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samedi 29 août 2015

UN RÉVEIL COLLECTIF S´ANNONCE-T-IL DANS LA SOCIÉTÉ HAITIENNE?

     Si, bien avant ou à la veille de cette journée du 9 août 2015, le peuple était invité à agir tel qu´il l´a fait, cet appel ferait, certainement, l´objet d´une investigation et d´une accusation pour ce qu´on se plaît tout le temps et fort heureusement à appeler en Haiti :''Incitation à la révolte''. Telle est la qualification la plus simpliste. Peu importe les raisons qui ont poussé le peuple à afficher de tel comportement, l´ont motivé à bouder cette convocation, le fait est qu´il a esquivé un piège qui lui était tendu. Cette attitude ne saurait être innocente ou interprétée comme naive. Il s´agit, de notre humble point de vue, d´un reveil de la conscience collective, c´est-à-dire, la société étant constiutée de consciences individuelles s´ébranle. Il ne fait aucun doute que cette situation nous invite à comprendre qu´un reveil social s´annonce au sein de la société haitienne et que les masses populaires commencent à comprendre certaines choses. Cela suppose aussi qu´avec un minimum d´éducation, le peuple ne peut pas faire n´importe quoi; il n´agit pas n´importe comment et il ne choisit pas n´importe qui, dans le cadre des élections dignes de ce mot, pour le placer dans des organes décisionnels chargés de tracer son avenir. Il n´est pas besoin de revenir sur ce qui s´était passé en Haiti le dimanche 9 août 2015. Cela ne vaut pas la peine! Toutefois, il est important de partir du constat de cette journée pour essayer au moins d´interpréter cette attiude de refus du peuple de continuer à être les marrionnettes d´un appareil d´oppresion et de domination. Nous sommes entrain de constater que l´intelligence de la collectivité s´ouvre, que la mentalité collective commence à se libérer des scories d´hier. La question que se pose et à laquelle tentera de répondre cet article est celle de poser en quoi et comment l´attitude affichée par le peuple lors de la journée du 9 août 2015 est susceptible d´être comprise comme un réveil collectif entrain de se produire au sein de la société haitienne? 

     D´abord l´acte de voter suppose obligatoirement l´existence d´une élection, et le peuple peut aller voter si et seulement s´il y a une ou des éléctions. Or quand est-ce qu´il faut parler d´élection?

     Acte le plus hautemente souverain, l´élection constitue, d´un côté, le moment le plus solennellement tant attendu par un peuple pour placer, au moyen de son bulletin de vote, son mot dans les affaires de la cité, l´activité démocratique par excellence, en dépit de tout, financée exclusivement par lui, de l´autre. Donc, l´élection c´est l´espace manifeste où la souveraineté du peuple se renforce en s´exprimant, elle marque, pour ainsi dire, la capacité intelligente du peuple de choisir et traduit sa volonté la plus sublime de peuple d´élire librement, sans d´aucunes contrainte, influence et interférence d´un quelconque secteur, ses propres gouvernants. Or, comment peut-il y avoir ou peut-on parler honnêtement et rationnellement d´élection dans une Haiti occupée et dominée, dans une Haiti non souveraine, dans une Haiti qui a perdu toutes ses valeurs éthiques et morales, enfin, dans une Haiti dont l´indépendance n´est plus? Même du point de vue éthique et moral, ça ne tient pas. Car, dès l´instant où les appareils institutionnels d´un pays, en particulier, celui chargé d´organiser les élections à proprement parler, ne sont pas controlés par de vrais nationaux et républicains, il est complètement impossible de parler de dignité et de respect et, dans le cas du processus de choix des futurs dirigeants, d´employer le terme élection dans le vrai sens du mot et, pir encore, d´oser de faire un vilain procès d´intention à cette pauvre population en déclarant que c´est elle qui a voté ou choisi ceux qui gouverneront contre lui.

     Le peuple n´est pas, cependant, idiot pour choisir ses propres fossoyeurs. Il ne peut pas se foutre le doigt dans son propre oeil. En Haiti, il est clair de comprendre, et que cela soit connu de tous, qu´il n´y a pas de peuple qui élit, ce sont ceux qui ont le controle des appareils politique, financier et économique du pays qui décident. Élection, mot de plus en plus galvaudé en Haiti, n´est qu´une farce, un déguisement. De plus, il ne peut pas y avoir d´élection parce que, en fait, le peuple, quoiqu´il existe mais peu organisé et solidaire, ne vote pas, donc l´expression populaire ça n´existe pas dans notre Haiti chérie. Ce que l´on organise en Haiti sous le nom d´élection se fait contre le peuple avec la complicité des gens auxquels Haiti n´interesse guère et la livrent à une dépendance internationale. Vu cette dépendance économique et financière, et cette domination étrangère de nos institutions qui causent un problème de légitimité majeur aux bénéficiaires, il est impossible d´établir que c´est le peuple qui  élit réellement un tel ou un tel, que son bulletin de vote, qui, dans un vrai État de droit, est son seul et unique arme démocratique, a été effectivement respecté. Dans un pareil cas, les résultats seront par conséquent toute autre chose sauf l´expression de la volonté populaire. 

     En conséquence, il se pose, dans tous les compartiments socio-structurels d´Haiti, un problème d´éthique, de crédibilité et de confiance. En premier lieu, les dirigeants n´ont pas assez de courage de dire la vérité au peuple en regardant cette triste réalité en face. Ils préfèrent la lui cacher, la colorer momentanément, l´etouffer pour qu´elle ne s´éclate au lieu de la nommer et travailler à la faire disparaître, or rien ne peut l´en empêcher. L´éthique, étant l´une des grandes valeurs humaines au moyen de laquelle l´individu est capable d´agir, d´influencer et de changer son environnement, est une manière d´être et de se conduire rationnellement dans la société, voilà pourquoi l´éthique protestante, vu sa vision rationnelle du monde et des rapports sociaux et économiques, a été l´un des éléments clés dans le développement du capitalisme ocidental. Il est par conséquent irrationnel de penser que cet organe dominant étranger qui detient le monopole économique d´Haiti entre ses mains se laisserait prendre pour des cons une seule seconde. Il fera par contre tout pour que ce soit sa volonté qui s´impose. Il est également irrationnel, après avoir induit le peuple en erreur et l´avoir malhonnêtement et sciemment menti, de croire que ce même organe prendra au serieux vos décisions ou vos actes, vous, dirigeants aveugles.

     En second lieu, le peuple, étant vacciné de ces mensonges, commence à se réveiller. À travers cette réaction du 9 août 2015, il est important d´entrevoir une bonne leçon d´intelligence et de lucidité du peuple à tous ceux qui croient qu´il est bête: Il ne fait plus confiance à ce système - vu qu´il refuse d´y entrer - voire aux soi-disant gouvernants, puisque, en premier lieu, il boude leur appel - et devrait continuer à le faire -, en l´occurence celui du CEP  relatif à ce dimanche 9 août 2015. Car, en clair, appeler le peuple au vote n´est que pure démagogie, la démagogie électorale, qui n´est pas productive pour le peuple haitien et ne l´arrange pas. En troisième lieu, cela traduit sa fuite des discours idéologiques insipides et creux, des appels politiques et patriotiques homo-fantaisistes, et se met courageusement à la recherche d´une nouvelle alternative de révolution sociale. Il se détermine à s´éloigner de plus en plus de ces imposteurs de peur qu´ils n´influencent cette nouvelle phase plus ou moins décisive à laquelle il voudrait s´engager; mais un peu rétissant et méfiant à soi-même parce qu´il n´est pas encore sûr de cette nouvelle attitude. Mais, la formation de ces nouvelles consciences collectives qui surgissent mérite d´aller plus loin et se maintenir jusqu´à ce que ces institutions, qui n´inspirent pas confiance y compris ceux qui les composent, dont les actes souffrent de credibilité et de légitimité, soient effacés et d´autres qui seront l´oeuvre de ce nouveaux réveil collectif les remplacent. Donc, tout ceci signifie qu´Haiti n´existe pas encore.

     Il reste qu´en novembre 2015, il se passera quelque chose dans le pays et le peuple doit se montrer encore plus intelligent, lucide, mais surtout véhatif et prudent, car le boudement ne suffit pas, il faut d´autres actions plus concrêtes, pragmatiques et fortes. Heureusement, l´intelligence est quelque chose qui s´acquiert également par l´expérience, mis à part la connaissance. De ce fait, le peuple doit se servir de toutes ses gammes d´expérience qu´il a acquises au cours des ans pour lutter, au moyen des veillées continues, contre ceux-là: étrangers, faux nationaux et républicains, patriotes colorés et déguisés, haitiens-étrangers pour échapper à ce qui va se produire dans les prochains mois pour ne pas se faire complice de son propre malheur.  
     
     D´autre part, le moment doit venir pour qu´un choix définitif soit fait: soit que la société lutte et se batte durement et continuellement pour reconquérir sa souveraineté et sa liberté sur le plan social, national, culturel, politique et économique en attaquant le système vers le dehors et le haut; soit qu´elle accepte, cette fois de façon officielle, aux yeux du monde entier, qu´elle soit livrée aux étrangers, ainsi, nous saurons si nous allons vers un mieux être ou vers l´abîme. En d´autres termes, dans cette domination étrangère douce, camoufflée et tranquile, nous n´avons aucun destin, aucune issue. Même un peuple opprimé a quand bien même un destin, du moins celui de l´oppression et de la répression continues, voire un peuple libre, souverain et indépendant, son destin consiste à améliorer de plus en plus son système social, éducatif, culturel, politique, financier et économique afin que les individus puissent vivre dans la liberté, le respect de leurs droits, le prestige et l´honnêteté.

     En somme, le voeux pieux qui se peut être formulé est celui d´assister, de la part du peuple haitien, à une augmentation de cette compréhension de ce jeu qu´il commence à démarquer, à une  réponse, vis-à-vis des prochaines mascarades électorales qui se préparent, beaucoup plus sévère, forte, ferme, dure, prononcée et totale que celle du 9 août, à l´image du peuple révolutionnaire qui a fait le 18 novembre 1803. Le peuple commence à saisir le sens et le fondement de ce petit jeu mafieux électoraliste et démocratiste. De ce fait, sa réponse mérite d´englober et d´atteindre toutes les forces individuelles et collectives de la société pour dire d´une seule et même voix révoltante et révolutionnaire que de cette domination douce de ce genre, nous n´en voulons plus jamais. Nous en avons marre! Car, la souveraineté haitienne ne sera reconquise que dans la mesure où la société commence d´abord par se libérer de ces démagogies électorales qui n´apportent que misères, frustration, repression, arrogance, insultes, mépris, propos obscènes; par se débarasser des idéologismes et des démocratismes; enfin, par s´abstenir jusqu´au dernier soupir de ces gâchis qu´on dénomme malheureusement élections, car, il est faux que son destin s´y retrouve. Peut-être, est-il trop tôt de l´établir, mais en analysant cette réaction, il y a quand bien même derrière elle une intelligence collective.

Jean FABIEN
Doctorant en Sociologie (Unicamp)

CAMPINAS, 29/08/2015

jeudi 30 avril 2015

L´INTOLÉRANCE À L´HAITIENNE: UNE RÉFLEXION SUR LA MENTALITÉ ''MACOUTIQUE'' HAITIENNE AU-DELÀ DU SYSTÈME DICTORIAL

     L´objectif de cet article est de provoquer une réflexion sur la mentalité macoutique qui caractérise les Haitiens dans leurs relations avec eux-mêmes et leurs semblables. Une mentalité macoutique qui se lit à la fois à l´haitienne et dans le comportement le plus simple soit-il de chaque haitien d´une part, et se tisse dans les moeurs des Haitiens eux-mêmes d´autre part, c´est-à-dire, notre culture d´intolérance qui consiste à agir en ignorant complètement, de bonne ou de mauvaise foi, que l´autre existe, comme si nous agissons dans le vide.

     Au départ, la dictature, qui est une des sources imposantes de cette mentalité, n´est pas seulement un système, c´est d´abord une mentalité, une façon d´agir, d´être et de penser qui se rumine et se nourrit quotidiennement dans les relations humaines. Elle se manifeste surtout dès l´instant où quelqu´un, pour quelque érudit, scientiste ou intellectuel qu´il se prenne, n´accepte ou ne tolère pas l´opinion contraire de l´autrui et veut lui en imposer une autre, soit la sienne ou une empruntée à quelqu´un d´autre dont il fait sienne. Dans la construction d´une mentalité dictatoriale - appelée désormais macoutique dans le cas d´Haiti, vu cet héritage de nature mentale et psychologique caractérisé par l´intólérance, laissé par notre histoire - l´autre n´est plus, il est totalement transparent voire même absent, et son opinion ne vaut rien. Voilà pourquoi, même au plein pied d´un régime démocratique, cette mentalité peut ne plus disparaître soit partiellement ou entièrement dans la mesure où, même dans les plus minuscules et insignifiants débats, la violence verbale prime; la pluralité  des valeurs s´effrite, la confrontation des idées s´éclipse et la diversité des arguments s´affaiblit considérablement. De ce fait, quand dans un cadre de communication sociale ou un espace de croisement culturel et d´échange dialogique, l´individu est réduit à moins qu´un rien ou à une espèce d´éponge qui absorbe, malgré lui, les idées de l´autre, les relations et interactions sociales sont de plus en plus faibles et fragiles voire inexistentes, alors c´est l´obscurantisme total et absolu.

     Aujourd´hui, à l´ère de la post-modernité et à l´avènement de nouveaux paradigmes pour repenser et redéfinir la démocratie en la rendant beaucoup plus pratique, plus sociale que politique, il est embarrassant de dire que la société haitienne a réussi à rompre avec ce type de mentalité d´intolérance qui, sans esprit d´éxagération, nous transforme en de véritables aliénés mentaux souffrant de ce qu´on pourrait appeler d´une pathologie macoutique.  Alors, la démocratie sertai-t-elle en mesure d´affronter cette mentalité macoutique dont nous portons en nous le gêne? En effet, si l´on se réfère aux faits historiques, il est vrai que la dictature est un système de terreur et inhumain, qui a connu son plus grand succès dans le monde contemporain notamment en Amérique, et particulièrement en Haiti, nous pouvons dire qu´une mentalité macoutique naît bien avant la dictature en tant que système. Celle-ci s´établit au fil du temps, car c´est un long processus. Donc, la mentalité macoutique est avant tout plus comportementale et affectivo-actionnelle que systémique. De notre humble point de vue, la mentalité macoutique est une lacune grave de notre irrationalité et notre inintellectualité à défendre et non à imposer notre point de vue, elle renvoie, en outre, à toute pratique ou culture de ne pas écouter l´autre afin de ne pas accepter son argument contraire. Il s´agit bien ici de l´emploi du verbe écouter, et non entendre, puisque écouter l´argumentaire de l´autre revient à en percevoir le sens, en apprécier le contenu, le recevoir, le comprendre, enfin, il s´agit de respecter la valeur de sa pensée en dépit de son désaccord avec elle. C´est un exercice ardu auquel, malheureusement, très peu d´Haitiens parviendraient ou voudraient bien se livrer. Néanmoins, c´est également une pratique qui s´apprend au quotidien.

     Chez nous, il est plus facile d´interpréter la pensée de l´autre qu´avant de l´avoir comprise. C´est très paradoxal de le dire, mais cela fait partie de la façon de penser de l´être haitien dans son univers relationnel! Car comprendre l´autre c´est aussi le prendre comme tel, c´est-à-dire un sujet de droits avec ses opinions, pour quelque analphabète qu´il puisse être perçu. Or, de quel droit une personne pourrait prétendre que son idée soit meilleure que celle d´une autre au point de vouloir la lui imposer? L´Occident a quelque chose à nous dire au sujet de ces quatre siècles d´esclavage, d´exploitation et de déshumanisation dont les fondements ont été justement marqués par cette même question de supériorité de sa rationalité, de sa mentalité et de la taille de son cerveau  en matière de réflexion intellectuelle et scientifique.

     À ceux, notamment les plus jeunes, qui croient que les périodes dictatoriales - participant bien sûr à la construction de cette mentalité macoutique dont nous héritons et dans laquelle la volonté d´un seul personnage est incontestable - sont l´oeuvre exclusive et brutale des Duvalier, il est important de rappeler que depuis son indépendance, Haiti a connu plusieurs dictaures subséquentes dont la plus récente remonte à Aristide de 2001 à 2004. Toutefois, la première dictature date du règne de Henri Christophe qui, s´étant auto-proclamé roi, a dirigé pendant 14 ans (1806-1820) le grand Nord avec un bras de fer pendant que Pétion établit dans l´Ouest et le Sud une république relativement ''démocratique''. La dictature des Duvalier est, à dire vrai, la plus cruelle des dictatures de l´époque contemporaine à laquelle Haiti n´ait jamais fait face, mais Haiti a connu des formes diversement variées de dictatures. Cependant, qu´est-ce qui a véritablement changé au cours de ces 50 dernières années depuis l´effacement symbolique de ce système dictatorial duvaliériste? Absolument rien, car, mentalement et psychologiquement nous demeurons des macoutes, d´autres le sont en herbe, le macoutisme nous devient une sorte d´obsession, une endoctrinement démoniaque duquel nous avons du mal à nous séparer. De plus, non seulement, dans les relations avec nous mêmes et avec l´autre, nous affichons des comportements macoutiques, mais surtout le macoutisme apparaît comme un mode de vie normal avec lequel nous nous complaisons.

     Il faut rappeler aussi, par ailleurs, que l´une des causes de l´élimination de Jean-Jacques Dessalines fut surtout cette même mentalité d´intolérance de nature macoutique. Ainsi, toute intolérance nourrie d´une telle mentalité n´expose qu´à la dégradation des relations sociales et à l´élimination de l´acteur porteur d´idées contraires qui, au premier chef, sont considérées comme dérangeantes par le vis-à-vis plutôt que valables. Voilà pourquoi, dans cette mentalité, la dfficulté de se mettre d´accord avec l´autre se résout le plus souvent par son élimination. L´arme forte d´une telle mentalité consiste à voir l´autre comme un adversaire, un ennemi, une cible à éliminer et non comme un sujet de droits capable d´avoir et de faire valoir ses idées contraires. En Haiti, nous avons, malheureusement, la culture de voir celui qui a une idée contraire et opposée comme un ennemi, un adversaire dont il faut à tout prix se débarrasser. Seule, enfin, une vraie éducation - mais l´éducation réformée, pas celle telle qu´elle est présentement dans cet état de pourrissement - peut aider à combattre cette mentalité macoutique, qui nous rend de plus en plus infructueux et inefficaces dans nos rapports sociaux, dans notre productictivité, enfin, dans notre vie intellectuelle, ce, en jouant son rôle de transformation sociale le plus fondamental.

     Sur ce, l´intention de cet article n´était pas d´historiser longuement sur cette mentalité macoutique, qui va, nous l´avons dit, bien au-delà du système dictatorial traînant derrière elle toute une tradition à la fois religieuse, idéologique, politique et sociale, mais, tout simplement, de provoquer une réflexion en mettant l´accent sur la forme qu´elle prend aujourd´hui dans les plus minuscules relations humaines. En effet, à l´ère contemporaine, ce, plus d´un demi-siècle après la dictature des Duvalier, nous constatons que, malgré le retrait de ce régime et la rentrée brusque et boiteuse du pays dans un système démocratique, les Haitiens portent et continuent de porter en eux les séquelles traumatiques, les traces et les cicatrices psychologisantes d´une mentalité macoutique dans leurs comportements, leurs fréquentations, leurs gestes, leurs expressions, enfin, dans leurs relations avec les autres marquées par une intolérance flagrante et cancéreuse, autrement dit, le macoutisme s´ancre aux mentalités haitiennes et aux interrelations que les Haitiens s´efforcent de construire entre eux, considérant que le macoutisme, étant une mentalité née même avant la dictature des Duvalier et s´enracinant dans notre culture de peuple, n´accepte aucune opinion contraire à la sienne. D´où vient-elle cette mentalité macoutique? Ce sera, peut-être, l´objet d´un autre article pour mieux l´illustrer, mais, pour l´instant, il faut retenir que, afin d´identifier cette pratique, il suffit d´observer la qualité des échanges ''dialogiques'' médiatisés ou non médiatisés entre les Haitiens, soit dans un cadre privé, soit à la radio, à la télévision, soit sur les réseaux sociaux ou autres: Ils se caractérisent généralement par la violence verbale et la monopolisation d´un discours qui a du mal à se tenir.

     Enfin, cette mentalité macoutique ne nous arrange pas parce qu´elle nous rend obstrus, improductifs, agressifs et nous ramène à notre pure et plus profonde animalité. Elle tue et étouffe les idées, or, ce n´est qu´avec les idées qui s´épanouissent et se développenet, il est possible de construire une société meilleure. Nous autres Haitiens, devons savoir cultiver entre nous la tolérance et la capacité d´accepter les idées contraires d´abord, ensuite savoir vivre avec elles pour pouvoir évoluer avec elles, enfin, voir l´autre non pas de la façon dont nous nous regardons nous-mêmes, mais de la façon dont il est effectivement avec ses différences et ses opinions qui n´ont pas besoin d´être forcément et nécessairement les nôtres.

Jean FABIEN
Doctorant en Sociologie (Unicamp)

CAMPINAS, 30/04/2015




dimanche 22 mars 2015

HAITI, FACE AU PHÉNOMÈME DE L´IMMOBILISME SOCIAL ET POLITIQUE[*] (TROISIÈME PARTIE)


3.      LE PROPAGANTISME POLITIQUE POLLUANT DE MARTELLY
3.1. Ce que la propagande politique est en réalité
    La propagande, l´art de propager ou l´action de faire de la publicité pour séduire et tromper, peut engendrer autant d´effets positifs ou négatifs que nocifs, elle peut avoir aussi ses bons et mauvais côtés, ses avantages et inconvénients. Sa réussite ainsi que son échec dépendent au moins de trois facteurs: l´appareil idéologique dont elle résulte, l´environnement social, politique et culturel dans lequel elle évolue et enfin la méthodologie employée pour la faire accepter, donc, la propagande – surtout la propagande politique – est d´abord une question systémique et idéologique. Cependant, malgré les bonnes intentions avec lesquelles elle pourrait se véhiculer, il reste qu´elle tend le plus souvent vers un mauvais présage, elle fait l´objet d´une réputation malsaine et laisse planer des impressions douteuses tant de la part des opposants que chez ceux qu´elle vise, en l´occurrence les masses.
En fait, la propagande, qu´elle soit médiatique, commerciale, politique ou autre  vise toujours les masses et leur domestication mentale, à cet effet, elle demeure, généralement, avantageuse ou profitable pour ceux qui l´utilisent comme une arme de domination idéologiquement  puissante. Tandis que, pour ceux qui en subissent les impacts, elle n´est peut être que désastre sur le plan institutionnel et progressiste. Avant de nous accentuer sur son côté négatif, il serait important de souligner rapidement que, sous un  angle relativo-positif, la propagande avec ces deux grandes armes: l´idéologie et la publicité, est naturelle dans les sociétés humaines dans le sens qu´elle tient les masses en haleine informées. Elle est aussi culturelle et dynamique, car elle est le résultat d´un processus historique et culturel: plusieurs secteurs ou acteurs, au cours des évolutions et transformations sociales, se l´appoprient, la cultivent, la façonnent et s´efforcent à la rendre de plus en plus  efficace en la rationalisant et en justifiant son rôle et sa valeur.

3.2. Propagantisme politique: Avantages et inconvénients
Faire de la propagande c´est faire de la publicité comme cela se passe dans le secteur marketing et commercial. Elle et la publicité sont intimement et historiquement liées, donc les deux termes sont bel et bien interchangeables. (Domenach, 1950). Or, si la publicite ou la propagande est une action qui consiste à inciter le consommateur à acheter un produit ou un bien (matériel, spirituel, culturel ou social) à susciter le goût et à attirer le plus de gens possible, alors l´une ou l´autre n´est pas une mauvaise chose en soi dans la mesure où elle se fait dans le cadre d´une politique structurelle et institutionnelle normale, par exemple, les affiches publicitaires, les campagnes électorales, les publicités médiatisées (TV, radio etc.). Plus particulièrement, les campagnes électorales sont entre autre les moments les plus cruciaux au cours desquels la propagande politique atteint son plus haut niveau, et l´on constate que cela va de soi en dépit de quelques caractères nocifs et dès fois dérangeants pour l´intélligence humaine qu´elles soulèvent. Sur ce, on peut dire que les campagnes électorales peuvent être considérées comme un espace démocratique de grande effervescence sociale où se concrétise la propagande politique. Elles sont, paraît-il, conçues et construites à cet effet même. Elles sont faites en outre pour exposer des programmes vachement prometteurs du futur gouvernement. Qu´elles soient objectives ou abstraites, réelles ou fictives, peu importe, la finalité des campagnes électorales en amont propagantiste est séduisante. En ce sens, la propagande politique se veut être un outil démocratique puissant pour informer le peuple – ne serait-ce que pour se foutre de lui, l´induire en erreur ou ne pas résoudre ses vrais problèmes – sur ce que fait ou fera tel gouvernement, elle contribue, par ailleurs, à la formation des mentalités individuelles et collectives.

    C´est, en quelque sorte, un espace de communication qui se crée entre les gouvernants et les gouvernés, mais plus particulièrement, entre les gouvernants et leurs partisans dans le but de réveiller continuellement en eux l´esprit fanatique et le sentiment d´appartenance, car toute propagande politique recherche la visibilité. Louis XIII, nous dit Duccini, a souvent utilisé la propagande politique comme un art d´informer et de convaincre, d´informer pour convaincre la population française, mais surtout ses opposants (Duccini, 2003). Mais, la propagande politique va au-delà d´une simple information ou communication, elle recherche l´impact et l´efficacité, voilà pourquoi elle nécessite de la participation massive du public ou groupe social qu´elle a en perspective. Cependant, la propagande devient mauvaise lorsqu´elle sert à induire les masses en erreur, à les chosifier, et se fait dans l´unique but de les mystifier, de violer leur droit, d´intoxiquer et de polluer la pensée par le mensonge institutionnalisé et systématisé, lorsqu´elle se fait par le truchement des médias, la radio et la télévision plus particulièrement, qui y jouent un rôle crucial, pour exposer aux masses le leader comme un produit de consommation (Tchakhotine, 1967; Osmani, 2006). Ainsi, sur le plan idéologique, matériel et méthodologique, la propagande crée un bien rare exposé sur le marché de la consommation qu´on appelle les leaders politiques.
C´est plus précisément dans ce dernier ordre d´idées que nous entendons aborder la notion de la propagande politique dont M. Martelly se fait actuellement  le champion en Haiti, et surtout qu´elle n´est pas structurée et trop ancrée à une idéologie noviste qui peine de s´installer et d´être acceptée par la majorité des Haitiens.

3.3. Les stratégies du propagantisme politique de Martelly
      N´étant pas moins idéologique que ne l´est le mutisme ou ne se rapportant pas à un comportement politique, le propagantisme politique est de préférence une méthode stratégique qui s´inscrit dans la théorie moderne des sciences politiques pour faire perdurer un pouvoir malgré son impopularité et son improductivité, ce, en dépit des oppositions et des protestations. De nos jours, les médias deviennent le principal canal où se véhicule la propagande politique et l´arena où se jouent les contradictions entre ce que le peuple vit effectivement au quotidien et ce que le gouvernement veut propager et exhiber tant à l´échelle nationale qu´internationale. En d´autres termes, entre le dire et le faire; la réalité socio-économique des masses oubliées et la propagande politique, c´est comme le jour et  la nuit. Il se crée un abîme entre le luxe dont jouit cette très faible et incompétente minorité de la classe gouvernante et la misère noire dans laquelle pataugent plus de 70% de la population.
     De ce fait, ce n´est pas sans raison – ce qu´il est essentiel de comprendre – que depuis son arrivée au pouvoir M. Martelly s´est octroyé sa propre chaîne de télévision appelée Martelly TV, qui entre désormais dans une concurrence silencieuse avec la RTNH (Radio Télévision Nationale d´Haiti) en ce que les programmes des deux stations se coincident, se confondent. En d´autres termes, créée à des fins publicitaires et propagantistes, Martelly TV absorbe, de manière très controversée et déconcertante, la quasi totalité de la programation de la RTNH qui, selon les lois haitiennes, aurait dû être au service de la société haitienne pour répondre à ses besoins tant sur le plan culturel, éducationnel, communicationnel qu´informatif et formatif. Ainsi donc, la RTNH, l´organe de communication du peuple haitien, dont les employés, étant des fonctionnaires de l´État, sont payés par les taxes des honnêtes contribuables, forme avec Martelly TV une seule et même entité médiatique, un vaste réseau pour mieux faire de la propagande politique de l´administration Martelly. Sur ce, elle est transformée en une propriété privée de M. Martelly. Ce qui, sur le plan rationnel et institutionnel, est inacceptable.
      Mais, il faut dire qu´il n´est le premier et peut-être pas le dernier à faire cela, tout propagantiste agit de la sorte et utilise les médias comme arme de pollution massive de la conscience collective, voilà pourquoi tout propagantisme politique est généralement perçue comme une intoxication médiatique ayant pour cible les masses. Si nous avons pris des précautions à ne pas attribuer le caractère populiste à M. Préval et celui de mutiste à M. Aristide, M. Martelly, malheureusement, ne peut échapper au statut d´un chef d´État propagantiste avéré, une image qu´il s´est lui-même construite. Néanmoins, il faut reconnaître que le propagantisme politique comme système et moyen d´intoxication a existé dans le milieu socio-politique haitien bien avant M. Martelly. Il n´a fait, comme nous l´avons souligné plus haut, que la façonner à sa manière suivant sa propre méthodologie et l´appareil idéologique dont il dispose. Donc, ce n´est pas un excès de langage, ce n´est pas non plus méchant de résumer sa gouvernance au pur propagantisme politique systématique. Car, non seulement il le projette, l´exhibe, mais surtout il l´affirme dans ses différentes sorties et interventions médiatiques. Ainsi, il y a au moins deux aspects fondamentaux que nous aimérions cerner dans le cadre du propagantisme politique martellytiste de 2011 à nos jours. Premièrement, l´aspect de corruption et le fait d´abuser des fonds de l´État à des fins strictement personnelles, le vandalisme institutionnel en second lieu.

3.4. Propagande politique, abus des fonds de l´État et corruption
En effet, en tout premier lieu, il est clair que la propagande politique génère en soi une source de corruption en termes d´investissement, car pour l´établir, l´administrer et la consolider, cela nécessite de grands moyens financiers et économiques en matière de l´utilisation des outils communicationnels comme le téléphone, la radio, la télé, enfin ce que les scientifiques appellent les TIC (Technologies de l´Information et de la Communication) y compris l´Internet. Par ailleurs, aujourd´hui, avec les réseaux sociaux tels que facebook et twitter qui, depuis leur création, sont de plus en plus en vogue, il y a de quoi à parler d´une propagande politique technologique à outrance tant au niveau national qu´international. Or, il n´est pas sans savoir que, même dans le cas d´Haiti, qui est un pays pauvre mais rempli de gens fortunés et riches, se procurer pour soi personnellement une chaîne de télévision et/ou de radio, avoir son propre site internet, sa propre page publicitaire sur facebook ou twitter, s´acheter une action de publicité dans une compagnie téléphonique, etc., tout cela requiert des moyens économiques et financiers élevés, coûte beaucoup et même très cher. Alors la question est de savoir où est-ce que le président Martelly a eu de l´argent pour s´acheter une chaine de télévision et créer son propre site pour mieux faire de la propagande de ses programmes sociaux et politiques trompeurs qui restent toujours dans l´abstraction? S´est-il servi des privilèges que lui confère son statut de chef de l´État pour abuser de cette noble institution en détournant les argents des pauvres contribuables gardés au trésor public avec ou sous la complicité de celui qui en a la garde? Sachant qu´il nomme le gouverneur de la Banque Centrale, et que la constitution ne lui reconnaît aucun titre de comptable de deniers publics, autrement dit, il ne touche ni directement ni indirectement à l´argent de l´État géré par le trésor public, les sources d´enrichissement illicite d´un chef d´État restent toujours floues et difficiles à savoir, à décortiquer ou à prouver.
     Cependant, dans le cas de M. Martelly, nous avons une piste qui indexe une de ses sources d´enrichissement illicite, il s´agit des taxes percues, en violations de la constitution et des lois haitiennes, sur les appels téléphoniques entrants et les transferts d´argent de l´étranger vers Haiti. Source insolite, illicite et occulte d´enrichissement au profit de M. Martelly et de sa famille, mais jamais élucidée, car jusque là personne ne sait le montant qui y a été collecté et à quoi il a été destiné, ces deux indices de corruption caractérisent le propagantisme de Martelly qui a fait croire que cet argent aurait servi à renforcer le système éducatif tandis que la société haitienne ne sait à quel saint se vouer pour sauver ce système maladif, dévoyé et pourri.

       Même le parlement, qui est théoriquement chargé de veiller sur ces genres de dérives institutionnels, n´est en mesure de dire au peuple haitien qu´il représente à quelle somme s´élèvent ces transactions journalières, qu´est-ce que l´exécutif en a fait, et par quel procédé serait-il possible de vérifier la collecte de ces fortes sommes et les réalisations qui en découleraient. On n´a recours qu´à des oui-dires selon lesquels ces transferts s´élèvent à quelques milliards de dollars qu´il est impossible de vérifier. Nous vivons dans une république de canails, de voyous où tout se fait à l´envers. Le parlement, organe suprême de contrôle des actions de l´exécutif a, semble-t-il, vendu sa mêche pour je ne sais quel intérêt. Pour des pots de vins peut-être! L´exécutif devient, par conséquent, non controlé parce que le parlement ne remplit pas convenablement sa fonction. Ainsi, les sources économiques et financières d´où proviendraient les achats de ces instruments médiatiques et le paiement de certains médias et certaines compagnies téléphoniques pour faire de la propagande politique en faveur de M. Martelly n´ont jamais été mises sous une investigation judiciaire sérieuse, aucune enquête à ce jour n´a été enclenchée pour savoir comment M. Martelly s´est arrangé pour provoquer tout ce dégat au sein de l´appareil économique. Jusque là pas de justificatifs à ce propos, et, connaissant notre Haiti chérie, ce n´est pas après la fin de son mandat que nous allons pouvoir espérer quelques résultats concrets: il est fort probable que ces sources ne soient jamais investiguées voire élucidées. ''L´enquête se poursuit''..., voilà tout ce qui résume notre système social et politique. Savoir comment les chefs d´États contemporains s´enrichissent cupidement au détriment de leur propre peuple doit faire l´objet d´une recherche approfondie, mais pour l´instant nous restons concentrés sur le côté corruptible de la propagande politique de Martelly.

        Même si la corruption a toujours existé en Haiti, or, aucune société sur la terre n´est pas encore parvernue à s´en libérer définitivement, il est clair que M. Martelly s´est leurré en prétendant l´éradiquer. En violant ses propres serments selon lesquels il serait venu pour combattre la corruption voire prétendre y mettre un terme, sous sa gouvernance, les fonds de l´État ont été non seulement utilisés pour régler les affaires personnelles des hauts dignitaires, lui en particulier, dans le cadre de ses programmes propagantistes qui n´aboutissent jamais, mais ils ont surtout été gérés à titre de biens familiaux en ce sens que sa femme et son fils ainé, n´ayant aucun titre officiel comme fonctionnaires de l´État, si ce n´est que le privilège de constituer ce qu´on appelle communément la famille présidentielle, perçoivent de l´argent et sont responsables de nombreux projets et programmes de ''développement'' qui ne se trouvent sous la tutelle d´aucun ministère. Ce qui veut dire qu´ils perçoivent de l´argent de l´État et gèrent ses biens sans en faire partie, ce qui, dans tout État démocratique normalement respectable, ne peut être toléré sous aucun prétexte.
            En conséquence, la corruption est à son apogée. Jamais dans l´histoire contemporaine de la politique haitienne les institutions étatiques ont été si décriées pour des causes de corruptions répétitives, pour des programmes à caractère social, politique et économique qui ne sont que de pures propagandes politiques. En réalité, en affaiblisant le gouvernement, ils n´apportent absolument aucune amélioration de vie tant sur le plan social qu´économique. N´était-ce que par la corruption, par quelle autre formule M. Martelly pourrait se payer le luxe d´avoir à son actif une chaine de télévision, pour faire ce que Taguieff (2004) appelle du télé-propagantisme, de la propagande politique à caractère hautement technologique.
Sans aller plus loin en multipliant les cas, le seul fait qu´au lieu de moderniser l´EDH, il a préféré faire le commerce des lampadaires, cela a prouvé que l´administration de M. Martelly incarne la corruption institutionalisée. Au cours de sa gouvernance des fonds estimés à des milliards de gourdes alloués aux saisons cyclôniques ont été gêlés et jusqu´à présent pas de rapport, pas d´explication là-dessus. Quel gâchis! Ainsi, quand les affaires personnelles ou familiales se mêlent aux questions étatiques, nous pourrions dire que, pour reprendre Weber, nous sommes tombés dans une irrationalité institutionnelle complète du fonctionnement de l´État puisque la fonction n´est pas détachée ni de la personne ni de la personalité de l´individu qui l´exécute, et toute irrationalité institutionnelle, ne pouvant que générer la corruption, survit par le propagantisme politique. Sur ce, la corruption jointe à la propagande politique engendre ce qu´il conviendrait d´appeller le vandalisme institutionnel.

3.5. Le vandalisme institutionnel
     La corruption est contagieuse et même grandemente contagieuse. Là où règne la corruption le vandalisme institutionnel est à son comble, tous les structures sont paralysées, et c´est ce qui arrive à Haiti: les institutions étatiques sont dévoyées, vandalisées, vilipendées au point que nous pouvons dire qu´elles n´existent pas. Dans la crise actuelle qui bouleverse le pays, il y a un vide institutionnel énorme, tout le monde est sur le point de se demander qui detient la commande de ce pays.
     Ce n´est pas sûr que ce soit l´exécutif, car, sans considérer la démission de M. Lamothe qui, ayant refusé de liquider les affaires courantes selon le voeu de la constitution, était dès le départ un puissant allié de M. Martelly, l´appel du président à une commission consultative pour l´aider dans la recherche des solutions aux problèmes politiques se traduit d´ores et déjà par un acte d´auto-démission et il est fort probable que le rapport de cette commission plein de contradiction precipite le départ de M. Martelly. Mais, depuis bien auparavant, les institutions étatiques étaient déjà parvenues à un stade de putréfaction si nous considérons, par exemple, le cas du CSPJ (Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire): Une si noble institution constituant le bras fort de la justice est malheureusement réduite à la servitude d´un Exécutif avare et cupide qui veut tout contrôler, ce, en passant outre des normes institutionnelles. Quel scandale! Quel vandalisme! Je pense que, par ailleurs, M. Lamothe a eu raison de ne pas vouloir accepter de liquider les affaires courantes, car, à vrai dire, au cours de son gouvernement, il a tellement liquidé les institutions étatiques en passant outre de toute procédure qu´il en était rassasié. De fait il peut s´en rejouir. ''Je suis parti avec le sentiment du devoir accompli'' a-t-il laché au moment de remettre sa démission au chef de l´État. De quel ''devoir accompli'' s´agit-il? Le sien ou celui du peuple? Nous n´en savons pas trop, toutefois, il a laissé derrière lui un flot de dossiers de corruption et de malversation.
     Pas plus le Parlement ne soit exempt de ce vandalisme institutionnel, car il est aussi au bord de l´abîme. Les parlementaires ne remplissent pas efficacement leur rôle, mais deviennent une clientèle de l´exécutif. C´est un Parlement cassé et pratiquement inexistant. Un parlement qui se laisse corrompre par les stratégies propagantistes de Martelly. S´il nous reste la Justice, alors là, c´est le dernier pouvoir sur lequel nous aurions pu compter pour sauver la face, pour redorer le blason et pour donner l´espoir, l´assurance ou la confiance au peuple haitien sur la bonne marche des appareils institutionnels, mais aussi pire que les deux premiers systèmes, elle se trouve déjà au fond de l´abîme et on ne voit pas comment elle parviendra à s´en sortir.

     Il convient de questionner, en outre, la capacité intellectuelle des dirigeants haitiens à établir, sur le plan rationnel, un équilibre entre les trois pouvoirs comme l´ont brillemment défendu les pères fondateurs de la science politique moderne. Tout en restant dans l´esprit de l´équilibre entre les pouvoirs prôné par Montesquieu et Hobbes, il reviendrait, au premier chef, au pouvoir exécutif dans la culture politique de gérer et de maintenir cet équilibre prévu par les principes politiques et démocratiques. Cependant, cela ne lui confère aucun droit de domestiquer ou de chercher à dominer ou controler les deux autres pouvoirs, de même, ceux-ci en revanche ne doivent pas se sentir inférieurs, car, d´une part, le contrôle ainsi que le respect des limites sont réciproques entre les pouvoirs, les relations qui les caractérisent sont purement et simplement d´ordre horizontal et jamais d´ordre vertical ou piramidal, de l´autre. De ce fait, quand l´idée ou l´initiative de cette domestication des autres pouvoirs provient de l´éxécutif, nous nous enfonçons encore plus dans le vandalisme institutionnel. Ainsi, nous pouvous imputer à ce problème d´équilibre entre les pouvoirs cette descente aux enfers des institutions indépendantes et autonomes, privées et publiques. L´exécutif qui aurait dû donner le ton est le principal responsable de cet affaiblissement et ce déséquilibre entre lui, le législatif et le judiciaire. Telles sont les séquelles de la dictature qui nous poursuivent.

      Toutefois, la crise institutionnelle haitienne est chronique et le vandalisme institutionnel dont souffre le pays ne date pas d´hier et nous ne saurions imputer à l´administration de M. Martelly toute la responsabilité de ce problème qui est historique, systémique et sociétal. Mais, par ailleurs, nous allons nous mettre d´accord que tout homme ayant eu la chance de parvenir au sommet de l´État en Haiti – une chance sur 10.000.000 d´haitiens – il y est pour changer les donnes, améliorer les conditions, renforcer les institutions et non pas aggraver leur état, en résumé, il y est pour faire des miracles dans le sens propre du terme. S´il ne le fait pas, il n´a d´autre choix que de se retirer. En effet, il n´est pas donné à tout le monde d´atteindre le haut sommet de l´État, tous ceux qui y sont parvenus doivent inévitablement accomplir quelque chose de miraculeux par le seul fait qu´ils sont eux-mêmes des miraculés. Or, c´est ce qu´a prôné M. Martelly, et que promet d´ailleurs tout homme politique. Voyons voir dans les prochaines élections, les candidats n´auront pas un discours différent. Cependant, comme M. Martelly ils feront complètement le contraire de tout ce qu´ils auraient promis. C´est bien cela la caractéristique de la culture politique haitienne dominée par le mensonge et la propagande politique. Les solutions plus ou moins durable aux problèmes réels et structurels tardent encore à venir. Enfin, la corruption est l´un des facteurs qui affablit, dégrade, démoralise et fragilise tout État en le rendant impuissant à changer la situation des individus, illégitime à se maintenir et méfiant à gouverner la société. Alors, quand l´État est à ce carrefour, qu´est-ce que le peuple peut espérer de lui? Quel progrès la société peut-elle attendre d´un tel État qui n´arrive même pas à se soutenir, à se consolider, à s´organiser, à s´équilibrer lui-même? Nous sommes aujourd´hui à un carrefour où la propagande politique est érigée en norme de gouvernance en Haiti. Dans ce pays nous avons un problème d´éthique gravissime.

CONCLUSION: Y aurait-il une porte de sortie?

      Somme toute, à partir de notre analyse autour de ces trois phénomènes sociaux et politiques, à savoir, le populisme, le mutisme et le propagantisme polluant, nous parvenons à la conclusion selon laquelle ils sont à la base d´une bataille idéologique parallèlement au besoin des masses populaires qui gémissent dans la misère et la pauvreté. Ils sont la cause de l´immobilisme d´Haiti depuis des siècles. Sur le plan temporel, les deux siècles d´indépendance auraient dû nous suffire assez pour inicier une vraie révolution sociale, culturelle, politique et économique dans ce pays. Or, nous avons perdu beaucoup de temps et nous allons en perdre davantage si nous continuons à employer des méthodes de développement irrationnels qui ne prennent pas en compte les vraies nécessités du peuple. Combien de temps devrons-nous, nous autres Haitiens, consacrer au changement de ce pays? Deux cents ans de plus? J´en doute fort. Car, notre gestion de temps est catastrophique et lamentable. Elle nous plonge dans une telle pratique immobiliste: Haiti est un pays bloqué et la culture politique haitienne est une des causes profondes de ce blocage. Ce qui fait que faute de progrès, nous serons toujours traités comme un peuple voyou, car nous sommes loin d´être un État. Que faut-il faire? Passer la moitié de notre temps à prier? Prier c´est bien, mais il nous faut des prières accompagnées d´actions concrètes et positives en rompant avec les pratiques politiques propagantistes, populistes et mutistes. Le populisme, le mutisme et le propagantisme sont les pilliers forts de la cause du sous-développement et de l´immobilisme social, politique et économique d´Haiti, mais si nous nous attelons à les combattre simultanément tant sur le plan idéologique que pratique, cela peut être une porte de sortie.


Campinas, 22-03-2015
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[*] Cet article est publié tant en bloc qu´en partie séparée. Ici sont traitées les trois parties réunies.

RÉFÉRENCES

BORGES DE SOUSA, Marquilandes. Rádio e propaganda política: Brasil e México sob a mira norte-americana durante a segunda Guerra. São Paulo: Annablume, 2004, 152 p.

DOMENACH, Jean-Marie. La propagande politique ''Que sais-je'' Paris: PUF, 1950, 128 p.

DUCCINI, Hélène. Faire voir, Faire croire: L´opinion publique sous Louis XIII. Paris: Champ Vallon, 2003, 533 p.

FABIEN, Jean. Haiti: Une République propagantiste en rose et blanc. Disponible sur: http://jeandefabien1426.blogspot.com.br/2012/12/notre-haiti-cherie-sest-battue-avec.html. Publié le 12-12-2012. Dernier accès le 16-12-2014.

_____________. Haiti, seul PMA de la Caraibe dans la pratique du jeu international d´élection-nomination. Disponible sur: http://jeandefabien1426.blogspot.com.br/2014/09/haiti-seul-pma-de-la-caraibe-dans-la.html. Publié le 21-09-2014. Dernier accès le 18-12-2014.

FERREIRA DA COSTA, Osmani. Rádio e política: A aventura eleitoral de radialistas no século XX. Londrina: Eduel, 2005, 258 p.


GARCIA, Nelson Jahr. O Estado novo: Ideologia e propaganda política: A legitimação do Estado autoritário perante as classes subalternas. São Paulo: Loyola, 1982, 166 p.

dimanche 22 février 2015

HAITI, FACE À PHÉNOMÈNE DE L´IMMOBILISME SOCIAL ET POLITIQUE[*] (DEUXIÈME PARTIE)

2.      LE MUTISME PRÉVALIEN
Pour certains analystes politiques et directeurs d´opinion le comportement d´homme mutiste, indiscret et peu bavare de M. Préval n´est pas le fait de son tempérament et de son caractère naturel. Ce n´est pas non plus un simple choix innocent, mais une fine stratégie politique mûrement réfléchie compte tenu de sa compréhension de la physionomie politique haitienne. Cette formule marche et s´avère jusque là une réussite, car contrairement à son ancien coéquipier qui l´a inicié dans la vie politique haitienne en ayant fait de lui, en 1991, son Premier ministre, nous voulons parler donc de Jean-Bertrand Aristide, il a réussi ses deux quinquenats dont le premier de 1996 à 2001 et le second de 2006 à 2011, ce, en ayant évité tout populisme dérangeant, tout propagantisme médiatique nocif et toute résistance avec un international qui le tient à la gorge et entre les mains duquel se trouvent le controle du système politique et économique du pays. Il s´est ramolli en se comportant comme un liquide qui prend la forme de chaque récipient dans lequel il est versé ou encore un argile dans la main d´un potier qui le façonne comme bon lui semble et lui donne la forme qui lui plaît, ou plus exceptionnellement un caméléon politique dont la couleur métamorphosée est celle de chaque feuille d´arbre sur laquelle il se pose. Dans ce cas de figure, nous nous référons à trois entités: le peuple, l´international et l´opposition politique.
M. Préval est, si ce n´est le meilleur, l´un des rares dirigeants politiques contemporains haitiens qui maîtrise mieux que ses prédécesseurs la culture politique haitienne,  le jeu diplomatique mafieux de l´international, les épines que tend le plus souvent l´opposition aux hommes d´État et la meilleure stratégie de s´adresser au peuple pour le calmer en faisant semblant d´entendre ses révendications. Il a mis en place une technique de dirigisme politique et de conservation du pouvoir propre à lui, celle qui consiste à ne pas être trop bavard, à ne pas être toujours au devant de la scène, à ne pas être un amant du micro de la presse, à se taire et ne parler qu´au bon convenable, enfin, celle que nous appelons ici un mutisme politique. Puisqu´il a produit des résultats plus ou moins positifs, alors ce comportement ou cette formule politique est à prendre au sérieux. Cette formule lui a valu la dextérité de dévier les deux principaux acteurs extrêmes, savoir, l´international et le peuple, pour pouvoir lui-même s´en sortir intact sans causer le moindre dommage, la moindre frustration à l´une ou l´autre des trois parties.
             De fait, il a réussi avec, mais sans le peuple. Il a sauvé sa peau en noyant le peuple qui ne sait pas nager. Il savait pertinemment ce qu´il disait en demandant au peuple de nager pour sortir. Mais, le mutisme n´est pas nouveau dans l´histoire du comportement des hommes d´État haitiens. Préval incarne le style de Pétion dans son attitude de chef d´État qui n´aime pas trop se prononcer sur les sujets qui dérangent et blâmer ses coéquipiers. En effet, Pétion était un chef d´État très peu bavard, discret et fermé, alors c´est dans cette même trampe que l´on retrouve M. Préval. Avec une telle stratégie, il est difficile de savoir ce qu´il manigance, ce qu´il a derrière la tête. Rappelons les faits pour mieux comprendre.

2.1. Première caractéristique du mutisme prévalien
        Au cours de la gouvernance de M. Aristide, M. Préval, Premier ministre à l´époque, a été pratiquement un premier ministre fictif, figuratif voire édenté, comme on le dit dans le langage haitien un premier ministre pope twèl, c´est-à-dire celui dépourvu de pouvoir de décision et dont le rôle se résume uniquement et strictement à l´approbation de tout ce que désire le chef en l´occurrence Aristide. Du point de vue théorique et constitutionnel, il fut un premier ministre rempli de pouvoirs, par contre sur le plan pratique il était absolument dans l´impossibilité de remplir correctement ses rôles. Face à un président super star, m´as-tu vu en plus, qui se veut être le suprême maestro au devant de la scène, seul à être vu, applaudi et acclamé du public, il ne pouvait que s´obscurcir. M. Préval ne se gênait pas d´être un Premier ministre effacé. Il s´est laissé faire. Pourquoi? Il faut dire que M. Préval était à l´école politique haitienne, il était entrain de se former et de se choisir un style de gouvernance. Par ailleurs, il faut rappeler que M. Préval était en exil avec M. Aristide et est revenu au pays en 1994 en sa compagnie, donc il comprenait même le soupir du chef et a eu le temps de se former auprès de lui, néanmoins, il a gardé son propre caractère et son originalité. Vu sa fidélité et son dévouement au chef, celui-ci a joué toutes les cartes pour le soutenir par ses manoeuvres politiciennes à devenir son successeur en 1996. Et, même en accédant à ce poste dignitaire, n´ayan pas encore acquis une certaine maturité politique, il a fallu que M. Préval plaise à M. Aristide, car après avoir dépensé toutes ces énergies, il lui était redevable. Ainsi donc, il s´est revêtu un costume de chef d´État pas trop différent de celui d´autrefois quand il était premier ministre, c´est-à-dire un président fictif, soumis et pratiquement effacé à cause des redevances envers celui qui en quelque sorte tenu sa main pour faire de lui un chef pas à proprement parler, mais un chef quand même. 
       Constitutionnellement et visiblement M. Préval était le président d´Haiti, mais en principe, politiquement parlant c´est M. Aristide qui dirigeait le pays, et M. Préval ne pouvait même pas déplacer une pierre sans qu´il ne soit pas tenu de le mettre au courant. M. Aristide agissait de la sorte dans la perspective de conserver le pouvoir en passant très courtement la balle à son dauphin tout en attendant impartiemment qu´il la lui retourne. Le chef est un affamé de pouvoir et cela doit être compris. En tout cela, M. Préval apprend, comprend et commence à confirmer son comportement mutiste. Dans son mutisme il se laissait donner la forme qui plaît au chef. Déjà, à partir de là, nous commençons à entrevoir la construction du mutisme politique de Préval caractérisé, d´une part, par un silence quasiment absolu de Préval, par un laisser-faire librement concédé à d´Aristide d´autre part. Intelligemment, M. Préval laissait remarquer à tout le monde qu´il y avait une main mise d´Aristide sur tous les pouvoirs de l´État. Donc, M. Préval jouait un rôle de rebond et de couverture. Pris au piège d´un chef très populiste, Préval a donc choisi de se retrecir, ce, même au détriment du peuple. En fait, il n´avait que cette seule option, et, pour sauver sa peau, il lui était impératif d´agir de la sorte.
            Cette première image du mutisme prévalien a précipité le pays dans un immobilisme social, politique et économique total en ce sens qu´au lieu de se consacrer à travailer au profit du pays, il se surveillait à voir quand est-ce que tel acte posé plaît ou pas à son chef, c´était une sorte d´obsession affectionnelle et une contrainte dans le sens magico-politico-religieux du terme. Pour pouvoir sauver sa tête, son premier mandat et sa réputation en tant que président, et pour s´assurer que la balle sera bien remise à son coéquipier qui s´impatiente de voir poindre le moment pour reprendre sa place comme si l´État était un bien privé, il se décidait à se taire sur des sujets dérangeants pour les puissants secteurs, qu´il soit le secteur économique, les groupements politiques et l´international, pourtant fondamentaux pour améliorer le sort du peuple. Ainsi, le mustisme prévalien de 1996 à 2001 est un prolongement du populisme démagogique d´Aristide, mais avec une touche et une dexterité prévalienne. Au même titre que le populisme aristidien de 1990 à 1991 et de 2001 à 2004, ce mutisme n´a fait qu´enterrer les intérêts du peuple en immobilisant le pays.

2.2.            Seconde version du mutisme prévalien
Si le mutisme de M. Préval de 1996 à 2001 était une stratégie politique qui lui imposait l´avarice de M. Aristide et pour mieux s´échapper particulièrement à ses menaces d´Aristide, celui de son second quinquenat de 2006 à 2011 lui a été imposé par divers facteurs, parmi lesquels nous aimerions citer la pression internationale qui est omniprésente dans la politique haitienne, l´opposition démocratique de plus en plus forte et renforcée, l´épineuse question du retour de deux anciens présidents exilés, en l´occurrence M. Duvalier et M. Aristide, l´affaire de la CIRH et l´insatisfaction accrue des besoins sociaux, alimentaires et sanitaires de base du peuple. M. Préval fuyait intélligemment et techniquement la presse pour éviter des interventions fantaisistes qui pourraient froisser plus d´uns, mais surtout pour ne pas réveiller la colère d´un peuple affamé. À cet effet, il s´est réservé de prendre la parole quand il l´estimait nécessaire.

Malgré les pressions et plusieurs tentatives d´interrogation de la presse, M. Préval n´a pas cédé, il a évité de donner ses opinions sur le retour de ces deux anciens chefs d´État. Il ne pipait mot. En ce qui concerne les critiques de l´opposition, des sociétés civiles et des partis politiques, des organismes des droits humains et autres contre la CIRH à sa tête l´ancien président américain Bill Clinton et le premier ministre Bellerive, M. Préval a agi comme si une telle structure formée de hauts dignitaires politiques nationaux et internationaux n´avait jamais existé à cause de sa désastreuse gestion des fonds de la reconstruction. Rappelons, pour ce faire, même très succintemente, le geste héroique et courageux de M. Préval lorsque M. Clinton devait prendre la parole à l´occasion du grand rassemblement populaire pour marquer la tragédie du 12 janvier 2010. En effet, M. Préval a laissé gentillement au vu et au su du monde entier son siège au moment où M. Clinton devait gravir la tribune pour se prononcer. Vexé, offusqué et enorgueilli, M. Préval ne pouvait plus supporter les mensonges qu´allait lui faire avaler M. Clinton sur la gestion de la CIRH[1].

             Ce geste, dirait-on, a sauvé en quelque sorte M. Préval de cette affaire alors qu´en tant que chef de l´État, il devrait en être le premier responsable. Par ce geste, qui a valu d´ailleurs une myriade d´interventions médiatiques, M. Préval a dit au peuple haitien en général, et à la communauté internationale en particulier, qu´il s´est lavé les mains comme le Ponce Pilate dans cette affaire. Ce geste traduit, en outre, le refus de M. Préval, malgré la dépendance économique et la domination politique d´Haiti par l´international, d´être toujours sa caisse à résonance. Ainsi donc, la communauté internationale, se voyant échouée dans cette affaire et dans bien d´autres d´ailleurs, a un peu lâché le coup à Préval. Elle ne le pressure pas trop. Quant aux situations sociales et économiques du peuple, elles sont toujours restées insatisfaites, mais les protestations et les manifestations y relatives sont bien moindres qu´auparavant. Et M. Préval, paraît-il, s´en sentait un peu confortable.

         Le mutisme de Préval ne signifie ni passivité ni aveuglette. C´est vrai qu´il est difficile de cerner son contenu, mais dès fois il peut traduire beaucoup de choses et ses expressions sont perceptibles. Dès fois, il est l´expression même d´un remord et d´un refus de coopérer et de se faire prendre pour un con. C´est ce qui s´est passé par ce geste public héroïquement courageux pour dévier le plan de M. Clinton que nous avons souligné ci-dessus. Bien que dérangeant et embarrassant sur le plan diplomatique, ce geste a traduit tout le mécontentement de Préval. On pouvait lire dans son visage tous les remords du monde. Les Haitiens tant à l´intérieur qu´à l´extérieur croyaient que ce geste valait la peine au moins pour donner une leçon de dignité. C´était pour dire qu´en dépit de tout un minimum de valeurs humaines nous reste encore.
Ce geste mutiste silencieusement simple a eu les effets d´une bombe. Dès fois, le mutisme peut traduire un support à un proche ou son lynchage silencieux. En effet, du début jusqu´à la fin M. Préval a fait un silence de mort sur l´affaire de Jude Célestin, son dauphin, qui a été contraint par l´international d´abandonner la course nominale-electorale en 2010. En agissant de la sorte, il a voulu se protéger lui-même et protéger Jude Célestin sur qui il mettait tout son espoir afin de pouvoir reproduire la formule aristidienne de ''Ti pas kout''. C´est d´ailleurs l´une des raisons pour lesquelles il luttait à changer la constitution. Au lieu d´un changement il a obtenu un amendement qui a finalement rendu cette constitution bancale, inopérante et maladive. Un amendement Tèt anba dirait Gary Victor. Non seulement il s´est rendu sourd-muet sur l´injonction de l´interntational  faite à Jude de laisser tomber, mais il ne s´est jamais prononcé sur la décision de Jude qui, sous de poignantes pressions, a finalement jeté l´éponge. À retenir qu´en tout cela il en sort gagnant et le seul perdant c´est toujours ce pauvre peuple affamé et nu. Enfin, ce mutisme a abouti à des résultats néfastes voulus ou pas par M. Préval.
         Mais, les différents types de mutisme de M. Préval lui ont valu l´image d´un chef d´État irresponsable, poltron, désarmé, celle qu´on attribue ordinairement à un père de famille délinquant, soulard et démissionnaire qui laisse ses enfants faire ce qu´ils veulent. Nous pouvons assimiler le mutisme du président Préval à un autre type de discours démagogique qui est la caractérisation même du libertinagem où il appelle chaque citoyen à agir comme bon lui semble. Autrement dit, des gens qui devaient être assistés deviennent malheureusement eux-mêmes des assistants à cause de l´irresponsabilité d´un chef qui n´a eu d´autre alternative que de se taire sur des problèmes cruciaux. Un démagogue n´est pas seulement celui qui flatte les faveurs du peuple et le séduit par de vaines promesses, mais c´est également quelqu´un qui se décharge des responsabilités que lui confèrent la constitution nationale et les lois de la république pour les renvoyer au pied du peuple alorsqu´il sait pertinemment que ce dernier est incapable d´en assumer.
Un démagogue envoie généralement son peuple au suicide. Ce dont le mutisme prévalien résulte outrepasse le suicide, c´est un homicide social et économique qui a frappé des milliers de familles. C´est de cette manière qu´il faut regretablement qualifier les actes mutistes de M. Préval. En fait, les derniers instants de l´attitude mutiste de M. Préval à la fin de son mandat de 2009 à 2011 étaient délétères. Néanmoins, jusqu´à preuve du contraire, son mutisme contrairement au bavardage des uns et aux excès de langage des autres, lui a imputé la réussite de deux mandats même s´ils ont contribué à rendre l´État de plus en plus bancale et faible à immobiliser la société en effondrant la classe moyenne. Par ailleurs, il faut reconnaître qu´il est le seul chef d´État qui, depuis 1986, a pu achever son mandat deux fois de suite. Ainsi, on peut dire que son mutisme a été pour lui une réussite politique, mais un échec total pour le pays et une déscente aux enfers pour les plus pauvres.

2.3. Difficulté d´accorder une image de populiste à Préval
          Malgré tous ces aspects négatifs du mutisme de l´ancien président Préval, il est cependant difficile de le placer dans le courant des mouvements populistes si, d´un côté, il faut entendre par là toute initiative politico-démagogique qui se dit être à l´écoute du peuple en faisant de lui son arme de combat, une vision d´aller dans le sens de sa volonté et de vouloir satisfaire ses désirs, il s´agit, d´un autre côté, d´un modèle de gouvernance qui met les intérêts des masses populaires au centre des grands projets de développement social, économique et culturel du pays. Il ne s´y reconnaît pas ou très peu rarement. Bien au contraire, au cours de son second mandat, M. Préval a tout fait pour exclure les collectivités territoriales - véritable bras fort de représentativité des masses populaires et paysanes - des réunions gouvernementales où sont prises les grandes décisions étatiques. Ce faisant, il a clairement manifesté sa volonté de ne pas écouter les revendications des populations vulnérables, de les exclure socialement et politique et, enfin, de refuser de faire des besoins de ces dernières sa priorité. Par contre, le plus impressionnant c´est que le peuple a trouvé en M. Préval l´image d´un chef d´État qui ne le flatte pas avec de vains mots, mais qui lui parle crûment et directement quand il sort de son mutisme surtout lorsque la circonstance et le contexte socio-politique le lui imposent. Quand il se tait, alorsque les crises s´empirent, le peuple, impatient de l´entendre, réclame des explications, et il lui en donne, non pas dans le sens qu´il le désire, mais dans le sens que lui-même, en tant que fin politicien, estime le plus proprement stratégique.

          Si M. Aristide, durant ses quiquenats à deux reprises interrompus, disait au peuple le plus souvent ce qu´il voulait entendre, M. Préval le passait dans un laboratoire de psychologie politique avant de lui dire ce qu´il attend de lui, ce qu´il pense être mieux pour lui. Deux discours nettement différents. Cela doit nous rappeller, par conséquent, les réactions de M. Préval aux émeutes de la faim de 2008 qui ont accouché le limogeage du premier ministre M. Jacques Edouard Alexis. En effet, M. Préval s´est adressé au peuple dans un langage qui se peut être assimilé à un populisme très voilé et controversé. Il ne l´est pas effectivement mais on peut y entrevoir un certain démagogisme. En effet, pour donner une réponse aux manifestations sociales, il a convoqué une rencontre de négociation avec les principaux commerçants des produits alimentaires et de première necessite. Il a clairement laissé comprendre au peuple que la diminution des prix sur le marché ne dépend pas au premier chef d´une simple décision de l´État qui, de plus, dans une telle situation, n´est pas un potentiel décideur. Il ne peut que rechercher un compromis tant avec les grands négociants qu´auprès des masses défavorisées en vue de parvenir à une sortie de crise. Entre temps son PM est entrain de jeter de grosses gouttes de sueurs par devant un parlement qu´il tente vainement de convaincre. Cloué au pilori d´avance, tout ce qui lui restait c´était de faire descendre du ciel des anges et pourquoi pas le Christ afin de pouvoir échapper à ce vote de censure qui était d´ailleurs prévisible. Sans vouloir rentrer dans les détails politico-complexes de ce vote, il est important de souligner que les multiples rencontres et consultations paralèlles de M. Préval sans apporter un support moral et psychologique à son PM au moment où il en avait plus besoin, laissaient clairement présager qu´il avait voulu que M. Alexis parte, en d´autres termes, il attendait une occasion favorable pour se débarasser de son PM qui, au cours de route, commeçait à lui déplaire considérablement. Au fait, dans les derniers instants des deux hommes, leurs opinions divergeaient sur bon nombre de projets.

       Dans sa dernière intervention à la presse lors de l´éclatement de ces crises a demandé au peuple de rentrer chez lui, de le laisser le soin de résoudre ses problèmes, de se pencher sur ses revendications qui sont d´ailleurs justes et justifiés. Ce faisant, M. Préval a une fois de plus prouvé sa capacité à amadouer et à dominer les instincts du peuple sur qui il exerce une certaine autorité qui laisse quand bien même à désirer. En dépit de tout, le peuple apprécie et aime son style. Il a obéi à sa demande en vidant les rues. Cependant, il est vrai que les prix ont baissé – solutions courtement partielles suivant la conjoncture – les problèmes structurels restaient inchangés et au terminus de son mandat, les prix ont une fois de plus augmenté et depuis lors ils ne cessent de l´être. De plus, il n´y a eu aucune amélioration sociale. En effet, M. Préval a confirmé l´efficacité de sa méthode consistant à dire peu de mots et des paroles justes et directes au peuple et a toujours évité de lui faire perdre la tête avec de longs discours intellectuels, philosophiques et politiques qui, au final, ne lui apportent absolument rien de concret. Certes, ceux de M. Préval ne lui en apportent pas mieux, pourtant, il s´y retrouve parce que le langage lui paraît clair et compréhensible. De cette façon, le président Préval a réussi quand bien même à boucler ses deux mandats avec cette même stratégie et technicité politique de governance qui, non seulement, s´étend même au-delà du pouvoir mais s´adapte toujours à chaque moment circonstantiel de la réalité sociale, politique, économique et culturelle du pays.

2.4.            Le mutisme prévalien en dehors du pouvoir
Après la fin de son premier mandat en 2001, M. Préval s´est etteint complètement de la scène  politique haitienne, il était considéré comme mort politiquement parlant puisqu´on n´entendait plus parler de lui. Il s´est enfermé à Marmelade, sa ville natale, où il se consacrait aux activités de l´agriculture. La presse, elle aussi, l´a oublié. Personne et absolument personne n´a su et ne pouvait savoir à quel moment se concrétiserait son retour en politique. Les intentions politiques de M. Préval, puisqu´il s´est clos à la Presse, étaient obstrues jusqu´au jour où il a ouvertement déclaré lui-même sa candidature aux ''élections'' présidentielles de 2005 pour briguer un second mandat. Depuis bien avant en effet les rumeurs couraient sur cette éventuelle canditature qui finalement était devenue une vérité. De fait, il s´est rendu au Conseil Electoral Provisoire pour remplir les formalités y relatives. Il est bruit que ce sont les masses populaires qui ont motivé, encouragé et même stimulé M. Préval à se porter candidat, ce pour plusieurs raisons parmi lesquelles nous aimerions souligner au moins quatre.
En premier lieu, il y a le fait que M. Préval a représenté pour ces masses désespérées l´incarnation d´un espoir, d´un changement de vie après la dure traversée du désert avec Aristide entre 2001 et 2004; deuxièmement les partisans d´Aristide et différentes organisations populaires qui luttaient pour son retour, sachant les amitiés qui lient les deux hommes, ont apporté un support massif à M. Préval au détriment de M. Manigat, dans le but de s´assurer du retour de leur leader charismatique inconteste. La troisième raison prend en compte l´opinion publique qui croit que l´apport des masses à M. Préval est un rejet et une sanction infligée à M. Manigat, symbole de l´intelligentsia haitienne à cause des approches et discours jugés trop abstraits sur le plan intellectuel, philosophique et épistémologique dans lesquels ces masses ne se retrouvent pas et auxquels elles ne s´identifient pas. Les intellectuels du pays depuis Anténor Firmin ont toujours victimes de ces genres critiques qui nécessitent d´une problématisation plus profonde. Enfin, le dévolu jeté sur M. Préval traduit le retour à tout un arsenal de révendications sociales des masses défavorisées qui n´ont pas été satisfaites sous le premier mandat de M. Préval. Seront-elles satisfaites cette fois? Ce n´était pas evidente qu´un tel rêve se concrétise. Ainsi, nous pouvons dire que ce premier scénario de mutisme hors du pouvoir a ouvert la voie au pouvoir à M. Préval pour un second quinquenat.

         M. Préval, nous le répétons, est un fin politicien à l´image de Pétion qui est très peu bavare et qui utilise toujours les bonnes stratégies pour affaiblir ses adversaires et même à la limite gagner leur confiance. Cependant, en dépit de ce charisme à s´imposer un tel mutisme, il n´a pas pu - comme Aristide l´avait fait pour lui - imposer au peuple haitien le choix de  M. Jude Célestin à la fois son dauphin et son beau-fils. Ce qui résulte d´une sanction de l´international à cause des promesses non tenues. En d´autres termes, en ayant rejeté d´un revers de main M. Célestin, bien que classé en deuxième position après Mm. Manigat lors des présidentielles de 2010, l´international s´est bien vengé du mutisme de M. Préval qu´il a très malement supporté pendant cinq années au point qu´à la dernière minute il voulait le livrer à la boucherie. Et le peuple dans tout ça, quelle a été sa sanction contre M. Préval à cause de ce mutisme dont il n´a  pas non plus digéré les effets?

            Comme j´ai l´habitude de le répéter, le peuple haitien ne vote pas en réalité, c´est une stupidité et même une abération de dire qu´il a été convoqué au verdict des urnes. La civilité politique l´oblige, mais même les autorités savent que c´est l´international, le grand financier des opérations électorales, qui choisit toujours à la place du peuple le candidat de son choix. J´ai longuement développé et démontré cet aspect qui handicape l´avancement du système politique haitien dans un article titré Haiti, seul PMA de la Caraibe dans la pratique du jeu international d´élection-nomination[2]. Donc, on peut comprendre qu´il est trompeur d´insinuer que la mise à l´écart de M. Célestin serait effectivement la sanction du peuple. Elle était néanmoins celle de la communauté internationale qui cherchait à se venger de Préval. La population a réagi au mutisme de M. Préval par des manifestations violentes, des mitings, des marches avec assiettes et cuillères à la main pour réclamer à manger. M. Préval a pu quand bien même y résister. Insatisfaites de la gouvernance mutiste, pâle et irresponsable de M. Préval qui n´a pu réellement leur apporter l´espoir tant attendu, les masses populaires ont obligé de se courber au choix de M. Martelly imposé par l´international au détriment de Mm. Mirlande Manigat qui, ayant été fait l´objet de nombreuses critiques, a, malheureusement, subi la même déception que l´estimable professeur François Manigat, son époux. Ainsi, en dépit de tout, un président qui n´est pas trop populaire, pas très aimé ni trop haï non plus parmi le peuple qui, semble-t-il, l´a oublié avant même que son mandat ne touche à sa fin, ne peut laisser dans la mémoire collective que l´image  d´une gouvernance étatique dévoyée, insipide et irresponsable. A vrai dire, il n´en fut ni le premier ni le seul. 

          M. Préval est parti, M. Martelly le succède en mai 2011. Depuis lors, il est apparu uniquement deux fois sur la scène publique: à l´occasion de son audition sur l´affaire Jean-Dominique et lors de sa sortie du palais national après avoir répondu à une invitation du président Martelly. Ce furent deux occasions au cours desquelles il est passé complètement inaperçu en termes de médiatisation politique. Par contre, l´audition d´Aristide dans cette même affaire judiciaire a provoqué un tapage médiatique monstre. Ainsi, mis à part ces deux sorties exceptionnelles, M. Préval s´est encore éteint politiquement jusqu´à aujourd´hui. Il est bruit qu´il est retourné à Marmelade en répétant  le même scénario de 2001. De 2011 à nos jours un second scénario du mutisme prévalien à l´extérieur du pouvoir est ouvert. En aura-t-il un troisième, soit-il, à l´intérieur ou à l´extérieur du pouvoir? On n´en sait pas trop! Il appert que, du point de vue constitutionnel, il soit pratiquement impossible qu´il se candidate à un troisième mandat présidentiel. Mais, il y a une question qui nous intrigue: qu´est-ce qui explique que malgré les protestations du peuple et le fait que l´international l´avait vraiment coincé, M. Préval a quand bien même pu terminer son second mandat? Deux facteurs ont joué en faveur de M. Préval, le temps et la conjoncture.

2.5. Facteurs temporels et conjonctutels en faveur du terminus du second mandat de Préval
     Le facteur temporel est le premier qui s´est joué en faveur de M. Préval afin de terminer ses deux quinquenats. Il faut entendre par là l´espace de temps dans lequel des phénomènes se sont produits en des moments inattendus et changent complètement le paysage socio-politique. En tout premier lieu, on peut dire – sous réserve de nous tromper – que le second mandat de M. Préval en 2006 est parvenu  dans un atmosphère politique apparemment calme dans le sens que même si sa victoire a été un forcing de la part des forces étrangères, elle était toutefois acceptée par la majorité des partis politiques. L´opinion publique n´y ripostait pas et l´opposition politique était quasiment muette. En second lieu, la période à laquelle M. Préval est arrivé au pouvoir était justement succédé du départ pour l´exil de M. Aristide dont les partisans et sympatisans réclamaient depuis 2004 le retour. Pour cela, ils ont appuyé la candidature de M. Préval avec impatience de voir ce rêve concrétiser. Bien qu´affamées, mal vêtues et dépourvues de tout, les masses populaires ont tout mis de côté pour placer leur confiance en cet homme. De fait, M. Aristide est revenu au pays en mars 2011 – ce fut comme la cérise sur le gâteau, car ce retour est survenu deux mois après la rentrée au bercail du plus puissant dictateur du XXème siècle qu´Haiti n´ait jamais connu en l´occurrence M. Jean-Claude Duvalier après environ 25 ans d´exil passés en France.  
À dire vrai, c´est deux retours, survenus dans des circonstances historiques exceptionnelles presqu´à la fin du second mandat de M. Préval, ont réellement détourné l´attention de la population et des classes politiques des vrais problèmes. De fait, ils ont fait la une de l´actualité et plongé la société dans une profonde perplexité à savoir le bien fondé de ces deux retours. Faute de preuves argumentatives, il est difficile d´établir que M. Préval a lui-même autorisé ces retours. Il n´est pas non plus facile de trouver un document officiel là-dessus. En dépit de cela, il est logique cependant de comprendre qu´ils ont été deux coups de maître de M. Préval pour calmer les tensions. Car, ni M. Duvalier ni M. Aristide n´auraient pas pu décider péremptoirement de rentrer au pays sans qu´il ne soit lui-même informé et ne donne son avis à ce propos. Ainsi, mis à part le tremblement de terre de 2010, le temps dans lequel se sont déroulés ces deux événements ont permis à M. Préval de respirer un peu.

Le second facteur, qui est un prolongement du premier, fait appel à un aspect à la fois d´ordre naturel et conjoncturel. Le séisme du 12 janvier 2010, en dépit du goût amer qu´il a laissé sur les lèvres des familles haitiennes, a joué un rôle important dans le terminus du mandat de M. Préval. C´était un phénomène à gérer sur le plan physique, psychologique, mental, social et environnemental. Le chef d´État, dépassé par les événements, s´est montré abattu face à un tel phénomène naturel et impuissant viv-à-vis d´un international envahisseur! Humainement parlant le premier impact est compréhensible. Nul humain ne peut rester inébranlable devant les faits naturels qui dépassent son entendement et sa capacité. En ce qui a trait au second élément, il fallait que M. Préval garde son calme aux pressions et agressivités internationales dont il n´avait pas le controle afin de gérer cette catastrophe, car il est dit que c´est au pied du mur on reconnaît le vrai maçon. Pir diable ou pir démon que l´on puisse être, il est impossible d´oublier les rivalités diplomatiques entre la France, les États-Unis et le Canada pour le contrôle du territoire au moment où des milliers de familles étaient entrain de pleurer leurs morts. Pendant que des éléphants se battaient, il y avait plus de 200.000 cadavres à compter, plus d´un million d´estropiés et de sans abris à identifier. Néanmoins, c´est une catastrophe que l´État doit gérer avec l´aide bien sûr de ses partenaires internationaux. Malgré sa gestion déliquescente, M. Préval, ayant été à la dernière ligne droite de son mandat, était le seul homme du moment en faveur duquel se jouiaient la conjoncture et le fait naturel. Donc, il était mieux de le laisser tranquile, car en ce moment le problème n´est plus Préval, mais d´ordre humain.
     
En dépit du fait qu´il n´a pas pu améliorer les conditions sociales et économiques de la population et bien gérer la catastrophe, M. Préval partira, sans nul doute, avec le sentiment d´avoir été un des plus grands stratèges de l´histoire politique contemporaine d´Haiti. M. Préval était le Pétion de la politique du XXIème siècle d´Haiti, c´est-à-dire l´incarnation d´un chef d´État démagogue qui trompe avec dextérité et finesse  son peuple et immobilise la société en fermant les yeux sur des problèmes cruciaux. Paradoxalement, c´est un président qui ne jouit pas vraiment d´une réputation politique très populaire, même si, jusqu´à preuve du contraire, il est le seul et l´unique qui soit parvenu à comprendre et à maîtriser mieux le peuple, son instinct, sa passion, ses pulsions et ses émotions. Il a un tempérament propre à lui qui ne froisse pas le peuple mais plutôt capable de l´amadouer. Ainsi, le temps, la conjoncture et la nature représentaient des facteurs suffisants pour calmer les fureurs populaires et faire oublier le mutisme de M. Préval ainsi que ses conséquences néfastes. Il demeure par contre dans l´histoire sociale et politique haitienne un président pas trop populaire ni populiste de la trampe d´Aristide.

Pour conclure cette seconde partie, il convient de souligner que le mutisme prévalien a été tout aussi catastrophique, cancéreux, désastreux et désavantageux pour le peuple haitien que le populisme aristidien, il a également contribué à plonger le pays dans un immobilisme pas croyable, ce qui est traduit communément par un marquer pas sur place. M. Préval a passé tout son temps à leurrer le peuple pendant qu´il n´y a pas eu de croissance économique, la classe moyenne a pratiquement disparu, les pauvres s´engouffrent dans la pauvreté, le chômage est à son comble et les besoins sanitaires, l´eau potable, la nourriture restent toujours insatisfaits. Le mutisme prévalien, contrairement au populisme aristidien, peut-on dire, n´a été bénéfique dans les faits que pour M. Préval lui-même. Car jusqu´à présent, il est le seul et l´unique président d´Haiti de la fin du 20ème siècle et du début du 21ème siècle à avoir réussi deux mandats puis s´est tenu loin des projecteurs. Sans vouloir spéculer sur le futur, il y a peu d´espoir de voir M. Préval revenir sur la scène politique active, toutefois, il demeure un acteur politique influent. Parmi les présidents constitutionnellement élus, M. Préval peut dire en vertu de son mutisme à l´instar de l´apôtre Paul: ''J´ai combattu le bon combat contre le peuple, l´opposition et l´international, j´ai achevé mes deux mandats sans rien à me reprocher, maintenant je peux me clore en paix à Marmelade où la couronne du mutisme m´est réservée''. Mais, si le populisme est en quelque sorte moins prononcé chez M. Préval que le mutisme, avec M. Martelly, son successeur, nous sommes entrés dans un autre univers de la pratique politique haitienne. En effet, depuis son accession au pouvoir, le propagantisme politique est à un niveau du jamais vu en Haiti, ce que nous pouvons appeler aussi une intoxication médiatique. C´est ce dernier point qu´il nous reste à aborder dans cette série d´analyse qui se propose de comprendre en quoi consiste le phnénomène de l´immobilisme social et politique d´Haiti.

Campinas, 22-02-2015
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[*] Cet article est publié tant en bloc qu´en partie séparée. Ici sont traitées les trois parties réunies.
[1] Voir le film Assistance mortelle de Raoul Peck.
[2] Le texte est accessible sur le blog: http://jeandefabien1426.blogspot.com.br/


RÉFÉRENCES

MICHEL, Leverrier. L´impossible de accès à la parole: Quatre histoires cliniques: Autisme, mutisme psychotique, dépression infantile et deuil chez l´enfant. Ramonville Saint Agne: Eres, 2004, 228 p.


ZERDALIA, K.S. Dahoun. Les couleurs du silence: le mutisme des enfants de migrants. Paris: Calmann-Levy, 1995, 258 p.