Résumé
Au lendemain du 30 septembre 1991, des mouvements
sociaux éclatent partout en Haïti pour protester contre le coup d´état
militaire. À Cité Soleil, c´est la jeunesse qui prend la tête de ceux-ci. Il
paraît qu´ils aient tout abandonné pour défendre le mandat constitutionnel du
président exilé, Jean-Bertrand Aristide. Réprimés et
violentés, ces mouvements s´amplifient et ses initiateurs sont taxés de l´«
Armée rouge ». Dès lors, l´expression gagne de l´importance sur le plan
sémantique et sociologique. Au moyen d´interviews, de témoignages, de discours
de la presse et de l´histoire orale, l´article propose de problématiser les
aspects sémantico-linguistico-politique et sociologique de ce concept afin de
situer son éventuelle implication dans la dégénérescence sociale des conflits
armés à Cité Soleil ou si son emploi ne résultait pas d´une phobie.
Mots-clés: Cité Soleil.
Armée rouge. Conflits armés. Dégénérescence sociale.
Abstract
In the aftermath
of September, 30 1991, social movements erupted throughout
Haiti to protest against the military coup. In Cité Soleil, it is the youth
that takes the lead of these. It seems that they have abandoned everything to
defend the constitutional mandate of the exiled president, Jean-Bertrand
Aristide. Repressed and abused, these movements are amplified and its
initiators are taxed with the "Red Army". From this point on, the
expression becomes more important on the semantic and sociological level.
Through interviews, testimonies, speeches from the press and oral history, the
article proposes to problematize the semantico-linguistico-political and
sociological aspects of this concept in order to situate its possible involvement
in the social degeneration of Armed conflicts in Cité Soleil or if its use did
not result from a phobia.
Keywords: Cité Soleil. Red army. Armed conflict. Social degeneration.
Introduction
D´un point de vue de
visibilité et de popularité, le nom de Cité Soleil, ancienne section
communale de Delmas jusqu´à mars 2002[1], a
commencé à devenir célèbre en sonnant fort tant dans la société haïtienne qu´à
l´extérieur à partir de la présidence d´Aristide entre 1990 et 1991. Plus
précisément au lendemain du coup d´état du 30 septembre 1991, la Cité Soleil,
semble-t-il, très imprégnée par les discours de la théologie de la libération
d´Aristide, était rentrée catégoriquement en rebellion contre les nouvelles
forces infernales du néo-duvaliérisme conduites par l´armée, le FRAPH[2]
et les Attachés[3].
Ces derniers sont des
milices paramilitaires rattachées au Palais national pour faire régner la peur,
la terreur et l´inquiétude dans tous les esprits. Au sein de la population soléenne, elles se livraient à
la chasse des opposants au régime et aux partisans de Lavalas (parti politique
du président Aristide) en les dénonçant et en les maltraitant. Depuis lors, une
terreur, dirait-on, à l´instar de Benjamim Constant (1988),
qui tue chez les grands esprits toute humanité et tout bon sens s´y installe.
Les maltraitances, les sévisses corporelles et les persécutions politiques persistent.
Suite à ces
événements de 1991, marqués par le renversement brutal de Jean-Bertrand
Aristide – vainqueur des élections du 16 décembre 1990, mais contraint à l´exil
seulement 9 mois après s´être investi au pouvoir –, par l´accession au pouvoir
d´une junte militaro-duvaliériste et par le retour en force des Tontons macoutes[4],
le pays était pratiquement précipité dans l´inconstitutionalité, l´ingouvernabilité,
l´insécurité et l´instabilité totale. Cette période, sans exagérer, est celle
d´une insocialité qui s´explique par la décomposition absolue du
vivre-ensemble collectif, la négation de la solidarité sociale pour ne pas dire
la mort consumée du social chez l´être haïtien qui, par des tâtonnements et des
incertitudes, ne faisait que de se contenter d´une survie précaire. À Cité Soleil, les violences de toutes sortes prennent
de l´extension, la méfiance est
partout, l´esprit collectif s´étiole, la misère guerroie les indéfensifs (ves)
C´est que les impitoyabilités, les
répressions politiques et les excessivités criminelles du gouvernement
militaire (violence institutionnelle ou étatique) contre une population
affamée, misérable et appauvrie (violence sociale), lui empêchant d´exprimer
librement ses opinions (violence symbolique) étaient enfin sans limite. Des
jeunes issus de familles modestes rentraient dans la clandestinité pour
échapper aux atrocités militaires. Dans le sens que l´entend Jean Fouchard
(1988), ils se sont faits en quelque sorte des marrons du syllabaire, cette
fois, pas pour se cacher dans les montagnes à cause des blancs dans le but de
s´instruire, mais à cause de ceux-là de la même race qu´eux qui les empêchaient
de défendre leurs opinions politiques (violence psychologique).
Néanmoins, ils ne restaient pas
passifs face à ces multiples violences. En organisant leurs lutes en petits
groups et rassemblements clandestins, ils rentraient souvente fois en
altercation avec les forces de l´ordre, bien qu´entre eux-mêmes, il y ait eu
également quelques rivalités interindividuelles (violence civile ou collective)
dont ils sont incapables de controler et de gérer. S´ouvre donc la voie possible
pour faire courrir des bruits partout qu´à Cité Soleil un groupe arbitrairement
et improprement dénommé « armée rouge » aurait pris naissance et
prendrait des formes variées difficiles à déceler. À ce point,
l´irreversibilité se confirme, le recul devient impossible. Les acteurs
internationaux se mêlent de la partie, l´Amesty Internationale en est l´un des
tout premiers à réagir de la façon suivante:
Un gang
connu sous le nom d'Armée rouge est considéré comme largement responsable des
violences qui ont eu lieu dans la Cité Soleil à la suite de la fusillade
policière du mois de novembre 1995. Au mois de décembre 1995, le chef de la
police locale a déclaré qu'il estimait les effectifs de ce gang dans la cité à
quelque 200 membres, répartis en petites cellules, et que la plupart n'étaient
mûs que par l'appât du gain (AMNESTY INTERNATIONAL, 1996, p. 5).
Si tel était le cas, ne serait-il pas
possible de dire que celle-ci a été la résultante ou une réponse
proportionnelle aux différentes formes de violences dont souffraient les
habitants de cette commune? Cette
interrogation fait donc suite à celles-ci: Cette dénomination a-t-elle
vraiment existé en tant que groupe sociologiquement constitué? Si oui,
était-elle à l´origine une organisation criminelle dont il fallait craindre la
montée en puissance de sa dangerosité? Quelle
cause défendait-elle? Est-ce à partir de sa naissance que, en matière des
conflits armés interquartiers, tout a basculé à Cité Soleil? Ces jeunes n´étaient-ils pas victimes d´une phobie d´un
secteur intéressé de la société haïtienne? En formulant ces problématiques,
notre objectif est de comprendre à partir de quel moment le concept de l´« armée
rouge » aurait joué un rôle significatif dans la dégénérescence
sociale des conflits armés à Cité Soleil.
Nous avons le
privilège d´aborder un tel sujet – si épineux et complexe soit-il – en
privilégiant trois méthodes. Étant d´ordre qualitatif et tendant à remédier à
l´aspect théorique de la question, la première méthode fait appel à l´histoire
orale qui permet d´accéder aux versions orales des personnes qui ont vécu les
événements dont il est question. En second lieu, les articles plus ou moins
fiables publiés dans la presse nationale et internationale autour de la
problématique de l´« armée rouge » nous seront d´une aide considérable. Enfin, étant
donné que les membres de cette supposée « armée rouge » ne sont plus en vie
pour fournir leurs propres versions des faits, nous avons jugé bon de donner la
parole à des interviewés[5]
par le biais des interviews structurées et semistructurées que nous avons pu
réaliser sur cette problématique lors de notre passage en Haïti entre janvier
et juillet 2017 où nous avons été effectuer un travail de recherche et
d´enquête de terrain.
Ainsi, en nous
basant sur les matériels dont nous disposons, nous allons d´abord camper une
historicité de la commune. Par la suite, une analyse du fondement conceptuel de
l´« armée rouge » devra permettre de dégager ses aspects sémantiques et
linguistico-politiques ainsi que ses dégats psychologiques. Enfin, si dans la
troisième partie nous allons essayer de faire ressortir les réalités sociales
de l´époque qui ont contribué à l´émergence du concept de l´« armée rouge »,
dans la quatrième il sera question d´établir ses liens avec la dégénérescence
sociale du phénomène des conflits armés à Cité Soleil. Sur ce, notre démarche
consiste moins à justifier, confirmer ou infirmer l´existence d´une « armée
rouge » à Cité Soleil qu´à interroger les éléments sociologiques de l´époque
qui ont facilité sa construction et son émergence.
1. Comment est née Cité Soleil?
Vers les années
1950, le président Paul Eugène Magloire avait déjà manifesté la volonté de
construire des logements sociaux dans la zone située près de la baie de
Port-au-Prince et des mers caribéennes. Le projet sera, quelques années plus
tard, soit entre 1960-1963, mis en exécution par François Duvalier. Pour faire
plaisir à sa femme, Madame Simone Ovide Duvalier, celui-ci décide de baptiser
le lieu coincé entre les mers caribéennes et Port-au-Prince Cité Simone en y
faisant construire des maisons – disons plutôt des taudis – destinées au
préalabe à recevoir des employés des industries manufacturières venant d´autres
localités, qui n´avaient pas suffisamment de moyens économiques soit pour
s´acheter une maison dans les zones industrielles où ils venaient travailler
tous les jours soit pour se déplacer aisément de leur lieu de domicile à leur
lieu de travail. Ainsi, la première vague d´individus arrive principalement
de La Saline et de Cité rouge entre 1970-1974 pour peupler la zone.
Bien avant 1986,
Cité Simone était une localité presqu´inconnue et méconnue de la plus forte
majorité des Haïtiens à
cause de son calme, de sa paisibilité, de sa tiédeur et de son atmosphère silencieux
dûs peut-être à la peur ou à la crainte des Tontons macoutes – car beaucoup d´entre eux habitaient cette zone –
ou encore à sa proximité de Fort-Dimanche, lieu de sinistre, véritable camp de
concentration où régnait un silence de mort et où les morts étaient doublement
morts et silencieusement enterrés dans la honte la plus parfaite (LEMOINE,
2011; DIEDERICH, 2014). On allait entendre parler de Cité Simone, en des termes
pas trop élogieux, suite aux événements de 1986 qui ont marqué la rupture
brutale, ne serait-ce que sur le plan théorique, d´avec la dictature de 29 ans
des Duvalier.
La participation de
Cité Simone à ces événements se traduisait sur le plan local par les
déchoucages, les lynchages, les pillages et la mise à mort tragique des Tontons macoutes. Actes dont l´écart
différenciel n´était pas trop grand par rapport au reste du pays. Cependant,
compte tenu de son appelation, son histoire était intimement liée au régime
dictatorial déchu, il a fallu donc procéder à une double opération: d´une part
se débarrasser des Tontons macoutes – comme c´était le cas partout dans
le pays –, changer le nom de cette commune de l´autre. Ainsi, après avoir
expulsé les macoutes indésirables[6], la population a procédé à un changement radical de nom
au cours duquel la Cité Simone d´alors devient Cité Soleil comme l´expression
de la levée du soleil sur une Haïti nouvelle après le règne obscurantiste des
Duvalier et pour saluer également le rôle de la radio Soleil - média privé à
vocation catholique - dans les luttes antiduvaliéristes.
Par ailleurs, la
Cité Jean-Claude qui était l´oeuvre de Baby Doc en 1983 n´était plus, elle a
été remplacée par Cité Lumière pour non seulement traduire la lumière qui doit
éclairer le chemin de la liberté et de cette seconde indépendance d´Haïti, mais
encore pour honorer d´une profonde gratitude les efforts de la radio Lumière -
média privé à vocation protestante - qui ne se lassait jamais de combattre
aussi cette dictature. Ce fut à ce moment là,
peut-on dire, qu´effectivement Cité Soleil a fait son entrée triomphale dans
les annales de l´histoire contemporaine haïtienne. Sur ce, nous pouvons dire
que Cité Soleil a une histoire qui débute par des mouvements sociaux suivis de
violences collectives, de conflits armés intergroupes, de guerres fratricides,
de crimes, de banditisme, mais surtout une histoire remplie de résistance, une
résistance au commencement avec les mains nues et vides.
1.1. Quel a été le
projet de Duvalier en créant Cité Simone?
En créant Cité
Simone l´objectif de Duvalier était triple. Il s´est agi, dans un premier
temps, de créer une zone habitable exclusive afin d´attirer plus de mains
d´oeuvres à bon marché au profit des industries manufacturières où elles
viennent vendre leur force de travail pour un salaire piteux, honteux et
miséreux. En second lieu, il fallait déplacer les victimes de La Saline et de
Cité rouge dont les maisons et les biens ont été emportés par des feux
criminels dont on ignore jusqu´à présent l´origine. Enfin, Duvalier cherchait
également à créer une zone franche où allaient cuire dans leur jus des
centaines et milliers de travailleurs industriels sans accès à l´eau, aux
toilettes et à la santé afin de mieux les controler. Ainsi, les petites pièces de maisons qui étaient
prévues pour deux personnes au plus commençaient à être graduellement occupées
par trois, quatre, cinq voire dix personnes. La situation commençait à devenir
invivable.
À force de vouloir desservir
au profit de la grande bourgeoisie corrompue cette classe ouvrière des
industries manufacturières – à Cité Soleil il en existait plusieurs telles que
Shodecosa, Chomeco et Hasco[7]–,
François Duvalier, obsédé par un conservatisme du pouvoir et une soif de tout
controler, a construit une cité avec tous les déficits urbanistiques et
infrastructurels dont les dégats perdurent et sont visiblement criants jusqu`à
aujourd´hui. En conséquence des irresponsabilités de l´État, personne n´a, malheureusement, vu venir les dangers environnementaux qui
guettaient des milliers habitants de Cité Simone durant toute leur vie, aussi
bien que les dangers sociaux commencés d´ailleurs par la petite criminalité: la
kleptomanie, le larcin, les petites querelles familiales, les engueulades interpersonnelles,
la tolérance des familles jusqu´à ce que tout cela se dégénère en conflits
armés causés en partie par l´environnement physique et la composition sociale.
Or, à l´origine,
tenant compte de sa configuration sociale, l´on dirait que cet endroit était
plutôt réservé à des gens qui ne se préoccupaient que de leur travail et de
leurs petites activités commerciales: une rentrée et une sortie, voilà tout ce
qui résuma leur train de vie quotidien. L´on dirait même des gens qui,
terrifiés, hypnotisés et neutralisés par la machine exterminatrice des
Duvalier, se gardaient de ne pas toucher à la politique, car, les idées
politiques contraires à celles du régime et les appartenances politiques
clandestines pouvaient être réprimées avec la dernière cruauté pour ne pas dire
la dernière rigueur. À Cité Soleil et partout dans le reste du pays, les
individus subissaient ce que Gérard Pierre-Charles appelle la zombification
duvaliérienne (PIERRE-CHARLES, 1973). En outre, comme toute autre commune du pays
y compris Port-au-Prince (CORVINGTON, 1984, 1987), la capitale, Cité Soleil a
connu des moments de terreur et de frayeur.
En effet, depuis
1995, dans ce grand bidonville d´environ
22 km², où vivent dans une pauvreté et une misère indomptables une population
de près de 265.072 habitants (IHSI, 2015), borné au nord par carrefour
Jean-Jacques Dessalines plus connu sous le nom de carrefour aviation en passant
par Warf Jérémie et au sud par Damien, chaque quartier – on y dénombre une
trentaine – detient son petit groupe armé dirigé par un sujet armé dont la
bravoure et la cruauté lui ont valu dans le temps et dans l´espace le titre de
commandant. Si dès la fondation de la cité, les rues et ruelles étaient
spacieuses, il pouvait même y pénétrer de gros camions, l´augmentation
graduelle de la population a fini par les rendre exigües empêchant ainsi l´accès aux voitures et réduisant
considérablement la circulation des biens et des personnes. La dynamique du
peuplement de la cité consistait tout au moins en ce que les gens de la
campagne venaient régulièrement par milliers rendre visite à des parents
habitant la zone, beaucoup en ont profité pour y rester définitivement.
1.2. Cité Soleil, une
histoire à la fois différente et singulière
L´histoire de Cité Soleil
née en pleine dictature duvaliérienne et marquée par des violences sociales –
les unes plus féroces et meurtrières que les autres – s´ancre à l´histoire
sociale contemporaine du pays: une histoire imprégnée de violences à caractères
divers[8].
Si à Cité Soleil – comme dans n´importe quelle autre ville du monde – les
personnes humaines dorment, mangent (pas comme elles le souhaitent en tout
cas), prient, font l´amour, procréent, créent et font des petites affaires, se
déplacent, se meuvent, s´interagissent, enfin, entreprennent entre elles des
relations sociales à la fois harmonieuses et conflictuelles, ce n´est pas parce
que la vie humaine s´y intègre bien, mais parce qu´en dépit de tout ce sont des
faits sociaux normaux. Car, à Cité Soleil vivoter et survivre sont deux actions
sociales qui ne se distinguent pas.
L´insécurité chronique, la
violence collective et les conflits armés intergroupes sont parmis les
principales réalités sociales qui ont toujours prévalu à Cité Soleil sans
compter la misère et la pauvreté planifiées des milliers d´individus. Cela
aurait-il quelque chose à voir avec la formation d´une organisation dénommée l´« Armée rouge » qui aurait fait son
apparition dans cette localité vers les années 1990? Pour certains, il
s´agissait d´un simple concept maladroitement employé par des gens qui ne
comprenaient pas le contenu et le fondement des luttes sociales et politiques
qui étaient entrain de se produire là, pendant que d´autres martellent avec
insistance qu´en ayant réellement existé cette organisation a été accusée d´actes
criminels et banditistes sur tout le territoire national et qu´elle était
constituée d´individus qui, en contravention avec la loi, la police et la
justice, troublaient l´ordre public.
Contradictions et confusions pleuvent
sur l´existence (réelle ou imaginaire) d´une telle dénomination. Outre qu´il
est difficile de préciser sa constitution sociale[9],
son organisation sociale et ses objectifs, il n´y a pas lieu non plus de savoir
sur sa fonction sociale, sur son lieu de naissance et de fonctionnement. Pour le
comprendre, il faudra aborder le problème de l´« Armée rouge » sous au moins deux
angles: l´un sémantico-linguistico-politique et l´autre sociologique. Le
premier se réunit autour de l´aspect conceptuel et le sens accordé à cette
notion tandis que le second prend en compte la réalité sociale de l´époque à
laquelle elle se rattache. Sur
ce dernier point de vue, il nous semble que l´emploi d´un tel vocable n´était
pas tout à fait innocent.
2. De l´existence conceptuelle ou nominale d´une « armée
rouge » à Cité Soleil?
Avant d´être l´expression
d´un fait social réel, l´« armée rouge » fut d´abord un concept, un mot, un
nom, un vocable, une notion qui, utilisé à tort ou à travers, faisait peur et,
sur le plan de stigmatisation et de discrimination, causait des dégats
psychologiques énormes aux jeunes de ce grand bidonville. C´est pourquoi, nous
pensons qu´il est fondamental de l´aborder sur ce plan nominal et conceptuel
afin de déterminer par quel mécanisme un tel vocable a su s´imposer et par la
suite mettre l´accent sur le rapport qu´il a développé avec la réalité sociale de
l´époque à laquelle la sociologie ne peut ne pas s´intéresser.
2.1.
La naissance nominale du concept de l´« armée rouge »
Afin d´éviter toute
confusion ou mauvaise interprétation des arguments à suivre, il faut souligner
que le nom de l´« armée rouge », tel qu´il a été arbitrairement utilisé en
Haïti à l´époque qui a suivi l´émergence du Fraph
et des Attachés, n´avait aucune
connexion politique, aucun lien idéologique, aucune affinité intellectuelle ou
aucune affiliation institutionnelle avec les armées rouges russe ou japonaise. En d´autres termes, l´« armée rouge »
soléenne – si on peut l´appeler ainsi – n´avait rien de commun tant sur le plan
politique que sociologique ou idéologique avec la lutte armée des étudiants de l´Europe
occidentale dans les années 1970 au sens que l´entendaient Steiner et Loïc
(1988, p. 19-40). Elle ne traduisait pas une certaine transposition de ces
luttes, encore moins l´imitation de
ces noms ou appelations populaires extérieures soit à des fins personnelles,
individuelles ou collectives dans le but de se frayer une place dans
l´histoire, même si l´imitation constitue une pratique socio-culturelle très
courante dans les quartiers à haute intensité de violence.
Jusqu´à
l´obtention de preuve évidente de l´existence de l´« armée rouge »
comme groupement collectif, assumée soit par une auto-revendication de ses
membres (fictifs ou réels), soit identifiée par l´opinion publique ou la
société civile à Cité Soleil ou ailleurs comme telle, il n´y avait que le nom et
le concept qui suscitent la peur et la frayeur, et, étant vagues et vides de
sens ils allaient plus vite que les événements socio-politiques eux-mêmes. De
ce fait, soit que ce nom apporte une vérité fausse sur la réalité sociale, soit
qu´il en crée une, soit qu´il tend à déformer cette réalité. Car, en Haïti, on se plaît, à tort ou à raison, à
employer de manière irrationnelle, maladroite et abusive les concepts, et,
celui de l´« armée rouge » n´a pu malheureuseument échapper à ce carnage
linguistique. Les individus ciblés par cette dénomination à Cité Soleil
devaient se préparer aussi à faire face à un lynchage linguistique, politique
et médiatique.
Dans les articles
des journaux de l´époque tant au niveau national qu´international, ce mot
résonne plus d´une dizaine de fois, mais ça avait l´air du sensationalisme. En
effet, l´usage des concepts et expressions, des appelations ou dénominations de
ce genre projette plus vers du propagandisme, de l´émotionisme et du sensationalisme
qu´il se rapproche de la réalité ou qu´il soit en connexion idéologique avec d´autres
mouvements sociaux proprement dits. De plus, lorsqu´il s´agit de certaines communautés
qui, en se réveillant des marginalisations dont elles sont l´objet, créent,
d´une façon ou d´une autre, des événements à caractère spécial dans un contexte
historique particulier, cet usage tend parfois vers la négativité et ce
sensationalisme va encore plus vite.
Mais, cela
dépend aussi des personnages en présence et des surnoms qu´ils se choisissent. C´est
ainsi qu´il n´est pas rare de trouver en Haïti des gens qui s´autonominent
Tupac, Kadafi, Obama, Ben Laden, 50 cent ect., ou encore des groupes collectifs
qui s´assimilent des noms exprimant la peur et la terreur. Des noms comme base 4 cercueils, base maniaque, base
explosion, très connus à Cité Soleil dans les années 1990, ne traduisent
pas des mouvements sociaux-locaux se rapprochant des mouvements sociaux transnationaux
ou mondiaux comme s´il s´agissait d´une sorte d´embranchement ou de
transposition de ceux-ci à l´intérieur
de l´environnement social et culturel corolaire.
On a même
connu à Cité Soleil, entre 2004 et 2006, un phénomène à haute intensité de
violences armées appelé Opération Bagdad[10],
sorte de guerres meurtrières entre les différents quartiers de Cité Soleil
d´une part, d´affrontements armés entre les forces de l´ordre et les bandes
armées qui, à l´époque, se réclamaient encore une fois pro-Aristide qui était
entrain de vivre son second exil en Afrique du sud en compagnie de sa famille
depuis février 2004 d´autre part.
Cette
culture de s´attribuer les noms les plus effrayants est très répandue surtout
dans les zones où règnent une violence sociale presqu´incontrolable et
incontenable. Ces noms sont souvent l´expression de grande cruauté,
d´impitoyabilité ou de bravoure. Toutefois, si les jeunes sont aptes à imiter
les nouvelles tendances sociales et culturelles internationales, fait social
normal, il y a, par ailleurs, certaines appelations typiquement haïtiennes qui
sont des expressions populaires de haine sociale et traduisent dans un certain
sens les réalités socio-historiques, politiques et économiques du pays.
Les
appelations comme lame ti manchèt, lame dòmi nan bwa – pour ne citer que
celles-là – rappelent, dans une certaine mesure, ces mouvements sociaux à
caractère insurrectionnel: les Piquets et les Cacos. Ces derniers – à la
différence des premiers – se livraient sous l´occupation américaine de 1915 à
une vraie lutte révolutionnaire pour la libération du pays (DANACHE, 1950, p.
71-77). Différenciées de ces mouvements qui défendaient une cause politique,
dont le premier s´inscrivait dans la démarche idéologique salomiste et le
second dans la vision dessalinienne, ces nouvelles dénominations à connotation
militaire sans objectif et conviction étaient célèbres autant à cause des actes
de criminalité, d´assassinat et de banditisme dont ils se sont fait accuser que
par leur appelation, leur agissement et leur excès de zèle.
L´appelation
de l´« armée rouge » qui, au cours des années 1990, a fait des échos plus
précisément au sein de la communauté soléenne peut être expliquée probablement
de deux façons. D´une part, peut-être ce concept parut-il être la plus
plausible d´expliquer la nature des phénomènes sociaux survenus dans cette
localité après 1991, ce à l´instar de ceux de 1915[11].
D´autre part, compte tenu du contexte historique mondial de l´époque où l´armée
rouge russe faisait beaucoup parler d´elle avant sa dissolution en 1991, encore
y avait-il une volonté manifeste de la part d´une branche intéressée de la vie
nationale de corrompre ce concept.
Nous
n´avons trouvé dans les archives aucune autoréclamation ou autorevendication
relative à cette dénomination par des groupements collectifs dans cette
localité, bien au contraire ceux-là qui en étaient l´objet l´ont vigoureusement
dénoncée. “Toute cette histoire d´Armée rouge est une invention pour nous
discréditer”, se défendait Africa[12].
En 1998, un groupe de chercheurs canadiens de Immigration
and Refugee Board of Canada s´était
montré très intéressé par le phénomène et part à sa découverte. La conclusion
de leur rapport de recherche se lit comme suit: “Aucune information
supplémentaire sur le groupe « armée rouge » n´a pu être trouvée parmi les
sources consultées par la Direction des recherches dans les délais prescrits pour
la réponse à cette demande” (IMMIGRATION AND REFUGEE BOARD OF CANADA, 1998, p. 2). Une telle appelation subjective était
certes effrayante, mais, bien que son emploi n´ait jamais été innoncent, elle
semblait traduire le poids, la profondeur, la lourdeur et la complexité du
phénomène social qui prévalait dans cette commune empétrée depuis longtemps
dans une désorganisation sociogéospaciale et un scandale urbanistique.
Il ne s´agit donc pas d´autoappelations
nominales ancrées à des luttes sociales externes – qu´elles soient
personnelles, individuelles ou collectives – qu´elles soient conscientes ou
inconscientes –, car, si tel était le cas, ces autoappelations proviendraient
non seulement des affections et des considérations de l´individu ou du groupe d´individus
pour les personnalités socialement connues qui incarnent ces luttes et la
fierté qu´il éprouve de vouloir les ressembler, mais encore de son attachement
conscient ou inconscient aux idées et idéologies dont elles sont porteuses. Or,
dans le cas de l´« armée rouge » à Cité Soleil, il n´est rien de ces sortes, encore
moins d´une adhésion idéologique. Là aucun des groupes sociaux de l´époque
n´incarnait les idéologies d´au moins un des grands leaders tiers-mondistes
(Che Guevara, Ghandi, Mandela ou Castro) bien que, dans une certaine mesure,
les combats menés par ces derniers s´inspirent historiquement parlant des
luttes révolutionnaires et indépendantistes haïtiennes.
L´usage de ce concept
donnait l´impression d´être en présence de milice révolutionnaire plus ou moins
organisée comme ce fut le cas en France (GILIOTTO, 2002), en Russie (GROSSMAN,
2008) ou en Allemagne de l´est (LOÏC et STEINER, op. cit.) et même en Haïti
avec les VSN – Volontaires de la sécurité nationale – plus connus sous le nom
des Tontons macoutes (DIEDERICH, 1969).
Une milice est généralement une sorte de supplétif, d´auxiliaire, de bras droit
de l´institution militaire ou policiaire officielle. Dans la plupart des cas,
une milice est créée pour accomplir une mission bien déterminée. En fait,
conçue selon une demande à laquelle doit répondre le gouvernement et les forces
de l´ordre, la milice est le plus
souvent une sorte de couverture pour masquer la réalité des actes posés par les
organes gouvernementaux. En tout cas, c´est un concept dont le sens et la
signification socio-linguistique varient en fonction de la catégorie sociale
considérée (COSTA, 2014).
Si dans les sociétés
françaises et russes le concept de l´« armée rouge » a désigné une milice
socialement et politiquement forte, mise sur pied pour défendre la révolution
dont elle fut issue, mais qui était en même temsps contre-révolutionnaire,
celui apparu en Haïti même s´il a construit sa propre réalité et ses propres
sensations dans la société haïtienne, plus précisément à l´intérieur de Cité
Soleil, a, par contre, passé outre de cette objectivité. En fait, ancré à un
subjectivisme excessif, le concept de l´« armée rouge » a constitué et
constitue encore un stigmat pour les jeunes de la cité.
Toutefois, l´on ne saurait,
en aucun cas, minimiser et banaliser la dangerosité de l´emploi d´un tel
concept, surtout que sur le plan d´objectivité et de rationalité les concepts
utilisés dans la réalité haïtienne correspondent très rarement aux fins
poursuivies ou aux réalités vécues. L´existence conceptuelle et nominale de l´«
armée rouge » est donc incontestable, mais, comme nous allons voir, surgi des
milieux sociaux pauvres et issu de la presse nationale et internationale, ce
concept se rattache à une réalité sociale qui dominait l´époque, mais qu´on
tend à oublier ou à banaliser, à savoir, les violences sociales de diverses
formes qui, à mesure qu´elles s´empiraient, ne faisaient que lui donner corps.
Autrement dit, il n´y a aucune raison d´admettre que la notion de l´« armée
rouge » soit née du néant. Ainsi, dans les
paragraphes qui suivent nous allons analyser les interviews, témoignages et
articles de la presse pour essayer d´éclairer ce point qui nous semble le plus
sociologiquement possible.
3. De
l´existence réelle d´une « armée rouge » à Cité Soleil?
À force de contester avec
véhémence, excès ou aveuglette l´existence réelle ou imaginaire de l´« armée
rouge » – la défense personnelle étant un droit sacré – on finit par la
justifier sans le vouloir et par oublier ou banaliser les phénomènes sociaux qui
lui ont donné vie.
3.1. L´armée rouge: Un concept issu des phénomènes sociaux oubliés ou
banalisés
Les concepts ne sont pas nés
du néant, étant l´oeuvre humaine au même titre que les événements, de plus, se
rattachant à des réalités sociales préexistant dans le temps et dans l´espace,
ils les expriment et les accompagnent en dehors de toute volonté individuelle.
Que les réflexions humaines aillent plus vite que les phénomènes sociaux ou
qu´ils les transcendent. Que l´imaginaire coexiste avec le phénomène ou l´un
dépasse l´autre, à Cité Soleil, l´imaginaire et le phénomène s´engendrent
simultanément, c´est-à-dire par une intellectualité fertile est créé par plus
d´uns un concept: « armée rouge » pour qualifier manifestations populaires,
affrontements armés, luttes clandestines, violences sociales, conflits
politiques qui se déchainaient dans cette localité. Si l´on veut bien
comprendre, ce concept en confondant tout prétend vouloir à lui seul expliquer
tout le phénomène, or, ce n´est que celui-ci qui lui fournit une partie
physique, c´est-à-dire un terrain propice pour se matérialiser et se propager.
En effet, il est rare de
trouver un notable ou un ancien habitant qui, dans ses petits récits
historiques oraux sur la cité, ne fasse mention d´une certaine « armée rouge »
qui, à une certaine époque, faisait la pluie et le beau temps dans cette petite
commune située à 5,3 kilomètres du centre ville. Certains la citent clairement
et explicitement comme si elle existait hier alors que d´autres, en la
mentionnant indirectement et implicitement, se souviennent des membres les plus
influents qui en faisaient partie. Mais, à quels phénomènes sociaux doit-on
l´émergence de ce concept à Cité Soleil? Quel secteur fut responsable de sa
propagation?
Vu les lacunes de
documentation en la matière, nous accordons le privilège à des notables de la
cité qui, par leur version d´histoire orale, nous présentent quelques faits
historiques qui, semble-t-il, seraient à l´origine de la formation éventuelle
de groupes armés qui, jusque là, n´étaient pas encore assimilés à cette « armée
rouge » répandue dans la presse. Le premier affrontement – l´un des plus
meurtriers à Cité Soleil – remonte, selon un de nos interviewés, à 1988 entre
Warf et Lintho 1, où, à cause d´un problème d´accès à l´eau[13],
des individus se sont réciproquement attaqués à coups de piques, de pierres, de
machettes et de couteaux. Ces affrontements à armes blanches auraient fait des
dizaines de victimes.
Nan site solèy, te
toujou konn gen pwoblèm dlo. Nan ane 80 yo, te genyen yon sèl ponp dlo nan site
a, nan Lento 1, se la tout moun te konn vin pran dlo. Se sa ki te lakòz moun
sou Warf ak Lento 1 te goumen. Sa te pase nan lane 1988[14]
(Moun ki bay entèvyou a).
Le second fait se rapporte
aux incendies de mains criminelles qui, en 1995, avaient ravagé des centaines
de maisons à Soleil 15 et tué des dizaines de personnes à cause, a rapporté un
interviewé, d´une violente discussion qui aurait éclaté entre deux Baz de Soleil 15 et Soleil 13 pour une
affaire d´arme à feu perdue. Ces deux événements majeurs auraient facilité la
naissance de deux groupes armés en signe d´autoprotection dont l´un situé à
Warf et l´autre à Soleil 13, s´étend jusqu´à Soleil 19 en passant par Soleil
17. Sur ce, l´on comprend d´ores et déjà que les causes originelles des
conflits à Cité Soleil sont à la base multiples et complexes.
Il y a un troisième
scénario qui, en toute vraisemblance, ne doit pas nous échapper. C´est que, en
1992, des individus non identifiés auraient attaqué violemment à coups de
marteau un citoyen accusé de voleur habitant la zone de Boston. Les locataires
de Bas rail et de Soleil 17 sont accusés d´être les auteurs de cet acte crapuleux.
Ils sont envahis par les gens de Boston, mais ne s´étant pas laissés faire, ils
ripostaient. Une dizaine de morts et de blessés s´en suivirent. Dès lors, à l´intérieur d´une même et petite
collectivité, des micro-communautés s´érigent entre elles des frontières
gardées par des brigades et interdites aux non locataires. Chaque quartier se
créait donc ses petites cellules de brigades d´autodéfense et d´autoprotection
en signe de prévention. À ce titre, il surgit toute une dynamique de vengeance,
de risposte, d´autodéfense, de démonstration de force et d´autocontrole qui
aurait grandement contribué à la création de groupes armés à Cité Soleil.
À l´époque où l´on parlait
de l´« armée rouge », il y avait a Cité Soleil des groupements de jeunes qui,
de très tôt, s´étant montrés fascinés par l´idéologie d´Aristide – l´incarnation
d´un certain changement social, politique et économique pour les plus déshérités
– se sont vite rebellés contre la nouvelle équipe administrativo-militaire
dirigée par Raoul Cédras et contre l´association appelée Fraph – alliée de l´armée – représentée en la personne du fameux
Emmanuel Constant, dit Toto Constant. Ces jeunes qui voyaient leur rêve
s´envoler si brutalement se constituaient en petits groupes clandestins sans
intention de guérilla bien entendu
afin d´échapper aux cruautés et atrocités du Fraph et des Attachés qui
rendaient la vie dure à toute une population. Fuyant également les violences d´état, leur allégeance à Aristide
perdure.
Le surgissement de
l´« armée rouge » signalée, dirait-on, pour la première fois à Cité Soleil en
1994, coïncide avec l´avènement du gouvernement militaire partout contesté par
le peuple, la formation du Fraph, la
parution des Attachés, la
remobilisation des Tontons macoutes
et la montée des brigades populaires d´autoprotection dans les quartiers[15]. D´une
part, pour se maintenir le gouvernement militaire a dû ipso facto recourir à la violence: le droit et la justice étant
pratiquement morts. De l´autre, cette violence ne restant pas cependant sans
réponse, trouve une réplique de la part des brigades qui, au départ, ont un
objectif commun, celui de contrecarrer cette violence aussi bien que les
persécutions des membres du Fraph et
des Attachés.
Cependant, en plus
qu´elles devaient s´attaquer aux violences politiques du régime militaire, elles
devaient aussi gérer leurs rivalités internes: les brigades de vigilance créées
à Cité Soleil s´opposaient les unes aux autres en créant entre elle de
l´inimitié. Les jeunes qui les composaient, en majorité pro-aristide, étaient
compartimentés avec des objectifs divergents. C´est peut-être dans cet angle qu´il
faut situer la question de l´émergence de l´« armée rouge », car pendant qu´ils
s´entredéchiraient entre eux, ils devaient répondre en même temps aux violences
étatiques qui n´étaient pas du tout supportables.
Cette situation,
paraît-il, se présenterait comme une aubaine pour les membres du Fraph leur permettant d´inventer de
toute pièce la dénomination « armée rouge » dans le but de justifier les actes
qu´ils posent, de culpabiliser la population et de démoniser les jeunes de Cité
Soleil. Or, si, d´un côté, l´« armée rouge » a existé c´est parce que de
l´autre côté existait à Cité Soleil d´abord les macoutes qui y faisaient régner une terreur et une violence sans
pareille, ensuite le Fraph et les
Attachés qui, ayant toujours conservé leur casquette duvaliériste,
faisaient connaître le calvaire aux citoyens (nes) de ce pays. Enfin, en ayant
profité des faiblesses des actions des jeunes, l´état haïtien aurait lui-même
créé imaginairement et installé dans l´imaginaire des Haïtiens faibles d´esprit
l´« armée rouge » afin de s´innocenter de ses propres violences dans les zones
populaires où il n´a jamais su développer des infrastructures suffisantes pour
éliminer la misère sociale qui y prévaut.
Ce dernier élément a
jeté des discriminations sur les jeunes brigadiers alors que c´est toute la
population qui aurait dû être mise en cause. Mais, étant donné que c´etaient
eux les principales cibles, ils ont été par conséquent les plus visés. Ces
jeunes que l´on appelait impunément membres de l´« armée rouge » se mettaient avec
la population pour former ces brigades de vigilance nocturnes qui avaient pour
mission d´assurer une autodéfense contre les interventions nocturnes des membres
du Fraph, des Attachés et des anciens macoutes.
Ces derniers opéraient leurs assassinats, leurs crimes
crapuleux, leurs exterminations sommaires sans oublier leurs viols sexuels sur
les jeunes filles et fillettes surtout la nuit. Cité Soleil ressemblait à
l´époque à un camp de concentration. La peur, la méfiance et la traitrise
étaient partout. Un journaliste du journal Le
Monde a fait ce constat:
La nuit à Cité-Soleil _ elle tombe ici brutalement à 19 heures _ était
ponctuée de coups de feu et, chaque matin ou presque, l'aube apportait sa
fournée de cadavres. C'était le royaume de la terreur : dans cette communauté
de 200 000 à 300 000 personnes vivant les unes sur les autres, dans le
dénuement le plus total, et regroupées dans des quartiers dont le nom fait
sourire (Boston, Brooklyn, Cité-Carton...), on ne fermait pas l'oeil avant le
lever du jour; on épiait les bruits suspects pour avoir le temps de disparaître
si les "attachés" ou "macoutes" faisaient irruption (LE
MONDE, 1994, p. 1).
À Cité Soleil, entre 1990 et 1994 jusqu´au
retour d´Aristide, en se levant le matin, il était rare de ne pas trouver dans
les rues, dans les canaux, sur les trotoires des cadavres qui surprennent en
faisant sursauter soit par l´odeur faisandée que les corps en putréfaction
dégagent ou encore la présence des chiens et des cochons qui laissait présager
que dans ce lieu il se trouve très probablement des êtres humains que ces
canivores sont entrain ou ont fini de dévorer. C´est à cette salle bésogne que
se livraient impunément, au vu et au su de la communauté internationale et de
toute la presse locale et internationale, les membres du Fraph, les Attachés et les
macoutes qui, selon un article de The Nation cité par Le Monde, auraient reçu l´appui du Département d´État pour
renverser Aristide et constituer une sorte de force tampon à l´armée. L´ONU a
estimé à 3000 les victimes du coup d´état dont ils sont responsables sans
compter les multiples cas d´assassinats, de viols et de meurtres qu´ils
commettaient en toute impunité. Dans ce même ordre d´idées, un autre
journaliste de Le Monde soutient:
Dans les bas quartiers _ cloaques puants où
croupissent des milliers de familles _ils (les attachés et les Fraphs)
rançonnent, violent quelquefois et tuent souvent. Chaque nuit ou presque, ils
sèment en quelques endroits stratégiques quelques-uns des cadavres qu'ils n'ont
pas fait disparaître. Combien sont-ils exactement à sillonner inlassablement
avenues, rues et venelles? Deux à trois cents, affirment certains diplomates;
deux à trois mille, soutiennent d'autres sources. L'important est qu'ils
forcent un million et demi d'habitants dans la capitale haïtienne à redouter le
pire des ténèbres (LE MONDE, 1993, p. 1).
L´abandon des cadavres dans
les rues était devenue une pratique plus courante durant le coup d´état qu´aux
périodes dictatroriales qui l´ont précédé. Même si les sbires de Duvalier
étaient des maniaques dans l´exécution des ordres du chef, ce n´était pas au
point de laisser les cadavres gisés par terre des jours et des nuits jusqu´à ce
qu´ils rentrent en putréfaction ou enfin dévorés par des porcs ou des chiens
qui servaient de véritables nettoyeurs à l´état central totalement indifférent
à l´égard de cette situation catastrophique. La machine exterminatrice de
Duvalier faisait des ravages certes, mais sans laisser la moindre trace de ces
corps broyés et mutilés. Ainsi, il s´est répandu au milieu de la communauté soléenne
des menaces interpersonnelles et interindividuelles du genre: “Siw anmède m map
fè kochon oubyen chen manje w. Siw enève m, map fè mouch kaka nan dan w[16]”.
Les brigades de vigilance[17]
opérant la nuit avec des bâtons, des pierres, des machettes, des couteaux, des
marteaux, enfin, de tout objet capable de servir d´arme blanche, constituaient
une sorte de vigiles d´autodéfense, d´autosurveillance et d´autocontrole en
lieu et place des forces policières à l´époque absoluement absentes à Cité
Soleil. Donc, ces jeunes brigadiers – confondus aussi avec les Baz[18]
– se substituaient en quelque sorte à la police et à la justice en remplissant
le rôle dont chacune de ces institutions aurait dû s´acquiter. Avec les
brigades nocturnes qui, malgré les pressions, les persécutions et les menaces
du Fraph, des Attachés et des macoutes,
n´ont pas lâché prise, les gens avaient l´impression d´être plus ou moins en
sécurité et à l´abri des éventuelles interventions nocturnes de ces militaires
assassins, malgré la peur et la frénésie qui les rongaient à l´intérieur.
Les brigades présentes dans
chaque quartier étaient formés de jeunes exerçant un petit métier, ayant un
niveau d´éducation faible, mais beaucoup étaient chômeurs et analphabètes. Donc,
fragiles, vulnérables, maléables et livrés à eux-mêmes, ils étaient partout
terrorisés, stigmatisés, terrifiés, ciblés et mortifiés par un régime
accapareur et envahisseur qui cherchait à tout prix à les exterminer. Selon
plusieurs témoignages d´anciens personnages qui vivent encore dans la zone, les
luttes socio-politiques et antimilitaires des habitants de la cité passaient
par elles et se menaient presqu´avec les mains nues, car les insignifiantes
armes blanches dont ils disposaient ne pouvaient absoluement rien faire contre
les mitrailleuses et les blindés des militaires. Bien que soutenus par une forte partie de la population
jugeant leur combat juste, cela n´a guère permis à ces jeunes de se laver des
accusations de l´« armée rouge ».
Ainsi, employé de
façon la plus banale qui soit en Haïti, le concept de l´« armée rouge » a pris
naissance à Cité Soleil dans un contexte historique et social bien particulier,
marqué par des violences étatiques et des violences collectives généralisées,
par un terrorisme d´état, par des violations flagrantes des droits de l´homme,
par une accélération de la pauvreté et de la misère, par des manifestations
populaires continues, par des revendications collectives, par des soulèvements
populaires, par des affrontements armés répétitifs, par des violences civiles
fréquentes, enfin, par l´emploi abusif de l´autorité de l´état. Bien que les
opinions divergent sur la date de l´apparition de l´« armée rouge », sur sa
nature et ses objectifs, on trouve quand bien même un certain consensus sur le
fait que les événements qui lui ont donné naissance se sont bel et bien
produits. Ils revêtent par conséquent une vérité historique.
Ce sont ces
phénomènes sociaux qu´il faut continuer à interroger et non le concept en soi,
car sans eux il est complètement vide de sens. De même, le concept du
marronnage est inséparable et inimaginable en dehors du contexte
socio-historique et des situations sociales des esclaves de l´époque coloniale.
En d´autres termes, n´étaient-ce pas, dans les années 1990, les mouvements
sociaux des partisans et supporteurs d´Aristide banalisés par le gouvernement
et les militaires, l´organisation de petits groupes clandestins, les brigades
érigées éparsement pour combattre les violences politico-étatiques, ces
violences elles-mêmes, les manifestations populaires continues, les rivalités
intra et intergroupes, les accusations politiques de toute part, le rôle politique
de la presse dans la vulgarisation du concept de l´« armée rouge », tout ceci
constituant des phénomènes sociaux complexes et interconnectés, le concept de
l´« armée rouge » n´aurait jamais vu le jour.
3.2. La presse, vulgarisatrice par excellence du concept
de l´« armée rouge »
Si, sur le plan
théorique, les documents qui auraient pu se pencher sur une problématisation
sérieuse et approfondie de ce phénomène font gravement défaut pour ne pas dire
qu´ils sont introuvables ou qu´ils n´en existent pas, des journaux à caractère
international tels que Reuters, AFP et Le
Monde, ayant des agences en Haïti, se sont toutefois mis à la découverte de
preuves éventuelles ou existencielles de cette « armée rouge » à Cité Soleil.
En effet, selon un article publié par l´immigration canadienne en 1998, l´« armée
rouge » serait une organisation apparue pour la première fois à Cité Soleil en
1995, et, ayant déjà fait de nombreuses victimes, elle aurait des liens
politiques directs avec le mouvement Lavalas de l´ex-président déchu,
Jean-Bertrand Aristide.
D´autres sources
comme celles de l´Agence France Presse (AFP) et de Reuters soutiennent que
cette organisation aurait déjà existé bien avant puisque, en 1992, les forces
de l´ordre haïtiennes avaient prétendu avoir démantelé un groupe du même nom à
Cité Soleil. Le Manchester Guardian
Weekly a, de sa part, fait mention des éventuels affrontements meurtriers survenus
en 1996 entre la police et des bandes armées qui se pourraient être identifiées
à cette « armée rouge » surgie, a-t-il ajouté, en novembre 1995 à Cité Soleil.
Jusque là les
propos avancés sont – pour le moins que nous puissions dire – très courtois,
car il convient pour ces institutions médiatiques d´établir l´existence réelle
et physique d´un tel groupement avant de préciser ses rapports avec
l´ex-président exilé et de déterminer l´attitude des autorités locales
vis-à-vis de lui. Néanmoins, si des acharnements se sont abattus dans la presse
internationale autour de cette appelation et de sa date de naissance c´est que
la réalité socio-locale lui en aurait déjà fourni quelques pistes, en d´autres
termes les journalistes enquêteurs internationaux aussi bien que les
journalistes Haïtiens auraient trouvé sur le terrain des phénomènes
sociaux-locaux pour faciliter la formulation de ce concept.
En effet,
l´expression de l´« armée rouge » s´est fait entendre pour la première fois,
selon les récits historiques oraux les plus fiables, en janvier 1996 à la Radio
Vision 2000, une station haïtienne, en raison du fait que cette dernière aurait
couvert un événement – plus tard repris par d´autres presses locale, nationale
et internationale – au cours duquel elle aurait assisté à l´exhibition de
bandes armées venant, principalement, de Bas rail, de Bélékou, de Boston et de
Soleil 9. Ce jour-là, celles-ci auraient brandi leurs armes à feu en l´air en
signe de rejouissance et de contentement de leur supposée victoire héroïque sur
les policiers qui, devant la fureur et la colère des foules, ont dû fuir le
sous-commissariat de Warf pour avoir la vie sauve. Ce fut pour la première fois
à Cité Soleil qu´une foule nombreuse ayant dans son sein quelques individus
armés aurait fait une apparition si hasardeuse qui, par la suite, allait avoir
des répercussions négatives tant à l´échelle nationale qu´internationale.
Ces exhibitions
populaires – pour ne pas parler de défoulements populaires – auraient fait
suite aux premiers affrontements violents entre la police et quelques bandes
armées à Cité Soleil entre novembre 1995 et janvier 1996. Ils auraient été
causés, d´un côté, par l´excès de pouvoir et l´utilisation arbitraire de la
force d´un policier, par une population sur le qui-vive toujours en quête
d´occasion pour se montrer violente, de l´autre. C´est autour de cet événement
troublant et confus, dont nous reprenons ci-dessous le contenu essentiel, que
beaucoup se servaient pour parler d´une « armée rouge » à Cité Soleil.
En effet, un matin,
dans l´exercice de ses fonctions, un policier a voulu coller une contravention
à un chauffeur de transport de passagers à Cité Soleil. La discussion s´engage
par le refus de celui-ci de l´accepter. Celui-là aurait fait usage de son arme
à feu en tirant sur le chauffeur. La balle rebondie dans un des caoutchous de
la voiture allait atteindre une fillette de moins de 10 ans qui, ce jour-là,
s´étant trouvée au mauvais endroit et au mauvais moment, est morte sur le
champ. La population furieuse aurait réagi avec violence et le
sous-commissariat de Warf ainsi que ses policiers allaient connaître, eux
aussi, les conséquences malheureuses de l´acte irrefléchi causé par leur
coéquipier[19].
La presse haïtienne
a été très excessive dans ses propos et allait un peu trop vite en bésogne en
mésinterprétant et méqualifiant ces évenements qui se sont produits à Cité
Soleil aussi bien que les activités des brigades populaires de vigilance. Et,
comme cela arrive souvent, ses propos participeraient volotairement ou
involontairement, ainsi que le soutient Chéry, de la diabolisation des
individus aussi bien que des luttes sociales auxquelles ils s´adonnent. En
banalisant les unes elle angélise les autres (CHERY, 2005, p. 148-157). Même si
effectivement, en janvier 1996, on a pu voir défiler des foules immenses venant
de différents quartiers de la cité qui célébraient une supposée victoire sur
les policiers en fuite, ce n´était pas une raison suffisante de parler de
quelque chose qui était loin de traduire à lui seul sociologiquement la réalité
sociale de l´époque.
Bien que les gens
de Bas rail, de Soleil 9, de Boston, de Bélékou qui, jusqu´à leurs récentes altercations avec les forces de
l´ordre, étaient à couteaux tirés, aient profité de ce moment pour manifester
visiblement leur
reconciliation, celle-ci si fragile qu´elle soit n´allait pas faire long feu et
n´expliquait pas pour autant que les différentes Baz se soient si bien entendues au point de former entre elles une
milice organisée du nom d´ « armée rouge ». Étant donc des faits socio-historiques à ne pas nier, la
presse en avait fait ce qu´ils n´étaient pas en les ayant décrits comme des
guerres civiles entre différentes fractions armées. Autrement dit, considérant
que les événements survenus à Cité Soleil peuvent être l´objet de différentes
interprétations suivant la configuration sociale que présentaient les acteurs
sociaux sur scène, il y a lieu de comprendre que la presse ne nous a campé
qu´une facette de la réalité sociale de l´époque en en obstruant d´autres.
D´autres arguments notamment
ceux soutenus par des personnalités sociales, politiques, culturelles et
intellectuelles évoluant dans la cité vont à contre sens. En effet, l´armée
rouge serait le produit d´une désinformation et d´une volonté politique accrue
d´un secteur intéressé de la société de diaboliser les mouvements de ces jeunes
révolutionnaires qui, en pleine période de coup d´état, luttaient pour une
amélioration des conditions de vie dans la cité. Si nous voulons bien
comprendre les propos de Africa accordés au journal Le Devoir, les seules entités armées qui existaient dans la cité au
moment même où l´on parlait de l´armée rouge étaient le Fraph et les Attachés, la
terrorisation de la population était causée par eux, donc, il était difficilement
concevable que ces derniers acceptent l´existence de groupes armés parallèles
là où ils veulent régner en seuls maîtres et seigneurs (LE DEVOIR, Op. cit). De
plus, il est vrai qu´il y a des groupes armés à Cité Soleil, un fait
incontestable et incontesté, cela ne renvoie pas pour autant à l´existence
d´une telle organisation à portée criminelle.
Or, les conflits violents et armés à
caractère intrapersonnel, interpersonnel, interindividuel voire collectif entre
ce qu´on appelle communément les Baz
à Cité Soleil auraient commencé après 1990. Les engueulades étaient fréquentes,
les confrontations à armes blanches pouvaient être de nature familiale,
personnelle, culturelle, revencharde, amicale, etc., mais, elles ne peuvent pas
pour autant à elles seules expliquer l´aggravation des conflits armés ou le
surgissement d´une quelconque « armée rouge » dans cette commune. Il faut y
ajouter par contre le rôle des coups d´état successifs, les violences d´état et
les transitions politiques qui, créant des désordres institutionnels
inimaginables, ont une implication directe dans la dégénérescence sociale de
ces conflits.
Pour certains, les fins poursuivies par
les conflits sociaux survenus à partir de 1992 à Cité Soleil, à la tête
desquels on retrouvait des groupes de jeunes plus connus sous la dénomination
populaire de Baz, avaient un
caractère social, révolutionnaire, politique et économique. D´autres propos
plus virulents tenus par des politiciens ignorant la réalité socio-locale qui
prévaut dans les quartiers populaires soutiennent que les Baz sont des organisations criminelles responsables de l´insécurité
et de l´instabilité dans ces quartiers et partout dans le pays. De plus, étant
donné que les Baz n´avaient pas la
réputation d´association sociale, intellectuelle, culturelle, artistique
littéraire ou sportive, et, tenant compte de leur configuration sociale à forte
majorité de jeunes sans emploi, dépourvus de travail et d´activités lucratives,
toutes les conditions étaient donc réunies pour que des accusations criminelles
comme celle de l´« armée rouge » leur pleuvent dessus.
À en croire, l´« armée rouge
» serait donc une création dans la dimension linguistique et sémantique des
presses nationale et internationale. Ce qui veut dire qu´en fait elle aurait
été construite par le richissime vocabulaire des médias et ceci a fait des
dégats psychologiques et mentaux irréparables parmi ces jeunes oubliés e stigmatisés.
Nous y insistons: l´invention du thème l´« armée rouge » est loin d´être
innocente. Elle est peut-être arbitraire et véhicule une certaine violence
langagière des médias, néanmoins il ne faut pas croire qu´elle vient du néant.
Et, nous le répétons, de même que le marronnage s´est greffé sur les
différentes actions des esclaves liées au contexte social et historique de la
colonie afin de se constituer sémantiquement en tant que concept, si les
presses nationale et internationale ont pris l´initiative de la mentionner
c´est que, suivant le príncipe de relation cause à effet, un fait social causal
l´a engendrée.
4. Liens entre
l´« armée rouge » et la dégérénescence sociale des conflits armés à Cité Soleil
L´« armée rouge » a fait
plus de dégats dans sa nature conceptuelle qu´elle tendait à traduire
effectivement dans son ensemble la réalité sociale prédominante de l´époque. Le
concept ayant été quand même trop fort allait beaucoup plus vite que les
réalités sociales dont il est né et les obstruait. Toutefois, qu´elle reste et
demeure une pure notion vide de sens et vague ou qu´elle soit la traduction
directe d´un fait social irrefutable, l´« armée rouge » dans sa forme la plus
propagantiste et expansionniste a quand bien même des liens avec la
dégénérescence sociale des conflits armés à Cité Soleil sur le plan
sociologique. C´est ce que, au moyen des enquêtes, nous nous proposons de faire
ressortir dans les paragraphes suivants.
4.1. Et si nous admettions que l´« armée rouge » ait réellement existé?
Admetterions qu´à l´origine
une telle organisation ait pris naissance dans le temps et dans l´espace où regnaient
à Cité Soleil plus de peur, de terreur, d´inquiétude, d´incertitude, de
frayeur, de frénésie dans les coeurs et les esprits que les violences et les
criminalités proprement dites, alors partant de cette supposition, cette
création serait non seulement l´expression des mouvements sociaux à allure
révolutionnaire pour dissiper ces états psychologiques et sociologiquement
déstabilisants chez ces jeunes désoeuvrés, désaxés, désorientés et abandonnés,
mais elle traduirait surtout en conséquence la résisance armée contre les
militaires, le Fraph et les Attachés des masses appauvries,
infériorisées et déshumanisées qui s´entassent depuis trop longtemps dans des
taudis produisant et reproduisant une criminalité planifiée.
Ce qu´il faudrait entendre ici
par une criminalité planifiée c´est
le fait pour des acteurs sociaux, politiques et économiques (l´État, les
organismes sociaux et politiques, les institutions privées, les ONGs nationales
et internationales etc.), participant de près ou de loin au bien-être des
individus par le travail, l´emploi, un salaire raisonnable, un mode de vie
décent, un revenu permettant de réaliser des rêves, de précipiter ou d´inciter
volontairement, par leurs agissements malhonnêtes et déloyaux, ces derniers à
une sorte de criminalité de survie en les laissant cuire dans leur jus et en
exploitant leur misère et leur pauvreté. En ce sens, ces gens-là ne sont pas
pauvres mais appauvris, encore moins qu´ils soient miséreux mais misérables ou
en proie à un misérabilisme.
L´« armée rouge » – si nous
devons admettre son existence réelle – représenterait une infirme partie de la
population de Cité Soleil dans son ensemble. Même si elle a beau avoir été
contestée par les jeunes, mais devant les insistances du secteur responsable de
sa vulgarisation, de sa propagation et de son expansion, savoir, la presse et
l´opinion publique, elle a dû poursuivre son chemin cette fois non entant que
simple vocable mais comme agrégat collectif ayant une structure sectorielle non
hiérarchisée. Même si des gens n´ont jamais revendiqué son existence réelle,
elle demeure l´une des réalités sociales de l´époque que d´autres affirment
avoir eux-mêmes vécu.
Ceux et celles-là qui ont vécu les années 1990 voyaient avant tout en ces
jeunes accusés d´être membres d´une telle organisation non seulement la
bravoure, l´intrépidité et la résistance à la machine sanguinaire et
impitoyable des militaires, mais encore l´espoir d´une Cité Soleil forte, unie
et organisée. Mais, si leur lutte s´est
peu à peu détériorée et leur groupement devenu une association méfiante
vis-à-vis de la population soléenne, il faut remettre en cause l´aggravation de
leurs conditions sociales et économiques et la marginalisation dont ils sont
victimes. Tous leurs rêves se
sont volatilisés dans des guerres fratricides suscitées par leur état de
fragilité, de maléabilité et de vulnérabilité. Sans travail, sans emploi,
livrés à eux-mêmes avec un niveau d´éducation inadéquate au marché de l´emploi
déjà saturé, ils se sont eux-mêmes créés leurs propres activités lucratives:
les vols à main armée, le crime organisé, le banditisme, le kidnapping, les
assassinats, afin de survivre.
En ayant voulu pousser notre réflexion
intellectuelle un peu plus loin, nous nous sommes physiquement et
personnellement transporté dans la commune de Cité Soleil afin de rencontrer et
d´interviewer certaines personnes capables de nous aider à mieux comprendre la
réalité sociale de l´époque qui aurait un certain rapport avec l´émergence de
cette soi-disante « armée rouge ». Pour asseoir nos arguments, nous recourrons
à l´histoire orale – méthode auxiliaire qui aide la sociologie à reconstituer
les faits passés en lieu et place des lacunes en matière de documentation – et
aux enquêtes.
4.2.
L´armée rouge: une structure collective dont l´existence confirmée par certains
habitants de Cité Soleil
Lors d´une enquête menée à
Cité Soleil entre mai et juin 2017 titrée Processus
de formation des groupes armés
(questionnaire 4), dix huit
personnes agées de 25 à 70 ans ont, favorablement, accepté de répondre à
nos questions. Celle-ci cherchait à comprendre principalement par quel
mécanisme les groupes armés se forment et se mobilisent si fréquemment à Cité
Soleil, et, en second lieu, à faire ressortir le premier groupement armé qui y
aurait existé. En ce qui concerne le second objectif, il s´est trouvé qu´à la
question: Le
premier groupe armé surgi ou formé à Cité Soleil remonte à quelle année? (Q15), 9 personnes – représentant un pourcentage de 50 %
sur un échantillon de 18 personnes interviewées – ont explicitement mentionné
le nom de l´armée rouge comme premier groupe armé qui ait existé à Cité Soleil.
D´autres, soit par défaut de mémoire ou par oubli, se souviennent par contre
des dénommés Ti Blanc, Fedner, Ti Américain, Ti Mizè qui furent à la tête des
premières bandes armées à Cité Soleil. Le tableau ci-après donne une idée plus
ample de ce dont nous parlons:
Âge
|
Sexe
|
Niveau
d´études
|
Réponses
|
46
|
M
|
3ème sec.
|
L´armée rouge=mouvement révolutionnaire surgi le 12 nov. 1991
|
60
|
M
|
licence em théologie
|
l´armée rouge em 1994
|
42
|
M
|
8ème a.f.
|
l´armée rouge depuis 1996
|
66
|
M
|
moyens 1
|
je ne sais pas
|
36
|
M
|
philo
|
l´armée rouge, um groupe opposé à la fadh après le départ
d´aristide em 1991. elle a commencé em 1996.
|
42
|
F
|
licence em informatique
|
le groupe des dénommés ti mizè et fedner à brooklyn
|
32
|
M
|
rhéto
|
l´armée rouge entre 1995-1996
|
70
|
M
|
moyens 2
|
groupe ti américain, après vient l´armée rouge
|
41
|
M
|
universitaire
|
je ne sais pas
|
42
|
M
|
seconde
|
em 1992-1993 à bélékou
|
43
|
M
|
universitaire
|
groupe d´um dénommé ti mizè qui opérait avec les armes blanches
|
28
|
F
|
universitaire
|
l´armée rouge est le 1er, le 2ème était formé de kovington,
c´était des cambrioleurs à armes blanches
|
37
|
M
|
universitaire
|
je ne sais pas
|
44
|
M
|
élémentaire 2
|
1996
|
28
|
M
|
préparatoire 2
|
1990
|
25
|
M
|
seconde
|
le groupe à ti blanc
|
49
|
M
|
ne sait ni lire ni écrire
|
l´armée rouge em 1994
|
48
|
M
|
élémentaire 2
|
l´armée rouge em 1994
|
Tableau 1. Source: L´auteur.
Dans l´approfondissement de
nos enquêtes, il s´avère que ces dénommés Ti Blanc et Ti Mizè, revenant à
plusieurs reprises à la mémoire des interviewés, s´ils n´étaient pas les
principaux chefs de fil de cette « armée rouge » avaient quand bien même des
liens très étroits avec elle. Donc, ceux et celles parmi les enquétés qui ont
mentionné ces noms-là, ils sont environ 4, ont implicitement admis que l´«
armée rouge » était un phénomène réel à l´intérieur de Cité Soleil. Sept
d´entre eux situent son apparition entre 1994-1996,
tandis que d´autres l´auraient déjà remarquée depuis novembre 1991, soit deux
mois après le coup d´état du 30 septembre 1991. Enfin, la majorité des
interviewés se réfère aux années ayant succédé le coup d´état pour s´accorder
sur l´émergence de cette « armée rouge » à Cité Soleil. Elle a donc développé
des liens conséquenciels médiats avec le coup d´état de 1991. Elle se veut une
sorte de réponse aux exactions et aux modes de vie des jeunes de cette
localité.
Par ailleurs, sur un
total de quatre vintg douze interviewés sur la situation des conflits armés à
Cité Soleil dans le cadre du questionnaire
3, 42, 32 % soutiennent qu´ils ont débuté après 1990, période à laquelle
correspondent le renversement d´Aristide par le coup d´état du 30 septembre 1991,
l´établissement d´un régime militaire en Haïti, et, éventuellement, l´émergence
de cette « armée rouge ». Pour parvenir à ce résultat, ces derniers avaient à répondre
à la question suivante: Les conflits
armés ont commencé à Cité Soleil avant, après ou exactement en 1990? (Q4). Entre
le résultat du questionnaire 3 et celui du questionnaire 4, il y a une certaine
relation en ce sens que l´accent est mis sur l´après 1990 pour situer
historiquement presque tous les événements à portée d´une dégénérescence
sociale et politique qui se sont déroulés à Cité Soleil.
Encore vivante et assez
fraîche à Cité Soleil, la génération de 1990 est agée aujourd´hui de 27 ans. Nous
estimons qu´en 1990, un enfant d´au moins de 6 ans, s´il ne souffrait pas de
problème de mémoire, a la facilité de se souvenir des évenéments qui se sont
déroulés autour de lui, c´est pourquoi le minimum d´âge considéré est de 33 ans.
De fait, 62 personnes des deux sexes agées de 33 ans ont été interviewées sachant
que la totalité des personnes interviewées est de 92 et sont agées de 19 à 84
ans. 23 sur ces 62 déclarent que les conflits armés à Cité Soleil ont commencé
bien avant 1990, tandis que 28 s´accordent sur l´après 1990 et 9 soutiennent que
c´est exactement en 1990 que les choses ont déterrioré dans la commune. Enfin,
si nous tenons compte de tous les 92 personnes, 44 d´entre elles acceptent que
les conflits armés datent d´après 1990 tandis que 32 les situent bien avant et
12 les placent exactement en 1990, comme le montre le tableau suivant:
Tranche d´âge
|
Quantité
|
M
|
F
|
Avant 1990
|
Après 1990
|
1990
|
Je ne sais pas
|
Moins
de 33 ans
|
30
|
13
|
17
|
9
(23,33%)
|
16
(53,33%)
|
3
(10%)
|
2
(6,66%)
|
Plus
de 33 ans
|
62
|
39
|
23
|
23
(37,09%)
|
28
(45,93%)
|
9
(12,9%)
|
2
(3,22%)
|
Total
|
92
|
52
|
40
|
32 (34,78%)
|
44 (47,82%)
|
12 (13,04%)
|
4 (4,34%)
|
Tableau
2: Source: L´auteur.
L´armée rouge aurait tracé
son propre itinéraire dans l´histoire de Cité Soleil. Déjà, d´entre de jeu,
nous pouvons constater parmi nos interviewés que l´obsession à la notion de l´«
armée rouge » se trouve plus chez les hommes (16) que chez les femmes (2)
(tableau 1). Un résultat qui n´est pas tout à fait surprenant en raison du fait
que la gente féminine était très moins mue par ces activités à Cité Soleil au
cours des 20 dernières années. Ainsi donc, même s´il était scientifiquement
difficile à l´époque de prouver l´existence de cette organisation, elle a
néanmoins fait tellement de dégats dans les esprits, les mentalités et
l´imaginaire des Haïtiens que la réalité sociale qu´elle incarne devient irrefutable.
Or, comme nous avons vu, les
faits marquant le début de ces conflits armés ne font pas l´unanimité parmi nos
interviewés encore plus parmi les habitants de Cité Soleil. À la question: Quels
seraient, selon vous, les faits ayant marqué le début des conflits armés à Cité
Soleil?(Q9) du questionnaire 1, chacun des vingt quatre
interviewés a mentionné un événement différent. Toutefois, il n´y a pas un seul
d´entre eux qui n´ait réflété la réalité de l´époque et qui ne soit pas en
accord avec la chronologie dont nous avons déjà parlée.
Les conflits
armés ont commencé avec Simon Pelé et Cité Soleil vers 1990-1992 et ont été
causés par un chien qui appartenait à une habitant de Simon Pelé. Ce chien a
été tué par des gens de Cité Soleil avec une arme créole, mais les machettes et
les batons étaient jusque là les plus utilisés dans ces conflits qui ont fait
quelques dizaines de vicitmes (interviewé 1).
C´est ce que nous a confié Saintiny Jean
Sorel, 47 ans, licencié en Droit et enseignant à Cité Soleil où il n´habite
plus depuis 2004, mais qu´il fréquente au moins cinq fois par semaine à cause
de son poste de directeur académique. De sa part, Louidone Roblin, un
responsable d´une organisation sociale et culturelle évoluant à l´intérieur de
la cité avance que:
Les conflits armés existent à Cité
Soleil depuis sa naissance, en 1967, par François Duvalier. Boston et Brooklyn
sont les premières localités construites et les premiers conflits remontent à
1988 entre Warf et Linthau 1 à cause d´une question d´eau (interviewé 2).
Si un consensus est
difficile à trouver sur la date de naissance de l´armée rouge à Cité Soleil, la
situation n´est pas moins grave en ce qui concerne son lieu de naissance. En
vue de trouver un élément de réponse à ce problème, nous avons posé la question
suivante à nos dix huit interviewés dans le cadre du même questionnaire 4: Quels seraient, selon
vous, les quartiers à Cité Soleil où les groupes armés sont formés de manière
plus fréquente?(Q8) Les
réponses ne surprennent pas: le nom de Boston apparaît 10 fois et celui de
Bélékou 9 fois. En fait, Boston a toujours été perçue comme bastion des sujets
armés très dangereux.
Or, revenons aux
faits qui se sont passés entre novembre 1995 et janvier 1996. Même si c´étaient
quelques-uns des jeunes – les plus influents d´ailleurs qui ne dépassaient pas
une dizaine – qui avaient pratiquement quelques armes à feu et les brandissaient,
puis tout le reste qui a pris part à ces exhibitions populaires dont nous parlions
était des civils sans armes (blanches ou à feu), la présence des armes dans ces
genres de rassemblements populaires laissent présager une activité criminelle
et illégale. De plus, bien que l´expression de l´« armée rouge » paraisse un
peu forte, et, étant donné qu´il ne s´agissait pas d´une manifestation
populaire ou d´un mouvement social à proprement parler, elle a quand bien même
réflété cette réalité dominante de l´époque.
Nos interviewés
des questionnaires 1, 3 et 4, lors de
notre travail de recherche en Haïti, sont presqu´unanimes à admettre
l´existence dans le temps et dans l´espace de cette « armée rouge » qui, plus
tard, devait abandonner l´utilisation des armes blanches au profit des armes à
feu. L´armement des groupes sociaux à Cité Soleil est un processus long et très
complexe qui puise d´abord son origine dans la chasse aux macoutes en 1986, dans le démantèlement des Attachés et du Fraph en 1994 après le retour d´Aritide, dans la
négligeance de quelques soldats des différentes missions militaires onusiennes
en Haïti de 1991 à 1996, qui n´avaient pas su bien sécuriser leurs armes
auxquelles les enfants appelés improprement cocorats
pouvaient avoir facilement accès. Sur ce, le même journaliste canadien du
journal Le Devoir nous reproduit un
des multiples faits très fréquents à Cité Soleil:
Midi. Un
long embouteillage bloque la circulation sur la route nationale numero 1, aux
abords de Cité-Soleil. Brusquement, une dizaine de gamins, de huit a douze ans,
fondent sur une camionnette blanche des Nations unies. En quelques secondes,
ils arrachent le hayon de la camionnette. Lorsque deux soldats bangladeshis
descendent de la cabine, encombrés de leurs fusils, les gamins sont déjà loin
avec plusieurs caisses en guise de butin. Produits de la misère et symbole de
la montée de la délinquance, ces enfants de la rue, surnommés les « cocorats »,
donnent la migraine aux responsables de la MINUHA. Ne sachant comment faire
face aux pillages des « cocorats », ils conseillent des itinéraires détournés
pour accéder au quartier général de la MINUHA (CAROIT, Op cit, p. B5).
Ces derniers en
mettant la main sur ces armes, allaient vite les livrer aux membres de la Baz avec lesquels ils ont une relation
domestique, affective et amicale beaucoup plus étroite. En récompense, ils
gagnent non seulement la confiance des chefs mais aussi reçoivent d´eux de l´argent.
L´utilisation des enfants comme passeurs dans les groupes armés, la situation des
gamines utilisées comme objet sexuel, et, qui pis est, le fait de les forcer à
commettre des meurtres sont un problème social crucial dans la société haïtienne.
Ainsi, à l´armement accéléré et ininterrompu des groupes à Cité Soleil on peut imputer
le déchoucage des macoutes (1986),
des Attachés et des membres du Fraph (1994), les affrontements armés qui
opposent les bandes armées à la police et aux militaires des forces
multinationales onusiennes toujours présentes en Haïti, les armes volées par
ces mêmes cocorats dans les bases des
Marins américains déployés en Haïti en 1994 et celles volées par négligeance ou
complicité des patrouilles de ces armées étrangères dans les quartiers à haute
intensité de violences collectives.
Considérations générales
Si le nom de l´« armée
rouge » était incessamment et préférablement accollé aux jeunes de Cité Soleil,
ce n´est pas en raison du fait qu´ils étaient armés, car, à Fontouron, à La
Saline, à Delmas 2, il y avait des groupes armés alors qu´on n´y avait jamais
entendu parler d´une telle organisation. Encore cette appelation est-elle postérieure
au processus d´armement des Baz et
des quartiers à Cité Soleil. L´expression de l´« armée rouge » provient,
peut-on dire, de l´image d´une armée institutionnellement et hiérarchiquement
organisée que projettaient les jeunes lors des exhibitions civilo-militaires en
1996, car c´est rare qu´un fait d´une telle envergure se soit produit. En
uniformes militaires et policières[20], les chefs de fil en prenant la tête de ces exhibitions
ont affiché des postures militaires et gesticulaient comme de vrais militaires,
d´autres sous leurs ordres répétaient les mouvements.
Or, pour avoir
ainsi fait parler d´elle durant la dictature des Duvaliers comme zones de
répresailles, lieu du sang, de toutes les calamités humaines, de toute sorte de
crimes, Cité Soleil a toujours été très mal perçue dans la société haïtienne et
la communauté internationale. Des cadavres non identifiés étaient très
fréquemment présents dans la mer à Cité Soleil. De plus, quand ils ne passaient
pas des jours et des nuits sur le sol, quand les porcs et les chiens s´en
rassasiaient, ils y restaient pour être décomposés sous les effets des rayons
du soleil. L´exploitation par des ONGs locales et internationales de la
pauvreté des personnes dès fois repoussées avec fracas, la dégradation
environnementale, les rivalités répétitives entre les différents quartiers, les
mécontentements continus de la population exprimés le plus souvent avec
violence, tout ceci participe de la mauvaise réputation de Cité Soleil et semble
justifier en quelque sorte lexpression de l´« armée rouge ».
Loin d´être une
armée hautement et militairement bien organisée avec les principes et
règlements qui régissent toute institution militaire digne de ce nom, l´armée
rouge telle qu´elle a été inventée à Cité Soleil, ne reste pas dans l´ombre de
ses propres inventeurs et accusateurs, mais se rattache aux phénmènes sociaux
de l´époque même si elle ne les décortique pas normalement. Ainsi, qu´il
s´agisse d´un excès de langage, d´une violence langagière, comme cela est de
coutume dans la société haïtienne, d´une tentative d´intoxication et de
corruption de l´opinion publique, de la banalisation des combats des jeunes qui
aspiraient aux changements sociaux, politiques et économiques, la formulation
de l´« armée rouge » est particulièrement et sociologiquement importante pour
comprendre les violences sociales qui sont loin de disparaître dans ce grand
bidonville.
Références
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l´Armée rouge
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Paris: Meridiens Klincksieck, 1988.
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Vasily Semenovich. Um escritor na
guerra: Vasily Grossman com o exército vermelho 1941-1945 / editado e
traduzido do russo para o inglês por Antony Beevor e Lula Vinogradova, tradução
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milícia: Entre a lei e o crime. São Paulo: Editora da Universidade Estadual
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Berthoumieux. Le président Dartiguenave
et les américains. Port-au-Prince: Imprimerie de l´État, 1950.
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- Articles électroniques de journaux
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- Bibliographie sur la
dictature des Duvalier
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Tontons macoutes. Port-au-Prince: Henri Deschamps, 1986.
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machine à tuer de la dictature des Duvalier. Port-au-Prince
[S.N.], 2014.
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New York: Fordi9, 2011.
PIERRE-CHARLES,
Gérard. Radiographie d´une dictature. Montréal:
Nouvelle Optique, 1973.
- Autres références
bibliographiques
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l´occupation (1922-1934). Tome 6. Port-au-Prince: Imprimerie Henri
Deschamps, 1987.
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Port-au-Prince au cours des ans: La capitale d´Haïti sous l´occupation
(1915-1922). Tome 5. Port-au-Prince: Imprimerie Henri Deschamps, 1984.
CONSTANT, Benjamin. Des effets de la terreur. In: De la force du
gouvernement actuel de la France et de la nécessité de s´y allier: Des
réactions politiques; des effets de la terreur. Paris: Flammarion,
1988. p. 161-178.
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Haïtien de Statistique et d´Informatique
(IHSI). Population totale, population de 18 ans et plus
ménages et densités estimés en 2015. Disponible sur: www.ihsi.ht. accès le 31 jul. 2017.
La loi du 11 avril 2002 portant la création des communes de Tabarre et de Cité Soleil. Disponible sur: http://ciat.bach.anaphore.org/file/misc/20020326_Loi.pdf. Accès le 26 jul. 2017.
AMNESTY INTERNATIONAL. Haïti: Une Question de Justice. Amnesty International, Londres, 1 fev.
1996. Disponible sur:http://www.refworld.org/docid/3ae6a9a80.html. Accédé le 31 jul. 2017.
· Ce texte fait
partie des rapports de travaux de recherche et d´enquête réalisés en Haïti, entre janvier et juillet 2017, dans la commune de
Cité Soleil, située au Nord de Port-au-Prince entre la baie de Port-au-Prince et
la zone métropolitaine avec la mer des Caraïbes pour limite.
* Doctorant en
Sociologie à l´Université d´État de Campinas (São Paulo, Brésil) sous
l´orientation du Prof. Dr. Renato Ortiz. E-mail: jeandefabien1982@yahoo.fr Blog: https://jeandefabien1426.blogspot.com.br/.
[1] Loi du 11 avril
2002 portant création des communes de Cité Soleil et de Tabarre, en vertu de
laquelle Cité Soleil est passée désormais du statut de section communale à
celui de commune dotée ainsi d´une certaine autonomie administrative assurée
par un conseil municipal de trois membres, les casecs et les asecs. Disponible
sur: http://ciat.bach.anaphore.org/file/misc/20020326_Loi.pdf. Accès: le
26 jul. 2017.
[2] Force révolutionnaire pour l´avancement et le progrès en
Haïti. Une organisation paramilitaire constituée en grande majorité d´anciens macoutes et de nouveaux adeptes dévoués à la perpétuation des idéologies
duvaliéristes en Haïti. Jurés, semble-t-il, de faire la peau à Aristide, ces derniers s´engageaient dans une
opposition aveugle et féroce rendant ainsi toute négociation ou voie de
consensus imposible avec eux.
[3] Les Attachés et
les membres de FRAPH se distinguent
en ce que le premier est une milice rattachée au Palais national, une sorte de
VSN à l´époque de Duvalier, qui veillait et rapportait tout ce qu´une personne ou
groupe de personnes pourrait insinuer contre le régime, tandis que le second
est un corps plus ou moins hiérarchiquement organisé. De toute façon, les Attachés étaient le plus souvent un
dérivé du FRAPH et travaillent
tellement en parfaite harmonie qu´il est difficile de les distinguer. Néanmoins,
il y a lieu de souligner que si les membres de FRAPH étaient pour la plupart d´anciens Tonton macoutes et fervents partisans du régime duvaliériste, les Attachés ne l´étaient pas forcément.
[4] À ce qu´il paraît, les anciens macoutes expulsés de la scène politique en 1986
pour n´y refaire surface qu´en 1991 suite au coup d´état, encore puissants et intransigeants en Haïti, n´étaient pas prêts à pardonner aux propos tenus par Aristide lors
de ses campagnes électorales de 1990 au cours desquelles il aurait dit en créole haïtien: « pa neglije ba yo sa yo merite » en s´adressant au peuple. Ce "yo" qui se
traduit par "eux" en Français est un pronom personnel pluriel
indefini susceptible de créer la confusion et le doute dans les esprits en ne
désignant soit une multitude de personnes ou une catégorie de personnes indexée
par l´emploi d´un langage imagé. Cependant, plusieurs commentaires attribuaient
ce "yo" aux Tontons macoutes.
Ces derniers pressentaient que c´est eux qu´Aristide visait en parlant de
"yo", car, ces propos s´inscrivaient dans un contexte de grandes
perturbations sociales où les Tontons
macoutes pourchassés par le peuple étaient effectivement brulés vifs s´ils
se laissaient rattraper par une foule enragée. Outre qu´ils coïncidaient avec
le phénomène de violence civile caractérisée par les lynchages, les
déchoucages, les chasses à l´homme et autres, ces propos venaient d´envénimer
la situation. En effet, la pratique populaire de bruler vif les personnes considérées comme indésirables consistait
à suspendre autour de leur cou des
caoutchous mouillés de gasoline, quelqu´un n´a qu´à allumer une allumette et
nous y voilà en présence d´une scène horrible d´un être humain entrain de se
battre, de se débattre sous le feu. Sans les nommer et sans peut-être évaluer
les conséquences de son attitude haineuse envers eux, peu de temps après son investiture comme président de la république en février 1991, Aristide aurait épinglé pour une nouvelle fois par ses
propos cette catégorie si fragile de la société haïtienne. Certains qualifiaient ses propos imagés d´incendiaires comme des incitations
à la violence. Ainsi, on accusait Aristide d´être le responsable des Tontons macoutes brulés vifs.
[5] De façon formelle ou informelle, nous avons eu
l´opportunité de nous entretenir avec des jeunes, des adultes, des gens de la
société civile, des leaders d´organisations sociales, des acteurs religieux,
des éducateurs, des personnes du secteur politique et commercial, des
vieillards, mais surtout avec des sujets armés considérés comme dangereux. Les groupes
armés tendent à se transformer aujourd´hui en d´autres structures. Il fallait
recueillir surtout les opinions de ces sujets armés sur la question qui nous
préoccupe, car ils sont au centre des accusations selon laquelle les groupes
armés qui existent actuellement à Cité Soleil et dont ils sont membres seraient
les héritiers directs de l´« armée rouge »: pionnière des groupements armés à
Cité Soleil. Il nous semblait donc important d´avoir leurs propres idées sur
cette question.
[6] Car tous n´étaient pas
forcément des indésirables. On se souvient d´un Volontaire de la sécurité
nationale – nom officiel des Tontons
macoutes – surnommé Pa gen danje qui, avant de devenir Attaché
ensuite houngan, a été épargné de la colère des foules à Cité Soleil parce que,
dit-on, il était un macoute modéré qui n´avait jamais commis des abus à l´égard
des personnes de son entourage. Là où il habitait à Projet Lintho 1, tout le
monde l´appréciait. Un autre plus connu populairement sous le nom de Alcibiade
a lui aussi été sauvé par sa marque de gentillesse et de justice dont il
faisait montre dans le passé.
[7] Ces indusries
n´existent plus à Cité Soleil. Leur disparition a été causée en partie par des agressions
physiques violentes dont étaient victimes les patrons, mais surtout par des conflits
armés répétitifs et continus suivis de rançons et de kidnapping qui, durant les
quinze dernières années, ont complètement paralysé les activités sociales et
économiques dans cette commune. Les bandits réclamaient souvent aux patrons des
rançons afin de laisser fonctionner leurs usines. Contrairement aux deux
autres, la suppression de la Hasco – spécialisée dans la transformation de la
canne-à-sucre en sucre et en sirop – a été une décision officielle entre les
gouvernements haitien et américain.
[8] La violence des esclaves
contre les affranchis et les blancs afin de conquérir d´abord la liberté
ensuite l´indépendance et, enfin, le recouvrement de leur humanité (HECTOR,
MOÏSE, 1990, p. 83-91). La violence de la nouvelle classe libre (les anciens
esclaves en majorité noirs) pour son intégration sociale et politique contre la
nouvelle oligarchie mulâtre manipulée par les puissances occidentales et
autoproclamée héritière exclusive des biens et des terres laissés par les
anciens colons. Cette dernière typologie de violence constitue le fondement de
la lutte des classes entre noirs et mulâtres en Haïti depuis l´indépendance
(DENIS, DUVALIER, 1960). Enfin, viennent les violences conjugales, les
violences sociales de survie, sans oublier les violences interindividuelles et
interpersonnelles vécues à longueur de journée tant dans les familles, à
l´école qu´au milieu des groupes sociaux.
[9] Il s´agit d´établir quels ont
été les membres de cette « armée rouge ». Étaient-ils
des jeunes de Bas rail, de Bélékou, de Boston ou de Soleil 9 qui se disaient
révolutionnaires, ou des membres du Fraph
et des Attachés – les véritables
seigneurs de l´instabilité politique et de l´insécurité à Port-au-Prince et
dans les quartiers populaires comme Cité Soleil – ou encore était-elle formée de
ces principaux groupes sociaux présents et influents sur la scène
politico-sociale à Cité Soleil, à savoir, les Baz, le Fraph et les Attachés?
[10] Bien que
ces mouvements sociaux, qui, à proprement parler, ne s´inscrivaient pas dans la
logique de la lutte armée comme certains le prétendaient, aient surgi pour la première
fois à Cité Soleil à la fin de 2003 jusqu´à 2006, c´était toutefois toute la
société haïtienne qui
était ébranlée et frappée par ces mouvements sociaux d´une violence extrême
après le départ d´Aristide. L´appelation
Opération Bagdad faisait référence par imitation à ce qui se passait en
Irak et consistait plus dans des altercations répétitives entre la police, la
Minustah et les groupes armés, dans des kidnapping, enlèvements et
séquestrations qu´elle renvoyait à de simples rivalités sociales interquartiers
à Cité Soleil. Enfin, les dommages en vies humaines, matériels et
environnementaux causés par celle-ci sont irreparables pour la commune comme
pour le pays en entier.
[11] En
opposition à l´occupation américaine, des paysans connus sous le nom de Cacos
sous la direction de Jean-Baptiste Chavannes et de Charlemagne Péralte ont mené
des luttes armées contre l´occupant dans le but de libérer le pays de cette
honteuse et humiliante occupation. L´assassinat de ce dernier a ralenti le
movement sans toutefois l´anéantir. La résistance se continuait sous d´autres
formes. Par ailleurs, en 1946, des mouvements sociaux des étudiants semblables
à ceux des Cacos, attribués à des luttes armées, ont conduit à la démission
forcée du président Elie Lescot.
[12] À l´époque, ce dénommé Africa se faisait passer pour
le leader des partisans armés de Lavalas à Boston. C´est au journal Le Devoir de Montréal qu´il avait accordé
cette entrevue au cours de laquelle il a déclaré ne pas tenir des armes à feu
et les accusations qui pesaient sur lui à ce propos étaient juste des
manoeuvres de Réginald Boulos qu´il considère comme son ennemi acharné.
[13] Controlée pendant
longtemps par des civils armés qui sémaient la panique et l´insécurité à Cité
Soleil, l´eau se voulait et se veut encore le liquide d´or auquel les habitants
de ce grand bidonville n´ont accès qu´accidentellement. On dirait que par
miracle des anges seraient descendus dans le chateau d´eau situé sur la route
nationale #1 pour venir l´agiter. En voyant des centaines de personnes massées
à chaque fois autour de ce chateau pour l´attendre, on croit revivre le mythe biblique
de la piscine de Béthesda. Ces propos rejoignent tout au moins les constats
faits par le journal Le Monde en
1994.
[14] À Cité Soleil, les problèmes de l´eau sont
chroniques. Dans les années 1980, il y avait presqu´une seule pompe à eau où
venait s´approvisionner presque tout le monde. Elle se situait à Lintho 1. D´où
l´une des causes de ces conflits entre Warf et Lintho 1 où se trouvait ce
trésor en 1988 (un interviewé).
[15] A l'appel du président
Aristide, la population a organisé des « brigades de vigilance ». Au moins cinq
individus, accusés d'être des voleurs, ont été tués à coup de barres de fer et
de bâtons dans les quartiers populaires de Port-au-Prince (CAROIT, 1995, p. 1).
[16] "Si tu m´emmerdes trop, je te ferai manger par un chien
ou par un porc. Si tu m´énerves, les mouches te couvriront les dents".
[17] Chaque quartier à Cité Soleil créait à l´époque du
règne des Attachés et des membres du
Fraph sa propre brigade de vigilance. Les brigades étaient interconnectées et
se communiquaient entre elles. L´alerte du danger était donnée la nuit soit en
soufflant le lambis dont le son est laissé retentir pendant plusieurs fois ou
en passant les machettes par terre ou encore en utilisant n´importe quel
ustencile de cuisine, assiettes en alluminium ou autres, plus particulièrement des
objets avec lesquels il est possible de faire du bruit en les gratant par terre
comme les machettes.
[18] Sorte de
groupement social où se pratiquent la solidarité collective et l´assistance
sociale, formé en grande partie de jeunes sans emploi qui ne comptent que sur
des petits boulots ou petites activités économiques sporadiques pour mettre la
main à la bouche. Dans les Baz, la
réciprocité et la mutualité prédominent, ainsi le "bien" de quelqu´un
est celui de tous. Par exemple, un maillot, une chemise, un pantalon, un ténis
ou autre peuvent se mettre à plusieurs personnes. Même une cigarette est
susceptible d´être fumée entre plusieurs personnes en la passant de main en
main. L´adhésion aux
Baz, n´obéissant à aucune règle
logique, rationelle ou objective, se fait sur la base d´affinité, d´amitié, de
solidarité, de familiarité, de proximité ou de reconnaissance. Si au départ les Baz avaient cette vocation d´entr’aide
sociale et fraternelle, celle-ci s´est au fil du temps étiolée. En devenant de véritables repaires
de bandits et des groupements criminels impliqués dans des actes antisociaux: vol, viol, banditisme, assassinat
etc., les Baz ne sont plus reconnues à cause de leur expression du vivre
ensemble collectif. Toutefois, gardant un sens sociologique important, quelques-unes des Baz des quartiers populaires ayant
résisté à la marginalisation, à la discriminination et à la phobie dont elles
étaient l´objet, jalousent encore très chèrement cette dimension collective.
[19] Propos recueillis
de la part de plusieurs de nos interviewés avec qui nous avons eu des
entretiens informels, sur l´histoire des premiers conflits entre les forces de
l´ordre et les bandes armées. Ce même fait a été confirmé par la presse
internationale (LE DEVOIR, 1996, p. B5).
[20] Les affrontements violents et armés entre les forces
policières et les bandes armées se soldent quelques fois par la saisie de la
part de ces dernières des matériels et équipements des forces de l´ordre. C´est
ainsi que lors des premiers affrontements armés entre la police et les bandes
armées de Bas rail, de Boston et de Soleil 9, survenus entre novembre 1995 et
janvier 1996, celles-ci ont emporté avec elles des uniformes de police, des
armes et une voiture. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que, lors des
déchoucages de 1986, des uniformes militaires et des armes ont également été
volées, des macoutes tués, maltraités
et leurs casernes pillées et sacagées par la population. En 2004, le même
scénario s´est reproduit et l´on ne peut évaluer le nombre de matériels de la
police nationale emportés par les bandits dans le sous-commissariat de Warf,
avant d´avoir été incendié, dans le commissariat de la route nationale #1 lors
des derniers événements de 2004 à 2006 appelés Opération Bagdad.
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