus de 6 mois depuis lorsque les événements de juillet 2019 ont déclenché n´a pas de nom. Car, face à une présidence décriée, vilipendée et méprisée vu la présence en son sein d´un individu accusé de corruption, de détournements des fonds PétroCaribe, d´usurpation de titre, enfin, qui a tous les péchés du monde sur son dos, le peuple n´ayant aucun état d´âme n´en démort pas: il veut à tout prix la tête de ce dernier et il semble être plus que jamais déterminé. À vrai dire, il n´est ni le premier ni le seul chef d´État à se trouver épinglé dans un dossier de ce genre, d´autres avant lui ont passé par là. De plus, s´il est vrai que la corruption est notre ADN, mais quand elle est si visible et criante - dans le cas qui le concerne plus précisément - elle devient insupportable et agaçante. 

Ce que le peuple haitien exprime présentement c´est son énervement des politiques publiques infructueuses et ce qui tend à l´énerver encore plus, c´est la volonté d´un type qui se croit maître de lui-même et veut lui imposer cette volonté. Il n´y a rien de plus énervant que de vivre dans une société où la sacralisation de la vie a perdu tout son sens, toute son essence et toute sa valeur, où l´humanité, le respect et la dignité sont de vains mots, où la mort n´est point un passage obligé auquel chacun attend son tour, mais la meilleure option qui reste, enfin, où le pouvoir et l´égoisme rendent les gouvernants insensibles aux souffrances des plus faibles.

Or, on veut croire que lorsque qu´un groupe de gens - pour ne pas dire le peuple - choisit une personne pour le diriger, ou de même, lorsque c´est cette dernière qui se présente volontiers à une fonction - élective ou nominative -, c´est qu´il y a deux phénomènes importants qui se produisent concomitamment, qui se parlent, se communiquent et interagissent en même temps. Il y a, d´une part, cette relation sociale qui se crée qu´on appelle confiance, celle-ci est placée dans la capacité de la personne à résoudre les problèmes passés, présents et futurs. D´autre part, c´est que le choix de cette personne traduit l´existence réelle de problèmes pour lesquels elle a été appelée ou elle s´est offerte lui-même. Ainsi donc, sa survie et sa permanence dans cette relation il les doit au conditionnement de ces deux principes. Rappelons qu´il est dit que c´est au pied du mur qu´on reconnaît le vrai maçon. Paraphrasant cette locution, je dirais que la vraie valeur d´un chef se mesure à la pointe de sa capacité à gérer des crises et à résoudre des problèmes. Autrement dit, un dirigeant n´est mature, performant et efficace que tant qu´il aura su gérer les crises.

En vertu de ces deux principes, il y a - sans besoin de reprendre les grands philosophes du contrat social tels que Rousseau et Hobbes - un accord tacite entre ces gens et le choisi ou le volontaire, un accord selon lequel il est conditionné par sa productivité et son résultat. Du coup, il devient impératif que ce résultat soit en harmonie avec leur attente. Du moment qu´une incapacité, une incompétence et un manque de performance sont constatés, l´une des parties a le droit de résilier ce contrat. Et, loin de discuter ici les conditions dans lesquelles l´individu a été élu ou nommé ou choisi, la réalité du terrain veut que les résultats dont on espérait de lui doivent être à la hauteur des besoins de ceux et celles de qui sa fonction dépend, dans le cas contraire, il faut qu´il abdique.

Il n´y a pas un seul chef d´État qui puisse se dédouaner du mensonge. Certes, la morale chrétienne défend de mentir, elle en fait même un des sept péchés capitaux. Mais qui ne mentirait pas pour sauver la vie de son être cher? Qui ne mentirait pas pour garder ses privilèges? Nous ne sommes pas ici pour faire une morale du mensonge, mais de souligner une pathologie du mensonge que l´on peut constater aujourd´hui au niveau de la gouvernance en Haiti. Celle-ci a deux sens: le menteur ne sachant pas mentir devient un malade du mensonge, irrationnel et schizophrène, ceux et celles à qui il ment découvre ses faibles stratégies mensongères, d´où, la raison qui enflamme le peuple et le pousse à bout. 

Enfin, en tout cas la situation s´empire, énerve et continue d´énerver beaucoup de gens - même certaines personnes jadis alliées du pouvoir vu que leurs intérêts sont déjà affectés, même certaines catégories sociales habituellement silencieuses et passives dans les crises haitiennes, les prêtres et les artistes, par exemple -, car être contraint de se cloîter chez soi est un mode de vie qui ne plaît à personne, faire d´Haiti une prison à ciel ouvert, un désert et un espace invivable constitue le point culminant d´une crise qui a déjà fait trop de victimes, innocentes de surcroît. Ainsi, au rythme que vont d´un côté les mouvements protestaires, d´un autre côté la position radicale et entêtée du pouvoir en place ne voulant pas entendre raison (résoudre la crise ou capituler), Haiti doit se préparer soit à vivre un lendemain meilleur soit à faire face à une pire catastrophe.

Jean FABIEN
Campinas 20 octobre 2019

mercredi 27 février 2019

LA PROCÉDURE DE MISE EN ACCUSATION DES HAUTS FONCTIONNAIRES DE L´ÉTAT DANS LE SYSTÈME JURIDIQUE HAÏTIEN: RÉFLEXIONS CRITIQUES SUR LA COMPÉTENCE ET L´IMPUISSANCE DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE


THE PROCEDURE OF THE IMPEACHMENT OF THE SENIORS STATE OFFICIALS IN THE HAITIAN LEGAL SYSTEM: CRITICAL REFLECTIONS ON THE JURISDICTION OF THE HIGH COURT OF JUSTICE

Résumé

Ce travail a pour objet l´analyse de la procédure de mise en accusation des hauts dignitaires de l´État à commencer par le président et le premier ministre dans le système juridique haïtien. En se basant sur la constitution et les lois haïtiennes, et, à la lumière d´exemples comparatifs dont le Brésil, l´objectif consiste à faire ressortir les ambiguïtés et les confusions dont une telle procédure est frappée alors qu´elle ne saurait être conduite que par cette juridiction politique appelée la Haute Cour de Justice. Cette étude, en termes de résultat, devra nous amener à souligner  la compétence et l´impuissance de cette Cour.

Mots-clé: Haute Cour de Justice. Mise en accusation (Impeachment). Haut fonctionnaires de l´État. Procédure.

Abstract

The purpose of this work is to analyze the impeachment process of senior state officials, 
starting with the president and the prime minister in the Haitian legal system. Basing on 
the Haitian constitution and laws, and in the light of comparative examples including 
Brazil, the objective is to bring out the ambiguities and confusions that such a procedure 
is struck at when it can only be conducted by that political jurisdiction called the High 
Court of Justice. This study, in terms of results, should lead us to emphasize the 
competence and the impotence of this Court.

Keywords: High Court of Justice. Impeachment. Seniors State officials. Procedure

Introduction

Afin de contrevenir aux dérives, impressions d´intouchabilités et super puissanceque projettent certains hauts fonctionnaires de l´État dans l´exercice de leur fonction, la constitution haïtienne du 29 mars 1987 - dont le dernier amendement remonte à 2012 - institue, dans les articles 185 à 190, une instance appelée laHaute Cour de Justice[1] chargée d´instruire la procédure de mise en accusation - appelée dans le jargon juridique anglo-saxon Impeachment - des hauts fonctionnaires de l´État qui, dans l´exercice de leur fonction, se seraient trouvés coupables de crimes ou délits, de les poursuivre et de les juger conformément à la constitution et aux lois républicaines. En créant cette instance, on peut supposer que, théoriquement, les constituants avaient en tête de faire valoir le principe selon lequel le pouvoir arrête le pouvoir enmettant un frein et un terme au super pouvoir et à la puissance illimitée que s´octroyait la présidence et de porter les hauts dignitaires de l´État à avoir bonne conscience de ce que tout ne leur est pas permis dans l´exercice de leur fonction et que, bien que protégés par la Loi, la haute fonction qu´ils occupent peut les rendre plus fragiles qu´ils ne l´auraient imaginé. Ne dit-on pas dans le proverbe créole haïtien: “lè yon moun sot pi wo li pran pi gwo so”? Tout cela est vraiment fantastique sauf dans un État de droit où la loi et les institutions occupent la suprématie et surpassent les intérêts individuelles.

Cependant, depuis la mise sur pied d´une telle procédure beaucoup de doutes persistent tant sur sa nature et son efficacité que sur le fonctionnement, l´utilité, la capacité et la puissance de cette Cour qu´elle crée à poursuivre puis à juger effectivement un haut fonctionnaire de l´État, enfin, à rendre une décision de justice impartiale et équitable.Sur ce nous pouvons nous demander, depuis sa création, combien de hauts fonctionnaires ont-ils été jugés par la Haute Cour de Justice;combien de fois le Sénat haïtien s´est-il effectivement érigé en cette Cour;autrement dit, quelssont les procès que celle-ci a instruis et combien de jugements a-t-elle déjà rendus? Toutefois, ces questionnements s´ancrent à un problème beaucoup plus global et complexe, à savoir, l´handicape interdépendance entre les trois pouvoirs de l´État et la manière de faire de la politique dans ce pays.

Dans cet article dont l´objectif est de mettre en évidence les ambiguïtés et confusions qui caractérisent la Haute Cour de Justice, notre tâche consistera à comprendre comment fonctionne cette Cour tout en partant d´une tentative de définition de telle sorte que nous parviendrons à cerner le sens de cette notion; à chercher à savoir si, dans le cas du système juridique haïtien, il existe réellement une procédure y relative; à considérer l´exemple de l´Impeachment brésilien de 2016 pour dissiper certaines lacunes qui ancrassent le droit haïtien; à faire ressortir le caractère dysfonctionnel de la Cour; à expliquer pourquoi elle est impuissante, enfin, à réfléchir sur ce qui pourrait être à l´origine de l´échec de la tentative de mise en accusation de 2013 à 2014 ne Haïti. C´est en nous référant aux textes de loi haïtiens (la constitution amendée principalement), à quelques articles publiés dans les journaux sur le sujet, au système juridique et politique brésilien, que, dans ce travail, nous allons essayer de montrer que la saisine, le mode de fonctionnement et la compétence de cette Cour la diffèrent complètement des autres instances de jugement ordinaires, qu´elle est impuissante compte tenu de la façon dont le système politique et social haïtien est campé, par rapport à la mauvaise qualité de gestion de cette société et au mode de relation que nous développons avec les institutions.Sur ce, commençons d´abord par répondreau premier point relatif à la définition de la Haute Cour de Justice tout en cherchant à comprendre en quoi consiste la mise en accusation dont elle tire son existence.

1. Qu´est-ce que c´est que la Haute Cour de Justice?

Le droit français prévoit une Haute Cour constituée par le parlement et chargée de juger le président, et le cas échéant, de le destituer. Cette procédure de destitution est prévue à l´article 68 de la constitution française de 1958[2]. La Haute Cour de Justice, terme que l´on retrouve dans le droit haïtien[3] est - comme l´a souligné le constituant Dr. Georges Michel dans un article publié en 2011 au quotidien Le Nouvelliste - une juridiction à essence politique qui applique des sanctions symboliques, qui ne sont donc ni pénales ni civiles, à l´encontre de hauts personnages. Créée en effet depuis la constitution de 1806 et reprise par celle de 1987 à des fins politiques, elle est appelée à juger, particulièrement le président, pour les actes manifestement incompatibles avec l´exercice du mandat. Elle statue pour juger et sanctionner aussi les hauts fonctionnaires de l´État accusés d´infractions, délits ou crimes commis pendant qu´ils sont en fonction.

Il faut, par ailleurs,souligner par la même occasion que cette procédure concerne strictement - la constitution étant d´application et d´interprétation stricte - les hauts fonctionnaires en fonction, qui, au mépris de la loi, auraient commis des crimes ou délits passibles uniquement de la Haute Cour de Justice. Donc, elle ne peut les juger que pendant qu´ils sont encore en fonction. En revanche, une fois qu´ils ont laissé la fonction et dans le cas où la sentence de la Cour n´a pas été prononcée, ils relèvent désormais uniquement des tribunaux de droits communs et ne pourront être poursuivis que par ceux-ci en vertu du Code d´Instruction Criminelle. Ce qui fait que tous les anciens hauts fonctionnaires de l´État ne sont justiciables ni de près ni de loin par devant la Haute Cour de Justice dont les sanctions sont plus de nature politique que juridique et est chargée des dossiers exceptionnels puisqu´elle est une juridiction d´exception. À partir de cette remarque, on peut comprendre fin de la fonction d´un haut fonctionnaire impose une sorte de limite et de prescription à la procédure de mise en accusation en soi.

Outre que les sanctions de cette Cour s´appliquent dans le droit positif haïtien au président etau premier ministre, elles concernent également les ministres,les secrétaires d´État, les conseillers électoraux, les juges et officiers du Ministère Public près de la Cour de Cassation et le Protecteur du citoyen. Les infractions dont elle est compétente de juger et de sanctionner sont le crime de la haute trahison, malversations, abus de pouvoirs, fautes graves et forfaiture. En effet, en référence à sa composition l´article 185 de la constitution se lit ainsi:

Le Sénat peut s'ériger en Haute Cour de Justice. Les travaux de cette Cour sont dirigés par le Président du Sénat assisté du Président et du Vice-Président de la Cour de Cassation comme Vice-Président et Secrétaire, respectivement, sauf si des juges de la Cour de Cassation ou des Officiers du Ministère Public près cette Cour sont impliqués dans l'accusation, auquel cas, le Président du Sénat se fera assister de deux (2) Sénateurs dont l'un sera désigné par l'inculpé et les Sénateurs sus-visés n'ont voix délibérative (HAÏTI, Constitution de 1987).

Ce qu´on peut comprendre ici, c´est que la mise en accusation donne naissance à la Cour, laquelle naissance semble effacer automatiquement l´existence du Sénat. Ceci ne saurait être autrement vu que les deux ne peuvent siéger en même temps, de plus, pour que la démarche soit effective, il faut qu´elle poigneautomatiquement juste après le prononcé de la mise en accusation qui consiste en un vote solennel issu de la chambre des députés, lequel vote en transformant ainsi l´accusé en coupable le renvoi par devant la Cour pour y répondre des actes qui lui sont reprochés. De fait, comme on va le voir tout de suite, le véritable accusateur demeure la chambre des députés à laquelle la constitution accorde cette prérogative de formuler son accusation contre le (les) dignitaires de l´État en question.

2. Y a-t-il une procédure à suivre?

En référence à la constitution haïtienne et du point de vue procédural la mise en accusation est issue de la chambre des députés qui la décide en fonction de la majorité des 2/3 de ses membres (Art. 186). L´élévation du Sénat en Haute Cour de Justice représenterait la seconde étape de cette procédure. Cependant, si elle apparaît si peu compliquée dans la forme, dans le fond elle contient toutefois certaines ambiguïtés. Il est dit, en effet, qu´à la majorité des 2/3 d´entre eux les députés accusent.Sur ce, la logique veut qu´une procédure d´accusation se mette en branle contre un des hauts fonctionnaires de l´État mentionnés ci-dessus. Or, la constitution ou une loi relative à la mise en application de cette procédure ne précisent pas clairement la substantialité de cette mise en accusation, comment les preuves matérielles sont constituées ni si le rapport à être dressé par les députés-accusateurs doit être ou non envoyé par devant le Sénat pour les suites juridico-politico-légales. De même, la législation haïtienne ne parle pas de dénonciation, étape importante et fondamentale dans la mise en accusation, elle est donc muette quant à la façon dont celle-ci doit être formulée, quand et par qui. On a l´impression que l´accusation tombe du ciel et que, par un coup de magie, le Sénat s´efface pour devenir cette fameuse Haute Cour de Justice. On n´entrevoit pas la traçabilité, la matérialité et la substantialité de la mise en accusation. Il s´agit donc ici d´un premier aspect des ambiguïtés de cette procédure à souligner.

Par ailleurs, il y a une certaine difficultéàdéterminer si le Sénat s´érige automatiquementen cette Cour en se statuant uniquement sur son propre rapport ou est-ce qu´elle est habilitée - si une loi procédurale lui en aurait autoriséet en vertu du principe de l´indépendance et de la séparation des deux chambres - à mener sa propre enquête pour parvenir à ses propres conclusions identiques ou pas à celles de leurs collègues députés. En outre, nous nous demandons si ce sont les deux chambres qui mènent conjointement l´instruction de la mise en accusation ou la mènent-elles de façon séparée et indépendante.Enfin, ambiguë en vertu du fait que la procédure présentée ici à l´article 186 ne donne pas matière à comprendre la démarche de l´accusation qui aurait dû commencer par une procédure de dénonciation. Ce qui la rend un peu floue voire complexe et compliquée surtout s´il s´agit d´un président. Dans le système social et politique d´Haïti, en réalité le président n´est pas un mineur, mais un faux mineur qui se prend pour un super homme revêtu de super pouvoir.

Si l´on essaie de creuser un peu plus profondémentdans la pensée du législateur, on verra, quand il est dit à l´article 188: “La Haute Cour de Justice, au scrutin secret et à la majorité absolue, désigne parmi ses membres une Commission chargée de l'instruction”, qu´il est logiquement admis que ce soit elle qui, une fois constituée, ouvre la voie à la troisième étape de la procédure en élisant sa propre commission afin d´instruire l´affaire. Le sens de cette instruction est, de notre point de vue, pour déterminer le fondement de l´accusation des députés. En se tenant à la lettre de cet article et des précédents, il y a lieu de comprendre que le travail des honorables députés commence et s´achève avec la mise en accusation dont l´entrée en jeu initie celui du Sénat qui se transforme en Haute Cour de Justice. Dans un cas pratique que nous aborderons plus loin, nous verrons que les deux chambres du parlement haïtien ont séparément conduit une mise en accusation sur un même dossier. Ainsi, la procédure qui existe dans la constitution amendée n´est pas tout à fait claire en raison du fait qu´elle ne dissipe pas les doutes sur les contenus de l´accusation, qu´elle ne fait aucune mention d´une dénonciation alors qu´elle est un élément fondamental de l´accusation, qu´elle n´est pas accompagnée d´une loi procédurale à proprement parler.

3. Comment fonctionne la Haute Cour de Justice?

À la différence de la Cour de Cassation, cette instance de jugement spéciale ne siège pas en permanence, elle est occasionnelle et sa durée, provisoire, est conditionnée par le déroulement du procès de la mise en accusation. Par contre, comme celle-ci ses décisions, rendues à la majorité des 2/3 de ses membres sous forme de décret, sont définitives, donc ne sont susceptibles d´aucun recours. À l´encontre des hauts fonctionnaires jugés pour crime de haute trahison ou tout autre crime ou délit commis dans l´exercice de leur fonction la HauteCour de Justice n´est habilitée et limitéeà prononcer que les décisions suivantes selon l´article 189.1 de la constitution haïtienne amendée:  destitution, déchéance et privation d´exercer toute fonction publique pour une durée allant de 5 ans au moins à 15 ans au plus. En définitif, l´article 190 stipule que, une fois saisie, elleest tenue d´aller jusqu´au bout du prononcé de la sentence.

Elle puise concomitamment son existence et son fonctionnement à travers les deux chambres qui composent le parlement haïtien, à savoir, la chambre des députés et le Sénat. En règle générale et en toute logique, le haut fonctionnaire en exercice, accusé par cette cour, n´est exposé qu´à un des deux scénarios ici présents: destitution ou réhabilitation. Celle-ci implique ipso facto absolution et acquittement différemment de celle-là qui traduit la peine maximum. S´il s´agit du président de la république, sa destitution ouvre la voie automatiquement au conseil des ministres - présidé par le premier ministre selon les articles 149 et suivants de la constitution amendée - qui le remplace provisoirement. Or, si les deux, savoir, le président et son premier ministre, sont simultanément visés par la procédure de la destitution, ni la constitution ni aucune loi ne précisent qui les remplace ou ce qu´il conviendrait de faire si un pareil cas se présenterait. Tel est un vide laissé à diverses interprétations. À ce que l´on comprenne, dans le droit haïtien contrairement à ce qui se passe ailleurs, ce n´est pas le Sénat qui juge les hauts fonctionnaires de l´État, mais une instance désignée sous le nom de la Haute Cour de Justice présidée elle-même par le président du Sénat en personne. Donc, en résumé, si la chambre basse accuse le Sénat poursuit et juge.

Mais si le processus de destitution prend naissance au niveau de la chambre des députés, comment ces derniers parviennent-ils à constituer les preuves matérielles pour mettre en accusation un haut fonctionnaire de l´État, surtout lorsqu´il s´agit du président[4]? Par quel procédé? Quel est en clair le processus par lequel un haut fonctionnaire de l´État peut-il être accusé de crime de haute trahison ou de crime ou de délit dans l´exercice de ses fonctions? Comment sont constituées les preuves substantielles d´une telle accusation? Bien sûr que nous n´allons pas avoir la réponse à toutes ces questions qui nous chiffonnent l´esprit, et, à ce qu´il paraît, non seulement la loi et la jurisprudence haïtiennes ne nous apportent aucune aide légale, mais la constitution et les lois haïtiennes sont muettes sur la question. Pour combler ce vide et essayer de comprendre comment cela se passe, nous ferons donc appel à l´exemple de l´Impeachment brésilien.

4. L´Impeachment brésilien, un cas classique pour comprendre la traçabilité de la mise en accusation.

Au Brésil - de même qu´aux États-Unis, en France ou en Angleterre -, il existe clairement dans la constitution de 1988 la possibilité de destituer un haut fonctionnaire de l´État à commencer par le président, le vice-président ou les ministres d´État. Cette prérogative revient, selon les articles 51 et 52 de cette charte fondamentale, d´abord à la chambre des députés de laquelle provient l´accusation, puis du Sénat chargé d´organiser le jugement. Il y a lieu de faire remarquer qu´une loi antérieure à cette constitution - ancrée plus tôt à celle de 1946 - avait créé cette procédure d´accusation, il s´agit de la Loi no.1079 du 10 avril 1950, qui, en dépit de ses grosses lacunes[5], outre qu´elle détermine les hauts fonctionnaires à accuser, trace très clairement la procédure à suivre depuis la dénonciation jusqu´au jugement final. Celle-ci en effet consiste à dénoncer, ensuiteà poursuivre, puisà juger etenfin à destituer n´importe quel haut dignitaire de l´État en exercice pour les crimes graves dont ils sont coupables. Leur destitution doit passer, bien entendu, par leur mise en disponibilité provisoire pour une durée de 180 jours en attendant qu´un jugement final vienne soit les rétablir intégralement dans leur fonction - s´ils ont été innocentés -, soit les destituer définitivement dans le cas où les faits reprochés sont avérés.

Dans le droit brésilien, cette procédure ne peut être enclenchée que pour les crimes de responsabilité parmi les plus connus nous retenons le crime contre l´existence de l´union et le crime contre la loi budgétaire. En effet, le crime de responsabilité s´entend, selon l´article 4 de cette loi désormais appelée Loi d´Impeachment dans l´opinion publique au Brésil, tout acte du président de la république susceptible de porter atteinte principalement à la Constitution Fédérale et, particulièrement, à l´exercice du pouvoir judiciaire, du pouvoir législatif et des pouvoirs de l´État, au libre exercice des droits politiques, individuels et sociaux, à la sécurité interne du pays et ainsi de suite. Toutefois, la procédure relative à l´Impeachment d´un haut fonctionnaire ne commence pas toujours à la chambre des députés, elle varie selon le type de fonctionnaire et l´organe institutionnel auquel celui-ci appartient[6].

Avant de mettre un peu d´accent sur l´essentiel de l´Impeachment de 2016 - une histoire fraîche et inspiratrice dans le cadre de cet article - afin de comprendre par quel procédé la présidente Dilma Rousseff a été accusée, puis écartée de la présidence pour 180 jours, enfin destituée par le Sénat brésilien, il est important de souligner, de façon très succincte, que, selon cette loi brésilienne sur l´Impeachment, il est du ressort de n´importe quel citoyen de produire par devant la chambre des députés une dénonciation contre le président, le vice-président ou les ministres d´État pour les crimes de responsabilité prévus à l´article 14 de la loi sus-citée, ce en l´accompagnant de preuves matérielles et de témoins. Il revient au  président de la chambre des députés d´apprécier la recevabilité oul´irrecevabilité de cette dénonciation. De ce fait, une fois reçue à la chambre des députés et le président estime qu´il y a matière à poursuivre, la dénonciationsera soumise d´abord à une étude technique ordonnée par le président de la chambre afin que l´assemblée, par des analyses et avis de techniciens, puisse voter de sa recevabilité ou de son irrecevabilité. Pour ce faire, c´est à une commission d´enquête spéciale - constituée parmi les députés et à laquelle un délai de 10 jours est accordé - que reviendra la tâche de dire si oui ou non la dénonciation peut être reçue. Dans l´ensemble, le processus est marqué par quatre étapes clés: dénonciation, accusation, jugement et destitution ou réhabilitation.

La réhabilitation ou la réintégration sous-entend que l´inculpé a reçu un avis défavorable des commissions d´enquête[7] de son inculpation à une phase initiale du procès, ce après avoir été l´objet de deux grandes décisions: le prononcé de l´accusation et la suspension d´exercer la fonction pendant 180 jours. Si cet avis défavorable se produit à la chambre des députés, le procès sera d´ores et déjàarchivé là et n´aura donc pas besoin d´être acheminé au Sénat. Dans ce cas, puisqu´il n´était pas encore écarté de ses fonctions pendant cette durée de temps, alors on ne peut pas parler de réintégration ou de réhabilitation, mais le président ou le haut fonctionnaire concerné par la dénonciation continuera ainsi à exercer ses fonctions normalement. Le haut fonctionnaire n´est suspendu qu´après le prononcé de l´accusation par la chambre des députés et le renvoi de l´affaire par devant le Sénat.  Cependant, le rapport de la commission ayant été soumis au vote des députés, il suffit d´avoir 2/3 d´avis favorables de ces derniers (324/513) pour que le procès soit enclenché. À cet effet donc, le concerné dispose de 20 jours pour assurer sa défense pendant qu´il est automatiquement écarté de sa fonction pour une période de 6 mois[8]. Cette mise en disponibilité est moralement et éthiquement correcte dans la mesure où maintenirle concerné dans son poste pourrait gravement nuire au procès ou l´obstruer.

Au Sénat, présidé non pas par son président habituel, mais par le président du Tribunal Suprême Fédéral[9], débute le jugement de l´Impeachment dont résultera la décision finale, soit en faveur de l´accusé ou à son encontre, signée par les 2/3 des sénateurs (54/81). Le président - si sa culpabilité est avérée - sera définitivement destitué de sa fonction et remplacé automatiquement par le vice, perdra ses droits civils et politiques pour huit ans et pourra être poursuivie par les tribunaux de droits communs. Dans le cas contraire, il sera rétabli dans ses fonctions après en avoir été écarté pendant cette période de 180 jours. Par ailleurs, si le vice-président est aussi impliqué dans le procès, dans le cas d´une destitution des deux, il reviendra au président de la chambre des députés d´assumer la présidence et celui-ci restera en poste jusqu´à l´élection, dans un délai d´au moins 90 jours, d´un nouveau président. Telle est, en résumé, dans le droit brésilien, la procédure relative à la mise en accusation du président, du vice-président et des ministres d´État[10], qui commence par la réception d´une dénonciation jusqu´au jugement final en passant par l´accusation.

À présent, en ce qui concerne l´Impeachment de 2016, du point de vue historique et procédural, le procès a commencé en décembre 2015 lorsque trois avocats, Janaina Pascoal, Hélio Biscudo et Miguel Reale Junior., après avoir constitué dossiers, preuves matérielles et documents juridiques, ont déposé à la chambre des députés une dénonciation suivie d´une demande de destitution contre la présidente en fonction à l´époque, Dilma Rousseff, pour crime fiscal contre la loi budgétaire et les crédits supplémentaires qu´elle aurait ordonnés sans l´autorisation du Congrès. Cette demande après avoir été reçue par le président de cette chambre a d´abord fait l´objet d´une appréciation sommaire de sa part et, ayant constaté qu´effectivement il y a matière à poursuivre, il a ordonné une étude technique plus approfondie par une commission spéciale des députés. Et, de fait, comme on vient de le souligner, aiguisées par cette commission les dénonciations portées contre la présidente ont reçu un avis favorable des honorables députés. Ce qui a abouti à une procédure de mise en accusation à la chambre des députés, puis à la destitution de la présidente par le Sénat en août 2016 lors d´un jugement final présidé à l´époque par le juge du Tribunal Suprême Fédéral, Ricardo Lewandowski[11].

Dans un premier temps, nous avons choisi l´exemple brésilien non seulement parce qu´il est récent et facileà comprendre dans le fond comme dans la forme, mais encore parce qu´il montre très clairement, d´une part, la source d´où provenait la destitution de la présidente en fonction à l´époque, c´est-à-dire, de la dénonciation qui a été l´œuvre d´un groupe de citoyens et sur la base de laquelle la chambre des députés s´est statuée pour parvenir à la mettre en accusation. Ce qu´il y a lieu de souligner encore, d´autre part, c´est que, premièrement, la chambre ne s´est pas auto-saisie, autrement dit, la plainte ne venait pas d´elle-même, deuxièmement, même si le procès d´Impeachment reste en soi d´ordre strictement politique, la demande dont il est émané et sur laquelle s´est appuyée la chambre des députés pour enclencher l´accusation vient de l´extérieur d´une initiative juridico-citoyenne de trois personnes physiques et axée sur un ensemble de documents juridiques, troisièmement, le jugement final a été présidé non pas par le président du Sénat, mais par celui du Tribunal Suprême Fédéral[12] dont les attributions sont clairement définies aux articles 101 à 103-B de la constitution fédérale. Donc,  d´un côté, il y a la marque d´un certain équilibre entre les pouvoirs de l´État bien que, on le répète, le procès se réalise avec une portée plus politique que juridique ou judiciaire. Enfin, d´un autre côté, cette cohabitation fait ressortir une question d´éthique dans la mesure où ce sont les députés qui deviennent les véritables accusateurs et les sénateurs les juges. Sinon c´aurait été une parodie de justice.

En second lieu, avec ce cas pratique il s´agit de faire remarquer la faiblesse et la carence du système juridique haïtien. Elles concernent la dimension formelle de la procédure.En effet, si nous voyons bien, dans le système brésilien, une loi corrobore et soutient la constitutionqui concède aux députés et sénateurs le droit d´accuser, de poursuivre et de juger le président, le vice-président et les ministres d´État. En outre,le plus important c´est l´aspect communicationnel entre les deux structures du parlement: la chambre instruit l´affaire et renvoie sa mention d´accusation par devant le Sénat pour les suites que de droit. Or, si l´on compare les deux législations, on pourraitdire que c´est à peu près la même procédure qui s´exécute, mais ceci est faux parce que la législation haïtienne est boiteuse par rapport à celle du Brésil. Si nous nous tenons strictement à la lettre de la constitution - étant donné que c´est le seul texte légal dont nous disposons sur le sujet -, on ne parle d´aucune commission d´enquête au niveau de la chambre, donc elle ne saurait produire un rapport. Cette commission, appelée Commission d´Instruction, est formée par la Haute Cour de Justice par vote secret toujours à la majorité de 2/3 de ses membres. Donc, on ne voit pas ici par quel procédé l´accusation est accouchée au sein de la chambre basse, de plus, quels sont attributions, mission et délai de cette commission, là encore la loi est silencieuse.

Ce qui biaise notre tentative de comparaison, car dans le système juridiquehaïtien, nous n´avons accès à aucun texte légal de cette procédure, de plus, des exemples concrets de hauts fonctionnaires jugés par la Haute Cour de Justice sont inexistants. Pourrait-on citer le procès de la consolidation au cours de laquelle la loi du 28 juin 1904, qui serait une référence en la matière a été appliquée? Même là encore, les ambiguïtés ne peuvent être dissipées parce que la majorité des hauts fonctionnaires épinglés dans ce dossier a continué d´occuper de hautes fonctions. Il est vrai que c´est un processus de haute qualité et hors du commun, mais un exemple dans la société haïtienne serait la bienvenue et nous aiderait à mieux comprendre. C´est aussi un handicape à cette procédure puisqu´elle n´a absolument aucun exemple qui l´accompagne et la matérialise. À mesure que le pays s´enfonce dans les pratiques de coups d´état il s´éloigne des possibilités de donner vie à cette Cour et de la rendre efficace. Or, les coups d´état sont, à l´inverse de la procédure d´Impeachment, la voie la plus facile et la plus rapide aussi, par conséquent la voie désinstitutionalisante de la Haute Cour de Justice. Enfin, malgré la délicatesse du système politique américain, le pays a connu trois procédures de mise en accusation de présidents en fonction, le Brésil n´en a connues que deux, alors n´était-ce pas les coups d´état on ne serait mesure de compter celles qu´Haïti aurait pu accoucher. Tout au moins, l´exemple de ces pays nous démontre toute la complexité de la procédure surtout lorsqu´elle indexe un président de la république.

5. Le caractère dysfonctionnel de la Haute Cour de Justice en Haïti

Dans le cas d´Haïti, si la constitution, texte monumental et référentiel des grandes lignes de l´organisation de l´État et de la société, crée la Haute Cour de Justice, il revient par conséquent à une loi spécifique d´en définir plus largement la portée, la définition, l´organisation et le mode de fonctionnement. À défaut de celle-ci, la Cour est bancale et ne peut produire aucune efficacité quant à la bonne marche de l´État et à l´établissement d´un État de droit.Dans le système juridique haïtien, il existerait une loi, celle du 28 juin 1904 - toujours en vigueur, mais très désuète -, qui, paraît-il, tracerait une procédure de destitution du président ou de tout autre haut fonctionnaire. Elle aurait en quelque sorte renforcé la Loi du 7 juillet 1871[13] qui apporterait des précisions sur les dénonciations concernant les fonctionnaires en fonction. Or, il est clair que dans l´état actuel du système social et politique haïtien ces deux lois, désuètes et inadaptables, ne peuvent plus répondre aux besoins de la société. Les lois désuètes ne manquent pas dans le système juridique haïtien. Mais, étant donné que ces deux textes ne sont point accessibles, il est donc difficile d´en prendre connaissance et d´en analyser la portée. Cette évaluation, peut-être, nous aurait-elle permis - comme nous venons de le voir dans le cas brésilien - de comprendre le mécanisme par lequel la chambre des députés est saisie d´une dénonciation contre un haut fonctionnaire en exercice, comment elle procède en fonction de celle-ci pour juger si oui ou nonelle est susceptible de suivre un parcours procédural tel que prévu par la loi. Mais, cette législation fait gravement défaut etc´est ce qui constitue un handicap majeur quant à la compétence même de cette Cour voire à sa capacitéà juger les hauts fonctionnaires.

On serait même tenté de dire que si, d´un point de vue logique et méthodologique, l´article 185 de la constitution haïtienne n´aurait pas dû succéder les 186 et suivants, car c´est en vertu de la prononciation de la mise en accusation provenant de la chambre des députés que le Sénat pourra s´élever à la hauteur d´une telle Cour. Or, on ne comprend pas trop pourquoi le Sénat doit-il s´ériger en Haute Cour de Justice si celle-ci doit être présidée par le président du Sénat, ni pour quelle raison ce n´est pas le président de la Cour de Cassation[14]- la plus haute instance suprême de jugement - qui préside cette juridiction spéciale siégeant à l´extraordinaire pour juger des gens extraordinaires. En dépit de toute sa dimension hautement et essentiellement politique, il s´agit quand bien même d´un jugement, ce malgré la présence de l´assemblée politique que représente le parlement. Le sens même de l´expression Haute Cour de Justicenous laisse perplexe dans la mesure où le jugement est administré par le président du Sénat, un personnage controversé revêtu d´une casquette hautement et essentiellement politique. Pour nous, vue cette configuration préalable de cette Cour, elle ne saurait produire qu´une sorte de parodie de justice, car celui qui accuse c´est encore lui qui juge, or, si l´on comprend bien l´essence de l´Impeachment, il relève exclusivement de la responsabilité du Sénat, donc dans le cas d´Haïti il ne saurait être accusateur et juge à la fois.

Ainsi, la présence du président de la Cour de Cassation dans la composition de cette Cour - dans un rôle de vice-président- nous paraît fantoche et ne marque pas, contrairement au cas brésilien, le principe de l´équilibre et de la cohabitationentre les pouvoirs de l´État. Cela engendre par ricochet un problème éthique et morale sur les décisions que peuvent rendre les sénateurs en Haute Cour de Justice. Cela permet en partie de comprendre pourquoi depuis la création de cette procédure, il n´y a jamais eu un seul jugement de président etpourquoi la tentative de mise en accusation qui visait principalement le président Michel Joseph Martelly, le premier ministre Laurent Lamothe et le ministre de la justice Jean Renel Sanon, entre 2013 et 2014, a piteusement été étouffée dans l´œuf. Ces éléments tendent à montrer le caractère dysfonctionnel de la Cour qui, en absence d´une réforme législative, restera une institution remplie de pouvoir mais sans pouvoir.

6. Qu´est-ce qui explique l´impuissance de la Haute Cour de Justice?

L´impuissance qui frappe la Haute Cour de Justice, donc, qui rend la procédure y relative presqu´inutile ne date pas d´hier, mais s´ancre à notre histoire politique et mérited´être comprise sous deux angles: notre incroyance dans les institutions (pour ne pas dire notre profonde incrédulité à les bien faire fonctionner) et les comportements sociaux et politiques autoritaires qui dominent nos relations sociales et professionnelles au quotidien avec les institutions. En effet, si, d´une part, depuis sa création cette procédure était effectivement appliquée à la lettre les coups d´états subséquents des acteurs politiques nationaux que le pays a connus - dont le dernier remonte à 1991 - ne deviendraient pas au cours des dix dernières années une pratique politique et sociale quasi normale dans un pays où le mode de gouvernance s´accentue sur la désintégration et la désacralisation des institutions. C´est ce que nous appelons dans un langage beaucoup plus sévère l´in-institutionnalité[15]. D´autre part, si nous avions vraiment confiance dans la capacité, la compétence et l´intégrité de nos institutions, jamais les pratiques de déchoucages et de vle pa vle fòk li ale, les actes de vandalisme, les violences populaires, les casses, les incendies (parfois pour une chose qu´une simple entente aurait pu résoudre) n´auraient pris autant d´ampleur dans le pays, ces actions seraient l´exception et non la règle, et, par dessus tout, le peuple saurait quel comportement adopter lorsqu´il occupe l´espace public et quelle voie suivre. Ainsi, les institutions auraient joué leur rôle convenablement et efficacement dans le respect des normes et les mouvements de protestation de 1986 et de 2004 - jusqu´à ceux d´aujourd´hui[16] - qui aboutissent souvent à la démission et/ou à l´exil des présidents seraient moins violents et apporteraient d´autres leçons que celles du mépris absolu, de l´incompréhension et de la désinvolture à l´endroit des institutions nationales.

En second lieu, la plupart des hauts fonctionnaires de l´État - pour ne pas dire tous - ont tendance à se comporter comme étant au-dessus des lois et des principes institutionnels. Dans leurs attitudes et leurs relations interprofessionnelles les institutions viennent en-dessous de leurs intérêtsparticuliers, donc ils piétinent les règlements intérieurs, les changent fréquemment comme bon leur semble ou en font fi tout simplement. En conséquence, ils deviennent automatiquement des intouchables, des super hommes (ou super femmes).ce qui engendre une désarticulation sociale de nos institutions c´est-à-dire leur détachement complet de la réalité, une désintégrationde l´individu du système social et politique et la décomposition sociale de la société. Un manque de rigueur et dediscipline dans le système judiciaire haïtien ajouté à une domination unilatérale des autres pouvoirs par un autre pourrait être à l´origine de tels comportement a-démocratiques de la part de nos dirigeants (élus comme nommés).

Et, même si, en principe, nous savons parfaitement bien que la démocratie suppose le bon fonctionnement, le respect et la suprématie des institutions,que l´abécédaire juridique universel précise que nul n´est au-dessus de la loi, en Haïti c´est tout le contraire qui se produit. On y croit encore que la loi est un bout de papier que l´on peut modifier, changer, jeter, déchirer voire brûler à n´importe quel moment. Avec un simple coup d´œil rapide sur l´historicité du systèmepolitique et constitutionnelhaïtien, il nous est possible de constater que, en dépit de notre ancienneté historique en tant qu´État et de l´ancienneté de notre système juridique, jamais un haut fonctionnaire de l´État haïtien n´a été fait l´objet d´une enquête lors d´une mise en accusation voire poursuivi par cette Cour, alors que ce ne sont pas les cas de corruption, les malversations, les abus de pouvoir, les détournements de fonds, les crimes, les trahisons qui manquent. Ils se pleuvent à longueur de journée.
Voilà pourquoi, il n´est pas possible ici d´évaluer la force et la faiblesse encore moins l´efficacité et la limite de la Haute Cour de Justice tant que nous ne la voyons pas à l´œuvre. Jusque là, elle n´est confinée que dans l´ordre d´invention utopique, donc difficile de savoir si elle est fiable et crédible ou pas. Tout ce qu´il nous est permis de comprendre c´est son impuissance à être une véritable juridiction suprême dans la mesure où, malgré les cas avérés de crimes de hauts fonctionnaires commis dans l´exercice de leur fonction, elle n´est pas devenue réelle, ce, pendant longtemps. En revanche, ce sont les manifestations et protestations violentes qui prennent le dessus sur elle. Les chasses aux sorcières, l´exil forcé, l´expulsion, l´isolement ou l´exclusion diminuent considérablement son importance et fragilise sa puissance dans la société. On préfère ces procédés violents et a-institutionnels à elle, car, en plus d´être populistes et populaires ils représentent la voie la plus facile. Tout ceci caractérise l´obstacle que la Haute Cour de Justice doit surmonter afin de jouer son rôle institutionnel. Sinon en plus d´être une fiction juridico-politique, elle ressemblera toujours à l´incarnation même de notre démagogie politique. Nous aimerions illustrer cette assertion avec la tentative de mise en accusation en 2013 - disons de préférence ce camouflage - qui a failli coûter chère à la présidence et au gouvernement.

7. Ce qu´il faut comprendre de la tentative de mise en accusation de 2014: Une Haute Cour de Justice en souffrance

Malgré l´allure un peu démagogique dont elle accusait, la tentative de mise en accusation enclenchée, entre 2013 et 2014, contre le président Michel Martelly[17], le premier ministre Laurent Lamothe et le ministre de la justice Jean Renel Sanon pour leur implication présumée dans la mort suspecte du juge Jean Serge Joseph, a, du point de vue institutionnel, été une démarche positivement intéressante en ce sens qu´elle tendait à valoriser l´institutionnalisation de nos conflits politiques. En effet, le juge en question était chargé d´instruire le dossier des plaintes portées par des avocats contre la famille présidentielle pour des actes de corruption, d´usurpation de titre, de détournements de fonds publics et de malversations. Selon les avocats de l´accusation, la femme du président et son fils aîné auraient détourné de fortes sommes d´argent dans des projets non autorisés la Cour supérieure des comptes, qui n´aboutissent à aucun résultat et se seraient passés pour des fonctionnaires de l´État en violation de la loi.

À la chambre des députés et au Sénat, l´affaire du juge a, simultanément et parallèlement, été soumise à une commission d´enquête. D´un côté, les sénateurs ont élu, au début du mois d´août 2013, leur propre commission d´enquête[18] chargée de vérifier si, premièrement, le 11 juillet, une quelconque réunion aurait été, effectivement et/ou clandestinement, tenue au cabinet de Me. Gary Lissade à laquelle auraient pris part le président, le premier ministre, le ministre de la justice et le juge Serge Joseph, deuxièmement, s´il y aurait un quelconque rapport de causalité entre les issus de cette réunion et la mort subite du juge survenue le 13 juillet dans des circonstances occultes, soit deux jours après ladite réunion au cours de laquelle le défunt aurait reçu de graves menaces et pressions que lui auraient lancé ces trois hautes autorités. D´un autre côté, la chambre basse a procédé de la même façon: treize députés - tous de l´opposition - demandent la mise en accusation dur président qui pour eux était le principal concerné, le premier ministre et le ministre de la justice.

Nous ne sommes pas en mesure de dire sur quelle loi exactement les honorables parlementaires se sont fondés pour engager deux enquêtes parallèles sur une affaire de telle envergure. Sur une plainte formelle de la famille ou d´une personne physique ou morale intéressée? Sur des rumeurs qui circulent dans les médias et sur les réseaux sociaux? Ou se sont-ils eux-mêmes auto-saisis de l´affaire? Le fait est que c´était devenu une affaire nationale qui s´est répandue dans toute la société haïtienne et, à ce qu´il paraît, l´opinion publique en était révoltée. Mais, quelle instance de justice précise devait enquêter sur la mort suspecte du juge? Sa famille a-t-elle porté plainte formelle en accusant ou pas des tierces personnes? En fait, on ne comprend pas trop bien pourquoi les parlementaires se sont brusquement jetés sur le dossier et en avaient fait presqu´une affaire d´État même si, certes, le juge était un homme d´État.

Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire a lui aussi diligenté sa propre petite enquête qui, au final, n´a pas révélé que cette rencontre avait effectivement eu lieu. Sur ce dossier le pays a connu presqu´une panoplie d´enquêtes classées à la fin sans suite, car, ne sachant pas exactement à quelle autorité revenait le droit d´enquête sur cette affaire et y parvenir à une conclusion juridique, c´est-à-dire, donner le mot du droit, tout le monde s´improvisait enquêteur et juge en même temps. Le commissaire du gouvernement à l´époque n´a pas jugé bon de mettre l´action publique en mouvement. L´affaire, à ce que nous sachions, n´avait pas été portée par devant une instance de jugement. Toutefois, c´est elle qui est à l´origine d´un processus de mise en accusation qui a commencé simultanément au niveau des deux chambres en août 2013 sans qu´on n´ait en présence les motifs de la dénonciation comme on vient de le voir dans le cas du Brésil.

Les accusations pleuvaient de toute part. En effet, dans le rapport de la commission d´enquête sénatoriale, dont l´objectif principal était centré sur les causes de la mort suspecte du juge, les trois autorités sont accusées de parjure. Selon le contenu de ce texte dont nous disposons un extrait de source médiatique - l´original ne se trouvant pas en notre possession - les sénateurs maintiennent mordicus la conclusion selon laquelle une rencontre s´est, effectivement, tenue au cabinet de Me. Lissade, et que c´est sous la complicité du juge du tribunal de première instance de Port-au-Prince que le juge Serge Joseph s´y serait rendu. Adopté par 7 sénateurs dont 9 abstentions et 0 contre lors d´un vote auquel ont participé 17 sénateurs, le texte continue en disant qu´au cours de cette réunion ce dernier aurait reçu de graves pressions et menaces attentant à sa vie privée et à celle de sa famille. Celles-ci seraient provenues de ces trois dignitaires présents à la rencontre tenue en cachette au cabinet dudit avocat. Ce rapport a été acheminé à la chambre des députés et là-dans le Sénat recommande à celle-ci de mettre en accusation ces hauts personnages sus-mentionnés. En résumé, sans ignorer les autres aspects politiques de la question, telle était l´affaire qui a été l´élément déclencheur ou suffisant pour la mise en accusation par une commission sénatorial d´un président, d´un premier ministre et d´un ministre de la justice.

Parallèlement, une motion de mise en accusation circulait parmi treize députés-accusateurs. Ces honorables députés, en allant un peu loin dans leur petite enquête - et je dirais même plus loin que leurs homologues sénateurs qui se limitaient seulement à l´affaire de la mort du juge -, recommandent à l´article 1 de leur rapport la mise en accusation du président, du premier ministre et du ministre de la justice pour crimes de haute trahison tels que la violation de la constitution et de la loi, les abus de pouvoir et les détournements des biens de l´État et à l´article 2 leur destitution à être prononcée exclusivement par la Haute Cour de Justice. Dans les Considérant, leur rapport a fait référence à celui soumis par les sénateurs. Une commission ad hoc de sept membres a donc été constituée pour analyser les deux demandes de mise en accusation dont l´une provient de la chambre haute et l´autre de la chambre basse.

Pourquoi deux commissions d´enquête parlementaires distinctes sur un même dossier? Pourquoi deux motions d´accusation au niveau d´un même parlement? Pourquoi deux enquêtes parallèles dont l´une produite par les députés et l´autre par les sénateurs? Comment se fait-il que le Sénat a envoyé son rapport à la chambre des députés tout en lui recommandant de prononcer la mise en accusation? N´était-ce pas l´inverse sous un angle logique qui aurait dû être fait? Était-ce la procédure correcte? On n´en sait pas trop. Mais une chose est sûre, c´est qu´un vide de loi procédurale sur la question a porté chacun à procéder de sa propre manière. Or, si l´on s´inspire de l´exemple de l´Impeachment brésilien, seul le rapport des députés aurait dû suffire à être soumis à la sanction de l´assemblée, à être acheminé au Sénat où il fera l´objet d´une analyse minutieuse et approfondie de la part d´une commission, et comme ça une mise accusation serait née. Mais, la chambre des députés en Haïti a dû, dans un premier temps, rejeter à 54 voix pour, 0 contre et 2 abstentions la demande de mise accusation formulée par le Sénat et, dans un second temps, statuer puis écarter d´un revers de main la motion de mise en accusation soutenue par les treize députés, ce, après avoir pris en compte le rapport du travail produit par les sept députés-commissaires au terme duquel ces derniers étaient parvenus à la conclusion suivante:

(...) Il n’y a pas lieu de retenir la mortdu juge comme motif pour la mise en accusation du président de laRépublique, du Premier ministre et du ministre de la Justice. Parce que laConstitution est d’interprétation et d’application stricte, les commissairesont recommandé à l’Assemblée d’apprécier le rapport à sa discrétion sanstoutefois influencer le vote. (Le Nouvelliste, 4 juillet 2014).

Ainsi, deux enquêtes différentes ont été soumises à l´assemblée des députés et les deux ont, malheureusement, été l´objet d´un rejet et les accusés ont été blanchis comme de la neige en rappelant qu´ils poursuivaient le cours normal de leur fonction sans être ébranlés[19]. On ne sait pas combien de députés ont rejeté la demande de leurs confrères, mais une chose est certaine, c´est que, contrairement au Sénat très hostile à l´exécutif, la chambre des députés était favorable à ces trois personnages. Ils y jouissaient d´une majorité qu´ils se sont acquise au fil temps.

Cependant, en toute logique et en se tenant à la lettre de la constitution nous pensons que, de la dénonciation à l´accusation, une seule enquête au niveau de la chambre basse aurait dû suffire à établir la vérité sur cette affaire. Ce qui veut dire que, en évitant de tomber dans un amalgame, seule l´enquête des députés devait valoir et, en tout état de cause, c´est elle qui nous paraît logique. Mais celle du Sénat, qui ne s´est même pas encore érigé en Haute Cour de Justice nous semblait inutile et même embarrassante parce qu´elle a lui-même voté une mise en accusation de trois autorités impliquées dans le dossier, alors que cette tâche ne relève pas de ses attributions constitutionnelles. De fait, si, d´après la constitution, la mise en accusation est du ressort des députés, il était tout à fait logique que c´est de leur rapport que devait provenir une telle demande. Par cette façon de procéder nous constatons un piétinement par le Sénat des prérogatives de la chambre des députés, une confusion entre les deux et une entrave à la justice politique dont le rôle reviendrait à cette Cour. Nous sommes en droit donc de nous demander si le parlement avait réellement voulu un jugement de ces hauts fonctionnaires de l´État, si ce n´était pas du simulacre.

De plus, ce n´est pas au Sénat de recommander à la chambre des députés de prononcer la mise en accusation ni à lui de le faire à sa place. Il y va nettement de soi que, après son enquête, si elle le juge favorable, cette dernière prononce son accusation et par cet acte, selon l´esprit de la constitution, permet automatiquement au Sénat de s´ériger en cette Cour. Mais, d´un point de vue juridique et procédural, tout le monde était perdu dans cette affaire et, en plus des facteurs politiques qui se jouaient en faveur des accusés, les ambiguïtés et confusions qui enveloppaient le côté procédural leur étaient un précieux avantage dans l´ombre. Ainsi donc, au lieu de valoriser l´existence et la compétence de la Haute Cour de Justice suivant l´esprit de la constitution, cette tentative de mise en accusation n´a fait que les affaiblir, a été un affront à cette Cour, a prouvé l´impuissance de cette Cour, enfin, n´a fait que germer encore plus de doutes dans les esprits quant à la véritable utilité, compétence, capacité et puissance de cette Cour à rendre justice, même si celle-ci doit être politique.


Considérations finales

Nous concluons en disant que, en dehors de sa dimension démagogique et peu institutionnelle, cette affaire a mis en lumière notre grande et profonde incapacité à institutionnaliser la résolution de nos différends surtout politiques. Les réponses de la rue nous le montrent clairement à chaque fois. Par ailleurs, un aspect intéressant a particulièrement attiré notre attention dans cette affaire de mise en accusation, c´est le fait que ni le Sénat ni la chambre des députés ne se sont référés non seulement aux fameuses Lois du 28 juin 1904 et du 7 juillet 1871 qui, suppose-t-on, seraient une source procédurale en matière de la mise en accusation, mais à aucun texte de loi procédurale appuyant leur accusation. Il se peut bien que cette législature ait voulu marquer la différence, cependant on peut constater dans le rapport des honorables députés - dont nous disposons une copie tirée sur Internet - que seule la constitution a été citée comme référence légale et fondement juridique guidant leur décision de mettre en accusation le président, le premier ministre et le ministre de la justice. Or, malheureusement, en dépit de sa force, de sa valeur et de son importance la loi mère ne dit pas tout sur la question - et ne saurait dire tout puisqu´elle est une vision globale. C´est pourquoi elle a toujours besoin d´être accompagnée et appuyée par une Loi. Je crois avoir bien appris deux principes juridiques fondamentaux dont le premier dit ceci: “Il n´y pas de droit sans procédure, il n´y a pas de procédure sans droit”, et le second:“Sans les lois la constitution est impuissante”, j´ajouterais aussi l´adjectif bancale, et cette bancalité générera plus de problèmes qu´elle en résout.

Enfin, ce dossier était trop brûlant et dominé par des intérêts colossaux. Il était conduit aussi avec émotion, précipitation et pression. Ce qui a valu au pays de rater cette chance de connaître pour une première fois de son histoire un procès de ce genre. Les étudiants en droit, les légalistes, les éminents juristes et les constituants auraient adoré cela. Mais, malheureusement, l´absence d´une loi procédurale n´a pas seulement imposé ici une limite à nos réflexions et analyses critiques sur le sujet, mais a surtout rendu l´appréciation de la compétence, de l´efficacité, de la capacité et de la puissance de cette Cour très difficile. Ainsi, en concluant cet article avec toute son imperfection et incomplétude, en plus d´en profiter pour plaidoyer en faveur d´une Loi procédurale de mise en accusation des hauts fonctionnaires de l´État, laquelle loi doit être moderne, complète et adaptée aux présentes réalités sociales et politiques, tracer en clair et en détail toutes les étapes et voies à suivre de la dénonciation au jugement final, nous ne pouvons en même temps que formuler un vœu saint de voir poindre un jour dans la société haïtienne une procédure de mise en accusation d´un haut dignitaire de l´État, ce dans toute son essence, son intégralité et son applicabilité.

Références

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INFOHAITI. NET. Treize (13) députés de l'opposition demandent la mise enaccusation du Président Martelly. InfoHaiti. Net. Port-au-Prince, 8 septembre 2013. Disponible sur: http://infohaiti.net/index.php/accueil/politique/3672-treize-12-deputes-de-lopposition-demandent-la-mise-en-accusation-du-president-martelly. Dernier accès le 4 fév. 2019.
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MICHEL, Georges. Quelques précisions sur la Haute Cour de Justice.  Le Nouvelliste. Port-au-Prince, 19 mai 2011. disponible sur: https://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/92532/Quelques-precisions-sur-la-Haute-Cour-de-Justice. Dernier accès le 4 fév. 2019.



[1]Elle n´est l´équivalente d´aucun autre tribunal de droit commun. C´est une juridiction spéciale. L´écriture enItalic ici marque justeune emphase.
[2]Cette constitution a été amendée plus d´une vingtaine de fois. La dernière révision date de 2008 et porte plus particulièrement sur la modernisation la Ve République.
[3]Certes, la Haute Cour de Justice n´est pas exclusivement créée par le droit haïtien, mais, à ce qu´il paraît, Haïti est le seul pays de la région caribéenne à se doter d´un tel type de juridiction pour des causes à la fois exceptionnelles et extraordinaires.
[4]Entre temps, il est important de rappeler que le président Michel Joseph Martelly a lui même été l´objet d´une procédure de mise en accusation qui a failli écourter son mandat. Mais, malheureusementfaute de preuves matérielles et pour des raisons politiques, la chambre des députés n´a pas pu réunir les preuves convaincantes pour le mettre en accusation. Ce qui a engendré la mort dans l´œuf de cette affaire qui a raté l´occasion d´en être la première dans l´histoire juridique et politique du pays.
[5]Dans un travail publié par Cavalcante et Oliveira, deux juristes brésiliens qui ont joué un rôle marquant dans l´Impeachment de 2016, le premier comme assesseur juridique de toutes les phases de l´impeachment et la seconde comme assesseure juridique du président de la commission spéciale de l´Impeachment au niveau du Sénat fédéral brésilien, plaident en faveur d´une nouvelle loi procédurale d´Impeachment plus récente, moderne et mieux adaptée aux réalités sociales et politiques actuelles du pays. Ils ont pris le soin de montrer les lacunes, les faiblesses et les limites de la loi en vigueur parmi lesquelles sa désuétude et son inadaptation aux réalités socio-politiques actuelles.
[6] Voir les Articles 39 à 79 de la Loi no. 1079 du 10 avril 1950 pour de plus amples connaissances.
[7]Ce n´est qu´après le vote final par l´assemblée des sénateurs que l´on saura effectivement si l´accusé sera condamné ou acquitté. Cela veut dire que même à cette phase ultime du procès au niveau du Sénat, laquelle phase est menée par le président du Tribunal Suprême Fédéral, le haut fonctionnaire écarté de ses fonctions pendant 180 jours peut y être réintégré ou réhabilité moyennant un vote défavorable. Donc, seul le jugement final décide tout du sort de l´accusé.
[8] Pendant cette période de mise en disponibilité de six mois, l´intérim sera assuré par le vice-président tant qu´il n´aura pas été lui-même épinglé par le procès de destitution en cours. Lors de l´écartement de Dilma Rousseff, en 2016, Michel Temer avait assuré l´intérim au cours des 180 jours de suspension de la présidente, puis il a prêté serment en tant que nouveau président du Brésil après la destitution définitive de cette dernière.
[9] Aux États unis, dans le cadre d´une procédure d´Impeachment, le jugement de l´accusé appelé Impeachment trial se passe au Sénat présidé par le président de la Cour Suprême ou son viceprésident si c´est le président qui est visé. Tandis qu´en France - comme en Haïti d´ailleurs - c´est le président de l´Assemblée nationale qui préside le jugement de la destitution. Celui-ci est d´office le président du Sénat. À la seule différence, la constitution haïtienne précise très clairement que c´est le président du Sénat qui préside la Haute Cour de Justice une fois constituée.
[10]Il y a lieu de souligner que cette procédure ne concerne pas uniquement ces trois personnages clés de l´exécutif, mais aussi, les ministres, les gouverneurs, les procureurs généraux et autres dignitaires de l´État. Dans ce cas, on procédera d´une autre manière.
[11]Consulter le site du Sénat brésilien sur: https://www12.senado.leg.br/hpsenado pour en savoir plus. Voir également FABIEN, Jean. O impeachment brasileiro: entre falso e verdadeiro? Academia.edu. Disponible sur: https://www.academia.edu/28553589/O_IMPEACHMENT_BRASILEIRO_ENTRE_FALSO_E_VERDADEIRO. Dernier accès le 18 fév. 2019.
[12] Surnommé la garde de la Constitution, le Tribunal Suprême Fédéral au Brésil est chargée de se prononcer sur la constitutionnalité ou l´inconstitutionnalité des lois. Il est comme l´équivalent du Conseil Constitutionnel en France ou encore du Conseil Constitutionnel en Haïti, créé par l´amendement constitutionnel de 2012.
[13]Au moment d´écrire cet article, nous n´avons pas pu avoir accès à ces deux textes de loi d´une grande importance afin de produire une analyse beaucoup plus approfondie. Une demande a été formulée auprès d´un de mes amis qui travaille à la Bibliothèque nationale d´Haïti, équipée d´une section juridique où ces Lois pourraient être accessibles. Mais celui-ci, malgré toute sa bonne volonté,  n´a pas pu honorer ma requête en raison des manifestations et violences populaires, de l´instabilité sociale et politique, des casses, des incendies, des menaces de partout, qui paralysent le fonctionnement de presque toutes les institutions publiques et privées y compris la bibliothèque qui intègre la fonction publique.
[14]La Cour de Cassation est l´équivalente de la Cour Suprême aux États-Unis et du Tribunal Suprême Fédéral au Brésil. Il faut rappeler que, avant la création du Conseil Constitutionnel en 2012 par la constitution amendée, cette dernière faisait office de la garde suprême de la constitution et était chargée de se prononcer sur la constitutionnalité et l´inconstitutionnalité des lois.
[15]Un néologisme pour marquer, d´une part, le niveau macabre et gravissime de la décomposition sociale des institutions haïtiennes, surtout celles qui sont publiques et destinées à fournir des services publics, d´autre part, les attitudes continuellement négatives et ignorantes que nous développons à l´égard des ces institutions.
[16]Nous pensons exactement aux récentes protestations violentes de février 2019 qui ont bloqué le pays pendant 8 journées consécutives. Les protestataires réclament mordicus la démission de l´actuel président Jovenel Moïse tout en faisant du dossier de corruption PetroCaribe leur toile de fond.
[17]Il est important de rappeler que le président a également été menacé dès le début de son mandat par une procédure de destitution à cause de son éventuelle nationalité américaine. Sur cette question, il faut se référer à l´article 135 de la constitution qui établissent trois conditions fondamentales et basiques pour un président ce sont: être haïtien d´origine, n´avoir jamais renoncéà sa nationalité et ne détenir aucune autre nationalité au moment de l´inscription. Le parlement n´a cependant pas eu le temps de mettre sur pied la mise en accusation vu que l´affaire allait être définitivement close après qu´un diplomate américain de l´époque, répondant au nom de Kenneth Merten, a pris sur son compte l´autorité de déclarer que M. Martelly était haïtien et ne détenait pas un passeport américain. Cette affaire a donné une violente gifle aux autorités haïtiennes et a une fois de plus montré l´irrespect, le mépris et le piétinement des institutions nationales par nos dirigeants. Or, c´était là une grande occasion pour la Haute Cour de Justice de faire valoir son point de vue en jouant son rôle parce qu´ici il s´agit d´un éventuel cas de haute trahison. Mais, malheureusement, et malgré tous les tapages médiatiques que ce dossier a engendrés, la chambre basse et la chambre haute ont choisi de reculer devant l´accomplissement de ce devoir constitutionnel et de donner raison à un individu plutôt qu´aux institutions.
[18]Les modalités qui régissent cette élection nous sont complètement étrangères sur le plan légal puisqu´aucune référence n´a été faite à une loi déterminant la procédure qui a suivie. La même chose s´est répétée à la chambre des députés.
[19]Peu après le scandale qu´a provoqué l´affaire du juge, le premier ministre et son gouvernement ont toutefois été limogés par de vibrantes manifestations populaires à grande répétition de la part de l´opposition. Si celui-ci a pu échapper à la Haute Cour de Justice qui était en souffrance de se constituer, les protestations violentes et fracassantes de la population ne lui ont pas laissé cette chance. Face aux pressions populaires lui et son gouvernement ont dû capituler. Voilà pourquoi dans le texte nous avons dit qu´Haïti vit en plein règne d´in-institutionalité, car le pays est dirigé de façon anarchique: l´impuissance des institutions fait toujours place aux violences populaires. Elles gagnent souvent d´elles. Et on y très habitués. On s´y complaît. C´est notre petit train-train à nous.