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dimanche 29 juillet 2018

HAITI, TRAIN DE VIE DE LUXE DANS LA MISÈRE: UNE CRUAUTÉ MENTALE TOUT SIMPLEMENT

J´ai suivi avec autant d´intérêt que de milliers d´Haitiens se trouvant tant en Haiti qu´en terre étrangère les infos relatives aux émeutes des 6 et 7 juillet 2018, qui ont saccagé et plongé une fois de plus le pays dans des violences collectives. Les dégats matériels sont énormes et même incalculables. Les conéquences - à connaître dans les jours à venir - seront douloureuses. Pour une inième fois, le peuple haitien a frappé fort et il va falloir une bonne vingtaine  d´années - voire même plus - afin de non seulement panser les plaies, mais surtout redonner confiance aux investisseurs haitiens et étrangers. Je ne me sentais pas trop vouloir me prononcer là-dessus autant qu´il y a tellement de gens qui en parlent, et, même si les opinions divergent, chacune d´elles a été appréciée à sa juste valeur. Néanmoins, de toutes les interventions médiatiques suivies et de tous les éditoriaux et articles lus sur le sujet, il me semble que quelque chose échappe à la compréhension de ces événements. C´est que, à mon sens, ils sont le reflet d´une consternation sociale encore en veilleuse traduisant ainsi que le pays ne peut plus continuer à mener ce train de vie incompatible entre le luxe des uns et la misère infernale des autres. Sur ce, il reste encore de la place pour cette réflexion que nous proposons ici autour de ce que nous appelerons la cruauté mentale des dirigeants haitiens.

Pour certains, ce qui s´est produit pendant ces deux journées de casses, de pillages, d´incendies et de violences dans le pays a été spontané, planifié et prévu pour d´autres. Alors qu´une troisième catégorie soutient que l´affaire de l´augmentation du prix du carburant a été la dernière goutte d´eau qui a fait renverser le vase de la frustration sociale, une quatrième s´accorde à faire croire que le peuple n´avait pas du tout raison de déclencher une si grande colère, donc le gaz n´était qu´un prétexte pour que des criminels notoires, des spécialistes de la violence, des ennemis qui ont une haine démesurée pour le développement de ce pays, des racistes aux peaux noires en profitent pour régler leurs comptes. Mais, il y a un dernier point de vue à prendre en compte puisque celui-ci provient de la conscience collective elle-même, c´est que le peuple n´a pas tort d´avoir agi de la sorte et que sa violence est la réponse la plus immédiate à la cruauté mentale des dirigeants haitiens qu´il faut remettre en cause.

Sur cette lancée les questions suivantes se posent:  Pourquoi est-il si difficile aux gouvernants haitiens de comprendre que la misère et la pauvreté de plus de 8 millions de gens sont insupportables et qu´ils ne peuvent vivre dans le luxe avec les taxes et impôts des citoyens pendant que le peuple, lui, continue de mener un train de vie abjecte? Pourquoi n´arrivent-ils pas à comprendre qu´il n´y a rien de plus honteux et humiliant pour un père ou une mère de famille que de voir son enfant crever de faim sous ses yeux impuissants, mourir sur ses bras faute de soins médicaux, devenir gangster faute de scolarité et de profession? Ce n´est pas les hautes études ni la capacité intellectuelle ni les relations qui l´empêchent, mais une sorte de cruauté mentale qui suppose que nous sommes faits pour être esclaves et nous nous esclavagisons nous-mêmes en ne veillant pas sur le bien-être des autres. Les dirigeants haitiens, paraît-il, ont un instinct criminel et cruel de faire souffrir impitoyablement leurs compatriotes sans jamais penser que cette souffrance - arme à double tranchant - peut retourner contre le pays et met la société à feu et à sang. En faisant fi de la misère et la souffrance des autres et en les agaçant avec un train de vie de luxe, ils aggravent leur consternation et suscitent leur instinct de vengeance. Tel est le but de la cruauté mentale: enlever à l´humain toute sensibilité humaine et lui dérober tout bon sens de la réalité.

En effet, Haiti est cet endroit spécial de ce coin de terre où le riche et le pauvre paient les mêmes impôts, taxes et obligations sur les produits, biens et services, où la vache grasse s´allaite sans arrêt à la vache maigre et squelettique, enfin, où la misère et la pauvreté des uns font le bonheur, le luxe et le lucre des autres. En matière d´impôts, taxes et obligations, il n´y a pas ce principe de traitement proportionné qui veut que chacun paie en proportion de ses moyens et en fonction de ses revenus comme le font les autres pays, ceux du nord surtout. Par exemple, sans besoin de savoir les sources de revenus, si les impôts locatifs sont de l´ordre de 10 % des revenus, la Direction Générale des Impôts (DGI) applique les mêmes grilles tant au citoyen riche, moyen qu´au pauvre. En outre, quand l´État doit prélever 5 % des droits sur le chèque du salaire brut d´un employé de la fonction publique, il le fait pour l´employé moyen comme pour un ministre ou directeur général qui, bien évidemment, ont des avantages sociaux, économiques et financiers beaucoup plus élevés que celui-là. La société haitienne est construite sur cette base inégalitaire tellement criante et suffocante que le riche et le pauvre, n´ayant pas du tout les mêmes trains de vie, sont assujettis aux mêmes obligations fiscales. C´est le seul endroit où ils se croisent et s´estiment égaux alors qu´ils se haissent et se détestent mutuellement.

Dans cette situation d´étouffement, ceux qui sont pauvres ne s´en sortiront jamais. Ils sont condamnés à le rester, en d´autres termes, il n´y a presque pas à proprement parler d´ascension sociale en Haiti que l´on confond le plus souvent avec sursaut social. Parce que ce sont eux, ces pauvres, c´est-à-dire ceux et celles qui, selon la Banque Mondiale, vivent avec moins de 2 dollars par jour, subissent le poids le plus lourd de cette injustice, pendant que les riches trouvent toujours un moyen de contourner la loi à leur faveur. Dans la société haitienne, c´est la jouissance d´une vie de luxe d´une infime minorité au milieu des misères et pauvretés d´une grande majorité. Le pir c´est que les dirigeants n´ont absoluement rien fait pour amoindrir les barres d´inégalités sociales. Bien au contraire, l´État est une vache à lait où tout poste auquel accède un individu est synonyme de sursaut social. C´est abérant, mais c´est ainsi que fonctionne malheureusement notre société et c´est sur cette base d´injustice sociale qu´elle a été fondée. Les dirigeants haitiens, véritables complices de cette situation, maintiennent encore plus de 8 millions de pauvres sous le joug de l´esclavage, car, à mon sens, l´esclavage est tout simplement l´impossibilité de jouir de tous ces droits naturels et humains tels que le droit à la liberté, à la vie, à la santé, à la nourriture, à l´éducation, au logement et au bien-être.

Je suis prêt à parier quoique ce soit que les dirigeants haitiens ne se demandent jamais comment vit un haitien, comment va-t-il faire pour se nourrir et vivre dignement, surtout ceux et celles-là dans les quartiers comme Cité Soleil, Cité de Dieu, La Saline, Martissant et autres, où la situation sociale et économique est terrifiante sans compter les oubliés des départements, communes et sections communales de plus en plus reculés de la zone métropolitaine. Depuis plus de soixante dix années, les dirigeants haitiens ne se sont jamais dits qu´il y a une forte majorité de gens qui ne peut même pas s´acheter un morceau de savon pour se laver le visage, un dentifrice pour se brosser les dents, se payer un sachet d´eau voire avoir à manger pour eux et leurs familles. Je présume qu´ils n´ont jamais mis les pieds dans ces quartiers de misère infernale à moins qu´en périodes électorales. Ils ignorent complètement où, ceux et celles qui se sont sacrifiés pour les élire, habitent et vivent avec leurs enfants. Non loin du centre des trois pouvoirs de l´État, à quelque 5 kilomètres de Port-au-Prince, Cité Soleil est l´endroit où des milliers de personnes vivent dans la saleté la plus humiliante, la bourre, la faim et la crasse les plus ignobles. Or, le peuple n´a pas élu ses dirigeants pour que ces derniers se servent de lui et l´exploitent sans honte et sans scrupule, mais pour qu´ils le servent en améliorant continuellement ses conditions de vie.

Sans avoir l´intention d´épingler tout seuls ces actuels parlementaires qui forment la 50ème législature, il y a lieu de reconnaître que les élus et les hauts dignitaires de l´État coûtent excessivement chers aux haitiens et gèrent très mal les maigres recettes de la république. Au détriment de ces pauvres personnes qui vivent dans le désespoir total et se livrent chaque jour au Bon Dieu Bon pour survivre, ils osent s´octroyer des luxes pharaoniques. Dans un article publié par le Nouvelliste sous la plume de l´éditorialiste Frantz Duval, il est mentionné que l´État dépense à peu près 31 millions de gourdes pour chaque député et 123 pour chaque sénateur indistinctement. Bien que ces sommes ne soient pas en liquide empochées par ces derniers, il appert que le trésor public décaisse annuellement ces sommes faramineuses pour assurer le train de vie luxueux et somptueux de chacun de nos parlementaires. 

Si, en jonglant avec les chiffres, l´on divise 31 millions par 12 mois, on obtient une dépense mensuelle de 2.583.333 de gourdes, soit une dépense journalière de 86.111 de gourdes ou l´équivalent de 1248 U$ (1 U$ = 69 Gdes), ce, sans compter les frais, primes, per diem, cartes de téléphones, fiches de gaz et autres avantages. Par ailleurs, 121 000 gourdes est le salaire brut d´un ministre sans compter les avantages suivants: 44 000 gourdes pour primes, 100 000 pour gaz, 50 000 pour cartes de téléphones et environ 600 U$ par jour de per diem pour les voyages à l´extérieur. Cependant, 7/10 haitiens vivent avec moins de 2 U$ par jour en poche et plus de 3 millions vivent dans l´insécurité alimentaire selon le dernier rapport de la CNSA. Quoi de plus cruel et abjecte! Cela dépasse l´inégalité et l´injustice sociale, c´est de la pure cruauté mentale. Avec un tel train de vie de nos dirigeants, c´est l´État qui les sert non eux qui servent l´État. Ils ne sont point des serviteurs de l´État, mais des enfants gatés, des chouchous de ce dernier.

En fait, le problème ne se trouve pas dans le montant, mais plutôt dans la réalité sociale et économique des plus pauvres à laquelle ces avantages pompeux confrontent - comme nous venons de le souligner - aussi bien que dans la performance et la productivité de nos parlementaires auxquelles ils se rapportent. D´un point de vue logique, chaque élu y compris toute personne payée à l´aide des taxes et impôts publics est un employé du peuple qui est son patron par excellence. Le vote est en quelque sorte un contrat de travail. Si l´on part du principe que tout contrat de travail est conditionné par la perfromance et la productivité de l´employé, alors celui-ci doit s´appliquer à bien faire fonctionner l´entreprise en prouvant sa capacité et en s´acquitant de ses tâches, dans le cas contraire il ne saurait avoir droit à d´autres privilèges que ceux qui lui ont été reconnus outre qu´il court le risque de se faire remercier pour incompétence, manque de performance et de productivité.

Or, le parlement haitien est l´une des institutions haitiennes qui se révèle être la plus paresseuse, non  performante et improductive en termes de voter et faire des lois et de travailler au profit de la population. Combien de lois ont-elles été votées cette année qui soient dans l´avantage de la population et prévoient améliorer ses conditions de vie? Combien de lois qui, ayant été votées par le parlement, ont effectivement apporté une amélioration aux conditions de vie de chaque haitien dans le pays? L´équation est quasiment nulle. Donc, c´est tout simplement immoral et antiéthique de bénéficier des privilèges que l´on ne mérite pas. Mais, la morale et l´éthique valent-elles quelque chose pour ces parlementaires? Ont-elles un sens pour eux?

De plus, cela est tout simplement scandaleux et inacceptable pour au moins deux raisons. D´une part, ces avantages sont prévus dans le budget national qui, pour le moins qu´on puisse dire, est une affaire citoyenne concernant chaque haitien indistinctement où qu´il se trouve. Car ce sont les taxes directes qui le grossissent, et, une bonne partie de celles-ci provient de la classe moyenne qui est désormais sur le point de disparaître. D´autre part, il s´agit d´un enrichissement immoral et antiéthique pour la simple et bonne raison que le parlement en n´arrivant pas à s´acquiter de son rôle le plus sacramentel que lui reconnaît la constitution de la république, celui de controler l´exécutif, il n´est pas performant encore moins productif. Malheureusement, ce rôle a bien longtemps été vilipendé, ils ne le remplissent presque pas.

Les événements des 5 et 7 juillet dont le bilan en termes de dégats matériels sera extrêmement lourd, traduisent, à mon sens, un besoin du peuple haitien, celui de se sentir écouter dans sa souffrance. Ils sont l´expression d´une société frustrée et la conséquence de l´ignorance de ses problèmes structurels jamais résolus, car au lieu de les résoudre les dirigeants ont préféré s´attarder sur les problèmes conjoncturels et artificiels. Leurs conséquences commencent déjà à se faire sentir malheureusement au milieu de ceux qui étaient déjà vulnérables sur le plan social et économique. Ces 673 employés licenciés de la Delimart en sont l´exemple. Et, si l´on multiplie ce nombre par familles à raison de 6 personnes que chacun de ces employés avait sous sa responsabilité - vu que les familles haitiennes sont si souvent nombreuses -, alors il y aura lieu de constater que des centaines et milliers de personnes sont venues s´ajouter au nombre incalculable de sans emplois qui existaient auparavant sans compter ceux qui ont un emploi déguisé leur permettant seulement de vivoter. 

Le fossé social qu´il y a en Haiti est trop grand, on ne s´en sort pas. Il est caractérisé par ce train de vie de misère d´un côté et de luxe de l´autre qui, non seulement, est une menace pour la survie de ces deux tribus extrêmes (riches et pauvres) - car à mon sens nous vivons encore dans un système tribal, donc le mot classe n´est pas trop approprié -, mais il est surtout suicidaire tant pour les pauvres que pour les riches. Or, les dirigeants ne l´entendent pas de cette façon. Et c´est ce que ces événements et beaucoup d´autres qui l´ont précédé venaient à traduire. Par ailleurs, il faut souligner qu´il y a dans la société haitiennes un problème communicationnel grave entre les gouvernants et les gouvernés en ce sens que le peuple plaint que sa misère est atroce et insupportable et son pouvoir d´achat exécrable, mais les dirigeants répondent qu´ils n´en avaient rien à foutre, cela lui regarde. 

C´est comme du chinois quand il descend dans les rues pour réclamer la santé, l´eau potable, l´électricité, l´éducation pour ses enfants, la nourriture, le travail, pour protester contre la chèreté de la vie, l´augmentation des prix des produits alimentaires, la corruption dans l´État. Personne ne l´entend. Il y a une cassure communicationnelle complète entre l´appareil directoire de l´État et le peuple. Une situation qui le rend violent. Donc, la violence du peuple est née du silence, disons mieux, de la cruauté mentale des gouvernants qui refusent de lui prêter attention. Il arrive que les dirigeants haitiens ne saisissent pas encore que, avec un plan de développement social et économique bien charpenté, retirer au minimum 1 million d´haitiens de l´extrême pauvreté et 2 millions de la pauvreté, c´est écarter une épée de damoclès suspendue sur leur tête et sur celle de leurs enfants et petits enfants, ce que nous appelons ici la consternation sociale totale globale.

On peut dire que, paradoxalement, Haiti est dirigé par des surdoués débiles avec la tête vers le bas et, vue tout ce qui vient de se passer ces derniers temps, il faut dire à l´instar de Thomas Sankara qu´un enfant non scolarisé est un criminel en devenir. Le peuple est mal compris par ses dirigeants qui ignorent complètement ce dont il est capable. Car, comment un ventre bien rempli peut-il prétendre être en sécurité au milieu d´une bande d´affamés? Comment s´attendre à vivre dans un environnement non violent sans investir dans la scolarisation des enfants? C´est comme dans un avion où des passagers de la première classe ne s´inquiètent pas d´une bombe se trouvant en classe économique, pour répéter notre estimable Dany Laferrière. Tel est le comportement lamentable des dirigeants haitiens, passés et présents. Or, pas besoin d´être génie, surdoué ou expert pour comprendre qu´un riche au milieu des pauvres est plus vulnérable que les pauvres eux-mêmes et que sa richesse n´a de valeur que si et seulement si elle permet à ceux-ci de sortir de leur pauvreté. 

Somme toute, encore faut-il être débile, le dernier des tarés pour ne pas comprendre que les gens de Cité Soleil, Martissant, La Saline, Cité de Dieu, aspirent eux aussi à un bien-être, aimeraient goûter au plaisir, ont eux aussi de la bouche pour bouffer quelque chose le matin, de l´estomac pour grignoter et avaler quelque chose le soir avant d´aller se coucher, tombent aussi au malade et nécessitent des soins de santé, rêvent aussi de vivre une vie descente, ont soif d´amour et d´attention, rêvent d´avoir leur propre chez soi et d´envoyer leurs enfants dans des écoles de qualité, sentent aussi le besoin d´emmener leurs femmes et leurs enfants au cinéma, se promener, respirer de l´air frais des les montanges et des parcs ettractifs, et que, enfin, lorsque ces masses qui vivotent dans la crasse se voit priver de tout ceci tandis qu´il pleut abondamment chez l´autre, il faut tout simplement être frappé de cruauté mentale pour ne pas comprendre que c´est tout une consternation sociale totale globale qui est en branle.

Campinas, 29 juillet 2018