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lundi 31 juillet 2017

L´ARMÉE ROUGE: LA MARCHE VERS UNE DÉGÉNÉRESCENCE SOCIALE DES CONFLITS ARMÉS À CITÉ SOLEIL?

L´ARMÉE ROUGE: LA MARCHE VERS UNE DÉGÉNÉRESCENCE SOCIALE DES CONFLITS ARMÉS À CITÉ SOLEIL?·
Jean FABIEN*
Résumé
Au lendemain du 30 septembre 1991, des mouvements sociaux éclatent partout en Haïti pour protester contre le coup d´état militaire. À Cité Soleil, c´est la jeunesse qui prend la tête de ceux-ci. Il paraît qu´ils aient tout abandonné pour défendre le mandat constitutionnel du président exilé, Jean-Bertrand Aristide. Réprimés et violentés, ces mouvements s´amplifient et ses initiateurs sont taxés de l´« Armée rouge ». Dès lors, l´expression gagne de l´importance sur le plan sémantique et sociologique. Au moyen d´interviews, de témoignages, de discours de la presse et de l´histoire orale, l´article propose de problématiser les aspects sémantico-linguistico-politique et sociologique de ce concept afin de situer son éventuelle implication dans la dégénérescence sociale des conflits armés à Cité Soleil ou si son emploi ne résultait pas d´une phobie.
Mots-clés: Cité Soleil. Armée rouge. Conflits armés. Dégénérescence sociale.
Abstract
In the aftermath of September, 30  1991, social movements erupted throughout Haiti to protest against the military coup. In Cité Soleil, it is the youth that takes the lead of these. It seems that they have abandoned everything to defend the constitutional mandate of the exiled president, Jean-Bertrand Aristide. Repressed and abused, these movements are amplified and its initiators are taxed with the "Red Army". From this point on, the expression becomes more important on the semantic and sociological level. Through interviews, testimonies, speeches from the press and oral history, the article proposes to problematize the semantico-linguistico-political and sociological aspects of this concept in order to situate its possible involvement in the social degeneration of Armed conflicts in Cité Soleil or if its use did not result from a phobia.
Keywords: Cité Soleil. Red army. Armed conflict. Social degeneration.

Introduction
D´un point de vue de visibilité et de popularité, le nom de Cité Soleil, ancienne section communale de Delmas jusqu´à mars 2002[1], a commencé à devenir célèbre en sonnant fort tant dans la société haïtienne qu´à l´extérieur à partir de la présidence d´Aristide entre 1990 et 1991. Plus précisément au lendemain du coup d´état du 30 septembre 1991, la Cité Soleil, semble-t-il, très imprégnée par les discours de la théologie de la libération d´Aristide, était rentrée catégoriquement en rebellion contre les nouvelles forces infernales du néo-duvaliérisme conduites par l´armée, le FRAPH[2] et les Attachés[3]. Ces derniers sont des milices paramilitaires rattachées au Palais national pour faire régner la peur, la terreur et l´inquiétude dans tous les esprits. Au sein de la population soléenne, elles se livraient à la chasse des opposants au régime et aux partisans de Lavalas (parti politique du président Aristide) en les dénonçant et en les maltraitant. Depuis lors, une terreur, dirait-on, à l´instar de Benjamim Constant (1988), qui tue chez les grands esprits toute humanité et tout bon sens s´y installe. Les maltraitances, les sévisses corporelles et les persécutions politiques persistent.
Suite à ces événements de 1991, marqués par le renversement brutal de Jean-Bertrand Aristide – vainqueur des élections du 16 décembre 1990, mais contraint à l´exil seulement 9 mois après s´être investi au pouvoir –, par l´accession au pouvoir d´une junte militaro-duvaliériste et par le retour en force des Tontons macoutes[4], le pays était pratiquement précipité dans l´inconstitutionalité, l´ingouvernabilité, l´insécurité et l´instabilité totale. Cette période, sans exagérer, est celle d´une insocialité qui s´explique par la décomposition absolue du vivre-ensemble collectif, la négation de la solidarité sociale pour ne pas dire la mort consumée du social chez l´être haïtien qui, par des tâtonnements et des incertitudes, ne faisait que de se contenter d´une survie précaire. À Cité Soleil, les violences de toutes sortes prennent de l´extension, la méfiance est partout, l´esprit collectif s´étiole, la misère guerroie les indéfensifs (ves)
C´est que les impitoyabilités, les répressions politiques et les excessivités criminelles du gouvernement militaire (violence institutionnelle ou étatique) contre une population affamée, misérable et appauvrie (violence sociale), lui empêchant d´exprimer librement ses opinions (violence symbolique) étaient enfin sans limite. Des jeunes issus de familles modestes rentraient dans la clandestinité pour échapper aux atrocités militaires. Dans le sens que l´entend Jean Fouchard (1988), ils se sont faits en quelque sorte des marrons du syllabaire, cette fois, pas pour se cacher dans les montagnes à cause des blancs dans le but de s´instruire, mais à cause de ceux-là de la même race qu´eux qui les empêchaient de défendre leurs opinions politiques (violence psychologique).
Néanmoins, ils ne restaient pas passifs face à ces multiples violences. En organisant leurs lutes en petits groups et rassemblements clandestins, ils rentraient souvente fois en altercation avec les forces de l´ordre, bien qu´entre eux-mêmes, il y ait eu également quelques rivalités interindividuelles (violence civile ou collective) dont ils sont incapables de controler et de gérer. S´ouvre donc la voie possible pour faire courrir des bruits partout qu´à Cité Soleil un groupe arbitrairement et improprement  dénommé « armée rouge » aurait pris naissance et prendrait des formes variées difficiles à déceler. À ce point, l´irreversibilité se confirme, le recul devient impossible. Les acteurs internationaux se mêlent de la partie, l´Amesty Internationale en est l´un des tout premiers à réagir de la façon suivante:
Un gang connu sous le nom d'Armée rouge est considéré comme largement responsable des violences qui ont eu lieu dans la Cité Soleil à la suite de la fusillade policière du mois de novembre 1995. Au mois de décembre 1995, le chef de la police locale a déclaré qu'il estimait les effectifs de ce gang dans la cité à quelque 200 membres, répartis en petites cellules, et que la plupart n'étaient mûs que par l'appât du gain (AMNESTY INTERNATIONAL, 1996, p. 5).

Si tel était le cas, ne serait-il pas possible de dire que celle-ci a été la résultante ou une réponse proportionnelle aux différentes formes de violences dont souffraient les habitants de cette commune? Cette interrogation fait donc suite à celles-ci: Cette dénomination a-t-elle vraiment existé en tant que groupe sociologiquement constitué? Si oui, était-elle à l´origine une organisation criminelle dont il fallait craindre la montée en puissance de sa dangerosité? Quelle cause défendait-elle? Est-ce à partir de sa naissance que, en matière des conflits armés interquartiers, tout a basculé à Cité Soleil? Ces jeunes n´étaient-ils pas victimes d´une phobie d´un secteur intéressé de la société haïtienne? En formulant ces problématiques, notre objectif est de comprendre à partir de quel moment le concept de l´« armée rouge » aurait joué un rôle significatif dans la dégénérescence sociale des conflits armés à Cité Soleil.
Nous avons le privilège d´aborder un tel sujet – si épineux et complexe soit-il – en privilégiant trois méthodes. Étant d´ordre qualitatif et tendant à remédier à l´aspect théorique de la question, la première méthode fait appel à l´histoire orale qui permet d´accéder aux versions orales des personnes qui ont vécu les événements dont il est question. En second lieu, les articles plus ou moins fiables publiés dans la presse nationale et internationale autour de la problématique de l´« armée rouge » nous seront d´une aide considérable. Enfin, étant donné que les membres de cette supposée « armée rouge » ne sont plus en vie pour fournir leurs propres versions des faits, nous avons jugé bon de donner la parole à des interviewés[5] par le biais des interviews structurées et semistructurées que nous avons pu réaliser sur cette problématique lors de notre passage en Haïti entre janvier et juillet 2017 où nous avons été effectuer un travail de recherche et d´enquête de terrain.
Ainsi, en nous basant sur les matériels dont nous disposons, nous allons d´abord camper une historicité de la commune. Par la suite, une analyse du fondement conceptuel de l´« armée rouge » devra permettre de dégager ses aspects sémantiques et linguistico-politiques ainsi que ses dégats psychologiques. Enfin, si dans la troisième partie nous allons essayer de faire ressortir les réalités sociales de l´époque qui ont contribué à l´émergence du concept de l´« armée rouge », dans la quatrième il sera question d´établir ses liens avec la dégénérescence sociale du phénomène des conflits armés à Cité Soleil. Sur ce, notre démarche consiste moins à justifier, confirmer ou infirmer l´existence d´une « armée rouge » à Cité Soleil qu´à interroger les éléments sociologiques de l´époque qui ont facilité sa construction et son émergence.
1.      Comment est née Cité Soleil?
Vers les années 1950, le président Paul Eugène Magloire avait déjà manifesté la volonté de construire des logements sociaux dans la zone située près de la baie de Port-au-Prince et des mers caribéennes. Le projet sera, quelques années plus tard, soit entre 1960-1963, mis en exécution par François Duvalier. Pour faire plaisir à sa femme, Madame Simone Ovide Duvalier, celui-ci décide de baptiser le lieu coincé entre les mers caribéennes et Port-au-Prince Cité Simone en y faisant construire des maisons – disons plutôt des taudis – destinées au préalabe à recevoir des employés des industries manufacturières venant d´autres localités, qui n´avaient pas suffisamment de moyens économiques soit pour s´acheter une maison dans les zones industrielles où ils venaient travailler tous les jours soit pour se déplacer aisément de leur lieu de domicile à leur lieu de travail. Ainsi, la première vague d´individus arrive principalement de La Saline et de Cité rouge entre 1970-1974 pour peupler la zone.
Bien avant 1986, Cité Simone était une localité presqu´inconnue et méconnue de la plus forte majorité des Haïtiens à cause de son calme, de sa paisibilité, de sa tiédeur et de son atmosphère silencieux dûs peut-être à la peur ou à la crainte des Tontons macoutes – car  beaucoup d´entre eux habitaient cette zone – ou encore à sa proximité de Fort-Dimanche, lieu de sinistre, véritable camp de concentration où régnait un silence de mort et où les morts étaient doublement morts et silencieusement enterrés dans la honte la plus parfaite (LEMOINE, 2011; DIEDERICH, 2014). On allait entendre parler de Cité Simone, en des termes pas trop élogieux, suite aux événements de 1986 qui ont marqué la rupture brutale, ne serait-ce que sur le plan théorique, d´avec la dictature de 29 ans des Duvalier.
La participation de Cité Simone à ces événements se traduisait sur le plan local par les déchoucages, les lynchages, les pillages et la mise à mort tragique des Tontons macoutes. Actes dont l´écart différenciel n´était pas trop grand par rapport au reste du pays. Cependant, compte tenu de son appelation, son histoire était intimement liée au régime dictatorial déchu, il a fallu donc procéder à une double opération: d´une part se débarrasser des Tontons macoutes – comme c´était le cas partout dans le pays –, changer le nom de cette commune de l´autre. Ainsi, après avoir expulsé les macoutes indésirables[6], la population a procédé à un changement radical de nom au cours duquel la Cité Simone d´alors devient Cité Soleil comme l´expression de la levée du soleil sur une Haïti nouvelle après le règne obscurantiste des Duvalier et pour saluer également le rôle de la radio Soleil - média privé à vocation catholique - dans les luttes antiduvaliéristes.
Par ailleurs, la Cité Jean-Claude qui était l´oeuvre de Baby Doc en 1983 n´était plus, elle a été remplacée par Cité Lumière pour non seulement traduire la lumière qui doit éclairer le chemin de la liberté et de cette seconde indépendance d´Haïti, mais encore pour honorer d´une profonde gratitude les efforts de la radio Lumière - média privé à vocation protestante - qui ne se lassait jamais de combattre aussi cette dictature. Ce fut à ce moment là, peut-on dire, qu´effectivement Cité Soleil a fait son entrée triomphale dans les annales de l´histoire contemporaine haïtienne. Sur ce, nous pouvons dire que Cité Soleil a une histoire qui débute par des mouvements sociaux suivis de violences collectives, de conflits armés intergroupes, de guerres fratricides, de crimes, de banditisme, mais surtout une histoire remplie de résistance, une résistance au commencement avec les mains nues et vides.
1.1. Quel a été le projet de Duvalier en créant Cité Simone?
En créant Cité Simone l´objectif de Duvalier était triple. Il s´est agi, dans un premier temps, de créer une zone habitable exclusive afin d´attirer plus de mains d´oeuvres à bon marché au profit des industries manufacturières où elles viennent vendre leur force de travail pour un salaire piteux, honteux et miséreux. En second lieu, il fallait déplacer les victimes de La Saline et de Cité rouge dont les maisons et les biens ont été emportés par des feux criminels dont on ignore jusqu´à présent l´origine. Enfin, Duvalier cherchait également à créer une zone franche où allaient cuire dans leur jus des centaines et milliers de travailleurs industriels sans accès à l´eau, aux toilettes et à la santé afin de mieux les controler. Ainsi, les petites pièces de maisons qui étaient prévues pour deux personnes au plus commençaient à être graduellement occupées par trois, quatre, cinq voire dix personnes. La situation commençait à devenir invivable.
À force de vouloir desservir au profit de la grande bourgeoisie corrompue cette classe ouvrière des industries manufacturières – à Cité Soleil il en existait plusieurs telles que Shodecosa, Chomeco et Hasco[7]–, François Duvalier, obsédé par un conservatisme du pouvoir et une soif de tout controler, a construit une cité avec tous les déficits urbanistiques et infrastructurels dont les dégats perdurent et sont visiblement criants jusqu`à aujourd´hui. En conséquence des irresponsabilités de l´État, personne n´a, malheureusement, vu venir les dangers environnementaux qui guettaient des milliers habitants de Cité Simone durant toute leur vie, aussi bien que les dangers sociaux commencés d´ailleurs par la petite criminalité: la kleptomanie, le larcin, les petites querelles familiales, les engueulades interpersonnelles, la tolérance des familles jusqu´à ce que tout cela se dégénère en conflits armés causés en partie par l´environnement physique et la composition sociale.
Or, à l´origine, tenant compte de sa configuration sociale, l´on dirait que cet endroit était plutôt réservé à des gens qui ne se préoccupaient que de leur travail et de leurs petites activités commerciales: une rentrée et une sortie, voilà tout ce qui résuma leur train de vie quotidien. L´on dirait même des gens qui, terrifiés, hypnotisés et neutralisés par la machine exterminatrice des Duvalier, se gardaient de ne pas toucher à la politique, car, les idées politiques contraires à celles du régime et les appartenances politiques clandestines pouvaient être réprimées avec la dernière cruauté pour ne pas dire la dernière rigueur. À Cité Soleil et partout dans le reste du pays, les individus subissaient ce que Gérard Pierre-Charles appelle la zombification duvaliérienne (PIERRE-CHARLES, 1973). En outre, comme toute autre commune du pays y compris Port-au-Prince (CORVINGTON, 1984, 1987), la capitale, Cité Soleil a connu des moments de terreur et de frayeur.
En effet, depuis 1995, dans  ce grand bidonville d´environ 22 km², où vivent dans une pauvreté et une misère indomptables une population de près de 265.072 habitants (IHSI, 2015), borné au nord par carrefour Jean-Jacques Dessalines plus connu sous le nom de carrefour aviation en passant par Warf Jérémie et au sud par Damien, chaque quartier – on y dénombre une trentaine – detient son petit groupe armé dirigé par un sujet armé dont la bravoure et la cruauté lui ont valu dans le temps et dans l´espace le titre de commandant. Si dès la fondation de la cité, les rues et ruelles étaient spacieuses, il pouvait même y pénétrer de gros camions, l´augmentation graduelle de la population a fini par les rendre exigües empêchant ainsi l´accès aux voitures et réduisant considérablement la circulation des biens et des personnes. La dynamique du peuplement de la cité consistait tout au moins en ce que les gens de la campagne venaient régulièrement par milliers rendre visite à des parents habitant la zone, beaucoup en ont profité pour y rester définitivement.
1.2. Cité Soleil, une histoire à la fois différente et singulière
L´histoire de Cité Soleil née en pleine dictature duvaliérienne et marquée par des violences sociales – les unes plus féroces et meurtrières que les autres – s´ancre à l´histoire sociale contemporaine du pays: une histoire imprégnée de violences à caractères divers[8]. Si à Cité Soleil – comme dans n´importe quelle autre ville du monde – les personnes humaines dorment, mangent (pas comme elles le souhaitent en tout cas), prient, font l´amour, procréent, créent et font des petites affaires, se déplacent, se meuvent, s´interagissent, enfin, entreprennent entre elles des relations sociales à la fois harmonieuses et conflictuelles, ce n´est pas parce que la vie humaine s´y intègre bien, mais parce qu´en dépit de tout ce sont des faits sociaux normaux. Car, à Cité Soleil vivoter et survivre sont deux actions sociales qui ne se distinguent pas.
L´insécurité chronique, la violence collective et les conflits armés intergroupes sont parmis les principales réalités sociales qui ont toujours prévalu à Cité Soleil sans compter la misère et la pauvreté planifiées des milliers d´individus. Cela aurait-il quelque chose à voir avec la formation d´une organisation dénommée l´« Armée rouge » qui aurait fait son apparition dans cette localité vers les années 1990? Pour certains, il s´agissait d´un simple concept maladroitement employé par des gens qui ne comprenaient pas le contenu et le fondement des luttes sociales et politiques qui étaient entrain de se produire là, pendant que d´autres martellent avec insistance qu´en ayant réellement existé cette organisation a été accusée d´actes criminels et banditistes sur tout le territoire national et qu´elle était constituée d´individus qui, en contravention avec la loi, la police et la justice, troublaient l´ordre public.
Contradictions et confusions pleuvent sur l´existence (réelle ou imaginaire) d´une telle dénomination. Outre qu´il est difficile de préciser sa constitution sociale[9], son organisation sociale et ses objectifs, il n´y a pas lieu non plus de savoir sur sa fonction sociale, sur son lieu de naissance et de fonctionnement. Pour le comprendre, il faudra aborder le problème de l´« Armée rouge » sous au moins deux angles: l´un sémantico-linguistico-politique et l´autre sociologique. Le premier se réunit autour de l´aspect conceptuel et le sens accordé à cette notion tandis que le second prend en compte la réalité sociale de l´époque à laquelle elle se rattache. Sur ce dernier point de vue, il nous semble que l´emploi d´un tel vocable n´était pas tout à fait innocent.
2.      De l´existence conceptuelle ou nominale d´une « armée rouge » à Cité Soleil?
Avant d´être l´expression d´un fait social réel, l´« armée rouge » fut d´abord un concept, un mot, un nom, un vocable, une notion qui, utilisé à tort ou à travers, faisait peur et, sur le plan de stigmatisation et de discrimination, causait des dégats psychologiques énormes aux jeunes de ce grand bidonville. C´est pourquoi, nous pensons qu´il est fondamental de l´aborder sur ce plan nominal et conceptuel afin de déterminer par quel mécanisme un tel vocable a su s´imposer et par la suite mettre l´accent sur le rapport qu´il a développé avec la réalité sociale de l´époque à laquelle la sociologie ne peut ne pas s´intéresser.
2.1. La naissance nominale du concept de l´« armée rouge »
Afin d´éviter toute confusion ou mauvaise interprétation des arguments à suivre, il faut souligner que le nom de l´« armée rouge », tel qu´il a été arbitrairement utilisé en Haïti à l´époque qui a suivi l´émergence du Fraph et des Attachés, n´avait aucune connexion politique, aucun lien idéologique, aucune affinité intellectuelle ou aucune affiliation institutionnelle avec les armées rouges russe ou japonaise. En d´autres termes, l´« armée rouge » soléenne – si on peut l´appeler ainsi – n´avait rien de commun tant sur le plan politique que sociologique ou idéologique avec la lutte armée des étudiants de l´Europe occidentale dans les années 1970 au sens que l´entendaient Steiner et Loïc (1988, p. 19-40). Elle ne traduisait pas une certaine transposition de ces luttes, encore moins l´imitation de ces noms ou appelations populaires extérieures soit à des fins personnelles, individuelles ou collectives dans le but de se frayer une place dans l´histoire, même si l´imitation constitue une pratique socio-culturelle très courante dans les quartiers à haute intensité de violence.
Jusqu´à l´obtention de preuve évidente de l´existence de l´« armée rouge » comme groupement collectif, assumée soit par une auto-revendication de ses membres (fictifs ou réels), soit identifiée par l´opinion publique ou la société civile à Cité Soleil ou ailleurs comme telle, il n´y avait que le nom et le concept qui suscitent la peur et la frayeur, et, étant vagues et vides de sens ils allaient plus vite que les événements socio-politiques eux-mêmes. De ce fait, soit que ce nom apporte une vérité fausse sur la réalité sociale, soit qu´il en crée une, soit qu´il tend à déformer cette réalité. Car, en Haïti, on se plaît, à tort ou à raison, à employer de manière irrationnelle, maladroite et abusive les concepts, et, celui de l´« armée rouge » n´a pu malheureuseument échapper à ce carnage linguistique. Les individus ciblés par cette dénomination à Cité Soleil devaient se préparer aussi à faire face à un lynchage linguistique, politique et médiatique.
Dans les articles des journaux de l´époque tant au niveau national qu´international, ce mot résonne plus d´une dizaine de fois, mais ça avait l´air du sensationalisme. En effet, l´usage des concepts et expressions, des appelations ou dénominations de ce genre projette plus vers du propagandisme, de l´émotionisme et du sensationalisme qu´il se rapproche de la réalité ou qu´il soit en connexion idéologique avec d´autres mouvements sociaux proprement dits. De plus, lorsqu´il s´agit de certaines communautés qui, en se réveillant des marginalisations dont elles sont l´objet, créent, d´une façon ou d´une autre, des événements à caractère spécial dans un contexte historique particulier, cet usage tend parfois vers la négativité et ce sensationalisme va encore plus vite.
Mais, cela dépend aussi des personnages en présence et des surnoms qu´ils se choisissent. C´est ainsi qu´il n´est pas rare de trouver en Haïti des gens qui s´autonominent Tupac, Kadafi, Obama, Ben Laden, 50 cent ect., ou encore des groupes collectifs qui s´assimilent des noms exprimant la peur et la terreur. Des noms comme base 4 cercueils, base maniaque, base explosion, très connus à Cité Soleil dans les années 1990, ne traduisent pas des mouvements sociaux-locaux se rapprochant des mouvements sociaux transnationaux ou mondiaux comme s´il s´agissait d´une sorte d´embranchement ou de transposition de ceux-ci à l´intérieur  de l´environnement social et culturel corolaire.
On a même connu à Cité Soleil, entre 2004 et 2006, un phénomène à haute intensité de violences armées appelé Opération Bagdad[10], sorte de guerres meurtrières entre les différents quartiers de Cité Soleil d´une part, d´affrontements armés entre les forces de l´ordre et les bandes armées qui, à l´époque, se réclamaient encore une fois pro-Aristide qui était entrain de vivre son second exil en Afrique du sud en compagnie de sa famille depuis février 2004 d´autre part.
Cette culture de s´attribuer les noms les plus effrayants est très répandue surtout dans les zones où règnent une violence sociale presqu´incontrolable et incontenable. Ces noms sont souvent l´expression de grande cruauté, d´impitoyabilité ou de bravoure. Toutefois, si les jeunes sont aptes à imiter les nouvelles tendances sociales et culturelles internationales, fait social normal, il y a, par ailleurs, certaines appelations typiquement haïtiennes qui sont des expressions populaires de haine sociale et traduisent dans un certain sens les réalités socio-historiques, politiques et économiques du pays.
Les appelations comme lame ti manchèt, lame dòmi nan bwa – pour ne citer que celles-là – rappelent, dans une certaine mesure, ces mouvements sociaux à caractère insurrectionnel: les Piquets et les Cacos. Ces derniers – à la différence des premiers – se livraient sous l´occupation américaine de 1915 à une vraie lutte révolutionnaire pour la libération du pays (DANACHE, 1950, p. 71-77). Différenciées de ces mouvements qui défendaient une cause politique, dont le premier s´inscrivait dans la démarche idéologique salomiste et le second dans la vision dessalinienne, ces nouvelles dénominations à connotation militaire sans objectif et conviction étaient célèbres autant à cause des actes de criminalité, d´assassinat et de banditisme dont ils se sont fait accuser que par leur appelation, leur agissement et leur excès de zèle.
L´appelation de l´« armée rouge » qui, au cours des années 1990, a fait des échos plus précisément au sein de la communauté soléenne peut être expliquée probablement de deux façons. D´une part, peut-être ce concept parut-il être la plus plausible d´expliquer la nature des phénomènes sociaux survenus dans cette localité après 1991, ce à l´instar de ceux de 1915[11]. D´autre part, compte tenu du contexte historique mondial de l´époque où l´armée rouge russe faisait beaucoup parler d´elle avant sa dissolution en 1991, encore y avait-il une volonté manifeste de la part d´une branche intéressée de la vie nationale de corrompre ce concept.
Nous n´avons trouvé dans les archives aucune autoréclamation ou autorevendication relative à cette dénomination par des groupements collectifs dans cette localité, bien au contraire ceux-là qui en étaient l´objet l´ont vigoureusement dénoncée. “Toute cette histoire d´Armée rouge est une invention pour nous discréditer”, se défendait Africa[12]. En 1998, un groupe de chercheurs canadiens de Immigration and Refugee Board of Canada s´était montré très intéressé par le phénomène et part à sa découverte. La conclusion de leur rapport de recherche se lit comme suit: “Aucune information supplémentaire sur le groupe « armée rouge » n´a pu être trouvée parmi les sources consultées par la Direction des recherches dans les délais prescrits pour la réponse à cette demande” (IMMIGRATION AND REFUGEE BOARD OF CANADA, 1998, p. 2). Une telle appelation subjective était certes effrayante, mais, bien que son emploi n´ait jamais été innoncent, elle semblait traduire le poids, la profondeur, la lourdeur et la complexité du phénomène social qui prévalait dans cette commune empétrée depuis longtemps dans une désorganisation sociogéospaciale et un scandale urbanistique.
Il ne s´agit donc pas d´autoappelations nominales ancrées à des luttes sociales externes – qu´elles soient personnelles, individuelles ou collectives – qu´elles soient conscientes ou inconscientes –, car, si tel était le cas, ces autoappelations proviendraient non seulement des affections et des considérations de l´individu ou du groupe d´individus pour les personnalités socialement connues qui incarnent ces luttes et la fierté qu´il éprouve de vouloir les ressembler, mais encore de son attachement conscient ou inconscient aux idées et idéologies dont elles sont porteuses. Or, dans le cas de l´« armée rouge » à Cité Soleil, il n´est rien de ces sortes, encore moins d´une adhésion idéologique. Là aucun des groupes sociaux de l´époque n´incarnait les idéologies d´au moins un des grands leaders tiers-mondistes (Che Guevara, Ghandi, Mandela ou Castro) bien que, dans une certaine mesure, les combats menés par ces derniers s´inspirent historiquement parlant des luttes révolutionnaires et indépendantistes haïtiennes.
L´usage de ce concept donnait l´impression d´être en présence de milice révolutionnaire plus ou moins organisée comme ce fut le cas en France (GILIOTTO, 2002), en Russie (GROSSMAN, 2008) ou en Allemagne de l´est (LOÏC et STEINER, op. cit.) et même en Haïti avec les VSN – Volontaires de la sécurité nationale – plus connus sous le nom des Tontons macoutes (DIEDERICH, 1969). Une milice est généralement une sorte de supplétif, d´auxiliaire, de bras droit de l´institution militaire ou policiaire officielle. Dans la plupart des cas, une milice est créée pour accomplir une mission bien déterminée. En fait, conçue selon une demande à laquelle doit répondre le gouvernement et les forces de l´ordre,  la milice est le plus souvent une sorte de couverture pour masquer la réalité des actes posés par les organes gouvernementaux. En tout cas, c´est un concept dont le sens et la signification socio-linguistique varient en fonction de la catégorie sociale considérée (COSTA, 2014).
Si dans les sociétés françaises et russes le concept de l´« armée rouge » a désigné une milice socialement et politiquement forte, mise sur pied pour défendre la révolution dont elle fut issue, mais qui était en même temsps contre-révolutionnaire, celui apparu en Haïti même s´il a construit sa propre réalité et ses propres sensations dans la société haïtienne, plus précisément à l´intérieur de Cité Soleil, a, par contre, passé outre de cette objectivité. En fait, ancré à un subjectivisme excessif, le concept de l´« armée rouge » a constitué et constitue encore un stigmat pour les jeunes de la cité.
Toutefois, l´on ne saurait, en aucun cas, minimiser et banaliser la dangerosité de l´emploi d´un tel concept, surtout que sur le plan d´objectivité et de rationalité les concepts utilisés dans la réalité haïtienne correspondent très rarement aux fins poursuivies ou aux réalités vécues. L´existence conceptuelle et nominale de l´« armée rouge » est donc incontestable, mais, comme nous allons voir, surgi des milieux sociaux pauvres et issu de la presse nationale et internationale, ce concept se rattache à une réalité sociale qui dominait l´époque, mais qu´on tend à oublier ou à banaliser, à savoir, les violences sociales de diverses formes qui, à mesure qu´elles s´empiraient, ne faisaient que lui donner corps. Autrement dit, il n´y a aucune raison d´admettre que la notion de l´« armée rouge » soit née du néant. Ainsi, dans les paragraphes qui suivent nous allons analyser les interviews, témoignages et articles de la presse pour essayer d´éclairer ce point qui nous semble le plus sociologiquement possible.
3.      De l´existence réelle d´une « armée rouge » à Cité Soleil?
À force de contester avec véhémence, excès ou aveuglette l´existence réelle ou imaginaire de l´« armée rouge » – la défense personnelle étant un droit sacré – on finit par la justifier sans le vouloir et par oublier ou banaliser les phénomènes sociaux qui lui ont donné vie.
3.1. L´armée rouge: Un concept issu des phénomènes sociaux oubliés ou banalisés
Les concepts ne sont pas nés du néant, étant l´oeuvre humaine au même titre que les événements, de plus, se rattachant à des réalités sociales préexistant dans le temps et dans l´espace, ils les expriment et les accompagnent en dehors de toute volonté individuelle. Que les réflexions humaines aillent plus vite que les phénomènes sociaux ou qu´ils les transcendent. Que l´imaginaire coexiste avec le phénomène ou l´un dépasse l´autre, à Cité Soleil, l´imaginaire et le phénomène s´engendrent simultanément, c´est-à-dire par une intellectualité fertile est créé par plus d´uns un concept: « armée rouge » pour qualifier manifestations populaires, affrontements armés, luttes clandestines, violences sociales, conflits politiques qui se déchainaient dans cette localité. Si l´on veut bien comprendre, ce concept en confondant tout prétend vouloir à lui seul expliquer tout le phénomène, or, ce n´est que celui-ci qui lui fournit une partie physique, c´est-à-dire un terrain propice pour se matérialiser et se propager.
En effet, il est rare de trouver un notable ou un ancien habitant qui, dans ses petits récits historiques oraux sur la cité, ne fasse mention d´une certaine « armée rouge » qui, à une certaine époque, faisait la pluie et le beau temps dans cette petite commune située à 5,3 kilomètres du centre ville. Certains la citent clairement et explicitement comme si elle existait hier alors que d´autres, en la mentionnant indirectement et implicitement, se souviennent des membres les plus influents qui en faisaient partie. Mais, à quels phénomènes sociaux doit-on l´émergence de ce concept à Cité Soleil? Quel secteur fut responsable de sa propagation?
Vu les lacunes de documentation en la matière, nous accordons le privilège à des notables de la cité qui, par leur version d´histoire orale, nous présentent quelques faits historiques qui, semble-t-il, seraient à l´origine de la formation éventuelle de groupes armés qui, jusque là, n´étaient pas encore assimilés à cette « armée rouge » répandue dans la presse. Le premier affrontement – l´un des plus meurtriers à Cité Soleil – remonte, selon un de nos interviewés, à 1988 entre Warf et Lintho 1, où, à cause d´un problème d´accès à l´eau[13], des individus se sont réciproquement attaqués à coups de piques, de pierres, de machettes et de couteaux. Ces affrontements à armes blanches auraient fait des dizaines de victimes.
Nan site solèy, te toujou konn gen pwoblèm dlo. Nan ane 80 yo, te genyen yon sèl ponp dlo nan site a, nan Lento 1, se la tout moun te konn vin pran dlo. Se sa ki te lakòz moun sou Warf ak Lento 1 te goumen. Sa te pase nan lane 1988[14] (Moun ki bay entèvyou a).
Le second fait se rapporte aux incendies de mains criminelles qui, en 1995, avaient ravagé des centaines de maisons à Soleil 15 et tué des dizaines de personnes à cause, a rapporté un interviewé, d´une violente discussion qui aurait éclaté entre deux Baz de Soleil 15 et Soleil 13 pour une affaire d´arme à feu perdue. Ces deux événements majeurs auraient facilité la naissance de deux groupes armés en signe d´autoprotection dont l´un situé à Warf et l´autre à Soleil 13, s´étend jusqu´à Soleil 19 en passant par Soleil 17. Sur ce, l´on comprend d´ores et déjà que les causes originelles des conflits à Cité Soleil sont à la base multiples et complexes.
Il y a un troisième scénario qui, en toute vraisemblance, ne doit pas nous échapper. C´est que, en 1992, des individus non identifiés auraient attaqué violemment à coups de marteau un citoyen accusé de voleur habitant la zone de Boston. Les locataires de Bas rail et de Soleil 17 sont accusés d´être les auteurs de cet acte crapuleux. Ils sont envahis par les gens de Boston, mais ne s´étant pas laissés faire, ils ripostaient. Une dizaine de morts et de blessés s´en suivirent. Dès lors, à l´intérieur d´une même et petite collectivité, des micro-communautés s´érigent entre elles des frontières gardées par des brigades et interdites aux non locataires. Chaque quartier se créait donc ses petites cellules de brigades d´autodéfense et d´autoprotection en signe de prévention. À ce titre, il surgit toute une dynamique de vengeance, de risposte, d´autodéfense, de démonstration de force et d´autocontrole qui aurait grandement contribué à la création de groupes armés à Cité Soleil.
À l´époque où l´on parlait de l´« armée rouge », il y avait a Cité Soleil des groupements de jeunes qui, de très tôt, s´étant montrés fascinés par l´idéologie d´Aristide – l´incarnation d´un certain changement social, politique et économique pour les plus déshérités – se sont vite rebellés contre la nouvelle équipe administrativo-militaire dirigée par Raoul Cédras et contre l´association appelée Fraph – alliée de l´armée – représentée en la personne du fameux Emmanuel Constant, dit Toto Constant. Ces jeunes qui voyaient leur rêve s´envoler si brutalement se constituaient en petits groupes clandestins sans intention de guérilla bien entendu afin d´échapper aux cruautés et atrocités du Fraph et des Attachés qui rendaient la vie dure à toute une population. Fuyant également les violences d´état, leur allégeance à Aristide perdure.
Le surgissement de l´« armée rouge » signalée, dirait-on, pour la première fois à Cité Soleil en 1994, coïncide avec l´avènement du gouvernement militaire partout contesté par le peuple, la formation du Fraph, la parution des Attachés, la remobilisation des Tontons macoutes et la montée des brigades populaires d´autoprotection dans les quartiers[15]. D´une part, pour se maintenir le gouvernement militaire a dû ipso facto recourir à la violence: le droit et la justice étant pratiquement morts. De l´autre, cette violence ne restant pas cependant sans réponse, trouve une réplique de la part des brigades qui, au départ, ont un objectif commun, celui de contrecarrer cette violence aussi bien que les persécutions des membres du Fraph et des Attachés.
Cependant, en plus qu´elles devaient s´attaquer aux violences politiques du régime militaire, elles devaient aussi gérer leurs rivalités internes: les brigades de vigilance créées à Cité Soleil s´opposaient les unes aux autres en créant entre elle de l´inimitié. Les jeunes qui les composaient, en majorité pro-aristide, étaient compartimentés avec des objectifs divergents. C´est peut-être dans cet angle qu´il faut situer la question de l´émergence de l´« armée rouge », car pendant qu´ils s´entredéchiraient entre eux, ils devaient répondre en même temps aux violences étatiques qui n´étaient pas du tout supportables.
Cette situation, paraît-il, se présenterait comme une aubaine pour les membres du Fraph leur permettant d´inventer de toute pièce la dénomination « armée rouge » dans le but de justifier les actes qu´ils posent, de culpabiliser la population et de démoniser les jeunes de Cité Soleil. Or, si, d´un côté, l´« armée rouge » a existé c´est parce que de l´autre côté existait à Cité Soleil d´abord les macoutes qui y faisaient régner une terreur et une violence sans pareille, ensuite le Fraph et les Attachés qui, ayant toujours conservé leur casquette duvaliériste, faisaient connaître le calvaire aux citoyens (nes) de ce pays. Enfin, en ayant profité des faiblesses des actions des jeunes, l´état haïtien aurait lui-même créé imaginairement et installé dans l´imaginaire des Haïtiens faibles d´esprit l´« armée rouge » afin de s´innocenter de ses propres violences dans les zones populaires où il n´a jamais su développer des infrastructures suffisantes pour éliminer la misère sociale qui y prévaut.
Ce dernier élément a jeté des discriminations sur les jeunes brigadiers alors que c´est toute la population qui aurait dû être mise en cause. Mais, étant donné que c´etaient eux les principales cibles, ils ont été par conséquent les plus visés. Ces jeunes que l´on appelait impunément membres de l´« armée rouge » se mettaient avec la population pour former ces brigades de vigilance nocturnes qui avaient pour mission d´assurer une autodéfense contre les interventions nocturnes des membres du Fraph, des Attachés et des anciens macoutes. Ces derniers opéraient leurs assassinats, leurs crimes crapuleux, leurs exterminations sommaires sans oublier leurs viols sexuels sur les jeunes filles et fillettes surtout la nuit. Cité Soleil ressemblait à l´époque à un camp de concentration. La peur, la méfiance et la traitrise étaient partout. Un journaliste du journal Le Monde a fait ce constat:
La nuit à Cité-Soleil _ elle tombe ici brutalement à 19 heures _ était ponctuée de coups de feu et, chaque matin ou presque, l'aube apportait sa fournée de cadavres. C'était le royaume de la terreur : dans cette communauté de 200 000 à 300 000 personnes vivant les unes sur les autres, dans le dénuement le plus total, et regroupées dans des quartiers dont le nom fait sourire (Boston, Brooklyn, Cité-Carton...), on ne fermait pas l'oeil avant le lever du jour; on épiait les bruits suspects pour avoir le temps de disparaître si les "attachés" ou "macoutes" faisaient irruption (LE MONDE, 1994, p. 1).

 À Cité Soleil, entre 1990 et 1994 jusqu´au retour d´Aristide, en se levant le matin, il était rare de ne pas trouver dans les rues, dans les canaux, sur les trotoires des cadavres qui surprennent en faisant sursauter soit par l´odeur faisandée que les corps en putréfaction dégagent ou encore la présence des chiens et des cochons qui laissait présager que dans ce lieu il se trouve très probablement des êtres humains que ces canivores sont entrain ou ont fini de dévorer. C´est à cette salle bésogne que se livraient impunément, au vu et au su de la communauté internationale et de toute la presse locale et internationale, les membres du Fraph, les Attachés et les macoutes qui, selon un article de The Nation cité par Le Monde, auraient reçu l´appui du Département d´État pour renverser Aristide et constituer une sorte de force tampon à l´armée. L´ONU a estimé à 3000 les victimes du coup d´état dont ils sont responsables sans compter les multiples cas d´assassinats, de viols et de meurtres qu´ils commettaient en toute impunité. Dans ce même ordre d´idées, un autre journaliste de Le Monde soutient:
Dans les bas quartiers _ cloaques puants où croupissent des milliers de familles _ils (les attachés et les Fraphs) rançonnent, violent quelquefois et tuent souvent. Chaque nuit ou presque, ils sèment en quelques endroits stratégiques quelques-uns des cadavres qu'ils n'ont pas fait disparaître. Combien sont-ils exactement à sillonner inlassablement avenues, rues et venelles? Deux à trois cents, affirment certains diplomates; deux à trois mille, soutiennent d'autres sources. L'important est qu'ils forcent un million et demi d'habitants dans la capitale haïtienne à redouter le pire des ténèbres (LE MONDE, 1993, p. 1).

L´abandon des cadavres dans les rues était devenue une pratique plus courante durant le coup d´état qu´aux périodes dictatroriales qui l´ont précédé. Même si les sbires de Duvalier étaient des maniaques dans l´exécution des ordres du chef, ce n´était pas au point de laisser les cadavres gisés par terre des jours et des nuits jusqu´à ce qu´ils rentrent en putréfaction ou enfin dévorés par des porcs ou des chiens qui servaient de véritables nettoyeurs à l´état central totalement indifférent à l´égard de cette situation catastrophique. La machine exterminatrice de Duvalier faisait des ravages certes, mais sans laisser la moindre trace de ces corps broyés et mutilés. Ainsi, il s´est répandu au milieu de la communauté soléenne des menaces interpersonnelles et interindividuelles du genre: “Siw anmède m map fè kochon oubyen chen manje w. Siw enève m, map fè mouch kaka nan dan w[16]”.
Les brigades de vigilance[17] opérant la nuit avec des bâtons, des pierres, des machettes, des couteaux, des marteaux, enfin, de tout objet capable de servir d´arme blanche, constituaient une sorte de vigiles d´autodéfense, d´autosurveillance et d´autocontrole en lieu et place des forces policières à l´époque absoluement absentes à Cité Soleil. Donc, ces jeunes brigadiers – confondus aussi avec les Baz[18] – se substituaient en quelque sorte à la police et à la justice en remplissant le rôle dont chacune de ces institutions aurait dû s´acquiter. Avec les brigades nocturnes qui, malgré les pressions, les persécutions et les menaces du Fraph, des Attachés et des macoutes, n´ont pas lâché prise, les gens avaient l´impression d´être plus ou moins en sécurité et à l´abri des éventuelles interventions nocturnes de ces militaires assassins, malgré la peur et la frénésie qui les rongaient à l´intérieur.
Les brigades présentes dans chaque quartier étaient formés de jeunes exerçant un petit métier, ayant un niveau d´éducation faible, mais beaucoup étaient chômeurs et analphabètes. Donc, fragiles, vulnérables, maléables et livrés à eux-mêmes, ils étaient partout terrorisés, stigmatisés, terrifiés, ciblés et mortifiés par un régime accapareur et envahisseur qui cherchait à tout prix à les exterminer. Selon plusieurs témoignages d´anciens personnages qui vivent encore dans la zone, les luttes socio-politiques et antimilitaires des habitants de la cité passaient par elles et se menaient presqu´avec les mains nues, car les insignifiantes armes blanches dont ils disposaient ne pouvaient absoluement rien faire contre les mitrailleuses et les blindés des militaires. Bien que soutenus par une forte partie de la population jugeant leur combat juste, cela n´a guère permis à ces jeunes de se laver des accusations de l´« armée rouge ».
Ainsi, employé de façon la plus banale qui soit en Haïti, le concept de l´« armée rouge » a pris naissance à Cité Soleil dans un contexte historique et social bien particulier, marqué par des violences étatiques et des violences collectives généralisées, par un terrorisme d´état, par des violations flagrantes des droits de l´homme, par une accélération de la pauvreté et de la misère, par des manifestations populaires continues, par des revendications collectives, par des soulèvements populaires, par des affrontements armés répétitifs, par des violences civiles fréquentes, enfin, par l´emploi abusif de l´autorité de l´état. Bien que les opinions divergent sur la date de l´apparition de l´« armée rouge », sur sa nature et ses objectifs, on trouve quand bien même un certain consensus sur le fait que les événements qui lui ont donné naissance se sont bel et bien produits. Ils revêtent par conséquent une vérité historique.
Ce sont ces phénomènes sociaux qu´il faut continuer à interroger et non le concept en soi, car sans eux il est complètement vide de sens. De même, le concept du marronnage est inséparable et inimaginable en dehors du contexte socio-historique et des situations sociales des esclaves de l´époque coloniale. En d´autres termes, n´étaient-ce pas, dans les années 1990, les mouvements sociaux des partisans et supporteurs d´Aristide banalisés par le gouvernement et les militaires, l´organisation de petits groupes clandestins, les brigades érigées éparsement pour combattre les violences politico-étatiques, ces violences elles-mêmes, les manifestations populaires continues, les rivalités intra et intergroupes, les accusations politiques de toute part, le rôle politique de la presse dans la vulgarisation du concept de l´« armée rouge », tout ceci constituant des phénomènes sociaux complexes et interconnectés, le concept de l´« armée rouge » n´aurait jamais vu le jour.
3.2. La presse, vulgarisatrice par excellence du concept de l´« armée rouge »
Si, sur le plan théorique, les documents qui auraient pu se pencher sur une problématisation sérieuse et approfondie de ce phénomène font gravement défaut pour ne pas dire qu´ils sont introuvables ou qu´ils n´en existent pas, des journaux à caractère international tels que Reuters, AFP et Le Monde, ayant des agences en Haïti, se sont toutefois mis à la découverte de preuves éventuelles ou existencielles de cette « armée rouge » à Cité Soleil. En effet, selon un article publié par l´immigration canadienne en 1998, l´« armée rouge » serait une organisation apparue pour la première fois à Cité Soleil en 1995, et, ayant déjà fait de nombreuses victimes, elle aurait des liens politiques directs avec le mouvement Lavalas de l´ex-président déchu, Jean-Bertrand Aristide.
D´autres sources comme celles de l´Agence France Presse (AFP) et de Reuters soutiennent que cette organisation aurait déjà existé bien avant puisque, en 1992, les forces de l´ordre haïtiennes avaient prétendu avoir démantelé un groupe du même nom à Cité Soleil. Le Manchester Guardian Weekly a, de sa part, fait mention des éventuels affrontements meurtriers survenus en 1996 entre la police et des bandes armées qui se pourraient être identifiées à cette « armée rouge » surgie, a-t-il ajouté, en novembre 1995 à Cité Soleil.
Jusque là les propos avancés sont – pour le moins que nous puissions dire – très courtois, car il convient pour ces institutions médiatiques d´établir l´existence réelle et physique d´un tel groupement avant de préciser ses rapports avec l´ex-président exilé et de déterminer l´attitude des autorités locales vis-à-vis de lui. Néanmoins, si des acharnements se sont abattus dans la presse internationale autour de cette appelation et de sa date de naissance c´est que la réalité socio-locale lui en aurait déjà fourni quelques pistes, en d´autres termes les journalistes enquêteurs internationaux aussi bien que les journalistes Haïtiens auraient trouvé sur le terrain des phénomènes sociaux-locaux pour faciliter la formulation de ce concept.
En effet, l´expression de l´« armée rouge » s´est fait entendre pour la première fois, selon les récits historiques oraux les plus fiables, en janvier 1996 à la Radio Vision 2000, une station haïtienne, en raison du fait que cette dernière aurait couvert un événement – plus tard repris par d´autres presses locale, nationale et internationale – au cours duquel elle aurait assisté à l´exhibition de bandes armées venant, principalement, de Bas rail, de Bélékou, de Boston et de Soleil 9. Ce jour-là, celles-ci auraient brandi leurs armes à feu en l´air en signe de rejouissance et de contentement de leur supposée victoire héroïque sur les policiers qui, devant la fureur et la colère des foules, ont dû fuir le sous-commissariat de Warf pour avoir la vie sauve. Ce fut pour la première fois à Cité Soleil qu´une foule nombreuse ayant dans son sein quelques individus armés aurait fait une apparition si hasardeuse qui, par la suite, allait avoir des répercussions négatives tant à l´échelle nationale qu´internationale.
Ces exhibitions populaires – pour ne pas parler de défoulements populaires – auraient fait suite aux premiers affrontements violents entre la police et quelques bandes armées à Cité Soleil entre novembre 1995 et janvier 1996. Ils auraient été causés, d´un côté, par l´excès de pouvoir et l´utilisation arbitraire de la force d´un policier, par une population sur le qui-vive toujours en quête d´occasion pour se montrer violente, de l´autre. C´est autour de cet événement troublant et confus, dont nous reprenons ci-dessous le contenu essentiel, que beaucoup se servaient pour parler d´une « armée rouge » à Cité Soleil.
En effet, un matin, dans l´exercice de ses fonctions, un policier a voulu coller une contravention à un chauffeur de transport de passagers à Cité Soleil. La discussion s´engage par le refus de celui-ci de l´accepter. Celui-là aurait fait usage de son arme à feu en tirant sur le chauffeur. La balle rebondie dans un des caoutchous de la voiture allait atteindre une fillette de moins de 10 ans qui, ce jour-là, s´étant trouvée au mauvais endroit et au mauvais moment, est morte sur le champ. La population furieuse aurait réagi avec violence et le sous-commissariat de Warf ainsi que ses policiers allaient connaître, eux aussi, les conséquences malheureuses de l´acte irrefléchi causé par leur coéquipier[19].
La presse haïtienne a été très excessive dans ses propos et allait un peu trop vite en bésogne en mésinterprétant et méqualifiant ces évenements qui se sont produits à Cité Soleil aussi bien que les activités des brigades populaires de vigilance. Et, comme cela arrive souvent, ses propos participeraient volotairement ou involontairement, ainsi que le soutient Chéry, de la diabolisation des individus aussi bien que des luttes sociales auxquelles ils s´adonnent. En banalisant les unes elle angélise les autres (CHERY, 2005, p. 148-157). Même si effectivement, en janvier 1996, on a pu voir défiler des foules immenses venant de différents quartiers de la cité qui célébraient une supposée victoire sur les policiers en fuite, ce n´était pas une raison suffisante de parler de quelque chose qui était loin de traduire à lui seul sociologiquement la réalité sociale de l´époque.
Bien que les gens de Bas rail, de Soleil 9, de Boston, de Bélékou qui, jusqu´à leurs récentes altercations avec les forces de l´ordre, étaient à couteaux tirés, aient profité de ce moment pour manifester visiblement leur reconciliation, celle-ci si fragile qu´elle soit n´allait pas faire long feu et n´expliquait pas pour autant que les différentes Baz se soient si bien entendues au point de former entre elles une milice organisée du nom d´ « armée rouge ». Étant donc des faits socio-historiques à ne pas nier, la presse en avait fait ce qu´ils n´étaient pas en les ayant décrits comme des guerres civiles entre différentes fractions armées. Autrement dit, considérant que les événements survenus à Cité Soleil peuvent être l´objet de différentes interprétations suivant la configuration sociale que présentaient les acteurs sociaux sur scène, il y a lieu de comprendre que la presse ne nous a campé qu´une facette de la réalité sociale de l´époque en en obstruant d´autres.
D´autres arguments notamment ceux soutenus par des personnalités sociales, politiques, culturelles et intellectuelles évoluant dans la cité vont à contre sens. En effet, l´armée rouge serait le produit d´une désinformation et d´une volonté politique accrue d´un secteur intéressé de la société de diaboliser les mouvements de ces jeunes révolutionnaires qui, en pleine période de coup d´état, luttaient pour une amélioration des conditions de vie dans la cité. Si nous voulons bien comprendre les propos de Africa accordés au journal Le Devoir, les seules entités armées qui existaient dans la cité au moment même où l´on parlait de l´armée rouge étaient le Fraph et les Attachés, la terrorisation de la population était causée par eux, donc, il était difficilement concevable que ces derniers acceptent l´existence de groupes armés parallèles là où ils veulent régner en seuls maîtres et seigneurs (LE DEVOIR, Op. cit). De plus, il est vrai qu´il y a des groupes armés à Cité Soleil, un fait incontestable et incontesté, cela ne renvoie pas pour autant à l´existence d´une telle organisation à portée criminelle.
Or, les conflits violents et armés à caractère intrapersonnel, interpersonnel, interindividuel voire collectif entre ce qu´on appelle communément les Baz à Cité Soleil auraient commencé après 1990. Les engueulades étaient fréquentes, les confrontations à armes blanches pouvaient être de nature familiale, personnelle, culturelle, revencharde, amicale, etc., mais, elles ne peuvent pas pour autant à elles seules expliquer l´aggravation des conflits armés ou le surgissement d´une quelconque « armée rouge » dans cette commune. Il faut y ajouter par contre le rôle des coups d´état successifs, les violences d´état et les transitions politiques qui, créant des désordres institutionnels inimaginables, ont une implication directe dans la dégénérescence sociale de ces conflits.
Pour certains, les fins poursuivies par les conflits sociaux survenus à partir de 1992 à Cité Soleil, à la tête desquels on retrouvait des groupes de jeunes plus connus sous la dénomination populaire de Baz, avaient un caractère social, révolutionnaire, politique et économique. D´autres propos plus virulents tenus par des politiciens ignorant la réalité socio-locale qui prévaut dans les quartiers populaires soutiennent que les Baz sont des organisations criminelles responsables de l´insécurité et de l´instabilité dans ces quartiers et partout dans le pays. De plus, étant donné que les Baz n´avaient pas la réputation d´association sociale, intellectuelle, culturelle, artistique littéraire ou sportive, et, tenant compte de leur configuration sociale à forte majorité de jeunes sans emploi, dépourvus de travail et d´activités lucratives, toutes les conditions étaient donc réunies pour que des accusations criminelles comme celle de l´« armée rouge » leur pleuvent dessus.
À en croire, l´« armée rouge » serait donc une création dans la dimension linguistique et sémantique des presses nationale et internationale. Ce qui veut dire qu´en fait elle aurait été construite par le richissime vocabulaire des médias et ceci a fait des dégats psychologiques et mentaux irréparables parmi ces jeunes oubliés e stigmatisés. Nous y insistons: l´invention du thème l´« armée rouge » est loin d´être innocente. Elle est peut-être arbitraire et véhicule une certaine violence langagière des médias, néanmoins il ne faut pas croire qu´elle vient du néant. Et, nous le répétons, de même que le marronnage s´est greffé sur les différentes actions des esclaves liées au contexte social et historique de la colonie afin de se constituer sémantiquement en tant que concept, si les presses nationale et internationale ont pris l´initiative de la mentionner c´est que, suivant le príncipe de relation cause à effet, un fait social causal l´a engendrée.
4.      Liens entre l´« armée rouge » et la dégérénescence sociale des conflits armés à Cité Soleil
L´« armée rouge » a fait plus de dégats dans sa nature conceptuelle qu´elle tendait à traduire effectivement dans son ensemble la réalité sociale prédominante de l´époque. Le concept ayant été quand même trop fort allait beaucoup plus vite que les réalités sociales dont il est né et les obstruait. Toutefois, qu´elle reste et demeure une pure notion vide de sens et vague ou qu´elle soit la traduction directe d´un fait social irrefutable, l´« armée rouge » dans sa forme la plus propagantiste et expansionniste a quand bien même des liens avec la dégénérescence sociale des conflits armés à Cité Soleil sur le plan sociologique. C´est ce que, au moyen des enquêtes, nous nous proposons de faire ressortir dans les paragraphes suivants.
4.1. Et si nous admettions que l´« armée rouge » ait réellement existé?
Admetterions qu´à l´origine une telle organisation ait pris naissance dans le temps et dans l´espace où regnaient à Cité Soleil plus de peur, de terreur, d´inquiétude, d´incertitude, de frayeur, de frénésie dans les coeurs et les esprits que les violences et les criminalités proprement dites, alors partant de cette supposition, cette création serait non seulement l´expression des mouvements sociaux à allure révolutionnaire pour dissiper ces états psychologiques et sociologiquement déstabilisants chez ces jeunes désoeuvrés, désaxés, désorientés et abandonnés, mais elle traduirait surtout en conséquence la résisance armée contre les militaires, le Fraph et les Attachés des masses appauvries, infériorisées et déshumanisées qui s´entassent depuis trop longtemps dans des taudis produisant et reproduisant une criminalité planifiée.
Ce qu´il faudrait entendre ici par une criminalité planifiée c´est le fait pour des acteurs sociaux, politiques et économiques (l´État, les organismes sociaux et politiques, les institutions privées, les ONGs nationales et internationales etc.), participant de près ou de loin au bien-être des individus par le travail, l´emploi, un salaire raisonnable, un mode de vie décent, un revenu permettant de réaliser des rêves, de précipiter ou d´inciter volontairement, par leurs agissements malhonnêtes et déloyaux, ces derniers à une sorte de criminalité de survie en les laissant cuire dans leur jus et en exploitant leur misère et leur pauvreté. En ce sens, ces gens-là ne sont pas pauvres mais appauvris, encore moins qu´ils soient miséreux mais misérables ou en proie à un misérabilisme.
L´« armée rouge » – si nous devons admettre son existence réelle – représenterait une infirme partie de la population de Cité Soleil dans son ensemble. Même si elle a beau avoir été contestée par les jeunes, mais devant les insistances du secteur responsable de sa vulgarisation, de sa propagation et de son expansion, savoir, la presse et l´opinion publique, elle a dû poursuivre son chemin cette fois non entant que simple vocable mais comme agrégat collectif ayant une structure sectorielle non hiérarchisée. Même si des gens n´ont jamais revendiqué son existence réelle, elle demeure l´une des réalités sociales de l´époque que d´autres affirment avoir eux-mêmes vécu.
Ceux et celles-là qui ont vécu les années 1990 voyaient avant tout en ces jeunes accusés d´être membres d´une telle organisation non seulement la bravoure, l´intrépidité et la résistance à la machine sanguinaire et impitoyable des militaires, mais encore l´espoir d´une Cité Soleil forte, unie et organisée. Mais, si leur lutte s´est peu à peu détériorée et leur groupement devenu une association méfiante vis-à-vis de la population soléenne, il faut remettre en cause l´aggravation de leurs conditions sociales et économiques et la marginalisation dont ils sont victimes. Tous leurs rêves se sont volatilisés dans des guerres fratricides suscitées par leur état de fragilité, de maléabilité et de vulnérabilité. Sans travail, sans emploi, livrés à eux-mêmes avec un niveau d´éducation inadéquate au marché de l´emploi déjà saturé, ils se sont eux-mêmes créés leurs propres activités lucratives: les vols à main armée, le crime organisé, le banditisme, le kidnapping, les assassinats, afin de survivre.
En ayant voulu pousser notre réflexion intellectuelle un peu plus loin, nous nous sommes physiquement et personnellement transporté dans la commune de Cité Soleil afin de rencontrer et d´interviewer certaines personnes capables de nous aider à mieux comprendre la réalité sociale de l´époque qui aurait un certain rapport avec l´émergence de cette soi-disante « armée rouge ». Pour asseoir nos arguments, nous recourrons à l´histoire orale – méthode auxiliaire qui aide la sociologie à reconstituer les faits passés en lieu et place des lacunes en matière de documentation – et aux enquêtes.
4.2. L´armée rouge: une structure collective dont l´existence confirmée par certains habitants de Cité Soleil
Lors d´une enquête menée à Cité Soleil entre mai et juin 2017 titrée Processus de formation des groupes armés (questionnaire 4), dix huit personnes agées de 25 à 70 ans ont, favorablement, accepté de répondre à nos questions. Celle-ci cherchait à comprendre principalement par quel mécanisme les groupes armés se forment et se mobilisent si fréquemment à Cité Soleil, et, en second lieu, à faire ressortir le premier groupement armé qui y aurait existé. En ce qui concerne le second objectif, il s´est trouvé qu´à la question: Le premier groupe armé surgi ou formé à Cité Soleil remonte à quelle année? (Q15), 9 personnes – représentant un pourcentage de 50 % sur un échantillon de 18 personnes interviewées – ont explicitement mentionné le nom de l´armée rouge comme premier groupe armé qui ait existé à Cité Soleil. D´autres, soit par défaut de mémoire ou par oubli, se souviennent par contre des dénommés Ti Blanc, Fedner, Ti Américain, Ti Mizè qui furent à la tête des premières bandes armées à Cité Soleil. Le tableau ci-après donne une idée plus ample de ce dont nous parlons:
Âge
Sexe
Niveau d´études
Réponses
46
M
3ème sec.
L´armée rouge=mouvement révolutionnaire surgi le 12 nov. 1991
60
M
licence em théologie
l´armée rouge em 1994
42
M
8ème a.f.
l´armée rouge depuis 1996
66
M
moyens 1
je ne sais pas
36
M
philo
l´armée rouge, um groupe opposé à la fadh après le départ d´aristide em 1991. elle a commencé em 1996.
42
F
licence em informatique
le groupe des dénommés ti mizè et fedner à brooklyn
32
M
rhéto
l´armée rouge entre 1995-1996
70
M
moyens 2
groupe ti américain, après vient l´armée rouge
41
M
universitaire
je ne sais pas
42
M
seconde
em 1992-1993 à bélékou
43
M
universitaire
groupe d´um dénommé ti mizè qui opérait avec les armes blanches
28
F
universitaire
l´armée rouge est le 1er, le 2ème était formé de kovington, c´était des cambrioleurs à armes blanches
37
M
universitaire
je ne sais pas
44
M
élémentaire 2
1996
28
M
préparatoire 2
1990
25
M
seconde
le groupe à ti blanc
49
M
ne sait ni lire ni écrire
l´armée rouge em 1994
48
M
élémentaire 2
l´armée rouge em 1994
Tableau 1. Source: L´auteur.
Dans l´approfondissement de nos enquêtes, il s´avère que ces dénommés Ti Blanc et Ti Mizè, revenant à plusieurs reprises à la mémoire des interviewés, s´ils n´étaient pas les principaux chefs de fil de cette « armée rouge » avaient quand bien même des liens très étroits avec elle. Donc, ceux et celles parmi les enquétés qui ont mentionné ces noms-là, ils sont environ 4, ont implicitement admis que l´« armée rouge » était un phénomène réel à l´intérieur de Cité Soleil. Sept d´entre eux situent son apparition entre 1994-1996, tandis que d´autres l´auraient déjà remarquée depuis novembre 1991, soit deux mois après le coup d´état du 30 septembre 1991. Enfin, la majorité des interviewés se réfère aux années ayant succédé le coup d´état pour s´accorder sur l´émergence de cette « armée rouge » à Cité Soleil. Elle a donc développé des liens conséquenciels médiats avec le coup d´état de 1991. Elle se veut une sorte de réponse aux exactions et aux modes de vie des jeunes de cette localité.
Par ailleurs, sur un total de quatre vintg douze interviewés sur la situation des conflits armés à Cité Soleil dans le cadre du questionnaire 3, 42, 32 % soutiennent qu´ils ont débuté après 1990, période à laquelle correspondent le renversement d´Aristide par le coup d´état du 30 septembre 1991, l´établissement d´un régime militaire en Haïti, et, éventuellement, l´émergence de cette « armée rouge ». Pour parvenir à ce résultat, ces derniers avaient à répondre à la question suivante: Les conflits armés ont commencé à Cité Soleil avant, après ou exactement en 1990? (Q4). Entre le résultat du questionnaire 3 et celui du questionnaire 4, il y a une certaine relation en ce sens que l´accent est mis sur l´après 1990 pour situer historiquement presque tous les événements à portée d´une dégénérescence sociale et politique qui se sont déroulés à Cité Soleil.
Encore vivante et assez fraîche à Cité Soleil, la génération de 1990 est agée aujourd´hui de 27 ans. Nous estimons qu´en 1990, un enfant d´au moins de 6 ans, s´il ne souffrait pas de problème de mémoire, a la facilité de se souvenir des évenéments qui se sont déroulés autour de lui, c´est pourquoi le minimum d´âge considéré est de 33 ans. De fait, 62 personnes des deux sexes agées de 33 ans ont été interviewées sachant que la totalité des personnes interviewées est de 92 et sont agées de 19 à 84 ans. 23 sur ces 62 déclarent que les conflits armés à Cité Soleil ont commencé bien avant 1990, tandis que 28 s´accordent sur l´après 1990 et 9 soutiennent que c´est exactement en 1990 que les choses ont déterrioré dans la commune. Enfin, si nous tenons compte de tous les 92 personnes, 44 d´entre elles acceptent que les conflits armés datent d´après 1990 tandis que 32 les situent bien avant et 12 les placent exactement en 1990, comme le montre le tableau suivant:  
Tranche d´âge
Quantité
M
F
Avant 1990
Après 1990
1990
Je ne sais pas
Moins de 33 ans
30
13
17
9 (23,33%)
16 (53,33%)
3 (10%)
2 (6,66%)
Plus de 33 ans
62
39
23
23 (37,09%)
28 (45,93%)
9 (12,9%)
2 (3,22%)
Total
92
52
40
32 (34,78%)
44 (47,82%)
12 (13,04%)
4 (4,34%)
Tableau 2: Source: L´auteur.
L´armée rouge aurait tracé son propre itinéraire dans l´histoire de Cité Soleil. Déjà, d´entre de jeu, nous pouvons constater parmi nos interviewés que l´obsession à la notion de l´« armée rouge » se trouve plus chez les hommes (16) que chez les femmes (2) (tableau 1). Un résultat qui n´est pas tout à fait surprenant en raison du fait que la gente féminine était très moins mue par ces activités à Cité Soleil au cours des 20 dernières années. Ainsi donc, même s´il était scientifiquement difficile à l´époque de prouver l´existence de cette organisation, elle a néanmoins fait tellement de dégats dans les esprits, les mentalités et l´imaginaire des Haïtiens que la réalité sociale qu´elle incarne devient irrefutable.
Or, comme nous avons vu, les faits marquant le début de ces conflits armés ne font pas l´unanimité parmi nos interviewés encore plus parmi les habitants de Cité Soleil. À la question: Quels seraient, selon vous, les faits ayant marqué le début des conflits armés à Cité Soleil?(Q9) du questionnaire 1, chacun des vingt quatre interviewés a mentionné un événement différent. Toutefois, il n´y a pas un seul d´entre eux qui n´ait réflété la réalité de l´époque et qui ne soit pas en accord avec la chronologie dont nous avons déjà parlée.
Les conflits armés ont commencé avec Simon Pelé et Cité Soleil vers 1990-1992 et ont été causés par un chien qui appartenait à une habitant de Simon Pelé. Ce chien a été tué par des gens de Cité Soleil avec une arme créole, mais les machettes et les batons étaient jusque là les plus utilisés dans ces conflits qui ont fait quelques dizaines de vicitmes (interviewé 1).
C´est ce que nous a confié Saintiny Jean Sorel, 47 ans, licencié en Droit et enseignant à Cité Soleil où il n´habite plus depuis 2004, mais qu´il fréquente au moins cinq fois par semaine à cause de son poste de directeur académique. De sa part, Louidone Roblin, un responsable d´une organisation sociale et culturelle évoluant à l´intérieur de la cité avance que:
Les conflits armés existent à Cité Soleil depuis sa naissance, en 1967, par François Duvalier. Boston et Brooklyn sont les premières localités construites et les premiers conflits remontent à 1988 entre Warf et Linthau 1 à cause d´une question d´eau (interviewé 2).
Si un consensus est difficile à trouver sur la date de naissance de l´armée rouge à Cité Soleil, la situation n´est pas moins grave en ce qui concerne son lieu de naissance. En vue de trouver un élément de réponse à ce problème, nous avons posé la question suivante à nos dix huit interviewés dans le cadre du même questionnaire 4: Quels seraient, selon vous, les quartiers à Cité Soleil où les groupes armés sont formés de manière plus fréquente?(Q8) Les réponses ne surprennent pas: le nom de Boston apparaît 10 fois et celui de Bélékou 9 fois. En fait, Boston a toujours été perçue comme bastion des sujets armés très dangereux.
Or, revenons aux faits qui se sont passés entre novembre 1995 et janvier 1996. Même si c´étaient quelques-uns des jeunes – les plus influents d´ailleurs qui ne dépassaient pas une dizaine – qui avaient pratiquement quelques armes à feu et les brandissaient, puis tout le reste qui a pris part à ces exhibitions populaires dont nous parlions était des civils sans armes (blanches ou à feu), la présence des armes dans ces genres de rassemblements populaires laissent présager une activité criminelle et illégale. De plus, bien que l´expression de l´« armée rouge » paraisse un peu forte, et, étant donné qu´il ne s´agissait pas d´une manifestation populaire ou d´un mouvement social à proprement parler, elle a quand bien même réflété cette réalité dominante de l´époque.
Nos interviewés des questionnaires 1, 3 et 4, lors de notre travail de recherche en Haïti, sont presqu´unanimes à admettre l´existence dans le temps et dans l´espace de cette « armée rouge » qui, plus tard, devait abandonner l´utilisation des armes blanches au profit des armes à feu. L´armement des groupes sociaux à Cité Soleil est un processus long et très complexe qui puise d´abord son origine dans la chasse aux macoutes en 1986, dans le démantèlement des Attachés et du Fraph en 1994 après le retour d´Aritide, dans la négligeance de quelques soldats des différentes missions militaires onusiennes en Haïti de 1991 à 1996, qui n´avaient pas su bien sécuriser leurs armes auxquelles les enfants appelés improprement cocorats pouvaient avoir facilement accès. Sur ce, le même journaliste canadien du journal Le Devoir nous reproduit un des multiples faits très fréquents à Cité Soleil:
Midi. Un long embouteillage bloque la circulation sur la route nationale numero 1, aux abords de Cité-Soleil. Brusquement, une dizaine de gamins, de huit a douze ans, fondent sur une camionnette blanche des Nations unies. En quelques secondes, ils arrachent le hayon de la camionnette. Lorsque deux soldats bangladeshis descendent de la cabine, encombrés de leurs fusils, les gamins sont déjà loin avec plusieurs caisses en guise de butin. Produits de la misère et symbole de la montée de la délinquance, ces enfants de la rue, surnommés les « cocorats », donnent la migraine aux responsables de la MINUHA. Ne sachant comment faire face aux pillages des « cocorats », ils conseillent des itinéraires détournés pour accéder au quartier général de la MINUHA (CAROIT, Op cit, p. B5).

Ces derniers en mettant la main sur ces armes, allaient vite les livrer aux membres de la Baz avec lesquels ils ont une relation domestique, affective et amicale beaucoup plus étroite. En récompense, ils gagnent non seulement la confiance des chefs mais aussi reçoivent d´eux de l´argent. L´utilisation des enfants comme passeurs dans les groupes armés, la situation des gamines utilisées comme objet sexuel, et, qui pis est, le fait de les forcer à commettre des meurtres sont un problème social crucial dans la société haïtienne. Ainsi, à l´armement accéléré et ininterrompu des groupes à Cité Soleil on peut imputer le déchoucage des macoutes (1986), des Attachés et des membres du Fraph (1994), les affrontements armés qui opposent les bandes armées à la police et aux militaires des forces multinationales onusiennes toujours présentes en Haïti, les armes volées par ces mêmes cocorats dans les bases des Marins américains déployés en Haïti en 1994 et celles volées par négligeance ou complicité des patrouilles de ces armées étrangères dans les quartiers à haute intensité de violences collectives.
Considérations générales
Si le nom de l´« armée rouge » était incessamment et préférablement accollé aux jeunes de Cité Soleil, ce n´est pas en raison du fait qu´ils étaient armés, car, à Fontouron, à La Saline, à Delmas 2, il y avait des groupes armés alors qu´on n´y avait jamais entendu parler d´une telle organisation. Encore cette appelation est-elle postérieure au processus d´armement des Baz et des quartiers à Cité Soleil. L´expression de l´« armée rouge » provient, peut-on dire, de l´image d´une armée institutionnellement et hiérarchiquement organisée que projettaient les jeunes lors des exhibitions civilo-militaires en 1996, car c´est rare qu´un fait d´une telle envergure se soit produit. En uniformes militaires et policières[20], les chefs de fil en prenant la tête de ces exhibitions ont affiché des postures militaires et gesticulaient comme de vrais militaires, d´autres sous leurs ordres répétaient les mouvements.
Or, pour avoir ainsi fait parler d´elle durant la dictature des Duvaliers comme zones de répresailles, lieu du sang, de toutes les calamités humaines, de toute sorte de crimes, Cité Soleil a toujours été très mal perçue dans la société haïtienne et la communauté internationale. Des cadavres non identifiés étaient très fréquemment présents dans la mer à Cité Soleil. De plus, quand ils ne passaient pas des jours et des nuits sur le sol, quand les porcs et les chiens s´en rassasiaient, ils y restaient pour être décomposés sous les effets des rayons du soleil. L´exploitation par des ONGs locales et internationales de la pauvreté des personnes dès fois repoussées avec fracas, la dégradation environnementale, les rivalités répétitives entre les différents quartiers, les mécontentements continus de la population exprimés le plus souvent avec violence, tout ceci participe de la mauvaise réputation de Cité Soleil et semble justifier en quelque sorte lexpression de l´« armée rouge ».
Loin d´être une armée hautement et militairement bien organisée avec les principes et règlements qui régissent toute institution militaire digne de ce nom, l´armée rouge telle qu´elle a été inventée à Cité Soleil, ne reste pas dans l´ombre de ses propres inventeurs et accusateurs, mais se rattache aux phénmènes sociaux de l´époque même si elle ne les décortique pas normalement. Ainsi, qu´il s´agisse d´un excès de langage, d´une violence langagière, comme cela est de coutume dans la société haïtienne, d´une tentative d´intoxication et de corruption de l´opinion publique, de la banalisation des combats des jeunes qui aspiraient aux changements sociaux, politiques et économiques, la formulation de l´« armée rouge » est particulièrement et sociologiquement importante pour comprendre les violences sociales qui sont loin de disparaître dans ce grand bidonville.
Références
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BAYAC, J. Delperrie de. Histoire de la milice 1918-1945. Paris: Fayard, 1969.
COSTA, Greciely Cristina da. Sentidos de milícia: Entre a lei e o crime. São Paulo: Editora da Universidade Estadual de Campinas, 2014.
GIOLITTO, Pierre. Histoire de la milice. Paris: Perrin, 2002.
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DANACHE, Berthoumieux. Le président Dartiguenave et les américains. Port-au-Prince: Imprimerie de l´État, 1950.
DÉNIS, Lorimer, DUVALIER, François. Le problème des classes sociales à travers l´histoire d´Haïti. Port-au-Prince: Imprimerie de l´État, 1959.
FOUCHARD, Jean. Les marrons du syllabaire. Port-au-Prince: Henri Deschamps, 1988.
HECTOR, Michel, MOÏSE, Claude. Colonisation et esclave en Haïti: le régime colonial français à Saint-Domingue (1625-1789). Québec: Cidihca, 1990.
4. Articles électroniques de journaux sur l´organisation FRAPH en Haïti
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LE MONDE. Haïti: À Cité Soleil, l´électricité a vaincu la peur. Le Monde, Paris, 4 oct. 1994. Disponible sur: <http://www.lemonde.fr/archives/article/1994/10/04/haiti-a-cite-soleil-l-electricite-a-vaincu-la peur_3843942_1819218.html?xtmc=cite_soleil&xtcr=4> . Accès le 30 jul. 2017.
LE MONDE. Haïti: Les néo-duvaliéristes célèbrent leur "victoire". Le Monde, Paris, 2 nov. 1993. Disponible sur: http://www.lemonde.fr/archives/article/1993/11/02/haiti-les-neo-duvalieristes-celebrent-leur-victoire_3935822_1819218.html?xtmc=fraph&xtcr=42. Accès le 31 jul. 2017.
LE MONDE. D'après la revue américaine "The Nation" La CIA aurait financé le principal mouvement paramilitaire anti-Aristide. Le Monde, Paris, 8 oct. 1994. Disponible sur: http://www.lemonde.fr/archives/article/1994/10/08/d-apres-la-revue-americaine-the-nation-la-cia-aurait-finance-le-principal-mouvement-paramilitair. Accès le 31 jul. 2017.
LE MONDE. Haïti: Massacre aux Gonaïves. Le Monde, Paris, 27 avr. 1994. Disponible sur: http://www.lemonde.fr/archives/article/1994/04/27/haiti-massacre-aux-gonaives_3825747_1819218.html?xtmc=fraph&xtcr=31. Accès le 31 jul. 2017.
LE MONDE. Haïti: Le retour des "tontons macoutes". Le Monde, Paris, 29 mai. 1994. Disponible sur: http://www.lemonde.fr/archives/article/1994/05/29/haiti-le-retour-des-tontons-macoutes_3831278_1819218.html?xtmc=fraph&xtcr=28. Accès le 31 jul. 2017.
LE MONDE. Haïti: La terreur règne sur les médias. Le Monde, Paris, 9 aoû. 1994. Disponible sur: http://www.lemonde.fr/archives/article/1994/08/09/haiti-la-terreur-regne-sur-les-medias_3813841_1819218.html?xtmc=fraph&xtcr=26. Accès le 31 jul. 2017.

  1. Articles électroniques de journaux sur « l´armée rouge » à Cité Soleil
Canada: Immigration and Refugee Board of Canada. Haïti: Information sur une organisation appelée « Armée rouge » à Cité-Soleil (Port-au-Prince), ses liens avec le mouvement Lavalas (pro-Aristide) et attitude des autorités à l'endroit de ses membres (1990-1998). 1 jul. 1998. Disponible sur: http://www.refworld.org/docid/3ae6ad13c.html. Accès le 20 jul. 2017.
CAROIT, Jean-Michel. Les actes de violence se multiplient en Haïti. Le Monde, Paris, 18 mar. 1995. Disponible sur: http://www.lemonde.fr/archives/article/1995/03/18/les-actes-de-violence-se-multiplient-en-haiti_3867300_1819218.html?xtmc=fraph&xtcr=12. Accès le 31 jul. 2017.
______.  Guérilla urbaine en Haïti: La mystérieuse « armée rouge » de Cité Soleil. Le Devoir, Montréal, 3 jan. 1996, p. B5. Disponible sur: http://collections.banq.qc.ca:81/jrn03/devoir/src/1996/01/03/B/5226335_1996-01-03_B.pdf. Accès le 31 jul. 2017.
HOPQUIN, Benoît. La guerre de l´eau à Cité Soleil. Le Monde, Paris, 15 jun. 2007. Disponible sur: <http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2007/06/15/haiti-guerre-de-l-eau-a-cite-soleil_923953_3222.html?xtmc=cite_soleil&xtcr=5>. Accès le 30 jul. 2017.
  1. Bibliographie sur la dictature des Duvalier
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LEMOINE, Patrick. Fort-Dimanche, Fort la mort. New York: Fordi9, 2011.
PIERRE-CHARLES, Gérard. Radiographie d´une dictature. Montréal: Nouvelle Optique, 1973.
  1. Autres références bibliographiques
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_______. Port-au-Prince au cours des ans: La capitale d´Haïti sous l´occupation (1915-1922). Tome 5. Port-au-Prince: Imprimerie Henri Deschamps, 1984.
CONSTANT, Benjamin. Des effets de la terreur. In: De la force du gouvernement actuel de la France et de la nécessité de s´y allier: Des réactions politiques; des effets de la terreur. Paris: Flammarion, 1988. p. 161-178.
Institut Haïtien de Statistique et d´Informatique (IHSI). Population totale, population de 18 ans et plus ménages et densités estimés en 2015. Disponible sur: www.ihsi.ht. accès le 31 jul. 2017.
La loi du 11 avril 2002 portant la création des communes de Tabarre et de Cité Soleil. Disponible sur: http://ciat.bach.anaphore.org/file/misc/20020326_Loi.pdf. Accès le 26 jul. 2017.
AMNESTY INTERNATIONAL. Haïti: Une Question de Justice. Amnesty International, Londres, 1 fev. 1996. Disponible sur:http://www.refworld.org/docid/3ae6a9a80.html. Accédé le 31 jul. 2017.




· Ce texte fait partie des rapports de travaux de recherche et d´enquête réalisés en Haïti, entre janvier et juillet 2017, dans la commune de Cité Soleil, située au Nord de Port-au-Prince entre la baie de Port-au-Prince et la zone métropolitaine avec la mer des Caraïbes pour limite.
* Doctorant en Sociologie à l´Université d´État de Campinas (São Paulo, Brésil) sous l´orientation du Prof. Dr. Renato Ortiz. E-mail: jeandefabien1982@yahoo.fr Blog: https://jeandefabien1426.blogspot.com.br/.
[1] Loi du 11 avril 2002 portant création des communes de Cité Soleil et de Tabarre, en vertu de laquelle Cité Soleil est passée désormais du statut de section communale à celui de commune dotée ainsi d´une certaine autonomie administrative assurée par un conseil municipal de trois membres, les casecs et les asecs. Disponible sur: http://ciat.bach.anaphore.org/file/misc/20020326_Loi.pdf. Accès: le 26 jul. 2017.
[2] Force révolutionnaire pour l´avancement et le progrès en Haïti. Une organisation paramilitaire constituée en grande majorité d´anciens macoutes et de nouveaux adeptes dévoués à la perpétuation des idéologies duvaliéristes en Haïti. Jurés, semble-t-il, de faire la peau à Aristide, ces derniers s´engageaient dans une opposition aveugle et féroce rendant ainsi toute négociation ou voie de consensus imposible avec eux.
[3] Les Attachés et les membres de FRAPH se distinguent en ce que le premier est une milice rattachée au Palais national, une sorte de VSN à l´époque de Duvalier, qui veillait et rapportait tout ce qu´une personne ou groupe de personnes pourrait insinuer contre le régime, tandis que le second est un corps plus ou moins hiérarchiquement organisé. De toute façon, les Attachés étaient le plus souvent un dérivé du FRAPH et travaillent tellement en parfaite harmonie qu´il est difficile de les distinguer. Néanmoins, il y a lieu de souligner que si les membres de FRAPH étaient pour la plupart d´anciens Tonton macoutes et fervents partisans du régime duvaliériste, les Attachés ne l´étaient pas forcément.
[4] À ce qu´il paraît, les anciens macoutes expulsés de la scène politique en 1986 pour n´y refaire surface qu´en 1991 suite au coup d´état, encore puissants et intransigeants en Haïti, n´étaient pas prêts à pardonner aux propos tenus par Aristide lors de ses campagnes électorales de 1990 au cours desquelles il aurait dit en créole haïtien: « pa neglije ba yo sa yo merite » en s´adressant au peuple. Ce "yo" qui se traduit par "eux" en Français est un pronom personnel pluriel indefini susceptible de créer la confusion et le doute dans les esprits en ne désignant soit une multitude de personnes ou une catégorie de personnes indexée par l´emploi d´un langage imagé. Cependant, plusieurs commentaires attribuaient ce "yo" aux Tontons macoutes. Ces derniers pressentaient que c´est eux qu´Aristide visait en parlant de "yo", car, ces propos s´inscrivaient dans un contexte de grandes perturbations sociales où les Tontons macoutes pourchassés par le peuple étaient effectivement brulés vifs s´ils se laissaient rattraper par une foule enragée. Outre qu´ils coïncidaient avec le phénomène de violence civile caractérisée par les lynchages, les déchoucages, les chasses à l´homme et autres, ces propos venaient d´envénimer la situation. En effet, la pratique populaire de bruler vif les personnes considérées comme indésirables consistait à  suspendre autour de leur cou des caoutchous mouillés de gasoline, quelqu´un n´a qu´à allumer une allumette et nous y voilà en présence d´une scène horrible d´un être humain entrain de se battre, de se débattre sous le feu. Sans les nommer et sans peut-être évaluer les conséquences de son attitude haineuse envers eux, peu de temps après son investiture comme président de la république en février 1991, Aristide aurait épinglé pour une nouvelle fois par ses propos cette catégorie si fragile de la société haïtienne. Certains qualifiaient ses propos imagés d´incendiaires comme des incitations à la violence. Ainsi, on accusait Aristide d´être le responsable des Tontons macoutes brulés vifs.
[5] De façon formelle ou informelle, nous avons eu l´opportunité de nous entretenir avec des jeunes, des adultes, des gens de la société civile, des leaders d´organisations sociales, des acteurs religieux, des éducateurs, des personnes du secteur politique et commercial, des vieillards, mais surtout avec des sujets armés considérés comme dangereux. Les groupes armés tendent à se transformer aujourd´hui en d´autres structures. Il fallait recueillir surtout les opinions de ces sujets armés sur la question qui nous préoccupe, car ils sont au centre des accusations selon laquelle les groupes armés qui existent actuellement à Cité Soleil et dont ils sont membres seraient les héritiers directs de l´« armée rouge »: pionnière des groupements armés à Cité Soleil. Il nous semblait donc important d´avoir leurs propres idées sur cette question.
[6] Car tous n´étaient pas forcément des indésirables. On se souvient d´un Volontaire de la sécurité nationale – nom officiel des Tontons macoutes – surnommé Pa gen danje qui, avant de devenir Attaché ensuite houngan, a été épargné de la colère des foules à Cité Soleil parce que, dit-on, il était un macoute modéré qui n´avait jamais commis des abus à l´égard des personnes de son entourage. Là où il habitait à Projet Lintho 1, tout le monde l´appréciait. Un autre plus connu populairement sous le nom de Alcibiade a lui aussi été sauvé par sa marque de gentillesse et de justice dont il faisait montre dans le passé.
[7] Ces indusries n´existent plus à Cité Soleil. Leur disparition a été causée en partie par des agressions physiques violentes dont étaient victimes les patrons, mais surtout par des conflits armés répétitifs et continus suivis de rançons et de kidnapping qui, durant les quinze dernières années, ont complètement paralysé les activités sociales et économiques dans cette commune. Les bandits réclamaient souvent aux patrons des rançons afin de laisser fonctionner leurs usines. Contrairement aux deux autres, la suppression de la Hasco – spécialisée dans la transformation de la canne-à-sucre en sucre et en sirop – a été une décision officielle entre les gouvernements haitien et américain.
[8] La violence des esclaves contre les affranchis et les blancs afin de conquérir d´abord la liberté ensuite l´indépendance et, enfin, le recouvrement de leur humanité (HECTOR, MOÏSE, 1990, p. 83-91). La violence de la nouvelle classe libre (les anciens esclaves en majorité noirs) pour son intégration sociale et politique contre la nouvelle oligarchie mulâtre manipulée par les puissances occidentales et autoproclamée héritière exclusive des biens et des terres laissés par les anciens colons. Cette dernière typologie de violence constitue le fondement de la lutte des classes entre noirs et mulâtres en Haïti depuis l´indépendance (DENIS, DUVALIER, 1960). Enfin, viennent les violences conjugales, les violences sociales de survie, sans oublier les violences interindividuelles et interpersonnelles vécues à longueur de journée tant dans les familles, à l´école qu´au milieu des groupes sociaux.
[9] Il s´agit d´établir quels ont été les membres de cette « armée rouge ». Étaient-ils des jeunes de Bas rail, de Bélékou, de Boston ou de Soleil 9 qui se disaient révolutionnaires, ou des membres du Fraph et des Attachés – les véritables seigneurs de l´instabilité politique et de l´insécurité à Port-au-Prince et dans les quartiers populaires comme Cité Soleil – ou encore était-elle formée de ces principaux groupes sociaux présents et influents sur la scène politico-sociale à Cité Soleil, à savoir, les Baz, le Fraph et les Attachés?
[10] Bien que ces mouvements sociaux, qui, à proprement parler, ne s´inscrivaient pas dans la logique de la lutte armée comme certains le prétendaient, aient surgi pour la première fois à Cité Soleil à la fin de 2003 jusqu´à 2006, c´était toutefois toute la société haïtienne qui était ébranlée et frappée par ces mouvements sociaux d´une violence extrême après le départ d´Aristide. L´appelation Opération Bagdad faisait référence par imitation à ce qui se passait en Irak et consistait plus dans des altercations répétitives entre la police, la Minustah et les groupes armés, dans des kidnapping, enlèvements et séquestrations qu´elle renvoyait à de simples rivalités sociales interquartiers à Cité Soleil. Enfin, les dommages en vies humaines, matériels et environnementaux causés par celle-ci sont irreparables pour la commune comme pour le pays en entier.
[11] En opposition à l´occupation américaine, des paysans connus sous le nom de Cacos sous la direction de Jean-Baptiste Chavannes et de Charlemagne Péralte ont mené des luttes armées contre l´occupant dans le but de libérer le pays de cette honteuse et humiliante occupation. L´assassinat de ce dernier a ralenti le movement sans toutefois l´anéantir. La résistance se continuait sous d´autres formes. Par ailleurs, en 1946, des mouvements sociaux des étudiants semblables à ceux des Cacos, attribués à des luttes armées, ont conduit à la démission forcée du président Elie Lescot.
[12] À l´époque, ce dénommé Africa se faisait passer pour le leader des partisans armés de Lavalas à Boston. C´est au journal Le Devoir de Montréal qu´il avait accordé cette entrevue au cours de laquelle il a déclaré ne pas tenir des armes à feu et les accusations qui pesaient sur lui à ce propos étaient juste des manoeuvres de Réginald Boulos qu´il considère comme son ennemi acharné.
[13] Controlée pendant longtemps par des civils armés qui sémaient la panique et l´insécurité à Cité Soleil, l´eau se voulait et se veut encore le liquide d´or auquel les habitants de ce grand bidonville n´ont accès qu´accidentellement. On dirait que par miracle des anges seraient descendus dans le chateau d´eau situé sur la route nationale #1 pour venir l´agiter. En voyant des centaines de personnes massées à chaque fois autour de ce chateau pour l´attendre, on croit revivre le mythe biblique de la piscine de Béthesda. Ces propos rejoignent tout au moins les constats faits par le journal Le Monde en 1994.
[14] À Cité Soleil, les problèmes de l´eau sont chroniques. Dans les années 1980, il y avait presqu´une seule pompe à eau où venait s´approvisionner presque tout le monde. Elle se situait à Lintho 1. D´où l´une des causes de ces conflits entre Warf et Lintho 1 où se trouvait ce trésor en 1988 (un interviewé).

[15] A l'appel du président Aristide, la population a organisé des « brigades de vigilance ». Au moins cinq individus, accusés d'être des voleurs, ont été tués à coup de barres de fer et de bâtons dans les quartiers populaires de Port-au-Prince (CAROIT, 1995, p. 1).
[16] "Si tu m´emmerdes trop, je te ferai manger par un chien ou par un porc. Si tu m´énerves, les mouches te couvriront les dents".
[17] Chaque quartier à Cité Soleil créait à l´époque du règne des Attachés et des membres du Fraph sa propre brigade de vigilance. Les brigades étaient interconnectées et se communiquaient entre elles. L´alerte du danger était donnée la nuit soit en soufflant le lambis dont le son est laissé retentir pendant plusieurs fois ou en passant les machettes par terre ou encore en utilisant n´importe quel ustencile de cuisine, assiettes en alluminium ou autres, plus particulièrement des objets avec lesquels il est possible de faire du bruit en les gratant par terre comme les machettes.
[18] Sorte de groupement social où se pratiquent la solidarité collective et l´assistance sociale, formé en grande partie de jeunes sans emploi qui ne comptent que sur des petits boulots ou petites activités économiques sporadiques pour mettre la main à la bouche. Dans les Baz, la réciprocité et la mutualité prédominent, ainsi le "bien" de quelqu´un est celui de tous. Par exemple, un maillot, une chemise, un pantalon, un ténis ou autre peuvent se mettre à plusieurs personnes. Même une cigarette est susceptible d´être fumée entre plusieurs personnes en la passant de main en main. L´adhésion aux Baz, n´obéissant à aucune règle logique, rationelle ou objective, se fait sur la base d´affinité, d´amitié, de solidarité, de familiarité, de proximité ou de reconnaissance. Si au départ les Baz avaient cette vocation d´entr’aide sociale et fraternelle, celle-ci s´est au fil du temps étiolée. En devenant de véritables repaires de bandits et des groupements criminels impliqués dans des actes antisociaux: vol, viol, banditisme, assassinat etc., les Baz ne sont plus reconnues à cause de leur expression du vivre ensemble collectif. Toutefois, gardant un sens sociologique important, quelques-unes des Baz des quartiers populaires ayant résisté à la marginalisation, à la discriminination et à la phobie dont elles étaient l´objet, jalousent encore très chèrement cette dimension collective.
[19] Propos recueillis de la part de plusieurs de nos interviewés avec qui nous avons eu des entretiens informels, sur l´histoire des premiers conflits entre les forces de l´ordre et les bandes armées. Ce même fait a été confirmé par la presse internationale (LE DEVOIR, 1996, p. B5).
[20] Les affrontements violents et armés entre les forces policières et les bandes armées se soldent quelques fois par la saisie de la part de ces dernières des matériels et équipements des forces de l´ordre. C´est ainsi que lors des premiers affrontements armés entre la police et les bandes armées de Bas rail, de Boston et de Soleil 9, survenus entre novembre 1995 et janvier 1996, celles-ci ont emporté avec elles des uniformes de police, des armes et une voiture. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que, lors des déchoucages de 1986, des uniformes militaires et des armes ont également été volées, des macoutes tués, maltraités et leurs casernes pillées et sacagées par la population. En 2004, le même scénario s´est reproduit et l´on ne peut évaluer le nombre de matériels de la police nationale emportés par les bandits dans le sous-commissariat de Warf, avant d´avoir été incendié, dans le commissariat de la route nationale #1 lors des derniers événements de 2004 à 2006 appelés Opération Bagdad.