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lundi 18 janvier 2016

POURQUOI CE CEP S´ENTÊTE-T-IL À LA DATE DU 24 JANVIER 2016?

Introduction

     À chaque fois qu´il nous est offerte l´opportunité de parler de la situation politique d´Haiti, nous devons faire attention pour ne pas tomber dans un exercice répétitivement lassant en reprenant les mêmes propos, surtout ceux se rapportant à l´ingérence et à la domination étrangère voulue par une minorité minoritaire de la classe dirigeante haitienne. Pourtant, à l´attitude amorphe, passive et endormie du peuple haitien face à ce phénomène et aux situations déconcertantes qui l´enfoncent dans la misère, on ne s´intéresse guère. Or, elle joue un rôle essentiel dans l´état critique d´Haiti -, cela depuis longtemps -, et, plus particulièrement dans cette impasse électoraliste actuelle qui guète en ce moment la population entière. Car, si cela n´était vrai, il serait inconcevable et incompréhensible tout cet archarnement, ce zèle, ce désir, ce dévouement à l´aveuglette pour organiser des ''élections'' qui, en réalité, n´en sont pas unes. Donc, la situation politique qui prévaut présentement dans le pays est dominée par ce qu´on appelle très improprement ''élections''.
     C´est un mot que nous ne cessons de sacrifier, vilipender, galvauder, avilir et employer vainement. Je ne vais pas m´attarder là-dessus, car, à maintes occasions dans plusieurs articles, je me suis évertué à montrer que, tant qu´Haiti ne s´érige pas en un vrai État libre, autonome, indépendant et souverain, il faut banir du vocabulaire politique haitien ce mot. Or, fort heureusement pour nous autres Haitiens, il n´existe pas encore un tribunal national ou international correctionel qui chargerait de juger et condamner - si la culpabilité en a été établie - les peuples ou les ressortissants de ces pays qui font un usage malveillant, méchant, abusif et déshonorant des expressions telles que démocratie, élection, souveraineté, indépendance pour ne absolument rien dire. Voilà pourquoi, quand nous sommes entrain de parler d´Haiti et que vient le moment d´employer le mot élection, pas des moindres bien entendu, il faut le mettre entre mille et mille guillemets. L´objectif de cet article est donc de montrer que l´endormissement du peuple est l´une des causes principales de l´entêtement du CEP à l´organisation des ''élections'' prévues pour le 24 janvier. Mais, bien avant d´analyser le sens et la logique de cette passivité du peuple haitien afin d´essayer d´en dégager une certaine compréhension des raisons de cet entêtement, il convient de rappeler le contexte socio-politique.

Mise en contexte

      Dans quelques articles que j´ai publiés sur mon blog, je me suis mis, à maintes fois, à montrer que si cette souveraineté d´avoir des processus électoraux fiables pouvant accoucher des élus légitimes, est perdue depuis belle lurette, alors il convient de comprendre que le 9 août aussi bien que le 25 octobre 2015, il n´y a jamais eu à proprement parler d´élections en Haiti. Bien qu´il y ait eu des boycottes populaires généralisés, le CEP a eu l´audace de crier à la réussite totale en entraînant avec lui dans cette voie de contentement d´autres instances tant nationales qu´internationales. Il n´y a pas moyen d´en parler vu que ces dits processus contiennent une main étrangère puissante qui les manipule et, de surcroît, sont toujours truqués et foulés au pied en ce sens que le choix du peuple n´est jamais réellement celui qui s´impose. En effet, cela est dû parce que tous les Conseils Électoraux Provisoires (CEP), passés et présents - ainsi que beaucoup d´autres institutions clés de la république d´ailleurs - sont sous le controle des barons nationaux et internationaux. Ce mot éléction a un autre sens pour nous autres Haitiens, c´est une nomination qui se fait sous le couvert d´une stratégie électoraliste par ceux que j´appelle les barons internationaux d´Haiti, à savoir, États Unis, Union Européenne, France et Canada. Il y en a aussi des nationaux, mais, lâches qu´ils sont et traitres de la patrie qu´ils demeurent, ils se renferment derrière les internationaux pour mieux collaborer avec eux, du genre ni vu ni connu.

     Le contexte politique actuel découle directement des journées catastrophiques des 9 août et 25 octobre 2015 et il est souhaitable que ce 24 janvier 2016 annoncé avec entêtement, folie, frénésie et obsession par un CEP apparemment drogué, envoûté ou ensorcellé, n´ait pas lieu,  sinon il faudra se préparer au pir. Il paraît que les dirigeants haitiens ont l´expertise de persister et perdurer dans l´erreur, même quand ils voient de loin le malheur venir, ils s´entêtent à tomber dedans. La journée du 24 janvier - s´il viendrait à se produire, ce qui est d´ailleurs en toute vraisemblance impossible - ne changera pas grand'chose ni dans la forme ni dans le fond de ces démagogies produites les 9 août et 25 octobre de l´an dernier. Néanmoins, si le peuple consent à y participer - ce qui ne devrait même pas être imaginable - ou s´en montre passif comme d´habitude, alors il se suicidera lui-même. Alors, si les deux côtés le mal est infini, le temps lui est venu donc de sortir de son endormissement.
     En conséquence, avec un parlement tordu, un CEP têtu, une classe politique amorphe, une société civile endormie, une classe économique qui fait acte de mutisme, un environnement presqu´insauvable, sur le plan politique - sans omettre pour autant la décente aux enfers de la vie sociale et économique des masses pauvres - l´année 2016 s´annonce très douloureuse pour notre Haiti chérie et je doute fort que les jours avenirs soient cléments pour elle. En effet, la logique la plus élémentaire au monde veut que si A = B, B = C alors A = C, en d´autres termes, si en 2015 il n´y a pas eu d´élection à proprement parler, il ne peut y avoir d´élus en 2016. S´il y en a, qui sont-ils et d´où viennent-ils? Alors, tous ceux qui, issus de ces journées problématiques et catastrophiques des 9 août et 25 octobre 2015, ont accepté et avalé ce qui s´est produit le dimanche 10 janvier dans la soirée (à la chambre des députés) et le lundi 11 janvier 2016 dans l´après-midi (au sénat), doivent savoir qu´ils portent la lourde et entière responsabilité d´être les potentiels assassins de ce peuple et ont son sang sur la main. Dans le désintérêt total et pour le malheur absolu du peuple, ces différentes journées ont été une insulte, une honte et une déception au plus degré aux yeux de l´humanité. Ainsi, mis à part tous les problèmes endurés au cours de 2015, si l´année 2016 se montre déjà très affreuse et amère pour le peuple haitien c´est bien à cause de ces dates de malheur.

     Dans cette circonstance, que peut-on espérer de ce groupe de parlementaires qui, victimes de l´entêtement d´un CEP empétré dans la honte, ont fait l´objet de nombreuses contestations et suspicions? Quel résultat positif ou satisfaisant pourrait-on attendre d´une rentrée parlementaire qui s´est réalisée dans la plus parfaite clandestinité, ce en violant les normes constitutionnelles selon lesquelles la rentrée parlementaire doit se faire le deuxième lundi du mois de janvier? Qu´est-ce qu´un tel parlement pourra-t-il produire de bon quand le processus qui l´a engendré symbolise la crise en lui-même? A noter que cela est dû, conséquemment, à la décrédibilisation en amont du CEP, institution mère qui serait chargée de garantir la fiabilité et la légitimité des élus. Sur ce, on peut dire rien et absolument rien puisque ceux-là qui se prennent pour des ''parlementaires'' n´ont pas aidé le CEP à se ressaisir de ses gaffes incalculables, mais se voyaient déjà au petit mont des affaires. Je ne remets pas, toutefois, ni en doute ni en cause leur éventuelle bonne volonté et bonne foi de jeter une goutte d´eau dans cet océan de résolution de crises de toute nature qui nous tiennent prisoniers en Haiti depuis des décennies, mais les conditions dans lesquelles ils sont parvenus. Car, si le processus est vicié en amont à cause de l´état démoralisant et dévergondé de l´institution qui l´organise, en l´occurrence le CEP, il est normal que ses effets le soient pareils, de ce fait, pouvoir, oui, ces derniers en auront, mais dans la honte, le mépris et l´absence totale d´autorité, de légitimité et de respect de leur statut de parlementaire. Ceci est valable pour n´importe quel poste électif vilipendé. Ainsi, contesté, rejeté et problématique, il faut déjà entrevoir dans le 24 janvier - s´il a lieu - le véritable règne de l´ingouvernabilité en Haiti.

     Mais, en dépit de tout cela, nous devons nous poser la question de savoir pourquoi ce CEP, malgré les protestations, les contestations et les graves accusations portées contre certains de ses membres, bien qu´il soit complètement dépouillé de toute honnêteté, intégrité et crédibilité et que ses membres s´égrainent ainsi, s´entête-t-il à maintenir la date du 24 janvier? Pourquoi enfin un CEP tant décrié et avili veut-il à tout prix organiser ce qu´il appellera malsainement ''élections''? Dans la tentative de répondre à cette question, l´article propose de réflechir autour de l´hypothèse suivante: il paraît que le peuple haitien soit plongé dans un endormissement continu.

Les Haitiens dorment et s´endorment encore

     Il y a une faim atroce en Haiti et quand on a faim, nous dit le philosophe indien Amartya Sen, on est complètement dépourvu de toute force de lutter et de combattre contre l´oppression et la domination violente bourgeoise. Voilà pourquoi, poursuit-il, les peuples les plus soumis de la terre sont ceux qui souffrent le plus de la faim chronique. Donc, la faim pour le prix Nobel de l´économie, est une arme puissante utilisée par la classe dominante pour maintenir voire enterrer violemment les pauvres en les zombifiant. C´est cette zombification que j´assimile à une action d´endormissement. Car, n´était-ce pas un tel endormissement ou une telle zombification imposés par la faim, comment le peuple pourrait-il accepter si passivement et docilement qu´un président exige 45 millions de gourdes pour le renforcement de sa sécurité, que les per diem des Hauts dignitaires de l´État, à commencer par le président, soient triplé de valeur, que le salaire des soi-disant conseillers électoraux, sans compter les frais de service, passe de 124 milles gourdes à 240 milles gourdes sans aucune loi au préalable que, enfin, que ses dirigeants vivent dans un luxe agaçant, provocateur et s´offrent les plus belles choses du monde au détriment des pauvres qui crèvent de faim? Toutefois, il ne s´agit ici que d´une infime partie des multitudes de malversation de ses dirigeants, passés et présents, que le peuple a daigné accepter de consommer sans piper mot.

     Si nous dormons ou nous nous laissons endormir c´est que nous avons été zombifiés du plus profond de notre âme, de notre être et de notre intelligence, car la zombification est le fait de la faim. Comprenez bien que notre faim est loin d´être naturelle ou voulue par un dieu, elle nous a été violemment imposée par ceux qui veulent nous dominer économiquement. Cette faim nous exige à laisser passer, à accepter voire consommer le pir. Ce qui veut dire que l´entêtement du CEP à conduire le peuple haitien à la boucherie, ce 24 janvier 2016, n´est rien devant les multiples cas de corruptions à répétition qui proviennent de l´intérieur des structures étatiques. Puisque nous avons faim, nous n´avons plus la force physique pour combattre encore moins la force morale pour réflechir et comprendre. Parce que nous avons faim, en plein crise, pendant que les pauvres malheureux du programme insipide EDE PÈP, travaillant dans le secteur des cantines populaires, réclament les 13 mois d´arriérées de salaires, ce CEP aux vices kleptomaniques, s´est lui-même arrogé le droit de doubler le salaire de ses employés, ce en absence d´une loi définissant les motifs et les justificatifs d´un tel ajustement. Parce que nous avons faim, donc endormis et zombifiés, il nous est impossible de voir que notre avenir ainsi que celui de nos fils et petits fils sont complètement hypothéqués. Car, n´était-ce pas cet état, la révolution sociale, la seule qui soit libératrice pour le peuple, devrait déjà avoir lieu. Néanmoins, il n´est pas trop tard pour que le peuple se réveille, car il en reste encore quelques-uns qui gardent encore la vigueur et la force.

     En réalité, le peuple ne s´est pas endormi de son plein gré, il a été contraint d´y être plongé à cause des conditions sociales et économiques qui lui sont imposées. La faim dont il souffre porte la marque d´une puissance dominatrice. Voilà pourquoi, pour sortir de cet endormissement, il a besoin de briser ce spectre de la faim. Mais, on oublie assez souvent une autre facette de la faim, celle qui suscite la violence du peuple et engendre un peuple violent. Cette violence du peuple consiste à mettre un terme à sa faim en se donnant lui-même à manger. Elle est légitime dans la mesure où seul ce moyen lui est favorable pour parvenir à cet objectif. La faim tue au même titre que la guerre et les conflits sociaux violents. Elle est même plus meurtrière que ces conflits puisqu´elle tue chaque année des millions d´être humains, en particuliers, des enfants étant les plus vulnérables. Les deux Guerres mondiales mises ensemble ne peuvent égaler le nombre de morts causé annuellement par la faim dans le monde. En tout de cause, il vaudrait mieux mourir en luttant contre la faim que de vivoter en portant la croix d´une faim de honte et d´humiliation.  Car, de toutes les manières, le peuple est pris entre deux situations meurtrières: la faim (s´il accepte de mourir de faim) et la violence (s´il choisit d´en sortir). Il est vrai que le plaidoyer n´est pas expplicitement sur la faim, mais, puisque c´est elle qui endormit le peuple, c´est par elle qu´il a été domestiqué, c´est elle, en tant qu´arme puissante, qu´utilise la bourgeoisie économique pour le faire gémir, supplier et baver en même temps, alors c´est par elle qu´il faut passer pour comprendre la gentillesse, la passivitié et la docilité du peuple haitien.

     De plus, à cause de cet état passif de grand dormeur, le peuple continue de souffrir les conséquences de l´impunité et s´en fait complice. Si nous restons toujours dans des cas concernant le CEP, rappelons-nous de l´ex-président du CEP Gaillot Dorsainville qui circule tranquilement dans les rues haitiennes après avoir lui-même déclaré qu´en 2010 les résultats ayant porté ce M. Martelly à la présidende d´Haiti étaient loin d´être celles qui ont été officielement admises au sein du conseil. En d´autres termes, pour mieux comprendre, M. Dorsainville s´est fait tirer les oreilles par ses patrons internationaux, qui nomment les gens qu´ils veulent à l´intérieur de l´État, afin de nommer celui que le peuple n´a point choisi. C´est ainsi que cela fonctionne en Haiti, ce territoire peuplé d´individus. Si, depuis lors, la justice, à travers le commissaire du gouvernement, s´affirme impuissante de le poursuivre, alors il est aussi normal que ce M. Opont accouche de tels résultats aujourd´hui, car il sait pertinemment que c´est le même sort qui l´attend. Un peuple qui dort et se laisse endormir oublie facilement.

     Tout ce qui est entrain de se passer aujourd´hui au sein de la société est voulu par le peuple haitien qui se perd dans cet endormissement. Si ce CEP se croit invincible parce qu´il compterait sur un quelconque appui des quatre barons, c´est bien à cause de la passivité et de l´amorphisme de la société haitienne. Ainsi, si j´avais à blâmer, ce serait moins le CEP dans son entêtement que le peuple dans son endormissement, car, je le répète, c´est parce qu´il dors que le CEP est ainsi têtu comme un âne. C´est parce qu´il dort que ce CEP veut en finir avec lui, l´étrangler et l´anéantir définitivement en le précipitant dans cet abîme du 24 janvier. En effet, au-delà de tout soupçon, le 24 janvier confirmera ou infirmera si réellement le peuple haitien accepte de démeurer mauribond, passif, amorphe, endormi ou mort. Dans les vraies sociétés démocratiques où le pouvoir découle réellement du peuple, non pas en discours, mais en acte, un CEP si dévoyé et dénudé, où les intérêts économiques exhorbitants l´emportent sur l´intégrité, n´a pas sa place. Le jour où il ne le voudra plus, il ne s´endormira pas, il ne se laissera plus jamais zombifier, mais prendra de préférence la voie de la révolution, car, comme l´a si bien dit Thomas Sankara, seule la lutte libère. 

     À cause de cet endormissement, enfin, il se laisse entraîner dans le jeu mafieux ''élection-nomination'' de l´international sans avoir le discernement de comprendre qu´il est un pion que celui-ci utilise à chaque fois qu´il a besoin de lui, puis, après l´avoir exploité, il ne le jette pas, le conserve en lieu sûr: la misère, la faim et la pauvreté afin de le rendre de plus en plus indébile et incapable de toute initiative de résistance et de révolution, car il est un pion pas trop précieux, mais quand bien même important vu qu´il aide à faire le jeu. Au reste, il est complice de ses propres situations puisque, en dépit de tout, d´une façon ou d´une autre, cet endormissement, qui est aussi une forme de domination, il l´accepte, le reconnaît et le confirme. Dans la culture haitienne, l´endormissement survient généralement comme une fausse solution à l´appaisement de la faim, pourtant, causé lui-même et imposé par la faim, il est notre plus grand ennemi. La faim est une violence symbolique consistant à maintenir le peuple dans une attitude de soumission zombificatrice. 

Considérations finales

     En résumé, l´entêtement du CEP provient du fait que le peuple refuse de prendre son destin en main par la révolution . À cause de la faim, on le fait passer pour de véritables clowns en l´exposant à toute sorte d´imbécilités, d´idioties et de grimasseries. Or, avec un minimum d´intélligence, de connaissance et de lucidité, même s´il a faim, le peuple a besoin d´avoir la capacité de comprendre que quand il accepte ces genres de situations telles que celles dans lesquelles le CEP l´avait entrainé les 9 août et 25 octobre et celles auxquelles il veut l´astreindre, le 24 janvier prochain, il se fait complice de son propre sort, par conséquent, personne n´aura pitié de lui. Il faut qu´il comprenne en effet dans quelle merde il se fourre en choisissant de participer à ces genres de niaiseries et de conneries dont il devrait s´abstenir. Ce n´est pas parce qu´il a faim, pauvre et misérable, qu´il doit accepter n´importe quoi. Pour redefinir un autre contrat social, la révolution sociale par les luttes durables et continues du peuple est la seule et unique option. Donc, il est temps que le peuple sorte de cet endormissement dominateur, de ce sommeil à la fois importé et local, car si sommes-nous arrivés à ce stade de pourriture des dérives pas seulement au niveau du CEP, mais également au niveau de toutes les autres structures de l´État qui travaillent contre le peuple, c´est bien à cause du fait d´accepter de rester à genoux, et même dans cette position d´assouplissement envouteur, ils nous frappent. Autrement dit, le CEP aurait déjà renoncé à ce rêve enchanteur du 24 janvier si le peuple n´était pas plongé dans un tel état endormisseur. Enfin, je voudrais terminer l´article avec cette phrase d´un philosophe français, Étienne de la Boétie (1547): ''Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux''. En d´autres termes, nous pouvons dire: Périsse le peuple qui dors et se laisse endormir!



Campinas, 18 janvier 2016

mardi 12 janvier 2016

''TÉMOIGNAGES VIVANTS'' (Cinquième Partie): LA FOI INDÉFECTIBLE D´UN PEUPLE EN AGONIE

Introduction

     Cet article s´inscrit dans la série Témoignages Vivants consacrée à la mémoire des morts et survivants du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Les deux premières parties ont fait ressortir la façon dont nous avons vécu personnellement cette expérience et mis l´accent sur des propos mémoriels dans le but de saluer dignement le départ et la traversée de nos frères et soeurs. Les deux dernières ont été consacrées à des réflexions critiques sur certains comportements, attitudes et agissements sociaux observés au milieu des Haitiens. Cette cinquième partie, étant donc une continuation de celles-ci, poursuit le même objectif, celui de souligner les attitudes les plus importantes et marquantes à caractère collectif qui ont grandement attiré notre attention peu de temps après ce drame. Elle s´intéresse ainsi à mettre l´accent sur cette manifestation de la foi religieuse des Haitiens en plein milieu d´une tragédie afin de, en premier lieu, comprendre le fondement et la dimension de cette foi, en second lieu, voir la façon dont elle résulte de l´augmentation et de la fréquentation des églises, enfin, montrer le changement opéré par le séisme dans le paysage socio-religieux haitien.

La croyance indéfectible d´un peuple en agonie

     La foi - s´il faut la définir - consiste à croire en un être que l´on ne voit pas ou à espérer quelque chose dont il est impossible de prédire l´arrivée et d´entrevoir les chemins à parcourir avant de se concrétiser. Donc la foi transcende tout principe de causalité et de logique cartésienne. Or, elle se doit de fonder sur un exercice intellectuel et rationnel. Néanmoins, le débat ne se penche pas sur la discussion philosophique et théologique de la foi. Par la foi, les Haitiens ont surpris le monde pour n´avoir pas maudit, injurié, dénigré et renié Dieu à cause du séisme. Alorsque beaucoup espéraient d´eux une telle attitude, c´est-à-dire qu´ils abandonnent la foi, comme les amis et la femme de Job le lui eurent suggéré dans ses afflictions, comme Pierre le fit lui-même contre Jésus dans sa lâcheté, eux, ils s´étaient accrochés à une foi indéfectible. Bien au contraire, mis à part les imbéciles et ignorants dérapages de ceux qui pratiquent un fanatisme religieux obsessionnel et aveugle, leur foi s´est accrue. Ils ont prouvé en ce jour-là la fermeté et la grandeur de leur foi religieuse soit en Allah, Jésus Marie pour certains, soit en Ogou ou d´autres êtres spirituels pour d´autres. En d´autres termes, le séisme du 12 janvier a été une sorte de mise à l´épreuve de cette foi et le moment opportun aux Haitiens pour l´expérimenter et l´exposer aux yeux de l´humanité enitière tout en montrant que, en dépit de ces moments durs, amers et affreux, ils louent, bénissent et glorifient leur Dieu à eux. Une telle expression de foi ne peut être passée sous silence.

     En effet, quelques heures après le séisme, c´était l´émotion totale. Un choc moral et psychologique épouvantable atteint toute la société, même les plus pessimistes et incrédules en ce qui concerne les questions de phénomènes naturels et de croyance en une divinité ou spiritualité quelconque, savaient prier et invoquer les esprits en ce jour-là. Beaucoup tombaient sur leurs genoux et, sous le coup de la peur, se précipitaient, les mains tendues vers le ciel, à implorer la protection divine suite aux diverses repliques sismiques ressenties ça et là. C´était l´effervescence collective généralisée qui a envahi les esprits, les temples, les églises et les maisons de prières quelques semaines plus tard. Sur ce, rien ne pouvait retenir et empêcher les élans émotifs de la foi de ce peuple de se manifester. Personne ne pouvait comprendre qu´une telle attitude religieuse pouvait redonner l´espoir à un peuple agonisant qui, malgré sa douleur et ses afflictions, criait à Dieu, implorait son pardon et sa miséricorde, le priait, le chantait, poussait des cris de délivrance et entonnait des chansons de louange, d´espérance et de réconfort peu de temps après le drame. Ces larmes, au lieu d´avoir été un motif d´abandon de la foi, ont été de préférence pour elle un torrent de purification, de sanctification et de fortification. La souffrance et l´agonie du peuple se sont donc mêlées à cette foi inébranlable.

     Jamais je n´ai vu une telle manifestation infaillible de foi chez un peuple meurtri. Cette attitude du peuple haitien n´est pas faite pour être comprise, mais vécue et expérimentée, c´est comme l´amour, dit-on, ''il ne s´explique ni ne s´exprime, mais se vit''. Autrement dit, il faudrait se mettre dans la peau des Haitiens pour comprendre les raisons d´une si grande foi, pourquoi la souffrance et les douleurs n´ont pas pu avoir raison d´elle, pourquoi les cicatrices du 12 janvier étaient incapables de l´anéantir. De fait, la foi religieuse en elle-même trouve son expression et son expérimentation les plus sublimes dans les souffrances que les croyants endurent. Ainsi donc, cette foi était trop étonnante, faite d´un matériau trop précieux et a rendu maintes gens stupéfaites pour ne pas s´y arrêter un peu tout en la distinguant de celle du peuple d´Israel et d´y entrevoir quelque chose qui va au-delà d´une foi simpliste et opportuniste.
     On se le rappelle, la Bible nous enseigne que tant en Égypte que dans le désert du Sinai, les Israélites n´arrêtaient pas de maudire et d´injurier leur Dieu, celui dont ils ont hérité de leurs ancêtres, savoir, Abraham, Jacob, Joseph, Moise pour ne citer que ceux-là. Confrontés à la faim, à la soif, aux doutes religieux, les Israéllites s´égaraient, se rebellaient constamment contre Dieu et, dans leurs différents instants de déboires et de souffrances, dans leur pays d´origine, en Égypte comme dans le désert, la langue ce peuple, que l´on croyait être le plus fidèle de la terre, ne cessait pas de renier leur Dieu. Dès lors, la fidélité, la foi et la conviction de ce peuple à servir Dieu sont de plus en plus remises en questions. Marquée par des hauts et des bas; par des moments d´égarement et  de lucidité, de chute et de repentance; par des instants de foi et d´incrédutilité, par des attitudes d´optimisme et de pessimisme, l´histoire des Israélites a des points analogues à celle du peuple haitien, toutefois, elle s´en diffère en ce que lors du tremblement de terre, non seulement les Haitiens ont préféré louer Dieu et démeuré dans la foi, mais surtout celle-ci s´est raffermie considérablement, c´est-à-dire ils sont devenus passionnément plus croyants qu´ils ne l´étaient auparavant. Leur langue a été l´instrument le plus pur pour glorifier leur Dieu. Ainsi, cet état de fait a eu, bien évidemment, pour conséquence l´augmentation du nombre des croyants. Pour mieux le comprendre, il conviendrait de regarder, d´une part, - malgré les faiblesses de statistiques -, à travers la cause de l´augmentation du nombre des églises, l´afflux de leurs fréquentations d´autre part.

Pour comprendre comment les églises se seraient multipliées en Haiti avant et après le séisme

     Si beaucoup d´entre les églises en Haiti n´ont pas pu physiquement résister au séisme, certaines autres, bien que restées débout, ont reçu de graves fissures et subi de sévères dommages. Toutefois, celles qui ont effondré demeurent spirituellement ancrées dans le coeur et la pensée des croyants pourvu que même sur les ruines les cultes dominicaux et hebdomadaires se donnent sur la cour en plein air, dans l´emplacement du bâtiment effondré. En dépit des faiblesses de statistiques en la matière, paradoxalement, le séisme aurait vu surgir d´autres églises, le nombre des églises aurait considérablement augmenté après le séisme puisque cette augmentation serait proportionnelle au nombre d´individus qui, au lendemain du séisme, se sont convertis à une religion ou ont rejoint un groupe religieux quelconque. Cette augmentation s´accompagne, cependant, du dérèglement juridique, géographique et social préexistant, autrement dit, de nouvelles dénominations religieuses ont apparu, certaines viennent se greffer sur d´autres, de nouvelles églises se sont créées en s´ajouttant à la liste de celles qui existaient déjà, sans respect aux règles de l´aménagement du territoire et aux normes sociales et juridiques qui doivent définir leur existence ainsi que leur fonctionnement. Car, certains endroits où habitaient des personnes se sont transformés en lieux de cultes, d´autres plus ou moins vierges ont subi la même transformation. Même dans les camps des refugiés, il s´y créait des espaces de cultes pour attirer un certain nombre d´adeptes. C´est le cas, par exemple, de ce lieu improprement appelé Canaan, créé dans le cadre des mobilités sociales massives sous les yeux passifs et impuissants d´un État complice, où des petites églises communautaires croîssent comme des champignons.

     Malheureusement, la pratique religieuse qui prévaut en Haiti le veut ainsi et serait également à l´origine de cette double augmentation. Quelle est la nature de cette pratique? Trois cas de figure, à cet effet, méritent de retenir notre attention.

     Tout d´abord, il advient que tout diplomé fraîchement sorti d´une école de théologie s´assigne péremptoirement et librement le droit de fonder une église. Celle-ci portera la marque du fruit de ses efforts, l´empreinte de ses stratégies et le résultat des contacts - nationaux et internationaux - qu´il a, infatigablement, multipliés en vue de l´établissement, l´organisation et le fonctionnement de cette église. Bien qu´entendues certes comme activité non lucrative, les églises ne laissent pourtant pas de générer de fortes sommes d´argent et de gérer des fonds et aides généralement destinés à enrichir les leaders qui s´y adonnent, ce au détriment de ceux dont leur foi dans les miracles, les délivrances et dans toute sorte d´actions extatiques et mystiques trompeuses est incontestable. Autrement dit, d´un côté, il y a le phénomène des diplomés des écoles théologiques, qui considèrent le pastorat comme moyen de se fortuner, d´un autre côté la foi justificative et approbatrice des individus dans ces modes d´illusions, ce qui valorise en quelque sorte l´existence de ces derniers. C´est l´état psychologique actuel d´un peuple oisif, inculte, ténébreux, livré à lui-même, qui n´a d´autre choix que de se fier à ces balivernes.

     Le second aspect se réfère à l´idéologie religieuse unité dans la diversité qui domine la majorité des églises de souche chrétienne. Elle consiste en la possibilité et la capacité d´un leader religieux de créer autant d´églises qu´il faut. Il peut y avoir diverses églises éparpillées dans différents endroits du territoire national ou à l´échelle internationale sous le controle d´un leader en chef qu´on appelle communément Bichop. Ces églises, que nous pouvons appeler églises satellites, restent connectées avec une autre à être dénommée église mère ou église originelle. Celle-ci est le point commun et de rencontre de celles-là. Une grande majorité de ces églises originelles est elle-même connectée avec des églises internationales. C´est pour cela, elles sont des missions et sont alimentées et assistées le plus souvent par des églises internationales dans la concrétisation de leurs projets de grande envergure. Ainsi, en vertu de ce principe universel et commun aux églises de dénominations chrétiennes, dans l´esprit duquel s´inscrit l´unité de tous les membres à l´instar de l´église dite invisible et universelle, il faudrait s´attendre à un chiffre statistiquement incalculable d´églises comme c´est le cas en Haiti.

     Le dernier cas de figure, dont il faut tenir compte, fait appel au phénomène de division qui caractérise, pas seulement les églises, mais presque toute institution sociale, mais, l´église en est la plus victime si ce n´est la première. En effet, ce phénomène est l´un des principaux responsables de cette augmentation champignonnière des églises en Haiti, car, le conflit, étant dans la nature de l´homme, quand il s´éclate parmi les hauts dirigeants religieux, ne peut produire d´autres effets que la création d´une nouvelle église. Par contre, cette dernière n´est pas une église satellite comme on vient de le voir, mais une église rivale. Chaque partie divisée est susceptible de partir avec soi un certain nombre de croyants-partisans. D´où la guerre froide religieuse et la rivalité plus ou moins silencieuse inter-églises. Les églises rivales, ayant été issues de l´église originelle, vont, de manière subséquente, en reproduire d´autres tout en continuant sur le même rythme jusqu´à l´infini, c´est-à-dire une église divisée ne peut donner naissance qu´à une église fragilisée au départ qui, elle-même à son tour, sera tôt ou tard subdivisée et ainsi de suite. Toutefois, il y a lieu de signaler que cette pratique est beaucoup plus courante dans les milieux protestants que dans les milieux catholiques. Et, même dans ces milieux protestants, on y renconre des nuances, par exemple, une telle pratique est rare chez les adventistes qui sont eux-mêmes une des branches du protestantisme. Cela est dû à un problème du respect de la hierarchie et des principes, ce que nous n´allons pas développer ici.

     Il y a lieu de retenir, enfin, que ces trois phénomènes responsables de l´augmentation des églises sont en parfaite corrélation avec, d´une part, la croissance et la maturité de la foi de beaucoup d´Haitiens, une demande religieuse de plus en plus fortement accentuée dans la société haitienne, de l´autre. La création de ces églises, par conséquent, peut être interprétée comme une réponse à cette demande, d´où l´afflux de fréquentation.

Afflux de fréquentation des églises et changement dans le paysage socio-religieux haitien au lendemain du séisme

     Dans le contexte du tremblement de terre, le paysage socio-religieux haitien s´est reconfiguré en ce sens que la consécration à une activité religieuse devient une alliénation pour certains tandis que pour d´autres, elle est une arme de domination voire une source d´enrichissement; un plaisir de louer Dieu pour certains, un fardeau pour d´autres; un acte volontaire pour les uns, une contrainte pour les autres. C´est un phénomène recurrent qui a totalement changé le paysage socio-culturel et religieux haitien en multipliant les fréquentations dans les centres de cultes, en créant dans les églises de nouveaux cultes, en facilitant l´émergence de nouvelles tendances et discours religieux (l´évangile de proximité, la prédication de promesse de prospérité illusionniste) et l´apparition d´une nouvelle génération de jeunes pasteurs leaders sachant faire usage des moyens de communication de masse (radio, Tv), des nouvelles technologies de communication (Internet) et des réseaux sociaux (facebook, twitter) pour propager et répandre l´évangile et séduire le plus de gens possible. Bien évidemment, au lendemain du séisme, les TIC deviennent une arme puissante entre les mains de beaucoup de leaders religieux, même si jusqu´à présent c´est une très faible minorité d´Haitiens qui en a accès. Certaines églises se créent conjointement ou simultanément avec sa propre station de radio ou de télévision. D´autres, dans l´incapacité d´avoir ses moyens plus coûteux, se lançent en avec la création soit d´un blog soit d´une page publicitaire facebook ou twitter, toujours dans la ligne de l´utilisation des TICs. Ce qui veut dire que cette nouvelle génération favorise l´interconexion entre Église et TICs pour ne pas dire entre Église et Internet, et s´assure de l´efficacité et de l´effectivité de celles-ci. Par ailleurs, certaines églises qui, dans le passé, n´avaient l´habitude de célébrer qu´un seul culte dominical par semaine, se voyaient, vu l´augmentation des demandes religieuses, obligées d´en organiser deux ou trois le dimanche à des heures subséquentes sans néanmoins omettre les cultes qui se donnent pendant les jours de la semaine.

     C´est à croire, en fréquentant ces établisssements ecclésiastiques, que l´on serait entrain de pénétrer dans des écoles professionnelles ou classiques qui se flanquent un horaire de fonctionnement à plusieurs vacations (matin-midi-soir). Nous nous trouvons donc face à un phénomène pas trop nouveau puisqu´il existait dans le passé, mais intéressant par le fait du nouveau dynamisme de fonctionnement, d´organisation et de structuration qui l´accompagne. Les églises d´aujourd´hui se le sont imposées et se l´imposent encore afin d´être aptes et capables à répondre à ces demandes. Par la multiplication et la variation des horaires de cultes dans les églises, ce dynamisme, consistant à faire des individus de véritables esclaves et consommateurs d´une évangélisation par les miracles et les guérisons, est applicable à n´importe quelle autre institution sociale dont la mission est de former et susciter des forces collectives. Dans une pareille situation, comment ne pas s´attendre à une augmentaion et à une multiplication à outrance des masses de croyants, en particulier, dans les grands bidonvilles tels que Delmas, Carrefour, Cité Soleil, qui se remettent éperduement et désespéremment à la foi religieuse pour un changement de vie et une amélioration de conditions sociale et économique, car, abandonnés à eux-mêmes, aucune autorité étatique ne souvient de leur existence ni ne se soucie à leur sort.

     De fait, - nous ne pouvons pas le nier - le séisme n´a pas fragilisé la foi religieuse des Haitiens, bien au contraire, il l´a augmentée, renforcée et affermie. La religion est devenue de plus en plus une grande force collective en Haiti et les églises représentent le champ de prédilection où se travaille, se prépare, s´organise, s´exerce, se manifeste, se fortifie et se concrétise cette force collective. Voilà pourquoi les nouvelles églises qui ont surgi après le séisme ont profité et profitent encore de cet état naif, analphabète, inexpérimenté, aveugle, miséreux, acculturé et ignorant des masses incultes pour faire de ce phénomène naturel qu´est le séisme l´élément central des prédications qui ne se différencient guère de celles qui renvoient souvent à la résignation et à l´obéissance aveugle. Il n´y a que la forme qui a changé, mais le fond reste tel quel.

     Cependant, en dépit de tout cela, il faut démarquer la vraie foi, la foi réelle des Haitiens en soi des techniques de domination et de marginalisation des leaders religieux à partir desquels ils les trompent de bonne foi en refusant de les instruire et les éduquer. Le peuple haitien est très croyant, s´accroche fidèlement à ses êtres spirituels et reconnaît leur puissance dans les adversités. Le séisme du 12 janvier n´avait fait que le prouver une fois de plus.

Conclusion

     Enfin de compte, c´est un mardi, comme ce mardi 12 janvier 2016, aux environs de 17h36, qui a plongé la société haitienne dans le deuil. Dans ses souffrances et afflictions comme dans sa joie et son contentement, le peuple haitien, en ayant exposé au monde entier sa foi religieuse indéfectible, a consolidé et approfondi ses relations et son obéissance avec Dieu. Il a montré qu´il n´est pas un peuple à croyance infidèle et fragilisante. Un tremblement de terre aussi effrayant, calamitant et catastrophique qu´il puisse être en tant que phénomène naturel, avec lequel il nous est un impératif de nous habituer à vivre,  ne peut, en aucun cas, parvenir à éteindre en ce peuple cette foi indéfectible, car, n´étant pas une fatalité, ce tremblement de terre a été l´occasion de comprendre, contrairement aux autres interprétations, que ce n´est pas seulement une simple question de pauvreté, de misère et de chômage qui plonge les Haitiens dans une vie religieuse ascétique dans laquelle ils s´oublient. Mais, ils s´y abandonnent surtout par conviction et par contrainte sociale vu que les autres opportunités leur sont constamment fermées. Comme aspect fondamental, il y a lieu de souligner que, six ans plus tard, le séisme du 12 janvier 2010 a montré que les Haitiens sont plus spirituels que matérialistes, plus ascétiques que contemplatifs, très religieux et croyants, moins pessimistes de leur avenir, et plus confiants en eux-mêmes, car ils voient en ce Dieu un réhabilitateur et un restaurateur. Ainsi donc, la religion, telle qu´elle se pratique depuis le séisme, a provoqué un certain changement de mentalité chez les Haitiens. Mais qu´est-ce qui explique que les Haitiens soient si fortement attachés à la culture religieuse? C´est ce qui nous tenterons de voir dans la prochaine série.



Campinas, 12 janvier 2016

mercredi 23 décembre 2015

BRÉSIL ET HAITI: D´UNE HISTOIRE D´AMOUR FOOTBALLISTIQUE À L´IDÉAL D´UNE TERRE PROMISE

Résumé 

     La migration des Haitiens vers le Brésil attire l´attention de beaucoup de gens sur l´échiquier mondial. Massive, inquiétante, pluricausale et multidirectionnelle, elle est vue là de façon tragique et suscite des contradictions dans les médias, les journaux, la société civile et les secteurs politiques. Pour comprendre certaines raisons du fondement historique et sociologique d´un tel phénomène, cet article invite à partir d´un constat inédit, celui d´une histoire d´amour et de passion footballistique qui s´ancre aux moeurs et pratiques sociales des Haitiens et constitue entre eux et les Brésiliens un lien artistique et socio-culturel. L´objectif du présent article est donc d´analyser ce point d´ancrage et d´en entrevoir sa relation avec l´immigration haitienne au Brésil.


Introduction

     Selon l´opinion publique haitienne, dans une grande tranche de l´opinion publique brésilienne, à travers les témoignages de beaucoup de migrants haitiens qui, avant d´avoir mis les pieds sur le territoire brésilien, ont été dupés par des escrocs établis tant en Haiti qu´au Brésil, et même en se basant sur des analyses de certains médias nationaux et internationaux, il appert que le Brésil acquière aujourd´hui la réputation de Terre Promise des Haitiens, ce, depuis 2010, l´année la plus triste dans la vie du peuple haitien. Il faut rappeler que dans les années 60 et 70 ce même titre a été attribué aux États Unis d´Amérique lorsque nombreux Haitiens fuyaient la dictature de Papa Doc. Cette assertion est-elle vraie? Il faut y entrevoir, d´un côté, un miroitement d´une réalité sociale, politique, culturelle et économique plus complexe d´un pays, le Brésil, qui se cherche un modèle, cherche à se frayer une place parmi les Grands, à se camper une image sociale trompeuse, à se construire un statut politique mondial et à s´imposer sur la scène diplomatique internationale, d´un autre côté, une vision obsessionnelle d´un peuple, les Haitiens, ancrée à une histoire d´amour footballistique. Voilà pourquoi, pour comprendre le fondement historique de leur regard actuel sur le Brésil, il convient de partir de ce constat auquel ne s´intéresse personne, à savoir, cette histoire d´amour et de passion footballistique liant sur le plan social, culturel, sociologique et psychologique les deux peuples. Elle a, en quelque sorte, stimulé l´émigration haitienne vers le Brésil et suscité, conséquemment, la création d´un autre type de visa, savoir, le visa humanitaire conçu et octroyé exclusivement aux migrants haitiens par le gouvernement brésilien comme expression de solidarité et d´hospitalité.
     Ainsi, le présent article propose de spécifier succintement la particularité de l´immigration haitienne, de mettre l´emphase sur les difficulté, ambiguité et complexité d´analyser sociologiquement le fait migratoire haitien, enfin, de faire ressortir les fondements d´une telle histoire d´amour footballistique et son lien avec l´immigration des Haitiens au Brésil.

La particularité du fait migratoire haitien au Brésil

     L´immigration en soi, qu´elle soit forcée ou consentie, constitue, depuis l´aube, un phénomène majeur pour l´humanité au point qu´aucune société n´en est exempte. Les sociétés contemporaines, appelées à y faire constamment face, le gèrent suivant ses méthodes, ses moyens et ses capacités. En outre, c´est un phénomène à caractère national, international et transnational qui s´inscrit toujours dans un contexte historique mondial et universel. Ainsi, depuis quelque temps, le phénomène migratoire intéresse particulièrement la science sociologique comme objet d´étude, au point qu´il devient aujourd´hui une des problématiques à laquelle les théories sociologiques essaient d´apporter quelques réponses. 
     Si l´on tient compte, par exemple, du fait de la migration des Syriens qui, en divisant l´Europe notamment en matière de la législation, occupe les premières pages de la quasi totalité des grands journaux internationaux, il y a lieu de constater que ce sont des personnes qui fuient les violences tracassantes bouleversant leurs sociétés et tentent désespérément de rentrer en Europe, plus précisément, en Allemagne. Nous pouvons en relever comme élément sociologique de la question des violences collectives qui, subitement et spontanément, contraignent des individus à d´autres issues de survie et à d´autres formes de socialisation, puisque certaines sociétés européennes leur ont ouvert la porte. Le cas de l´immigration haitienne vers le Brésil accuse, par contre, une certaine particularité: Des gens qui, à partir d´un moment historiquement particulier de la vie sociétale haitienne, à savoir, le séisme du 12 janvier 2010, se tournent vers un pays émergent dont ils caressaient toujours le rêve de connaître dans toute sa splendeur. Depuis lors, ils ne cessent d´augmenter, intensifier et renforcer leur intérêt pour ce pays qui les envoûte artistiquement, culturellement et footballistiquement parlant, ce pays s´appelle le Brésil qui désormais devient  leur principale destination. 
      
     C´est pour cette raison, ce que nous proposons ici est une réflexion succinte à caractère historico-sociologique sur le fait migratoire haitien au Brésil en partant de cette idée d´amour footballistique. Elle est certes moins convaincante voire même insignifiante sur le plan économique et matériel, pourtant, du point de vue symbolique, social et culturel, cette idée, loin d´avoir la prétention d´expliquer le phénomène migratoire haitien au Brésil dans son ensemble et d´en être une des causes principales, n´est pas du tout négligeable et en constitue une particularité intéressante. Elle nous interpelle. C´est en étant conscients de cette interpelation qu´il est important d´insister sur cet amour passionnel des Haitiens pour le Brésil, en particulier, pour son football - le point central de cet article -, pour son carnaval et sa diversité culturelle et environnementale, lequel amour représentant un lien social historique entre Haitiens et Brésiliens, ne tardera pas à être utilisé par les uns comme sillon de prospérité économique et par les autres comme forme d´exploitation à outrance des forces de travail des pauvres gens à cause de leur naiveté, leur difficulté linguistique, leur origine sociale, la fragilité de leur système politique et leur condition économique. Donc, cet aspect, ayant l´air d´être plaisant ou ridicule, contient, pourtant, quelques éléments explicatifs et significatifs fort intéressants qui puissent nous aider à comprendre certaines raisons qui pousseraient les Haitiens à s´attacher tant au Brésil. 
     Mais, bien avant d´y parvenir, nous allons essayer de faire ressortir quelques éléments de difficulté, d´ambiguité et de complexité susceptibles de nous empêcher d´aller un peu plus loin dans l´analyse et la problématisation sociologique de l´immigration haitienne au Brésil.

Difficulté, ambiguité et complexité de l´analyse sociologique du phénomène migratoire haitien au Brésil

     Sociologiquement parlant, il est extrêmement difficile d´analyser un pareil cas que représente l´entrée massive des Haitiens sur le sol brésilien, cela pour plusieurs raisons parmi lesquelles il convient de souligner les suivantes: L´admiration, l´amour et la passion des Haitiens pour le Brésil est historique; cet amour ne datant pas d´hier s´ancre d´abord au football, ensuite au carnaval et à la culture pour s´arrêter sur la diversité environnementale du peuple brésilien; les migrants haitiens viennent d´horizons divers; leurs parcours avant d´arriver au Brésil sont diversifiés, confus et troublants; les causes d´analyse sociologique qui seraient à l´origine de leur venue au Brésil sont multiples, multiformes et complexes etc. 
     Au-delà de ces ambiguités, il y a lieu de constater un intérêt de plus en plus accrû des Haitiens pour le Brésil et une attention spéciale de celui-ci à ces derniers, lesquels intérêt et attention suscitent beaucoup d´interrogations. Qu´est-ce qui pousse les Haitiens à se tourner aujourd´hui vers le Brésil? Pourquoi le Brésil, en redéfinissant sa politique migratoire en faveur des Haitiens, leur a-t-il créé un visa dit humanitaire? Qu´est-ce que c´est que ce visa humanitaire? Comment l´obtenir? Quelles sont ses conséquences en termes d´avantages et d´inconvénients pour les bénéficiaires? Garantit-il réellement aux Haitiens, d´une part, l´intégration sociale au sein de la société brésilienne, l´insertion sur le marché de l´emploi, de l´autre? Que faut-il comprendre aujourd´hui dans les relations diplomatiques entre Brésil et Haiti? Qu´est-ce que les migrants haitiens ont-ils espéré, espèrent et espèreront du Brésil? Cette nouvelle vague migratoire haitienne vers le Brésil a-t-elle des conséquences sur celle qui se dirige, habituellement et continuellement, vers les États Unis et la République Dominicaine? 
     À dire vrai, dans un tel article, qui se veut synthétique, il n´est pas possible de traiter séparément toutes ces questions, d´ailleurs, nous ne pouvons non plus nous y atteler vu la complexité de chacune d´elles. 

     Toutefois, les différentes et difficiles questions sus-mentionnées donnent déjà une idée sur le gigantisme, l´ampleur et la complexité du seul phénomène migratoire haitien sur le territoire brésilien. Donc, une problématique à laquelle ne saurait répondre un simple article. En outre, en les annonçant ici, nous avons pleinement conscience qu´elles dépassent la taille et le contenu d´un article qui cherche à se concentrer sur un aspect précis, car le problème migratoire des Haitiens au Brésil touche à des caractéristiques diverses, pluri et multidimensionnelles. Ce qui veut dire que même lorsque nos analyses se limiteraient exclusivement à ce seul phénomène, le problème resterait aigu et exigerait un traitement minutieux et une problématisation beaucoup plus approfondie en plusieurs articles voire jusqu´à parler même de thèses, de livres etc. 
     Quelques raisons sont susceptibles, par contre, d´expliquer l´ampleur de ce problème. 
     La première c´est qu´au Brésil, le géant de l´Amérique du sud avec une superficie de 8 515 767, 049 Km² et une population de 190 732 694 habitants, ayant, à lui seul, la taille d´un continent, les Haitiens arrivent par milliers depuis 2010, soit en provenance du Pérou, de l´Équateur, de l´Argentine ou de la Bolivie. De cette date à nos jours quelques 70.000 Haitiens sont arrivés sur la terre des rois du ballon rond, la majorité de manière illégale, à la conquête d´un mieux être. Ils ont fui les situations socio-économiques lamentables et les graves violations des Droits de l´Homme dans leur pays d´origine pour venir en subir le pir dans un pays d´accueil, le Brésil, dont ils se déçoivent de plus en plus. Ainsi donc, comment contrôler et organiser cette vague migratoire des Haitiens qui arrivent illégalement au Brésil? Quelles meilleures méthode et stratégie pour freiner le phénomène de passeurs, principal responsable de l´entrée illégale des migrants haitiens sur la terre brésilienne?
     En second lieu, pris entre l´enclume et le marteau dans un sens terminologique, à savoir, la difficulté de trouver un consensus sur le concept à utiliser à l´égard des Haitiens: réfugiés, migrants ou déplacés de catastrophes naturelles, le gouvernement brésilien s´est finalement résolu, en 2012, à créer un autre type de visa exclusivement à l´attention des Haitiens, c´est le visa humanitaire qui, en s´obtenant soit à l´ambassade brésilienne à Port-au-Prince ou à celle dans la capitale équatorienne, Quito, produit, en fait, un impact très faible voire insignifiant sur le ralentissement du phénomène de trafic illégal d´êtres humains, principale cause de l´augmentation massive et de l´entrée illégale des migrants, phénomène dont est également victime la majorité des Haitiens qui est arrivée au Brésil au cours des dix dernières années. À noter que la création de ce visa a été non seulement une exception, mais surtout a engendré une innovation dans les lois brésiliennes concernant la rentrée et la permanence des Étrangers au Brésil. En dépit des efforts diplomatiques des deux gouvernements (haitien et brésilien), le double problème reste entier, à savoir, l´entrée illégale des Haitiens et le grossissement de leur nombre qui devient de plus en plus statistiquement imprécis puisqu´incalculable. La cause est simple, c´est que le visa humanitaire - sur lequel il nous faudrait revenir dans un autre article avec des analyses et réflexions critiques beaucoup plus amples, minutieuses et approfondies - est problématique et a l´air d´être un véritable cadeau empoisonné pour les migrants haitiens.
     Il y a un troisième problème dont il faut également tenir compte, c´est, d´une part, l´invisibilité des traficants, la dfficulté ou l´impossibilité de les identifier, la multiplicité et la variété des points d´entrée des migrants haitiens sur le territoire brésilien, de l´autre. Trop complexe et problématique, nous laissons de côté la question du répérage et de l´identification des traficants. Celle des frontières l´est aussi, mais dans une moindre mesure. Sur ce, des institutions brésiliennes travaillant dans le domaine de l´immigration comme le CNIg (Conseil National de l´Immigration) ont identifié plusieurs point d´entrée des migrants haitiens sur le territoire brésilien. En effet, le plus grand nombre provient de Brasiléia, dans l´état de Acre (environ 15.000 de 2010 à nos jours) à la zone frontalière ouest partagée entre Brésil, Pérou et Bolivie. D´autres arrivent du sud, plus précisément, de Porto Alegre en passant par les frontières qui séparent le Brésil d´avec l´Uruguay. Un autre groupe a laissé l´Argentine pour se rendre au Brésil en empruntant la direction sudeste à la frontière que le Brésil divise avec l´Argentine et le Paraguay. Malgré la difficulté de définir la mobilité sociale des haitiens, la majorité s´installe actuellement à São Paulo et à Manaus où les opportunités de travail sont plus ou moins. Outre qu´ils aient Haiti comme point de départ initial, certains se sont précipités à laisser la République Dominicaine, destination référentielle le Brésil, pour éviter de tomber sous le coup de l´arrêté qui a ravi le droit de nationalité à des milliers d´Haitiens qui y vivent et y ont donné naissance à des générations. 
     Plus complexe et ambigu, ce dernier problème, vu son importance, ne peut ne pas attirer notre attention, il s´agit de la situation psychologique et socio-économique dans laquelle se trouvent les migrants haitiens lorsqu´ils ont finalement réussi à investir le sol brésilien: la majorité est arrivée au Brésil épuisée, fatiguée, déshydratée et quasiment dépourvue de tout, dans des conditions sociales et économiques lamentables et précaires. Non pas qu´ils aient laissé Haiti ou la République Dominicaine avec de telles précarités, mais, ayant été escroqués, dupés, exploités et, psychologiquement, abattus et épuisés, ils se sont fait piller et rançonner, au cours de longues routes qu´ils ont empruntées pour leur amener finalement au Brésil, par des individus connus sous le nom de passeurs, c´est-à-dire ceux-là qui aident à traverser illégalement les frontières. Cela sous-entend, par conséquent, qu´ils sont exposés ou continuent d´être exposés à toute sorte de discriminations sociales. Ainsi donc, vu l´ampleur et la taille de ce phénomène migratoire, il se trouve que ce n´est qu´un infime aspect bien précis que nous puissions aborder ici. Autrement dit, quoique nous fassions, disions ou escrevions, le phénomène resterait immense et gigantesque à l´image de la dimension de la société qui est entrain de le vivre. 
     Néanmoins, ces difficulté, ambiguité et complexité de l´immigration des Haitiens au Brésil ne doivent aucunement nous empêcher d´avancer dans la problématisation d´un tel phénomène et d´en indexer un aspect dont nous estimons la valeur symbolique. En effet, en voulant aborder le phénomène migratoire des Haitiens, notre objectif consiste à cerner le côté historique et sociologique de la question en mettant l´accent sur cet amour historique démesuré pour le Brésil qui caractérise les Haitiens et les conduit à le préférer depuis les catastrophes du 12 janvier 2010. Il y a une attirance ou une attraction mutuelle qui ne nous paraît du tout pas innoncente encore moins naive.

Haiti et le Brésil: Les fondements d´une histoire d´amour footballistique et son lien avec l´immigration haitienne

     Parler d´un tel sujet dans un contexte où les migrants haitiens - pas les seuls bien entendu - font face à toute sorte de difficultés: racisme, logements indécents, discrimination, préjugés, marginalisation, travail analogue à l´esclavage, absence d´intégration sociale, manque d´insertion sur le marché du travail brésilien, conditions sociale et économique de travail précaires, violence, meurtre, menace, persécution, au sein de la société brésilienne, paraît être une initiative déconcertante pour les uns, inutile pour les autres. Pourtant, il garde un intérêt, une valeur et une utilité parce qu´il prétend révéler et éclaircir un fait plus ou moins invisible qui a suivi la venue des Haitiens ici. Sur le plan historique et sociologique, il ne saurait avoir la discrimination entre grands et petits faits: Tous les phénomènes sociaux méritent une attention égalitaire. Même si certains apparaissent plus significatifs que d´autres, cela n´enlève rien à leur valeur épistémologique et scientifique. Le cas de l´amour footballistique en est un. En l´abordant, nous croyons toucher à un aspect originel, qui sort de l´ordinaire, d´un sentiment et intérêt profondément cachés de la part des Haitiens pour le Brésil. Ce n´est pas que personne ne parle de la folie des Haitiens pour le football brésilien, mais jamais dans le sens que nous voulons décortiquer cet amour ici. De plus, si certains s´y arrêtent un peu, ce n´est que pour faire ressortir son côté amusant, divertissant et rejouissant, non pas pour y entrevoir un probable élément causal et explicatif du phénomène migratoire haitien. Une telle approche susciterait par conséquent certaines questions. Qu´est-ce qu´une question d´amour footballistique aurait-elle à voir avec un problème migratoire? Quel lien y aurait-il entre amour footballistique et immigration? En quoi un tel sujet pourrait-il nous aider à comprendre pourquoi les yeux des Haitiens restent infatigablement fixés sur le Brésil comme idéale terre promise?

     C´est peut-être un peu original ou même osé d´extraire un tel aspect dans un problème aussi complexe, un sujet très impopulaire en plus, car, pendant que certains s´interrogent sur le phénomène migratoire haitien en lui-même et d´autres ne cessent de le dramatiser, nous, nous voudrions nous montrer plutôt préoccupés à comprendre une autre facette de ce phénomène à travers un art qu´est le football qui a créé dans le coeur et la pensée des Haitiens un sentiment d´amour pendant longtemps dissimulé. Puisque personne n´a songé à entrevoir dans le football un éventuel facteur doué d´une certaine puissance à lier psychologiquement et sociologiquement parlant Haiti et Brésil, nous pensons à lui accorder une place dans nos réflexions. Il est important de préciser sa place dans la question migratoire vu qu´il nous en fournit quelques pistes de réflexions utiles. Autrement dit, à force de s´occuper à rendre tragique et dramatique la migration des Haitiens au Brésil, on ignore dès fois ce côté sentimental: Cet amour des Haitiens pour l´art footballistique brésilien suscite un intérêt socio-économique qui se dévoile et se révèle sur le tas. On oublie également qu´il a pu être dans le passé un élément pluridimensionnel créateur d´ouvertures.

     En effet, bien avant de s´attentionner très récemment à Haiti sur le plan politique, diplomatique et économique, le Brésil constituait et constitue encore dans la pensée collective haitienne une passion, un amour perdu, fidèle et vrai, notamment à cause de son football. Pour les Haitiens le Brésil reste et demeure - et cela leur semble une obsession - la meilleure équipe de football de tous les temps. À cause de la profondeur et la sincérité de cet amour, ils s´en moquent pas mal des classements mensuels et annuels de la FIFA dans lesquels le Brésil connaît des hauts et des bas. Obsédés, la performance de l´équipe brésilienne est à leurs yeux sempiternelle, immuable et infaillible: aucune autre équipe ne peut la détrôner. Un amour tellement ancré dans leur imaginaire, leur sang et leur âme que l´équipe de football brésilienne gagne depuis longtemps la plus grande branche des fanatiques dans la société haitienne tandis que l´Argentine et les autres équipes (européenne ou américaine) se contentent de l´autre petite branche. Il est, néanmoins, très difficile, statistiquement parlant, d´établir le pourcentage de gens qui adorent, se raffolent et se passionnent de l´équipe brésilienne. Lorsqu´elle affronte son plus grand adversaire de l´Amérique, l´Argentine, ou une grande équipe européenne comme la France ou l´Allemagne, on en compte des centaines et milliers. Il n´est pas sans savoir qu´à travers le monde, plus particulièrement, en Haiti, la rencontre entre Brasil et Argentine constitue, dans l´histoire footballistique mondiale, le choc des Titans. Et, il faut retenir, à cet effet donc, que les Haitiens ne sont pas moins obsédés que les Brésiliens et Argentins d´un tel duel qui, vu son ampleur et les impacts qu´il produit, reste, au vu et au su de tout le monde, une rencontre foudroyante.

     Durant mon adolescence, j´avais l´habitude d´assiter à des scènes d´émerveillements, d´exhibitions, de joies éclatantes, de rejouissances individuelles et collectives, accompagnées quelquefois de violence quand le Brésil gagne ou remporte une compétition à caractère mondial ou même celle d´une importance moindre. S´il en sort perdant, alors là, notre pauvre Haiti doit se préparer à la foudre qui lui tombera dessus. Deux scènes historiques plus anciennes, dans les deux sens, m´ont profondément marqué toute la vie, ce sont: la défaite du Brésil face à l´Argentine en coupe du monde de 1990 et sa victoire lors de celle de 1994 remportée contre l´Italie. Le premier événèment a fait verser de grandes larmes dans le camp des zélés et dévoués au Brésil. Il fallait voir enfants, jeunes et adultes fanes du Brésil pleurant inconsolablement. Dans le camp argentin c´était la satisfaction et la rejouissance parfaites. Le second événèment a créé un autre tournant. En effet, à cette époque, je n´ai jamais vu à ma connaissance autant d´affection, d´admiration, de passion des Haitiens pour le Brésil à cause de son magnifique jeu de football que l´on estime, de plus en plus, être le meilleur sur la planète. Cela signifie qu´une attraction artistico-footballistique et socio-culturelle lie deux peuples qui, pendant longtemps, s´ignorent, mutuellement et historiquement, sur le plan diplomatique, économique, politique et commercial jusqu´en 2010. Il y a donc une histoire socio-footballistique entre Haiti et Brésil. D´où vient-elle?

     D´une part, les Haitiens sont de véritables amants et passionnés du football, qui est, sans risque de se tromper, leur sport préféré sans que cela n´enlève aucunement le droit à une minorité d´Haitiens de faire valoir la discipline sportive de son choix, comme le basketball, par exemple. Sur le plan pratique, il est dit que le petit Haitien, comme le petit Brésilien, a le football dans l´âme et le sang, c´est-à-dire sans avoir passé à une école de football moderne, le petit Haitien naît talentueux, et très talentueux d´ailleurs en matière du football. Certains, dans le même sens, sont très brillants dans d´autres disciplines sportives avant même d´avoir fréquenté ou de se faire inscrire dans une école. Maintenant, du point de vue théorique, le fanatisme des Haitiens pour l´équipe brésilienne outrepasse quelquefois les limites et essuie, en conséquence, quelques actes violents et agressifs. Néanmoins, le côté passionnel et obsessionnel l´emporte toujours sur l´agressivité et la violence. Je me rappelle qu´un ami m´a dit un jour: ''Quand le Brésil joue, je ne m´intéresse plus à la nourriture. Lorsqu´il gagne, ma joie est immense, je ne puis la contenir. Mais, s´il perd j´ai envie de me tuer''. C´est une déclaration  individuelle certes, mais qui, par contre, réflète l´obsession de nombreux Haitiens, de plus, plusieurs éprouvent un énorme plaisir en prenant l´habitude de parier de fortes sommes d´argent, de biens matériels dans le but de manifester et d´exprimer leur total et entier dévouement, leur dévotion, leur abandon et leur confiance à l´équipe brésilienne. Les Haitiens aiment le football agréable d´une équipe talentueuse, qui a le don, le secret et la magie de faire rouler le ballon rond qu´est le Brésil. Et, le Brésil, par-dessus tout, en dépit des moments de faiblesse et de décadence par lesquels il a passé au cours de ces dernières années, sait gré leur offrir favorablement de tels spectacles, de telles ambiances et de telles animations footballistiques.

     D´autre part, ayant le football dans le sang, l´âme, l´imaginaire, l´esprit et le subconscient, la passion des Haitiens pour le beau football brésilien est sans mesure, de plus, elle n´est pas du tout récente, elle jouit d´une ancienneté et d´une durée inimaginable. Ancrée dans leur pratique culturelle et traditionnelle au quotidien, cette admiration provient non seulement du fait que le Brésil est séduisant et charmant par son jeu, mais encore parce que les Haitiens n´en trouvent pas mieux dans les autres équipes. En d´autres termes, sous la base d´une alliance fictive et invisible, peut-on dire, le peuple haitien se trouve ensorcellé par le football brésilien qui, de plus en plus, le surprend, l´épate et continue de le fasciner. En cela nous retrouvons les fondements d´un amour footballistique parfait, fidèle, infini, doux, suave, agréable, de plus en plus extraordinaire, malgré certaines regressions sur le plan qualitatif que le Brésil a connues durant ces 5 dernières années. Sa défaite devant l´Allemagne, en 2014, sous un escore humiliant (7-1), n´a guère changé l´opinion des Haitiens sur la qualité du jeu stupéfiant du football brésilien ainsi que sa performance et sa potentialité. Elle n´a non plus guère diminué le nombre de ceux qui, apparemment, ont signé un pacte de fidélité, disons mieux, un contrat social indestructible et immuable avec le football brésilien dont ils ne peuvent aucunement se passer. 
     Ainsi, tout autre chose mise de côté, tout ceci  montre que le Brésil est un pays qui attire depuis vieille date les Haitiens, occupe leur esprit, les guète et envahit leur pensée. Alors, le séisme du 12 janvier 2010 peut être considéré comme phénomène catalyseur qui a dévoilé, révélé et dénudé cette admiration secrète engendrée par le football.

     Mais, ce regard haitien fixé aujourd´hui sur le Brésil comme terre d´opportunités économiques sous-entend également que l´amour footballistique s´accompagne d´une montée économique et, n´ayant pas été éteint, disparu ou anéanti, cet amour a déjà subi de profondes mutations. Sans vouloir, toutefois, minimiser son rôle important dans l´immigration haitienne vers le Brésil, l´événement naturel du 12 janvier 2010 a grandement coincidé avec ces trois grands faits sociologiques: la création des liens social, culturel, sportif et artistique entre Brésil et Haiti dont l´amour footballistique est l´origine, la détérioration de la vie sociale et économique en Haiti bien avant le séisme, enfin, l´expansion et l´émergence économique du Brésil.

     Le sens, la signification et la valeur de ces belles amours construites sans intérêt sur une base de sentiment, consolidées sans esprits de profit économique et de lucre aucuns tout au long d´une histoire sans histoire, c´est-à-dire une histoire ignorée consciemment ou inconsciemment par les deux peuples, s´effritent, se perdent, s´évaporent, s´affaiblessent, se diminuent, se dévalorisent au profit, d´une part, de la montée en puissance de l´économie brésilienne, d´autre part, de la descente aux enfers des Haitiens tant en Haiti qu´au Brésil où ils travaillent dans des conditions qui n´ont rien à envier à l´esclavagisme du XV au XX siècle. Il y a donc ici deux pôles complètement opposés qu´il faut souligner. Premièrement, la misérabilité et la pauvreté d´un peuple; la dislocation et les anomalies d´une société; l´exclusion sociale et la dépravation d´une masse juvénile; le manque de vision et la corruption d´un gouvernement; l´absence d´intégration sociale et l´irrespect des valeurs sociale, symbolique, historique, culturelle et religieuse qui contraingnent des individus à fuir cette terre de feu qu´est devenue Haiti, disons d´une autre manière, qui la transforment en une société de production et de fourniture de mains d´oeuvres à bon marché pour ne pas dire une société d´esclaves moderne. 
     Deuxièmement, dans l´autre polarité, il y a le rythme exponentiel, surprenant et extraordinaire auquel croît l´économie du Brésil. En effet, ce géant de l´Amérique du sud, en plein développement capitaliste, est sans cesse à la recherche de forces de travail pour de vils prix, pour des salaires exécrables, misérables, humiliants et dérisoires. Les Haitiens, étant les plus vulnérables, sont ses principales cibles. Beaucoup travaillent pour un salaire mensuel de R$ 500 pour 11 heures de travail fournies par jour. Ils n´ont presque pas le choix. Ils y sont contraints, car tout joue contre eux: la langue, la culture, la qualification, la compétence, l´environnement, le marché etc. Sans oublier, par ailleurs, qu´ils doivent aussi competir avec les Brésiliens en chômage. Aucun et absolument aucun Brésilien n´accepterait de travailler pour un tel salaire en rappelant que cette somme est nettement inférieure au salaire minimal régional fixé à R$ 788 selon le décret brésilien #8.381 du 30 décembre 2014.

     La richesse du football brésilien et l´amour footballistique haitien pour elle ont, semble-t-il, muri et construit ce qui se passe aujourd´hui, disons mieux, cet amour a précédé et créé cet idéal de Terre promise ou de Terre Bénie qui s´installe ineffaçablement dans la tête de nombreux Haitiens. Autrement dit, il a conduit à leur appréciation de la jeune et florissante économie brésilienne. De plus, pouvant être un élément explicatif du fait migratoire haitien, il est susceptible d´être, malgré tout, à l´origine de l´installation de nombreux haitiens sur le sol brésilien pour y expérimenter ce dont ils rêvent depuis longtemps, à savoir, l´immensité et la splendeur de la société et de la culture brésilienne. Le Brésil offre aux Haitiens plus d´opportunités économiques que l´Argentine, le Pérou, l´Équateur et le Chili qui ont passé du statut de pays de destination à celui de transite. Cette histoire d´amour footballistique a donc préparé et frayé ce chemin des opportunités économiques. 
     On ne doute pas que le peuple et le gouvernement brésiliens comprennent et soient conscients de cet amour démesuré des Haitiens pour leur art footballistique. Mais, la vie pratique et réelle, les fréquentations et les relations au quotidien auxquelles sont appelés Brésiliens et Haitiens en disent autrement. En d´autres termes, les agissements et comportements dissimulés à l´égard de cette communauté haitienne contredisent le plus souvent le discours d´un pays ouvertement hospitalier, socialisant et accueillant aux étrangers que prétend être le Brésil. Voilà pourquoi, à notre sens, cette attention particulière que le gouvernement brésilien accorde aux migrants haitiens par l´octroi du visa humanitaire, nous paraît être une expression de gratitude  et de solidarité anachroniquement empoisonnée. 
     En résumé, bien qu´ils continuent d´aimer le Brésil et son football, et, au-delà de tout autre obstacle, les Haitiens souffrent d´un problème réel d´intégration sociale au sein de la société brésilienne et n´arrivent pas vraiment à se faire insérer sur le marché du travail et de l´emploi contrairement aux promesses du visa humanitaire.

Considérations finales

     En définitive, en dépit de la qualité de vie critique qu´ils mènent au Brésil et malgré les discriminations de toute nature dont ils y sont l´objet, le sentiment d´amour des Haitiens à travers le monde pour l´art footballistique brésilien reste inébranlable, inaltérable et inffaillible. Il se fond et s´accompagne de la recherche d´une vie sociale et économique plus ou moins équilibrée. Peut-on, à cet effet, entrevoir dans ce sentiment d´amour sincère, qui atteint déjà son niveau sublime, l´alpha et l´omega de l´attachement profond des Haitiens au Brésil. Pourtant, la gratitude du gouvernement brésilien, exprimée de façon diplomatique et politique, n´est qu´inégalitaire. La Terre promise que devient le Brésil pour les Haitiens est un idéal qui, étant l´oeuvre d´un réseau puissant siégé tant en Haiti qu´au Brésil, est bel et bien ancré dans l´imaginaire et l´esprit de beaucoup d´Haitiens à les entendre parler. Ils ne se rendent compte de ce fourvoiement que dès lorsqu´ils ont goûté aux réalités sociale, économique, politique et culurelle existantes sur le sol brésilien. Ainsi donc, détrompons-nous, il n´existe pas de pays où coule le lait et le miel dans ce monde. Le Canaan du peuple israélien reste biblique et ne dépasse pas cette frontière.

Jean FABIEN
Doctorant en Sociologie (Unicamp)

Campinas, 23/12/2015

samedi 7 novembre 2015

CE QU´IL FAUDRAIT COMPRENDRE DE LA JOURNÉE DU 25 OCTOBRE 2015: ET SI C´ÉTAIT UNE FARCE?

Le CEP se féliciterait d´un éventuel bon coup de filet; le gouvernement célèbrerait malignement dans le secret une réussite qui n´en est pas une; l´institution policière se rejouirait d´avoir été, mis à part l´ingérence directe de la Minustah, à la hauteur d´assurer la sécurité civile des citoyens; certains partis politiques crient déjà à la victoire, d´autres au scandale, aux fraudes massives et au bourrage d´urnes et appelleraient à la mobilisation populaire; l´International pourrait se vanter d´avoir, une fois de plus, bien accompli son jeu mafieux et malsain; les médias en parlent bavardement comme d´habitude; la société civile, farouchement divisée sur le sujet électoral, se sentirait prête à acceuillir en dépit de tout les ''nouveaux élus''; les masses populaires seraient, peut-être, entrain de fourbir leurs armes, enfin, le suspens est fort et presqu´épouvantable, comme si, ce 25 octobre 2015, il y eut ce qu´en France, au Canada, aux États Unis - pour ne citer que ces géants - on appelle effectivement élections. Fou ou sage; bête ou érudit; intellectuel ou analphabête, aucun, dans ces sociétés dites civilisées, n´ose questionner la légalité, la légitimité et la crédibilité de l´appareil voire du processus électoral. Pourquoi? Au-delà de toute fermeté, célérité et sévérité du dispositif bureaucratique dont disposent ces pays développés, une chose leur préserve de telles allégations, soit nationales ou internationales, c´est leur souveraineté: Ils sont des États souverains, et, à ce titre, leurs problèmes sont traités sans même imaginer à une immixtion d´une tierce partie. L´objectif du présent article est donc de provoquer quelques réflexions critiques sur cette journée du 25 octobre, comme nous l´avons fait auparavant pour celle du 9 août 2015, afin de comprendre ce qui s´est réellement passé et de révéler quelques duperies dont est continuellement victime le peuple.

Une farce voilà ce à quoi peut se résumer cette journée du 25 octobre que plusieurs se plaisent à dénommer ''journée électorale''. Une farce se traduit par quelques actions drôles bien réfléchies et préparées dans l´intention de contourner la réalité, cacher la vérité et bafouer une situation déjà trop critique. Elle suscite le plus souvent, dans un cadre théatral, le rire, la plaisanterie et la raillerie pour faire oublier la douleur et les affres de la vie. Par contre, lorsqu´il s´agit d´une réalité sociale, politique et économique, elle renvoie au mépris des plus vulnérables. Ce qui s´était passé ce dimanche 25 octobre 2015, qu´on appelle improprement ''élections'', à l´attention du peuple haitien pour le renouvellement des conseils municipaux, de la chambre des députés, du sénat et du président, ne peut être qu´une farce ayant pour finalité de continuer à tromper le peuple et faire fi de sa misère au quotidien. Nous n´avons pas besoin de redire pourquoi jusqu´à date, dans le contexte politique haitien, il est difficile de parler d´élections dans le vrai sens du terme.

Toutefois, il convient de rappeler que la nature et le type de démocratie qui se pratiquent en Haiti sont complètement et absolument incompatibles au concept d´élection, donc, ne permettent pas de parler, d´un point de vue rationnel, d´élection. Pourquoi? Pour la simple raison qu´on élit par le vote, or, si le vote du peuple, qui devrait constituer sa seule et unique arme vierge et puissante pour exprimer sa souveraineté, n´en est pas un, il est difficile d´entendre le concept d´élection inséparable du vote qui est un acte éminemment démocratique. Par ailleurs, il est également irrationnel de concevoir une élection en dehors de la souveraineté populaire, ce pouvoir suprême, intransmissible et perpétuel que détient le peuple de décider de son propre destin. La souveraineté de l´État et la souveraineté du peuple - toute problématique et complexité mise de côté - vont de pair, l´une complète l´autre et sont, par conséquent, non exclusives. Ce genre de processus électoral, tel que conçu dans le milieu socio-politique haitien est organisé pour se foutre de l´amertume du peuple, l´éternelle victime des contrecoups des crises de toute nature (naturelle, politique, environnementale, économique, individuelle ou sociale). En outre, plus tard, pour cacher la vérité, il s´avère plus facile de l´accuser d´être le créateur de son propre malheur à cause d´un prétendu choix qu´il aurait fait, pourtant, en réalité, il n´avait du tout rien choisi, il a tout simplement été l´acteur mineur d´un jeu politique complexe et hautement planifié dont il est une marrionnette et, malheureusement, incapable de se rendre compte pour agir en conséquence.

Oui, c´est un fait qui ne s´obstrue à personne qu´une infime partie du peuple haitien, non massivement comme on se plaît à l´énoncer, a, innoncemment, repondu à un appel ce 25 octobre. Au début, il convient de l´entrevoir comme acteur mineur, un agneau immolé du jeu mafieux des grands décideurs nationaux et étrangers de la destinée d´Haiti. Par contre, il sera, à la fin, la seule et la principale victime puisque sa situation sociale n´est pas appelée à changer. Donc, ce processus fait automatiquement de lui une victime stigmatisée, et de celui-ci le victimaire. Le peuple n´est pas une fiction ni une abstraction, il est moins fictif que la société; il est réel en chaque être humain et chaque individu en porte une étincelle. Le peuple, qui est l´agglomérat composé d´un nombre indéterminé et éparpillé d´êtres humains sur un espace territorial, agit, réfléchit, se nourrit, souffre, se sent mal en même temps qu´il peut être content, donc, la meilleure façon de définir le peuple est de prendre en compte l´être humain en soi avec ses nécéssités urgentes comme moins urgentes. Or ce qu´on appelle ''élections'' en Haiti est une indécence administrative, une imposture intellectuelle, une insulte à l´intelligence et une gifle à la dignité, quand elles se tiennent, elle vont toujours à l´encontre des besoins les plus fondamentaux et élémentaires du peuple. Sur ce, il y a au moins trois manières de comprendre comment la volonté du peuple se trouve empétrée, truquée, enfouillée voire exclue et rejetée dans le processus du vote. 

D´abord dès le départ il se pose un problème de confiance et d´humanité dans le processus du vote. Le problème de confiance se trouve au côté du peuple qui, contraint à entrer dans ce jeu parce que mis, bétonné et oublié dans une situation de miserabilité voulue et imposée par les classes dominantes, ne fait confiance à l´appareil organisateur du soit disant processus électoral encore moins aux acteurs politiques qui y sont impliqués, à l´inverse, ces derniers ne se fient ni au pouvoir ni à la volonté du peuple de leur concéder le pouvoir, mais, se confient plutôt en un International fictif et réel. Mais, le peuple sait et est conscient qu´agir de la sorte ne peut que préparer son propre suicide, et que, malgré lui, cet acte servira à enrichir ceux qui travailleront contre lui. Le problème d´humanité, en revanche, concerne les grands décideurs qui, ayant, malheureusement, entre leurs mains le destin de ce pays, sont insensiblement sourds et aveugles aux cris de misère, de salubrité, de faim, de pauvreté du peuple causés par l´exclusion sociale, l´inégalité sociale, la corruption politique au plus haut sommet des institutions étatiques; se plaisent à agresser le peuple par leurs actions et actes extravagants; s´amusent à se moquer de lui en annonçant de projets grossiers et arrogants dont ils savent pertinemment irrealisables.
Les gens du peuple sont moins que rien pour ces derniers et ils continuent de tout manigancer afin de le maintenir, l´enfoncer et le paralyser dans cette déshumanisation. Dans un pareil cas, il est faux que le bulletin de vote soit la solution aux problèmes de ce peuple agonisé. La solution à ses problèmes ne peut se retrouver dans un bulletin de vote corrompu, truqué et empoisonné au départ, mais dans l´arme magnanime révolutionnaire à laquelle tout peuple meurtri, maltraité, violé, méprisé, tortué et mutilé moralement ou physiquement doit essentiellement et obligatoirement recourir. Son ultime arme est, reste et demeure la révolution. Pas une révolution pour révolution, mais une révolution pour changer l´ordre des choses et prendre en main sa destinée en se substituant, comme insiste Lénine, à l´appareil de l´État. Car, qui peut parler réellement au nom du peuple, faire entendre sa voix, défendre vigoureusement ses intérêts, révendiquer ses droits, exprimer le refus de sa déshumanité, si ce n´est le peuple lui-même?

En second lieu, dans le cas d´Haiti, ce n´est pas que le peuple ne sache choisir ou soit sans conviction au moment de faire un choix, mais il se trouve que cette conviction est complètement désarmée devant la faim, la pauvreté et la misère avec des marques visibles partout sur son corps et son visage. Outre que l´appareil est de plus en plus incrédible, cette conviction est, en d´autres termes, vulnérable, fragile, facile à être marchandée et exposée aux chantages des agents bien entraînés et préparés à cette fin. De ce fait, au moment de choisir, les gens du peuple sont facilement exposés aux agressions verbales, à la violence morale et psychologique et même physique parce que leur sécurité morale et psychologique dans l´accompagement et la sûreté de leur choix importe très peu, c´est l´image ou la farce qui compte pour ceux qui décideront. La non garantie du vote en question et le doute qui environne son respect  ne commencent pas dans les centres de tabulation où se comptent les bulletins de vote, mais, dès l´instant même où les gens du peuple, anxieux, motivés et craintifs, se pointent à un bureau de vote, y rencontrent un agent qui est déjà sur place pour le contraindre moralement à choisir un candidat contre ses propres gré, volonté et conviction. Si cela se passe ainsi durant le déroulement du vote, par contre, il faut s´attendre au pir dans les centres de tabulations où se déroulent les opérations de comptages des bulletins et procès verbaux. Mais, en réalité, rien ne s´y compte vraiment, c´est la stratégie de la farce et de la tromperie qui continue. Le peuple se fait, en conséquence, malgré lui, complice des impacts malheureux qui découleront d´une telle décision dans le futur. En fait, sa présence au bureau de vote n´est pas pour voter mais pour se faire envoûter.  

Le troisième élément prend en compte le courant idéologique voulant faire croire que certains candidats achèteraient le vote du peuple, lequel courant ne nous convainc pas du tout et, de plus, nous paraît irrationnel, car, si cela était vrai, le peuple ne serait pas autant misérable, il saurait faire du marché noir avec son vote et l´aurait transformé en un bien économique rare dans la mesure où il sait pertinemment qu´il est sien et sera réellement compté. En outre, il faudrait que le bulletin de vote du peuple soit effectivement le reflet de la volonté collective et que ce vote soit moralement, psychologiquement et physiquemente assuré et respecté pour qu´il puisse avoir l´habilité de le vendre à un quelconque candidat, car, on ne peut vendre que ce dont on est propriétaire. Donc, si le vote n´appartient pas au peuple, il n´est qu´une farce pour le tromper indéfiniment, il ne peut le vendre à qui que ce soit. De plus, une telle vente signifirait que le vote du peuple aurait non seulement pour les acteurs et grands décideurs politiques une certaine importance voire une grande valeur, mais surtout, il déterminerait et orienterait la décision finale. Or, si le vote auquel le peuple est appelé n´est qu´une farce destinée à le rendre à la fois victime et complice, un jeu à somme nulle pour lui, autrement dit, une manière de le passer en dérision et de le transformer en la risée du monde en vilipendant son intelligence, nous avons jusque là du mal à entrevoir le fondement logique d´une telle vente de vote s´il ne s´agit pas de machination politique.

Pour conclure, il faut comprendre que le vote en soi importe moins que le faire semblant d´aller voter auquel le peuple est astreint; il y a une très grande contradiction entre la massivité des gens devant les centres de vote et le vote en soi, car, ceci a pour objectif de renvoyer une image voulant faire croire au monde entier que c´est le peuple qui serait entrain d´agir, pourtant, la décision finale est toujours le contraire de son choix et se sait d´avance. La journée du 25 octobre a été tout simplement une diversion et une distraction de très mauvais goût orchestrée par des acteurs politiques nationaux et étrangers au milieu desquelles se place le peuple qui est toujours joué et déjoué. Le but est de le faire passer pour ce qu´il n´est pas, le faire faire ce qu´il ne veut pas et le faire dire ce qu´il n´a dit ou ne dira jamais. Ainsi, cette massivité de gens dans la capitale et dans les différents lieux urbains et ruraux, au cours de la journée du 25 octobre 2015, ne signifie aucunement qu´il y eut d´élection en Haiti, dans le vrai sens du mot. De plus,  en dépit de son importance numérique, cette massivité ne représente qu´une très infime partie de la population. Ce qu´il convient de comprendre finalement, c´est que des signes de fatigue se montrent visiblement sur le visage de la société haitienne contre ces pratiques inhumaines qui ne lui apportent que douleurs, pleurs, grognements, complaintes, misères et désespoirs. Tout cela signale que dans un temps pas trop lointain une révolution social est possible.

Jean FABIEN
Doctorant en Sociologie (Unicamp)

Campinas, 7/11/2015