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mercredi 27 février 2019

LA PROCÉDURE DE MISE EN ACCUSATION DES HAUTS FONCTIONNAIRES DE L´ÉTAT DANS LE SYSTÈME JURIDIQUE HAÏTIEN: RÉFLEXIONS CRITIQUES SUR LA COMPÉTENCE ET L´IMPUISSANCE DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE


THE PROCEDURE OF THE IMPEACHMENT OF THE SENIORS STATE OFFICIALS IN THE HAITIAN LEGAL SYSTEM: CRITICAL REFLECTIONS ON THE JURISDICTION OF THE HIGH COURT OF JUSTICE

Résumé

Ce travail a pour objet l´analyse de la procédure de mise en accusation des hauts dignitaires de l´État à commencer par le président et le premier ministre dans le système juridique haïtien. En se basant sur la constitution et les lois haïtiennes, et, à la lumière d´exemples comparatifs dont le Brésil, l´objectif consiste à faire ressortir les ambiguïtés et les confusions dont une telle procédure est frappée alors qu´elle ne saurait être conduite que par cette juridiction politique appelée la Haute Cour de Justice. Cette étude, en termes de résultat, devra nous amener à souligner  la compétence et l´impuissance de cette Cour.

Mots-clé: Haute Cour de Justice. Mise en accusation (Impeachment). Haut fonctionnaires de l´État. Procédure.

Abstract

The purpose of this work is to analyze the impeachment process of senior state officials, 
starting with the president and the prime minister in the Haitian legal system. Basing on 
the Haitian constitution and laws, and in the light of comparative examples including 
Brazil, the objective is to bring out the ambiguities and confusions that such a procedure 
is struck at when it can only be conducted by that political jurisdiction called the High 
Court of Justice. This study, in terms of results, should lead us to emphasize the 
competence and the impotence of this Court.

Keywords: High Court of Justice. Impeachment. Seniors State officials. Procedure

Introduction

Afin de contrevenir aux dérives, impressions d´intouchabilités et super puissanceque projettent certains hauts fonctionnaires de l´État dans l´exercice de leur fonction, la constitution haïtienne du 29 mars 1987 - dont le dernier amendement remonte à 2012 - institue, dans les articles 185 à 190, une instance appelée laHaute Cour de Justice[1] chargée d´instruire la procédure de mise en accusation - appelée dans le jargon juridique anglo-saxon Impeachment - des hauts fonctionnaires de l´État qui, dans l´exercice de leur fonction, se seraient trouvés coupables de crimes ou délits, de les poursuivre et de les juger conformément à la constitution et aux lois républicaines. En créant cette instance, on peut supposer que, théoriquement, les constituants avaient en tête de faire valoir le principe selon lequel le pouvoir arrête le pouvoir enmettant un frein et un terme au super pouvoir et à la puissance illimitée que s´octroyait la présidence et de porter les hauts dignitaires de l´État à avoir bonne conscience de ce que tout ne leur est pas permis dans l´exercice de leur fonction et que, bien que protégés par la Loi, la haute fonction qu´ils occupent peut les rendre plus fragiles qu´ils ne l´auraient imaginé. Ne dit-on pas dans le proverbe créole haïtien: “lè yon moun sot pi wo li pran pi gwo so”? Tout cela est vraiment fantastique sauf dans un État de droit où la loi et les institutions occupent la suprématie et surpassent les intérêts individuelles.

Cependant, depuis la mise sur pied d´une telle procédure beaucoup de doutes persistent tant sur sa nature et son efficacité que sur le fonctionnement, l´utilité, la capacité et la puissance de cette Cour qu´elle crée à poursuivre puis à juger effectivement un haut fonctionnaire de l´État, enfin, à rendre une décision de justice impartiale et équitable.Sur ce nous pouvons nous demander, depuis sa création, combien de hauts fonctionnaires ont-ils été jugés par la Haute Cour de Justice;combien de fois le Sénat haïtien s´est-il effectivement érigé en cette Cour;autrement dit, quelssont les procès que celle-ci a instruis et combien de jugements a-t-elle déjà rendus? Toutefois, ces questionnements s´ancrent à un problème beaucoup plus global et complexe, à savoir, l´handicape interdépendance entre les trois pouvoirs de l´État et la manière de faire de la politique dans ce pays.

Dans cet article dont l´objectif est de mettre en évidence les ambiguïtés et confusions qui caractérisent la Haute Cour de Justice, notre tâche consistera à comprendre comment fonctionne cette Cour tout en partant d´une tentative de définition de telle sorte que nous parviendrons à cerner le sens de cette notion; à chercher à savoir si, dans le cas du système juridique haïtien, il existe réellement une procédure y relative; à considérer l´exemple de l´Impeachment brésilien de 2016 pour dissiper certaines lacunes qui ancrassent le droit haïtien; à faire ressortir le caractère dysfonctionnel de la Cour; à expliquer pourquoi elle est impuissante, enfin, à réfléchir sur ce qui pourrait être à l´origine de l´échec de la tentative de mise en accusation de 2013 à 2014 ne Haïti. C´est en nous référant aux textes de loi haïtiens (la constitution amendée principalement), à quelques articles publiés dans les journaux sur le sujet, au système juridique et politique brésilien, que, dans ce travail, nous allons essayer de montrer que la saisine, le mode de fonctionnement et la compétence de cette Cour la diffèrent complètement des autres instances de jugement ordinaires, qu´elle est impuissante compte tenu de la façon dont le système politique et social haïtien est campé, par rapport à la mauvaise qualité de gestion de cette société et au mode de relation que nous développons avec les institutions.Sur ce, commençons d´abord par répondreau premier point relatif à la définition de la Haute Cour de Justice tout en cherchant à comprendre en quoi consiste la mise en accusation dont elle tire son existence.

1. Qu´est-ce que c´est que la Haute Cour de Justice?

Le droit français prévoit une Haute Cour constituée par le parlement et chargée de juger le président, et le cas échéant, de le destituer. Cette procédure de destitution est prévue à l´article 68 de la constitution française de 1958[2]. La Haute Cour de Justice, terme que l´on retrouve dans le droit haïtien[3] est - comme l´a souligné le constituant Dr. Georges Michel dans un article publié en 2011 au quotidien Le Nouvelliste - une juridiction à essence politique qui applique des sanctions symboliques, qui ne sont donc ni pénales ni civiles, à l´encontre de hauts personnages. Créée en effet depuis la constitution de 1806 et reprise par celle de 1987 à des fins politiques, elle est appelée à juger, particulièrement le président, pour les actes manifestement incompatibles avec l´exercice du mandat. Elle statue pour juger et sanctionner aussi les hauts fonctionnaires de l´État accusés d´infractions, délits ou crimes commis pendant qu´ils sont en fonction.

Il faut, par ailleurs,souligner par la même occasion que cette procédure concerne strictement - la constitution étant d´application et d´interprétation stricte - les hauts fonctionnaires en fonction, qui, au mépris de la loi, auraient commis des crimes ou délits passibles uniquement de la Haute Cour de Justice. Donc, elle ne peut les juger que pendant qu´ils sont encore en fonction. En revanche, une fois qu´ils ont laissé la fonction et dans le cas où la sentence de la Cour n´a pas été prononcée, ils relèvent désormais uniquement des tribunaux de droits communs et ne pourront être poursuivis que par ceux-ci en vertu du Code d´Instruction Criminelle. Ce qui fait que tous les anciens hauts fonctionnaires de l´État ne sont justiciables ni de près ni de loin par devant la Haute Cour de Justice dont les sanctions sont plus de nature politique que juridique et est chargée des dossiers exceptionnels puisqu´elle est une juridiction d´exception. À partir de cette remarque, on peut comprendre fin de la fonction d´un haut fonctionnaire impose une sorte de limite et de prescription à la procédure de mise en accusation en soi.

Outre que les sanctions de cette Cour s´appliquent dans le droit positif haïtien au président etau premier ministre, elles concernent également les ministres,les secrétaires d´État, les conseillers électoraux, les juges et officiers du Ministère Public près de la Cour de Cassation et le Protecteur du citoyen. Les infractions dont elle est compétente de juger et de sanctionner sont le crime de la haute trahison, malversations, abus de pouvoirs, fautes graves et forfaiture. En effet, en référence à sa composition l´article 185 de la constitution se lit ainsi:

Le Sénat peut s'ériger en Haute Cour de Justice. Les travaux de cette Cour sont dirigés par le Président du Sénat assisté du Président et du Vice-Président de la Cour de Cassation comme Vice-Président et Secrétaire, respectivement, sauf si des juges de la Cour de Cassation ou des Officiers du Ministère Public près cette Cour sont impliqués dans l'accusation, auquel cas, le Président du Sénat se fera assister de deux (2) Sénateurs dont l'un sera désigné par l'inculpé et les Sénateurs sus-visés n'ont voix délibérative (HAÏTI, Constitution de 1987).

Ce qu´on peut comprendre ici, c´est que la mise en accusation donne naissance à la Cour, laquelle naissance semble effacer automatiquement l´existence du Sénat. Ceci ne saurait être autrement vu que les deux ne peuvent siéger en même temps, de plus, pour que la démarche soit effective, il faut qu´elle poigneautomatiquement juste après le prononcé de la mise en accusation qui consiste en un vote solennel issu de la chambre des députés, lequel vote en transformant ainsi l´accusé en coupable le renvoi par devant la Cour pour y répondre des actes qui lui sont reprochés. De fait, comme on va le voir tout de suite, le véritable accusateur demeure la chambre des députés à laquelle la constitution accorde cette prérogative de formuler son accusation contre le (les) dignitaires de l´État en question.

2. Y a-t-il une procédure à suivre?

En référence à la constitution haïtienne et du point de vue procédural la mise en accusation est issue de la chambre des députés qui la décide en fonction de la majorité des 2/3 de ses membres (Art. 186). L´élévation du Sénat en Haute Cour de Justice représenterait la seconde étape de cette procédure. Cependant, si elle apparaît si peu compliquée dans la forme, dans le fond elle contient toutefois certaines ambiguïtés. Il est dit, en effet, qu´à la majorité des 2/3 d´entre eux les députés accusent.Sur ce, la logique veut qu´une procédure d´accusation se mette en branle contre un des hauts fonctionnaires de l´État mentionnés ci-dessus. Or, la constitution ou une loi relative à la mise en application de cette procédure ne précisent pas clairement la substantialité de cette mise en accusation, comment les preuves matérielles sont constituées ni si le rapport à être dressé par les députés-accusateurs doit être ou non envoyé par devant le Sénat pour les suites juridico-politico-légales. De même, la législation haïtienne ne parle pas de dénonciation, étape importante et fondamentale dans la mise en accusation, elle est donc muette quant à la façon dont celle-ci doit être formulée, quand et par qui. On a l´impression que l´accusation tombe du ciel et que, par un coup de magie, le Sénat s´efface pour devenir cette fameuse Haute Cour de Justice. On n´entrevoit pas la traçabilité, la matérialité et la substantialité de la mise en accusation. Il s´agit donc ici d´un premier aspect des ambiguïtés de cette procédure à souligner.

Par ailleurs, il y a une certaine difficultéàdéterminer si le Sénat s´érige automatiquementen cette Cour en se statuant uniquement sur son propre rapport ou est-ce qu´elle est habilitée - si une loi procédurale lui en aurait autoriséet en vertu du principe de l´indépendance et de la séparation des deux chambres - à mener sa propre enquête pour parvenir à ses propres conclusions identiques ou pas à celles de leurs collègues députés. En outre, nous nous demandons si ce sont les deux chambres qui mènent conjointement l´instruction de la mise en accusation ou la mènent-elles de façon séparée et indépendante.Enfin, ambiguë en vertu du fait que la procédure présentée ici à l´article 186 ne donne pas matière à comprendre la démarche de l´accusation qui aurait dû commencer par une procédure de dénonciation. Ce qui la rend un peu floue voire complexe et compliquée surtout s´il s´agit d´un président. Dans le système social et politique d´Haïti, en réalité le président n´est pas un mineur, mais un faux mineur qui se prend pour un super homme revêtu de super pouvoir.

Si l´on essaie de creuser un peu plus profondémentdans la pensée du législateur, on verra, quand il est dit à l´article 188: “La Haute Cour de Justice, au scrutin secret et à la majorité absolue, désigne parmi ses membres une Commission chargée de l'instruction”, qu´il est logiquement admis que ce soit elle qui, une fois constituée, ouvre la voie à la troisième étape de la procédure en élisant sa propre commission afin d´instruire l´affaire. Le sens de cette instruction est, de notre point de vue, pour déterminer le fondement de l´accusation des députés. En se tenant à la lettre de cet article et des précédents, il y a lieu de comprendre que le travail des honorables députés commence et s´achève avec la mise en accusation dont l´entrée en jeu initie celui du Sénat qui se transforme en Haute Cour de Justice. Dans un cas pratique que nous aborderons plus loin, nous verrons que les deux chambres du parlement haïtien ont séparément conduit une mise en accusation sur un même dossier. Ainsi, la procédure qui existe dans la constitution amendée n´est pas tout à fait claire en raison du fait qu´elle ne dissipe pas les doutes sur les contenus de l´accusation, qu´elle ne fait aucune mention d´une dénonciation alors qu´elle est un élément fondamental de l´accusation, qu´elle n´est pas accompagnée d´une loi procédurale à proprement parler.

3. Comment fonctionne la Haute Cour de Justice?

À la différence de la Cour de Cassation, cette instance de jugement spéciale ne siège pas en permanence, elle est occasionnelle et sa durée, provisoire, est conditionnée par le déroulement du procès de la mise en accusation. Par contre, comme celle-ci ses décisions, rendues à la majorité des 2/3 de ses membres sous forme de décret, sont définitives, donc ne sont susceptibles d´aucun recours. À l´encontre des hauts fonctionnaires jugés pour crime de haute trahison ou tout autre crime ou délit commis dans l´exercice de leur fonction la HauteCour de Justice n´est habilitée et limitéeà prononcer que les décisions suivantes selon l´article 189.1 de la constitution haïtienne amendée:  destitution, déchéance et privation d´exercer toute fonction publique pour une durée allant de 5 ans au moins à 15 ans au plus. En définitif, l´article 190 stipule que, une fois saisie, elleest tenue d´aller jusqu´au bout du prononcé de la sentence.

Elle puise concomitamment son existence et son fonctionnement à travers les deux chambres qui composent le parlement haïtien, à savoir, la chambre des députés et le Sénat. En règle générale et en toute logique, le haut fonctionnaire en exercice, accusé par cette cour, n´est exposé qu´à un des deux scénarios ici présents: destitution ou réhabilitation. Celle-ci implique ipso facto absolution et acquittement différemment de celle-là qui traduit la peine maximum. S´il s´agit du président de la république, sa destitution ouvre la voie automatiquement au conseil des ministres - présidé par le premier ministre selon les articles 149 et suivants de la constitution amendée - qui le remplace provisoirement. Or, si les deux, savoir, le président et son premier ministre, sont simultanément visés par la procédure de la destitution, ni la constitution ni aucune loi ne précisent qui les remplace ou ce qu´il conviendrait de faire si un pareil cas se présenterait. Tel est un vide laissé à diverses interprétations. À ce que l´on comprenne, dans le droit haïtien contrairement à ce qui se passe ailleurs, ce n´est pas le Sénat qui juge les hauts fonctionnaires de l´État, mais une instance désignée sous le nom de la Haute Cour de Justice présidée elle-même par le président du Sénat en personne. Donc, en résumé, si la chambre basse accuse le Sénat poursuit et juge.

Mais si le processus de destitution prend naissance au niveau de la chambre des députés, comment ces derniers parviennent-ils à constituer les preuves matérielles pour mettre en accusation un haut fonctionnaire de l´État, surtout lorsqu´il s´agit du président[4]? Par quel procédé? Quel est en clair le processus par lequel un haut fonctionnaire de l´État peut-il être accusé de crime de haute trahison ou de crime ou de délit dans l´exercice de ses fonctions? Comment sont constituées les preuves substantielles d´une telle accusation? Bien sûr que nous n´allons pas avoir la réponse à toutes ces questions qui nous chiffonnent l´esprit, et, à ce qu´il paraît, non seulement la loi et la jurisprudence haïtiennes ne nous apportent aucune aide légale, mais la constitution et les lois haïtiennes sont muettes sur la question. Pour combler ce vide et essayer de comprendre comment cela se passe, nous ferons donc appel à l´exemple de l´Impeachment brésilien.

4. L´Impeachment brésilien, un cas classique pour comprendre la traçabilité de la mise en accusation.

Au Brésil - de même qu´aux États-Unis, en France ou en Angleterre -, il existe clairement dans la constitution de 1988 la possibilité de destituer un haut fonctionnaire de l´État à commencer par le président, le vice-président ou les ministres d´État. Cette prérogative revient, selon les articles 51 et 52 de cette charte fondamentale, d´abord à la chambre des députés de laquelle provient l´accusation, puis du Sénat chargé d´organiser le jugement. Il y a lieu de faire remarquer qu´une loi antérieure à cette constitution - ancrée plus tôt à celle de 1946 - avait créé cette procédure d´accusation, il s´agit de la Loi no.1079 du 10 avril 1950, qui, en dépit de ses grosses lacunes[5], outre qu´elle détermine les hauts fonctionnaires à accuser, trace très clairement la procédure à suivre depuis la dénonciation jusqu´au jugement final. Celle-ci en effet consiste à dénoncer, ensuiteà poursuivre, puisà juger etenfin à destituer n´importe quel haut dignitaire de l´État en exercice pour les crimes graves dont ils sont coupables. Leur destitution doit passer, bien entendu, par leur mise en disponibilité provisoire pour une durée de 180 jours en attendant qu´un jugement final vienne soit les rétablir intégralement dans leur fonction - s´ils ont été innocentés -, soit les destituer définitivement dans le cas où les faits reprochés sont avérés.

Dans le droit brésilien, cette procédure ne peut être enclenchée que pour les crimes de responsabilité parmi les plus connus nous retenons le crime contre l´existence de l´union et le crime contre la loi budgétaire. En effet, le crime de responsabilité s´entend, selon l´article 4 de cette loi désormais appelée Loi d´Impeachment dans l´opinion publique au Brésil, tout acte du président de la république susceptible de porter atteinte principalement à la Constitution Fédérale et, particulièrement, à l´exercice du pouvoir judiciaire, du pouvoir législatif et des pouvoirs de l´État, au libre exercice des droits politiques, individuels et sociaux, à la sécurité interne du pays et ainsi de suite. Toutefois, la procédure relative à l´Impeachment d´un haut fonctionnaire ne commence pas toujours à la chambre des députés, elle varie selon le type de fonctionnaire et l´organe institutionnel auquel celui-ci appartient[6].

Avant de mettre un peu d´accent sur l´essentiel de l´Impeachment de 2016 - une histoire fraîche et inspiratrice dans le cadre de cet article - afin de comprendre par quel procédé la présidente Dilma Rousseff a été accusée, puis écartée de la présidence pour 180 jours, enfin destituée par le Sénat brésilien, il est important de souligner, de façon très succincte, que, selon cette loi brésilienne sur l´Impeachment, il est du ressort de n´importe quel citoyen de produire par devant la chambre des députés une dénonciation contre le président, le vice-président ou les ministres d´État pour les crimes de responsabilité prévus à l´article 14 de la loi sus-citée, ce en l´accompagnant de preuves matérielles et de témoins. Il revient au  président de la chambre des députés d´apprécier la recevabilité oul´irrecevabilité de cette dénonciation. De ce fait, une fois reçue à la chambre des députés et le président estime qu´il y a matière à poursuivre, la dénonciationsera soumise d´abord à une étude technique ordonnée par le président de la chambre afin que l´assemblée, par des analyses et avis de techniciens, puisse voter de sa recevabilité ou de son irrecevabilité. Pour ce faire, c´est à une commission d´enquête spéciale - constituée parmi les députés et à laquelle un délai de 10 jours est accordé - que reviendra la tâche de dire si oui ou non la dénonciation peut être reçue. Dans l´ensemble, le processus est marqué par quatre étapes clés: dénonciation, accusation, jugement et destitution ou réhabilitation.

La réhabilitation ou la réintégration sous-entend que l´inculpé a reçu un avis défavorable des commissions d´enquête[7] de son inculpation à une phase initiale du procès, ce après avoir été l´objet de deux grandes décisions: le prononcé de l´accusation et la suspension d´exercer la fonction pendant 180 jours. Si cet avis défavorable se produit à la chambre des députés, le procès sera d´ores et déjàarchivé là et n´aura donc pas besoin d´être acheminé au Sénat. Dans ce cas, puisqu´il n´était pas encore écarté de ses fonctions pendant cette durée de temps, alors on ne peut pas parler de réintégration ou de réhabilitation, mais le président ou le haut fonctionnaire concerné par la dénonciation continuera ainsi à exercer ses fonctions normalement. Le haut fonctionnaire n´est suspendu qu´après le prononcé de l´accusation par la chambre des députés et le renvoi de l´affaire par devant le Sénat.  Cependant, le rapport de la commission ayant été soumis au vote des députés, il suffit d´avoir 2/3 d´avis favorables de ces derniers (324/513) pour que le procès soit enclenché. À cet effet donc, le concerné dispose de 20 jours pour assurer sa défense pendant qu´il est automatiquement écarté de sa fonction pour une période de 6 mois[8]. Cette mise en disponibilité est moralement et éthiquement correcte dans la mesure où maintenirle concerné dans son poste pourrait gravement nuire au procès ou l´obstruer.

Au Sénat, présidé non pas par son président habituel, mais par le président du Tribunal Suprême Fédéral[9], débute le jugement de l´Impeachment dont résultera la décision finale, soit en faveur de l´accusé ou à son encontre, signée par les 2/3 des sénateurs (54/81). Le président - si sa culpabilité est avérée - sera définitivement destitué de sa fonction et remplacé automatiquement par le vice, perdra ses droits civils et politiques pour huit ans et pourra être poursuivie par les tribunaux de droits communs. Dans le cas contraire, il sera rétabli dans ses fonctions après en avoir été écarté pendant cette période de 180 jours. Par ailleurs, si le vice-président est aussi impliqué dans le procès, dans le cas d´une destitution des deux, il reviendra au président de la chambre des députés d´assumer la présidence et celui-ci restera en poste jusqu´à l´élection, dans un délai d´au moins 90 jours, d´un nouveau président. Telle est, en résumé, dans le droit brésilien, la procédure relative à la mise en accusation du président, du vice-président et des ministres d´État[10], qui commence par la réception d´une dénonciation jusqu´au jugement final en passant par l´accusation.

À présent, en ce qui concerne l´Impeachment de 2016, du point de vue historique et procédural, le procès a commencé en décembre 2015 lorsque trois avocats, Janaina Pascoal, Hélio Biscudo et Miguel Reale Junior., après avoir constitué dossiers, preuves matérielles et documents juridiques, ont déposé à la chambre des députés une dénonciation suivie d´une demande de destitution contre la présidente en fonction à l´époque, Dilma Rousseff, pour crime fiscal contre la loi budgétaire et les crédits supplémentaires qu´elle aurait ordonnés sans l´autorisation du Congrès. Cette demande après avoir été reçue par le président de cette chambre a d´abord fait l´objet d´une appréciation sommaire de sa part et, ayant constaté qu´effectivement il y a matière à poursuivre, il a ordonné une étude technique plus approfondie par une commission spéciale des députés. Et, de fait, comme on vient de le souligner, aiguisées par cette commission les dénonciations portées contre la présidente ont reçu un avis favorable des honorables députés. Ce qui a abouti à une procédure de mise en accusation à la chambre des députés, puis à la destitution de la présidente par le Sénat en août 2016 lors d´un jugement final présidé à l´époque par le juge du Tribunal Suprême Fédéral, Ricardo Lewandowski[11].

Dans un premier temps, nous avons choisi l´exemple brésilien non seulement parce qu´il est récent et facileà comprendre dans le fond comme dans la forme, mais encore parce qu´il montre très clairement, d´une part, la source d´où provenait la destitution de la présidente en fonction à l´époque, c´est-à-dire, de la dénonciation qui a été l´œuvre d´un groupe de citoyens et sur la base de laquelle la chambre des députés s´est statuée pour parvenir à la mettre en accusation. Ce qu´il y a lieu de souligner encore, d´autre part, c´est que, premièrement, la chambre ne s´est pas auto-saisie, autrement dit, la plainte ne venait pas d´elle-même, deuxièmement, même si le procès d´Impeachment reste en soi d´ordre strictement politique, la demande dont il est émané et sur laquelle s´est appuyée la chambre des députés pour enclencher l´accusation vient de l´extérieur d´une initiative juridico-citoyenne de trois personnes physiques et axée sur un ensemble de documents juridiques, troisièmement, le jugement final a été présidé non pas par le président du Sénat, mais par celui du Tribunal Suprême Fédéral[12] dont les attributions sont clairement définies aux articles 101 à 103-B de la constitution fédérale. Donc,  d´un côté, il y a la marque d´un certain équilibre entre les pouvoirs de l´État bien que, on le répète, le procès se réalise avec une portée plus politique que juridique ou judiciaire. Enfin, d´un autre côté, cette cohabitation fait ressortir une question d´éthique dans la mesure où ce sont les députés qui deviennent les véritables accusateurs et les sénateurs les juges. Sinon c´aurait été une parodie de justice.

En second lieu, avec ce cas pratique il s´agit de faire remarquer la faiblesse et la carence du système juridique haïtien. Elles concernent la dimension formelle de la procédure.En effet, si nous voyons bien, dans le système brésilien, une loi corrobore et soutient la constitutionqui concède aux députés et sénateurs le droit d´accuser, de poursuivre et de juger le président, le vice-président et les ministres d´État. En outre,le plus important c´est l´aspect communicationnel entre les deux structures du parlement: la chambre instruit l´affaire et renvoie sa mention d´accusation par devant le Sénat pour les suites que de droit. Or, si l´on compare les deux législations, on pourraitdire que c´est à peu près la même procédure qui s´exécute, mais ceci est faux parce que la législation haïtienne est boiteuse par rapport à celle du Brésil. Si nous nous tenons strictement à la lettre de la constitution - étant donné que c´est le seul texte légal dont nous disposons sur le sujet -, on ne parle d´aucune commission d´enquête au niveau de la chambre, donc elle ne saurait produire un rapport. Cette commission, appelée Commission d´Instruction, est formée par la Haute Cour de Justice par vote secret toujours à la majorité de 2/3 de ses membres. Donc, on ne voit pas ici par quel procédé l´accusation est accouchée au sein de la chambre basse, de plus, quels sont attributions, mission et délai de cette commission, là encore la loi est silencieuse.

Ce qui biaise notre tentative de comparaison, car dans le système juridiquehaïtien, nous n´avons accès à aucun texte légal de cette procédure, de plus, des exemples concrets de hauts fonctionnaires jugés par la Haute Cour de Justice sont inexistants. Pourrait-on citer le procès de la consolidation au cours de laquelle la loi du 28 juin 1904, qui serait une référence en la matière a été appliquée? Même là encore, les ambiguïtés ne peuvent être dissipées parce que la majorité des hauts fonctionnaires épinglés dans ce dossier a continué d´occuper de hautes fonctions. Il est vrai que c´est un processus de haute qualité et hors du commun, mais un exemple dans la société haïtienne serait la bienvenue et nous aiderait à mieux comprendre. C´est aussi un handicape à cette procédure puisqu´elle n´a absolument aucun exemple qui l´accompagne et la matérialise. À mesure que le pays s´enfonce dans les pratiques de coups d´état il s´éloigne des possibilités de donner vie à cette Cour et de la rendre efficace. Or, les coups d´état sont, à l´inverse de la procédure d´Impeachment, la voie la plus facile et la plus rapide aussi, par conséquent la voie désinstitutionalisante de la Haute Cour de Justice. Enfin, malgré la délicatesse du système politique américain, le pays a connu trois procédures de mise en accusation de présidents en fonction, le Brésil n´en a connues que deux, alors n´était-ce pas les coups d´état on ne serait mesure de compter celles qu´Haïti aurait pu accoucher. Tout au moins, l´exemple de ces pays nous démontre toute la complexité de la procédure surtout lorsqu´elle indexe un président de la république.

5. Le caractère dysfonctionnel de la Haute Cour de Justice en Haïti

Dans le cas d´Haïti, si la constitution, texte monumental et référentiel des grandes lignes de l´organisation de l´État et de la société, crée la Haute Cour de Justice, il revient par conséquent à une loi spécifique d´en définir plus largement la portée, la définition, l´organisation et le mode de fonctionnement. À défaut de celle-ci, la Cour est bancale et ne peut produire aucune efficacité quant à la bonne marche de l´État et à l´établissement d´un État de droit.Dans le système juridique haïtien, il existerait une loi, celle du 28 juin 1904 - toujours en vigueur, mais très désuète -, qui, paraît-il, tracerait une procédure de destitution du président ou de tout autre haut fonctionnaire. Elle aurait en quelque sorte renforcé la Loi du 7 juillet 1871[13] qui apporterait des précisions sur les dénonciations concernant les fonctionnaires en fonction. Or, il est clair que dans l´état actuel du système social et politique haïtien ces deux lois, désuètes et inadaptables, ne peuvent plus répondre aux besoins de la société. Les lois désuètes ne manquent pas dans le système juridique haïtien. Mais, étant donné que ces deux textes ne sont point accessibles, il est donc difficile d´en prendre connaissance et d´en analyser la portée. Cette évaluation, peut-être, nous aurait-elle permis - comme nous venons de le voir dans le cas brésilien - de comprendre le mécanisme par lequel la chambre des députés est saisie d´une dénonciation contre un haut fonctionnaire en exercice, comment elle procède en fonction de celle-ci pour juger si oui ou nonelle est susceptible de suivre un parcours procédural tel que prévu par la loi. Mais, cette législation fait gravement défaut etc´est ce qui constitue un handicap majeur quant à la compétence même de cette Cour voire à sa capacitéà juger les hauts fonctionnaires.

On serait même tenté de dire que si, d´un point de vue logique et méthodologique, l´article 185 de la constitution haïtienne n´aurait pas dû succéder les 186 et suivants, car c´est en vertu de la prononciation de la mise en accusation provenant de la chambre des députés que le Sénat pourra s´élever à la hauteur d´une telle Cour. Or, on ne comprend pas trop pourquoi le Sénat doit-il s´ériger en Haute Cour de Justice si celle-ci doit être présidée par le président du Sénat, ni pour quelle raison ce n´est pas le président de la Cour de Cassation[14]- la plus haute instance suprême de jugement - qui préside cette juridiction spéciale siégeant à l´extraordinaire pour juger des gens extraordinaires. En dépit de toute sa dimension hautement et essentiellement politique, il s´agit quand bien même d´un jugement, ce malgré la présence de l´assemblée politique que représente le parlement. Le sens même de l´expression Haute Cour de Justicenous laisse perplexe dans la mesure où le jugement est administré par le président du Sénat, un personnage controversé revêtu d´une casquette hautement et essentiellement politique. Pour nous, vue cette configuration préalable de cette Cour, elle ne saurait produire qu´une sorte de parodie de justice, car celui qui accuse c´est encore lui qui juge, or, si l´on comprend bien l´essence de l´Impeachment, il relève exclusivement de la responsabilité du Sénat, donc dans le cas d´Haïti il ne saurait être accusateur et juge à la fois.

Ainsi, la présence du président de la Cour de Cassation dans la composition de cette Cour - dans un rôle de vice-président- nous paraît fantoche et ne marque pas, contrairement au cas brésilien, le principe de l´équilibre et de la cohabitationentre les pouvoirs de l´État. Cela engendre par ricochet un problème éthique et morale sur les décisions que peuvent rendre les sénateurs en Haute Cour de Justice. Cela permet en partie de comprendre pourquoi depuis la création de cette procédure, il n´y a jamais eu un seul jugement de président etpourquoi la tentative de mise en accusation qui visait principalement le président Michel Joseph Martelly, le premier ministre Laurent Lamothe et le ministre de la justice Jean Renel Sanon, entre 2013 et 2014, a piteusement été étouffée dans l´œuf. Ces éléments tendent à montrer le caractère dysfonctionnel de la Cour qui, en absence d´une réforme législative, restera une institution remplie de pouvoir mais sans pouvoir.

6. Qu´est-ce qui explique l´impuissance de la Haute Cour de Justice?

L´impuissance qui frappe la Haute Cour de Justice, donc, qui rend la procédure y relative presqu´inutile ne date pas d´hier, mais s´ancre à notre histoire politique et mérited´être comprise sous deux angles: notre incroyance dans les institutions (pour ne pas dire notre profonde incrédulité à les bien faire fonctionner) et les comportements sociaux et politiques autoritaires qui dominent nos relations sociales et professionnelles au quotidien avec les institutions. En effet, si, d´une part, depuis sa création cette procédure était effectivement appliquée à la lettre les coups d´états subséquents des acteurs politiques nationaux que le pays a connus - dont le dernier remonte à 1991 - ne deviendraient pas au cours des dix dernières années une pratique politique et sociale quasi normale dans un pays où le mode de gouvernance s´accentue sur la désintégration et la désacralisation des institutions. C´est ce que nous appelons dans un langage beaucoup plus sévère l´in-institutionnalité[15]. D´autre part, si nous avions vraiment confiance dans la capacité, la compétence et l´intégrité de nos institutions, jamais les pratiques de déchoucages et de vle pa vle fòk li ale, les actes de vandalisme, les violences populaires, les casses, les incendies (parfois pour une chose qu´une simple entente aurait pu résoudre) n´auraient pris autant d´ampleur dans le pays, ces actions seraient l´exception et non la règle, et, par dessus tout, le peuple saurait quel comportement adopter lorsqu´il occupe l´espace public et quelle voie suivre. Ainsi, les institutions auraient joué leur rôle convenablement et efficacement dans le respect des normes et les mouvements de protestation de 1986 et de 2004 - jusqu´à ceux d´aujourd´hui[16] - qui aboutissent souvent à la démission et/ou à l´exil des présidents seraient moins violents et apporteraient d´autres leçons que celles du mépris absolu, de l´incompréhension et de la désinvolture à l´endroit des institutions nationales.

En second lieu, la plupart des hauts fonctionnaires de l´État - pour ne pas dire tous - ont tendance à se comporter comme étant au-dessus des lois et des principes institutionnels. Dans leurs attitudes et leurs relations interprofessionnelles les institutions viennent en-dessous de leurs intérêtsparticuliers, donc ils piétinent les règlements intérieurs, les changent fréquemment comme bon leur semble ou en font fi tout simplement. En conséquence, ils deviennent automatiquement des intouchables, des super hommes (ou super femmes).ce qui engendre une désarticulation sociale de nos institutions c´est-à-dire leur détachement complet de la réalité, une désintégrationde l´individu du système social et politique et la décomposition sociale de la société. Un manque de rigueur et dediscipline dans le système judiciaire haïtien ajouté à une domination unilatérale des autres pouvoirs par un autre pourrait être à l´origine de tels comportement a-démocratiques de la part de nos dirigeants (élus comme nommés).

Et, même si, en principe, nous savons parfaitement bien que la démocratie suppose le bon fonctionnement, le respect et la suprématie des institutions,que l´abécédaire juridique universel précise que nul n´est au-dessus de la loi, en Haïti c´est tout le contraire qui se produit. On y croit encore que la loi est un bout de papier que l´on peut modifier, changer, jeter, déchirer voire brûler à n´importe quel moment. Avec un simple coup d´œil rapide sur l´historicité du systèmepolitique et constitutionnelhaïtien, il nous est possible de constater que, en dépit de notre ancienneté historique en tant qu´État et de l´ancienneté de notre système juridique, jamais un haut fonctionnaire de l´État haïtien n´a été fait l´objet d´une enquête lors d´une mise en accusation voire poursuivi par cette Cour, alors que ce ne sont pas les cas de corruption, les malversations, les abus de pouvoir, les détournements de fonds, les crimes, les trahisons qui manquent. Ils se pleuvent à longueur de journée.
Voilà pourquoi, il n´est pas possible ici d´évaluer la force et la faiblesse encore moins l´efficacité et la limite de la Haute Cour de Justice tant que nous ne la voyons pas à l´œuvre. Jusque là, elle n´est confinée que dans l´ordre d´invention utopique, donc difficile de savoir si elle est fiable et crédible ou pas. Tout ce qu´il nous est permis de comprendre c´est son impuissance à être une véritable juridiction suprême dans la mesure où, malgré les cas avérés de crimes de hauts fonctionnaires commis dans l´exercice de leur fonction, elle n´est pas devenue réelle, ce, pendant longtemps. En revanche, ce sont les manifestations et protestations violentes qui prennent le dessus sur elle. Les chasses aux sorcières, l´exil forcé, l´expulsion, l´isolement ou l´exclusion diminuent considérablement son importance et fragilise sa puissance dans la société. On préfère ces procédés violents et a-institutionnels à elle, car, en plus d´être populistes et populaires ils représentent la voie la plus facile. Tout ceci caractérise l´obstacle que la Haute Cour de Justice doit surmonter afin de jouer son rôle institutionnel. Sinon en plus d´être une fiction juridico-politique, elle ressemblera toujours à l´incarnation même de notre démagogie politique. Nous aimerions illustrer cette assertion avec la tentative de mise en accusation en 2013 - disons de préférence ce camouflage - qui a failli coûter chère à la présidence et au gouvernement.

7. Ce qu´il faut comprendre de la tentative de mise en accusation de 2014: Une Haute Cour de Justice en souffrance

Malgré l´allure un peu démagogique dont elle accusait, la tentative de mise en accusation enclenchée, entre 2013 et 2014, contre le président Michel Martelly[17], le premier ministre Laurent Lamothe et le ministre de la justice Jean Renel Sanon pour leur implication présumée dans la mort suspecte du juge Jean Serge Joseph, a, du point de vue institutionnel, été une démarche positivement intéressante en ce sens qu´elle tendait à valoriser l´institutionnalisation de nos conflits politiques. En effet, le juge en question était chargé d´instruire le dossier des plaintes portées par des avocats contre la famille présidentielle pour des actes de corruption, d´usurpation de titre, de détournements de fonds publics et de malversations. Selon les avocats de l´accusation, la femme du président et son fils aîné auraient détourné de fortes sommes d´argent dans des projets non autorisés la Cour supérieure des comptes, qui n´aboutissent à aucun résultat et se seraient passés pour des fonctionnaires de l´État en violation de la loi.

À la chambre des députés et au Sénat, l´affaire du juge a, simultanément et parallèlement, été soumise à une commission d´enquête. D´un côté, les sénateurs ont élu, au début du mois d´août 2013, leur propre commission d´enquête[18] chargée de vérifier si, premièrement, le 11 juillet, une quelconque réunion aurait été, effectivement et/ou clandestinement, tenue au cabinet de Me. Gary Lissade à laquelle auraient pris part le président, le premier ministre, le ministre de la justice et le juge Serge Joseph, deuxièmement, s´il y aurait un quelconque rapport de causalité entre les issus de cette réunion et la mort subite du juge survenue le 13 juillet dans des circonstances occultes, soit deux jours après ladite réunion au cours de laquelle le défunt aurait reçu de graves menaces et pressions que lui auraient lancé ces trois hautes autorités. D´un autre côté, la chambre basse a procédé de la même façon: treize députés - tous de l´opposition - demandent la mise en accusation dur président qui pour eux était le principal concerné, le premier ministre et le ministre de la justice.

Nous ne sommes pas en mesure de dire sur quelle loi exactement les honorables parlementaires se sont fondés pour engager deux enquêtes parallèles sur une affaire de telle envergure. Sur une plainte formelle de la famille ou d´une personne physique ou morale intéressée? Sur des rumeurs qui circulent dans les médias et sur les réseaux sociaux? Ou se sont-ils eux-mêmes auto-saisis de l´affaire? Le fait est que c´était devenu une affaire nationale qui s´est répandue dans toute la société haïtienne et, à ce qu´il paraît, l´opinion publique en était révoltée. Mais, quelle instance de justice précise devait enquêter sur la mort suspecte du juge? Sa famille a-t-elle porté plainte formelle en accusant ou pas des tierces personnes? En fait, on ne comprend pas trop bien pourquoi les parlementaires se sont brusquement jetés sur le dossier et en avaient fait presqu´une affaire d´État même si, certes, le juge était un homme d´État.

Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire a lui aussi diligenté sa propre petite enquête qui, au final, n´a pas révélé que cette rencontre avait effectivement eu lieu. Sur ce dossier le pays a connu presqu´une panoplie d´enquêtes classées à la fin sans suite, car, ne sachant pas exactement à quelle autorité revenait le droit d´enquête sur cette affaire et y parvenir à une conclusion juridique, c´est-à-dire, donner le mot du droit, tout le monde s´improvisait enquêteur et juge en même temps. Le commissaire du gouvernement à l´époque n´a pas jugé bon de mettre l´action publique en mouvement. L´affaire, à ce que nous sachions, n´avait pas été portée par devant une instance de jugement. Toutefois, c´est elle qui est à l´origine d´un processus de mise en accusation qui a commencé simultanément au niveau des deux chambres en août 2013 sans qu´on n´ait en présence les motifs de la dénonciation comme on vient de le voir dans le cas du Brésil.

Les accusations pleuvaient de toute part. En effet, dans le rapport de la commission d´enquête sénatoriale, dont l´objectif principal était centré sur les causes de la mort suspecte du juge, les trois autorités sont accusées de parjure. Selon le contenu de ce texte dont nous disposons un extrait de source médiatique - l´original ne se trouvant pas en notre possession - les sénateurs maintiennent mordicus la conclusion selon laquelle une rencontre s´est, effectivement, tenue au cabinet de Me. Lissade, et que c´est sous la complicité du juge du tribunal de première instance de Port-au-Prince que le juge Serge Joseph s´y serait rendu. Adopté par 7 sénateurs dont 9 abstentions et 0 contre lors d´un vote auquel ont participé 17 sénateurs, le texte continue en disant qu´au cours de cette réunion ce dernier aurait reçu de graves pressions et menaces attentant à sa vie privée et à celle de sa famille. Celles-ci seraient provenues de ces trois dignitaires présents à la rencontre tenue en cachette au cabinet dudit avocat. Ce rapport a été acheminé à la chambre des députés et là-dans le Sénat recommande à celle-ci de mettre en accusation ces hauts personnages sus-mentionnés. En résumé, sans ignorer les autres aspects politiques de la question, telle était l´affaire qui a été l´élément déclencheur ou suffisant pour la mise en accusation par une commission sénatorial d´un président, d´un premier ministre et d´un ministre de la justice.

Parallèlement, une motion de mise en accusation circulait parmi treize députés-accusateurs. Ces honorables députés, en allant un peu loin dans leur petite enquête - et je dirais même plus loin que leurs homologues sénateurs qui se limitaient seulement à l´affaire de la mort du juge -, recommandent à l´article 1 de leur rapport la mise en accusation du président, du premier ministre et du ministre de la justice pour crimes de haute trahison tels que la violation de la constitution et de la loi, les abus de pouvoir et les détournements des biens de l´État et à l´article 2 leur destitution à être prononcée exclusivement par la Haute Cour de Justice. Dans les Considérant, leur rapport a fait référence à celui soumis par les sénateurs. Une commission ad hoc de sept membres a donc été constituée pour analyser les deux demandes de mise en accusation dont l´une provient de la chambre haute et l´autre de la chambre basse.

Pourquoi deux commissions d´enquête parlementaires distinctes sur un même dossier? Pourquoi deux motions d´accusation au niveau d´un même parlement? Pourquoi deux enquêtes parallèles dont l´une produite par les députés et l´autre par les sénateurs? Comment se fait-il que le Sénat a envoyé son rapport à la chambre des députés tout en lui recommandant de prononcer la mise en accusation? N´était-ce pas l´inverse sous un angle logique qui aurait dû être fait? Était-ce la procédure correcte? On n´en sait pas trop. Mais une chose est sûre, c´est qu´un vide de loi procédurale sur la question a porté chacun à procéder de sa propre manière. Or, si l´on s´inspire de l´exemple de l´Impeachment brésilien, seul le rapport des députés aurait dû suffire à être soumis à la sanction de l´assemblée, à être acheminé au Sénat où il fera l´objet d´une analyse minutieuse et approfondie de la part d´une commission, et comme ça une mise accusation serait née. Mais, la chambre des députés en Haïti a dû, dans un premier temps, rejeter à 54 voix pour, 0 contre et 2 abstentions la demande de mise accusation formulée par le Sénat et, dans un second temps, statuer puis écarter d´un revers de main la motion de mise en accusation soutenue par les treize députés, ce, après avoir pris en compte le rapport du travail produit par les sept députés-commissaires au terme duquel ces derniers étaient parvenus à la conclusion suivante:

(...) Il n’y a pas lieu de retenir la mortdu juge comme motif pour la mise en accusation du président de laRépublique, du Premier ministre et du ministre de la Justice. Parce que laConstitution est d’interprétation et d’application stricte, les commissairesont recommandé à l’Assemblée d’apprécier le rapport à sa discrétion sanstoutefois influencer le vote. (Le Nouvelliste, 4 juillet 2014).

Ainsi, deux enquêtes différentes ont été soumises à l´assemblée des députés et les deux ont, malheureusement, été l´objet d´un rejet et les accusés ont été blanchis comme de la neige en rappelant qu´ils poursuivaient le cours normal de leur fonction sans être ébranlés[19]. On ne sait pas combien de députés ont rejeté la demande de leurs confrères, mais une chose est certaine, c´est que, contrairement au Sénat très hostile à l´exécutif, la chambre des députés était favorable à ces trois personnages. Ils y jouissaient d´une majorité qu´ils se sont acquise au fil temps.

Cependant, en toute logique et en se tenant à la lettre de la constitution nous pensons que, de la dénonciation à l´accusation, une seule enquête au niveau de la chambre basse aurait dû suffire à établir la vérité sur cette affaire. Ce qui veut dire que, en évitant de tomber dans un amalgame, seule l´enquête des députés devait valoir et, en tout état de cause, c´est elle qui nous paraît logique. Mais celle du Sénat, qui ne s´est même pas encore érigé en Haute Cour de Justice nous semblait inutile et même embarrassante parce qu´elle a lui-même voté une mise en accusation de trois autorités impliquées dans le dossier, alors que cette tâche ne relève pas de ses attributions constitutionnelles. De fait, si, d´après la constitution, la mise en accusation est du ressort des députés, il était tout à fait logique que c´est de leur rapport que devait provenir une telle demande. Par cette façon de procéder nous constatons un piétinement par le Sénat des prérogatives de la chambre des députés, une confusion entre les deux et une entrave à la justice politique dont le rôle reviendrait à cette Cour. Nous sommes en droit donc de nous demander si le parlement avait réellement voulu un jugement de ces hauts fonctionnaires de l´État, si ce n´était pas du simulacre.

De plus, ce n´est pas au Sénat de recommander à la chambre des députés de prononcer la mise en accusation ni à lui de le faire à sa place. Il y va nettement de soi que, après son enquête, si elle le juge favorable, cette dernière prononce son accusation et par cet acte, selon l´esprit de la constitution, permet automatiquement au Sénat de s´ériger en cette Cour. Mais, d´un point de vue juridique et procédural, tout le monde était perdu dans cette affaire et, en plus des facteurs politiques qui se jouaient en faveur des accusés, les ambiguïtés et confusions qui enveloppaient le côté procédural leur étaient un précieux avantage dans l´ombre. Ainsi donc, au lieu de valoriser l´existence et la compétence de la Haute Cour de Justice suivant l´esprit de la constitution, cette tentative de mise en accusation n´a fait que les affaiblir, a été un affront à cette Cour, a prouvé l´impuissance de cette Cour, enfin, n´a fait que germer encore plus de doutes dans les esprits quant à la véritable utilité, compétence, capacité et puissance de cette Cour à rendre justice, même si celle-ci doit être politique.


Considérations finales

Nous concluons en disant que, en dehors de sa dimension démagogique et peu institutionnelle, cette affaire a mis en lumière notre grande et profonde incapacité à institutionnaliser la résolution de nos différends surtout politiques. Les réponses de la rue nous le montrent clairement à chaque fois. Par ailleurs, un aspect intéressant a particulièrement attiré notre attention dans cette affaire de mise en accusation, c´est le fait que ni le Sénat ni la chambre des députés ne se sont référés non seulement aux fameuses Lois du 28 juin 1904 et du 7 juillet 1871 qui, suppose-t-on, seraient une source procédurale en matière de la mise en accusation, mais à aucun texte de loi procédurale appuyant leur accusation. Il se peut bien que cette législature ait voulu marquer la différence, cependant on peut constater dans le rapport des honorables députés - dont nous disposons une copie tirée sur Internet - que seule la constitution a été citée comme référence légale et fondement juridique guidant leur décision de mettre en accusation le président, le premier ministre et le ministre de la justice. Or, malheureusement, en dépit de sa force, de sa valeur et de son importance la loi mère ne dit pas tout sur la question - et ne saurait dire tout puisqu´elle est une vision globale. C´est pourquoi elle a toujours besoin d´être accompagnée et appuyée par une Loi. Je crois avoir bien appris deux principes juridiques fondamentaux dont le premier dit ceci: “Il n´y pas de droit sans procédure, il n´y a pas de procédure sans droit”, et le second:“Sans les lois la constitution est impuissante”, j´ajouterais aussi l´adjectif bancale, et cette bancalité générera plus de problèmes qu´elle en résout.

Enfin, ce dossier était trop brûlant et dominé par des intérêts colossaux. Il était conduit aussi avec émotion, précipitation et pression. Ce qui a valu au pays de rater cette chance de connaître pour une première fois de son histoire un procès de ce genre. Les étudiants en droit, les légalistes, les éminents juristes et les constituants auraient adoré cela. Mais, malheureusement, l´absence d´une loi procédurale n´a pas seulement imposé ici une limite à nos réflexions et analyses critiques sur le sujet, mais a surtout rendu l´appréciation de la compétence, de l´efficacité, de la capacité et de la puissance de cette Cour très difficile. Ainsi, en concluant cet article avec toute son imperfection et incomplétude, en plus d´en profiter pour plaidoyer en faveur d´une Loi procédurale de mise en accusation des hauts fonctionnaires de l´État, laquelle loi doit être moderne, complète et adaptée aux présentes réalités sociales et politiques, tracer en clair et en détail toutes les étapes et voies à suivre de la dénonciation au jugement final, nous ne pouvons en même temps que formuler un vœu saint de voir poindre un jour dans la société haïtienne une procédure de mise en accusation d´un haut dignitaire de l´État, ce dans toute son essence, son intégralité et son applicabilité.

Références

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CAVALCANTE FILHO, J. T.; OLIVEIRA, J. M. Impeachment: diretrizes para uma nova Lei deCrimes de Responsabilidade. Brasília: Núcleo deEstudos e Pesquisas/CONLEG/Senado, Setembro/2016 (Texto para Discussão nº 209). Disponívelem: www.senado.leg.br/estudos. Acesso em 4 de fevereiro de 2019.
GEFFRARD, Robenson. Les députés recommandent la mise enaccusation de Martelly, Lamothe etSanon. Le Nouvelliste. Port-au-Prince, 23 août 2013. Disponible sur: https://lenouvelliste.com/public/article/120432/les-deputes-recommandent-la-mise-en-accusation-de-martelly-lamothe-et-sanon.Acesso em 12de setembro de 2016.
INFOHAITI. NET. Treize (13) députés de l'opposition demandent la mise enaccusation du Président Martelly. InfoHaiti. Net. Port-au-Prince, 8 septembre 2013. Disponible sur: http://infohaiti.net/index.php/accueil/politique/3672-treize-12-deputes-de-lopposition-demandent-la-mise-en-accusation-du-president-martelly. Dernier accès le 4 fév. 2019.
HAÏTI. Constitution du 29 mars 1987 amendée. Le Moniteur Journal Officiel de la République d´Haïti, Port-au-Prince, 12 jun.  2012.
HILAIRE, Yvence. Le Sénat vot e la mise en accusation des uns et des autres. Le Nouvelliste. Port-au-Prince, 24 septembre 2013. Disponible sur: www.lenouvelliste.com. Dernier accès le 4 fév. 2019.
LE NOUVELLISTE. Rejet de la mise en accusation de Martelly, Lamothe et Sanon. Le Nouvelliste. Port-au-Prince, 4 juillet 2014. Disponible sur: https://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/133054/Rejet-de-la-mise-en-accusation-de-Martelly-Lamothe-et-Sanon.html. Dernier accès le 17 fév. 2019.
MICHEL, Georges. Quelques précisions sur la Haute Cour de Justice.  Le Nouvelliste. Port-au-Prince, 19 mai 2011. disponible sur: https://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/92532/Quelques-precisions-sur-la-Haute-Cour-de-Justice. Dernier accès le 4 fév. 2019.



[1]Elle n´est l´équivalente d´aucun autre tribunal de droit commun. C´est une juridiction spéciale. L´écriture enItalic ici marque justeune emphase.
[2]Cette constitution a été amendée plus d´une vingtaine de fois. La dernière révision date de 2008 et porte plus particulièrement sur la modernisation la Ve République.
[3]Certes, la Haute Cour de Justice n´est pas exclusivement créée par le droit haïtien, mais, à ce qu´il paraît, Haïti est le seul pays de la région caribéenne à se doter d´un tel type de juridiction pour des causes à la fois exceptionnelles et extraordinaires.
[4]Entre temps, il est important de rappeler que le président Michel Joseph Martelly a lui même été l´objet d´une procédure de mise en accusation qui a failli écourter son mandat. Mais, malheureusementfaute de preuves matérielles et pour des raisons politiques, la chambre des députés n´a pas pu réunir les preuves convaincantes pour le mettre en accusation. Ce qui a engendré la mort dans l´œuf de cette affaire qui a raté l´occasion d´en être la première dans l´histoire juridique et politique du pays.
[5]Dans un travail publié par Cavalcante et Oliveira, deux juristes brésiliens qui ont joué un rôle marquant dans l´Impeachment de 2016, le premier comme assesseur juridique de toutes les phases de l´impeachment et la seconde comme assesseure juridique du président de la commission spéciale de l´Impeachment au niveau du Sénat fédéral brésilien, plaident en faveur d´une nouvelle loi procédurale d´Impeachment plus récente, moderne et mieux adaptée aux réalités sociales et politiques actuelles du pays. Ils ont pris le soin de montrer les lacunes, les faiblesses et les limites de la loi en vigueur parmi lesquelles sa désuétude et son inadaptation aux réalités socio-politiques actuelles.
[6] Voir les Articles 39 à 79 de la Loi no. 1079 du 10 avril 1950 pour de plus amples connaissances.
[7]Ce n´est qu´après le vote final par l´assemblée des sénateurs que l´on saura effectivement si l´accusé sera condamné ou acquitté. Cela veut dire que même à cette phase ultime du procès au niveau du Sénat, laquelle phase est menée par le président du Tribunal Suprême Fédéral, le haut fonctionnaire écarté de ses fonctions pendant 180 jours peut y être réintégré ou réhabilité moyennant un vote défavorable. Donc, seul le jugement final décide tout du sort de l´accusé.
[8] Pendant cette période de mise en disponibilité de six mois, l´intérim sera assuré par le vice-président tant qu´il n´aura pas été lui-même épinglé par le procès de destitution en cours. Lors de l´écartement de Dilma Rousseff, en 2016, Michel Temer avait assuré l´intérim au cours des 180 jours de suspension de la présidente, puis il a prêté serment en tant que nouveau président du Brésil après la destitution définitive de cette dernière.
[9] Aux États unis, dans le cadre d´une procédure d´Impeachment, le jugement de l´accusé appelé Impeachment trial se passe au Sénat présidé par le président de la Cour Suprême ou son viceprésident si c´est le président qui est visé. Tandis qu´en France - comme en Haïti d´ailleurs - c´est le président de l´Assemblée nationale qui préside le jugement de la destitution. Celui-ci est d´office le président du Sénat. À la seule différence, la constitution haïtienne précise très clairement que c´est le président du Sénat qui préside la Haute Cour de Justice une fois constituée.
[10]Il y a lieu de souligner que cette procédure ne concerne pas uniquement ces trois personnages clés de l´exécutif, mais aussi, les ministres, les gouverneurs, les procureurs généraux et autres dignitaires de l´État. Dans ce cas, on procédera d´une autre manière.
[11]Consulter le site du Sénat brésilien sur: https://www12.senado.leg.br/hpsenado pour en savoir plus. Voir également FABIEN, Jean. O impeachment brasileiro: entre falso e verdadeiro? Academia.edu. Disponible sur: https://www.academia.edu/28553589/O_IMPEACHMENT_BRASILEIRO_ENTRE_FALSO_E_VERDADEIRO. Dernier accès le 18 fév. 2019.
[12] Surnommé la garde de la Constitution, le Tribunal Suprême Fédéral au Brésil est chargée de se prononcer sur la constitutionnalité ou l´inconstitutionnalité des lois. Il est comme l´équivalent du Conseil Constitutionnel en France ou encore du Conseil Constitutionnel en Haïti, créé par l´amendement constitutionnel de 2012.
[13]Au moment d´écrire cet article, nous n´avons pas pu avoir accès à ces deux textes de loi d´une grande importance afin de produire une analyse beaucoup plus approfondie. Une demande a été formulée auprès d´un de mes amis qui travaille à la Bibliothèque nationale d´Haïti, équipée d´une section juridique où ces Lois pourraient être accessibles. Mais celui-ci, malgré toute sa bonne volonté,  n´a pas pu honorer ma requête en raison des manifestations et violences populaires, de l´instabilité sociale et politique, des casses, des incendies, des menaces de partout, qui paralysent le fonctionnement de presque toutes les institutions publiques et privées y compris la bibliothèque qui intègre la fonction publique.
[14]La Cour de Cassation est l´équivalente de la Cour Suprême aux États-Unis et du Tribunal Suprême Fédéral au Brésil. Il faut rappeler que, avant la création du Conseil Constitutionnel en 2012 par la constitution amendée, cette dernière faisait office de la garde suprême de la constitution et était chargée de se prononcer sur la constitutionnalité et l´inconstitutionnalité des lois.
[15]Un néologisme pour marquer, d´une part, le niveau macabre et gravissime de la décomposition sociale des institutions haïtiennes, surtout celles qui sont publiques et destinées à fournir des services publics, d´autre part, les attitudes continuellement négatives et ignorantes que nous développons à l´égard des ces institutions.
[16]Nous pensons exactement aux récentes protestations violentes de février 2019 qui ont bloqué le pays pendant 8 journées consécutives. Les protestataires réclament mordicus la démission de l´actuel président Jovenel Moïse tout en faisant du dossier de corruption PetroCaribe leur toile de fond.
[17]Il est important de rappeler que le président a également été menacé dès le début de son mandat par une procédure de destitution à cause de son éventuelle nationalité américaine. Sur cette question, il faut se référer à l´article 135 de la constitution qui établissent trois conditions fondamentales et basiques pour un président ce sont: être haïtien d´origine, n´avoir jamais renoncéà sa nationalité et ne détenir aucune autre nationalité au moment de l´inscription. Le parlement n´a cependant pas eu le temps de mettre sur pied la mise en accusation vu que l´affaire allait être définitivement close après qu´un diplomate américain de l´époque, répondant au nom de Kenneth Merten, a pris sur son compte l´autorité de déclarer que M. Martelly était haïtien et ne détenait pas un passeport américain. Cette affaire a donné une violente gifle aux autorités haïtiennes et a une fois de plus montré l´irrespect, le mépris et le piétinement des institutions nationales par nos dirigeants. Or, c´était là une grande occasion pour la Haute Cour de Justice de faire valoir son point de vue en jouant son rôle parce qu´ici il s´agit d´un éventuel cas de haute trahison. Mais, malheureusement, et malgré tous les tapages médiatiques que ce dossier a engendrés, la chambre basse et la chambre haute ont choisi de reculer devant l´accomplissement de ce devoir constitutionnel et de donner raison à un individu plutôt qu´aux institutions.
[18]Les modalités qui régissent cette élection nous sont complètement étrangères sur le plan légal puisqu´aucune référence n´a été faite à une loi déterminant la procédure qui a suivie. La même chose s´est répétée à la chambre des députés.
[19]Peu après le scandale qu´a provoqué l´affaire du juge, le premier ministre et son gouvernement ont toutefois été limogés par de vibrantes manifestations populaires à grande répétition de la part de l´opposition. Si celui-ci a pu échapper à la Haute Cour de Justice qui était en souffrance de se constituer, les protestations violentes et fracassantes de la population ne lui ont pas laissé cette chance. Face aux pressions populaires lui et son gouvernement ont dû capituler. Voilà pourquoi dans le texte nous avons dit qu´Haïti vit en plein règne d´in-institutionalité, car le pays est dirigé de façon anarchique: l´impuissance des institutions fait toujours place aux violences populaires. Elles gagnent souvent d´elles. Et on y très habitués. On s´y complaît. C´est notre petit train-train à nous.

mercredi 30 janvier 2019

PEUT-ON ÊTRE NATIONALISTE ET PATRIOTE EN HAITI PENDANT QU´ON VIT OU RÉSIDE À L´ÉTRANGER OU SA FAMILLE?

Résumé

Cet article propose de mettre en relation l´aspect s´intéressant au sentiment nationaliste et patriotique dont, apparemment, nombreux haïtiens se raffolent et le phénomène de familles résidant à l´étranger et celles qui, restant en Haïti, cherchent à les rejoindre. Pour ce faire, nous n´allons pas chercher à savoir les raisons difficiles et complexes qui motivent les Haïtiens en terre étrangère à s´y résider définitivement ou celles qui animent ceux-là restés en Haïti à vouloir obsessionnellement les rejoindre, ou encore à nous attarder sur la discussion sur les concepts nationalisme et patriotisme, mais nous allons de préférence nous intéresser à comprendre cette volonté obsessionnelle dans les deux cas et le rapport qu´elle développerait avec le sentiment nationaliste et patriotique afin de voir si ces deux réalités peuvent être compatibles.

Introduction

L´idée de migrer dans un pays étranger - soit pour y vivre ou résider - n´a en soi rien de péjoratif ni de discriminatoire encore moins de rabaissant, car migrer est plus qu´un droit, ce processus répond à la nature même de l´être humain. De plus, les migrations humaines en général se font dans un but de découverte, de curiosité et de nouvelle expérience et non pas impérativement dans celui d´un abandon de sa terre natale ou de rupture absolue des liens sociaux, même si cela peut arriver dépendamment des circonstances. Les migrations familiales en particulier ne sont pas totales, mais se produisent surtout à dessein de conserver et de consolider les liens familiaux, essentiels et indispensables à la survie et au renforcement des relations sociales. Ainsi donc, le phénomène migratoire nous met plus précisément en présence de modèles de familles coupés en deux dont une branche se trouve en terre étrangère tandis que l´autre reste en terre natale. Et entre ces deux branches les relations sociales se resserrent, car elles font l´objet d´une promesse “d´envoyer chercher” à venir. Toutefois lorsque celle-ci tarde à s´accomplir, elle peut générer l´impatience de la famille restée en Haïti, laquelle impatience peut déboucher sur des conflits allant jusqu´à une rupture des liens sociaux et familiaux.

Il se trouve que la seconde catégorie est obsédée par la confiance qu´elle a dans la première de la prendre avec elle et de l´extirper de la misère noire qu´elle connaît en Haïti. Alors que la première, pour s´assurer une vie sociale et économique, se trouve elle-même profondément préoccupée par l´idée d´obtenir sa carte de résidence pour s´y établir définitivement ou la naturalisation afin de bénéficier d´autres privilèges sociaux, politiques et économiques que cela peut générer. Des deux côtés une volonté obsessionnelle fait rage et on pense qu´elle ne saurait s´aligner au côté du nationalisme et du patriotisme qu´il faut comprendre comme un sentiment d´attachement aux valeurs nationales et la défense des intérêts communs. C´est pourquoi un problème de logique et de rationalité survient lorsqu´on essaie de relationner cette obsession de vivre ou de résider à l´étranger et sentiment patriotique et nationaliste. C´est à la question de savoir si on cesse d´être patriote et nationaliste quand on vit ou réside à l´extérieur ou quand on a sa famille (en entier ou en partie) qui vit ou réside en terre étrangère que cet article sera consacré.

1. Un proverbe haïtien pour expliquer cette obsession

Un proverbe haïtien dit ceci: “Chak moun gen yon grenn zanno kay òfèv”. Celui-ci voudrait traduire que dans la réalité socio-anthropologique haïtienne en fonction de la situation ou de la nature du phénomène, chaque haïtien ou un membre de sa famille en est concerné directement ou indirectement, donc inutile de jouer l´innocent ou de se comporter en donneur de leçon, en saint, en patriote zélé, en nationaliste aveugle ou en personnage neutre. À l´égard du sujet que nous nous proposons d´aborder ici, ce proverbe nous sert à faire ressortir qu´il serait difficile voire impossible de rencontrer une seule famille haïtienne qui n´ait pas un de ses membres vivant ou résidant en terre étrangère, soit aux États-unis, en France, au Canada ou en République Dominicaine, dont il dépend totalement ou partiellement du point de vue économique et financier ou dont il espère une application de résidence. 

D´autre part, ce proverbe peut signifier aussi que, en se basant sur la mentalité des Haïtiens, beaucoup d´entre eux même quand ils sont en Haïti ont leur tête à l´extérieur, principalement dans un de ces pays sus-mentionnés. En d´autres termes, d´un côté, vu la situation dégradante du pays une grande partie des Haïtiens rêve de le quitter légalement ou illégalement, avec ou sans l´intention d´y retourner un jour, de l´autre, ceux qui sont en terre étrangère cherchent par quel moyen ils peuvent avoir leur carte de résidence ou encore répondre aux critères de la naturalisation, car leur retour est indécisif. Pour l´instant nous laissons de côté la question de la naturalisation. Ces deux réalités se confrontent avec ce qu´on appelle le sentiment patriotique ou nationaliste au point tel que nous nous demandons si entre elles il n´existe pas une certaine incompatibilité. Pour parodier notre proverbe, chaque haïtien ayant un membre de famille vivant ou résidant en terre étrangère caresse l´espoir chaque jour de le rejoindre. Il faut analyser chacune séparément en relation avec ce sentiment pour comprendre ce qui se passe.

2. La branche familiale restée en Haïti

Il faut rappeler - et ceci n´est un secret pour personne - que c´est depuis tantôt 80 ans que l´un des plus grands rêves de l´haïtien est celui de migrer soit aux États-unis ou au Canada. Ce rêve reste et demeure encore d´actualité malgré les changements apportés aux politiques migratoires dans ces pays. Il n´est pas sans savoir non plus qu´en fuyant les dictatures des années 60 à 80, beaucoup de familles haïtiennes ont réussi à trouver asile ou refuge dans ces pays avant de s´y établir définitivement en construisant d´autres familles. Ce flux migratoire forcé avait touché même les côtes d´Afrique, notre terre ancestrale, notamment le Bénin et la RDC. Les dictatures ont provoqué des cassures familiales originelles. Mais, en fait, ces hommes et ces femmes qui ont immigré dans des circonstances très difficiles pour la plupart ont laissé derrière eux des parents qui non seulement attendent leur support financier, mais surtout croient qu´ils enverront les chercher.

Ce qui fait que l´haïtien resté sur le territoire national, dont le corps physique est en Haïti, a aussi son âme, sa tête, son esprit, sa pensée et son cœur ailleurs pour ne pas dire là où se trouve le trésor de la résidence, c´est-à-dire la terre étrangère où vit ou réside sa famille parce qu´il somnambule à longueur de journée d´y être avec elle. De plus, entre lui et ce parent en terre étrangère il se développe une relation de complicité dès fois antinationaliste ou antipatriotique dans la mesure où celui-ci qui s´est sauvé lui-même peut estimer qu´avec cette Haïti il n´a plus rien à voir, entre elle et lui c´est fini, tandis que l´autre veut s´empresser à le quitter parce qu´il ressent en lui-même que sa place n´est plus ici mais au lieu où se trouve la famille diaspora dont il constate la réussite sociale et économique. Toutes ces envies le traversent la tête et le portent à réfléchir sur le vrai sens des mots nationalisme et patriotisme. Par conséquent, ils se complotent ensemble de laisser derrière eux les souvenirs douloureux et cauchemardesques de cette Haïti. Donc, la branche familiale restée en Haïti caresse toujours l´espoir de quitter le pays pour rejoindre les siens en terre étrangère ou tout au moins d´y immigrer légalement ou illégalement parce que entre les deux branches il y a une synergie attractive et imitative qui se crée et qui cause la perte des valeurs nationalistes et patriotiques.

Par ailleurs, la branche familiale restée en Haïti vit au dépens du capital étranger et de l´assistance étrangère que lui apporte cette famille à l´extérieur, et le dollar devient l´unique vrai saint qu´elle prie et qui, effectivement, arrive, dans la majorité des cas, chaque mois ou peut-être chaque semaine au bon moment. Dès fois, elle ne peut rien mettre à la bouche sans que les transferts ne se pointent. De ce fait, elle se sent parfois étrangère dans son propre pays et ne peut qu´assister impuissamment à l´effritement ou à la détérioration de son sentiment d´appartenance. Elle se voit comme l´autre et non comme elle-même, elle s´imagine à travers l´autre et comment le devenir, mais jamais voir comment se construire à l´intérieur de son propre environnement puisque celui-ci lui est complètement inaccessible voire incompatible avec sa vision.

Autrement dit, sans besoin de se référer aux aides étrangères des associations sociales, religieuses ou caritatives, la diaspora haïtienne représente le moteur de l´économie de nombreuses familles haïtiennes à tel enseigne que certaines d´entre elles mourraient déjà de faim si, pour revenir à notre proverbe, elles n´avaient un anneau chez cet orfèvre qu´on appelle l´Oncle Sam. Même s´il n´est pas le seul - il faut rappeler que le Canada, la France et la République Dominicaine sont rejoints par le Brésil dans la liste des pays d´où proviennent les transferts d´argent -, mais il occupe la plus grande place dans les transferts internationaux vers Haïti. Donc, de toute façon l´étranger supplante le national en tout et on n´a même pas besoin d´être à l´étranger pour se nourrir du capital étranger, il se transpose déjà à l´intérieur de la société et y occupe une place autonome.

Or, si l´on admet que l´étranger n´est autre que le contraire du national, mais non son opposé, alors en abandonnant son être, son avenir et son devenir à une famille à l´étranger, qu´elle soit naturelle ou adoptive, on agit contrairement à tout ce qui relèverait du nationalisme ou du patriotisme. Au lieu d´être nationaliste ou patriotique, la famille haïtienne restée en Haïti est plutôt terrassée par le sentiment de ne plus appartenir à cette terre et hantée par l´esprit que son bien-être et sa réussite se trouvent ailleurs. Il est inutile de lui faire croire le contraire, car, dans la mesure où la réalité qu´elle a en face explique tout sur sa condition de vie et ne lui offre d´autre option que de laisser cette terre maudite, elle sera difficilement convaincue qu´ici il peut réussir.

Enfin, vaccinés par les promesses fallacieuses et traditionnelles des dirigeants, les haïtiens se sentent de moins en moins atteints par les discours ancrés à l´appartenance nationale et calqués sur le modèle patriotique. Leur haïtianité est parvenue à un niveau humiliant. Entre eux et leurs dirigeants il se développe un langage de contre-vérité projetée dans la réalité vécue par les masses désespérées qui, nous ne cesserons pas de le répéter, ne demandent que le strict minimum en ce qui concerne les services sociaux, les besoins alimentaires et les soins sanitaires.

3. Les Haïtiens résidents à l´étranger et le sentiment nationaliste ou patriotique

Par faute de disposer de données statistiques officielles permettant de mieux évaluer cette question et, par-dessus tout, soutenir clairement que de telles demandes se trouvent en hausse plus aux États Unis qu´ailleurs, nous procédons dans notre démarche par un simple raisonnement logique à partir duquel une telle assertion pourrait être vraie. En effet, depuis le début du phénomène migratoire haïtien, les USA ont toujours été la destination préférée dans le répertoire migratoire des Haïtiens et, vu les opportunités que ce géant américain peut offrir et offre, ils s´attachent mordicus à l´idée d´obtenir là une résidence de façon à s´y installer définitivement même si leur intégration sociale, culturelle, politique et économique reste à désirer. De plus, bien que présente partout, c´est aux États unis que la diaspora haïtienne représente une très forte majorité.

Dans cette catégorie, il y a au moins deux tendances qui s´affrontent. La première concerne la plupart des haïtiens qui ont décidé de rompre avec Haïti même s´ils gardent en quelque sorte un certain lien avec leur famille restée là-bas. La deuxième se réfère à ce groupe d´haïtiens qui, bien qu´en terre étrangère, se sent trop éloigné de leur famille et tombe dans des nostalgies profondes. N´était-ce pas leur travail et leurs obligations, ils s´y trouveraient chaque mois. Ce dernier groupe est intéressant dans la mesure où il est exactement l´opposé du premier et, de surcroît, de ce groupe d´haïtiens en Haïti qui a hâte de quitter voire d´abandonner le pays. Par contre, beaucoup d´haïtiens, quoique vivant ou résidant à l´étranger depuis bien longtemps, ont continuellement conservé les liens sociaux et familiaux qui les tissent avec amis et familles, ce, avec ou sans la promesse d´un “envoyer chercher”. En outre, quand l´occasion leur est favorable, ils se précipitent pour venir les voir.

Ce n´est pas seulement l´aspect ontologique qui justifie cet attachement, il y a également l´aspect culturel et social qui, quand ils sont à l´extérieur, leur manque énormément, car, que l´on veuille ou pas, le vécu culturel voire culinaire haïtien ne saurait être comparé à celui en France, au Brésil, aux États unis ou au Canada, il est unique en son genre comme le vécu culturel de chacun de ces pays d´ailleurs. Donc, si l´on compare les deux groupes du point de vue de sentiment nationaliste et patriotique, on se rendra compte que la seconde est beaucoup plus proche du baromètre tandis que l´autre e cache pas sa haine viscérale pour le pays. N´étant pas ici pour juger ni l´un ni l´autre, il y a lieu d´admettre que cette haine aussi bien que cet amour ne viennent pas du néant, les deux ont été greffés tant sur les vécus quotidiens de chaque groupe en ce qui le concerne que sur les circonstances sociales dans lesquelles eut lieu sa migration. De fait, de même que certains haïtiens exhibent leur dépréciation à l´égard du pays, il n´est pas étonnant de trouver un haïtien qui, même naturalisé, garde toute son affection pour le pays et cherche à l´aider par les moyens - suffisants ou insuffisants - qui lui sont donnés.

Sur ce, les haïtiens en terre étrangère, contrairement à ceux restés en Haïti et qui cherchent mordicus à le fuir, n´ont pas le sentiment d´être abandonnés par le pays, mais ressentent en eux le devoir de l´aider, c´est pourquoi d´ailleurs ils sont dehors, à les entendre parler. Mais, cette vérité est loin d´être absolue, car l´image que projette le pays à l´extérieur et qui arrive aux yeux des haïtiens vivant ou résidant à l´étranger suscite la fuite encore plus plutôt que le retour, provoque l´envie de rester - même illégalement - plutôt que de revenir, car la perplexité et l´incertitude quant à ce qu´ils pourront venir faire gagnent beaucoup d´haïtiens. Or, ce sont ces mêmes perplexité et incertitude qui les ont poussés à fuir le pays. Il ne peut y avoir de sentiment nationaliste et patriotique quand perplexité et incertitude dominent les cœurs et les pensées. C´est une réalité presqu´absolue que le sentiment nationaliste et patriotique ne saurait être compatible avec la méfiance dans les institutions nationales, la dominance de la corruption, la misère, la pauvreté, enfin, avec l´immoralité politique.

En guise de conclusion, on peut soutenir que le sentiment nationaliste ou patriotique ne se réfère pas à ce que l´on soit physiquement présent dans son pays natal ou l´on réside en terre étrangère, mais répond à un sentiment de confiance que l´on a en son pays, en son système surtout celui de la justice, dans les institutions morales, politiques, religieuses, économiques et juridiques. Un Français qui migrerait en Allemagne ne serait pas moins nationaliste et patriotique que celui qui n´a jamais mis les pieds dans un pays étranger, mais les deux se sentent nationalistes parce qu´ils partagent les mêmes sentiments de confiance dans les institutions françaises et dans le système français, sont prêts à défendre les mêmes intérêts nationaux, enfin, sentent qu´ils forment entre eux une nation autour de la patrie, un des intérêts communs qu´ils doivent pas seulement défendre, mais aussi élever en dignité et valoriser. Un tel sentiment ne devrait pas s´effriter, se dévaloriser, s´affaiblir voire se détériorer. Sur ce point-là, on peut de dire que chez la majorité des Haïtiens il y a une méfiance et même un mépris pour les institutions, la justice en particulier. Les haïtiens n´ont pas conscience qu´ils forment entre eux une nation, ils ne se sentent pas concernés de près ou de loin par les problème sociaux, politiques et économiques qui bouleversent le pays, en fait, la patrie est pour la plupart un vain mot qui a perdu tout son sens. Sur ce, vu sa condition de vie et en cherchant ailleurs le strict minimum qu´on aurait dû lui offrir dans son propre pays, l´haïtien se rend, malgré lui, apatride et antinationaliste.

Campinas, 31 janvier 2019 

lundi 3 décembre 2018

HAITI: ENTRE L´ENTÊTEMENT DES UNS ET LE RADICALISME DES AUTRES, LE PEUPLE EN ÉTAU

Réumé

L´idée de ce texte est de critiquer la triture politico-sociale caractérisée par l´entêtement et le radicalisme, deux types de comportement qui mènent à l´irritation et à la ruine. En 2004, le premier a donné naissance aux rat pa kaka et le second à grenn nan bouda, deux expressions qui traduisent notre faible niveau dialéctique. Il est né de l´observation et de l´analyse de la conjoncture sociale et politique présente d´Haïti, dominée, d´un côté, par un radicalisme de rache manyòk, vle vle pa vle fòk li ale de la part de l´opposition, par un certain entêtement de l´administration en place de ne pas changer de stratégie, de technique et de méthode quand cela ne va pas. Ainsi, l´obectif consiste à faire comprendre que dans cette conjoncture la seule principale victime est le peuple pris dans l´étau de l´entêtement des uns et du radicalisme des autres.

Mots-clé: Entêtement. Radicalisme. Peuple. Opposition. État

Introduction: Le peuple, la bête à queue

Haïti se trouve une fois de plus à quelque mètre du gouffre voye ale, rache manyòk politique, de l´ultime malédiction vle pa vle fòk li ale qui, semble-t-il, devient depuis un certain temps l´unique manière d´une classe d´hommes récalcitrante et pleurnicharde de faire de la politique, d´occuper malsainement l´espace public, d´abuser de la bonne foi des honnêtes gens, de manipuler les masses, de tromper les faibles d´esprit, d´induire en erreur la population haïtienne, enfin, de rendre le pays encore plus instable, ingouvernable et indirigible. Jusqu´à quand le peuple haïtien comprendra que cette dernière le manipule, ne cherche que sa ruine, son malheur et, en revanche, ne se soucie que de son intérêt personnel? Il est temps qu´il comprenne que le proverbe créole qui dit que: "bèt ki gen ke pa ka janbe dife" s´applique à lui et à lui seul, car, ce dife dont il s´agit ici ce sont toutes les conséquences néfastes des actes de déchoucage, de barbarie, de violence, d´incendie, de cassure et de coup d´état (classique ou brutal) qui retomberont sur lui, et ce sera toujours sur lui dans la mesure où dans les maillons de la chaine sociale, il est le plus vulnérable et fragile.

En tant que bête à queue - voire à longue queue -, il ne peut pas prendre le risque de traverser le feu de cette barbarie collective qui s´annonce, c´est-à-dire être directement ou indirectement impliqué dans ces actes ou s´en faire complice, sinon il se brûle, alors que, eux, ces manipulateurs - si on suit bien leur regard et on décortique leur discours -, ils n´ont aucun sentiment d´appartenance à ce pays, donc, rien à laisser en retour (même pas pour les ingrats), ce sont des bêtes sans queue dont la progéniture, la racine familiale et l´intérêt économique se trouvent ailleurs. En ce sens, ils peuvent créer le chaos et inventer tout prétexte pour faire d´Haïti une terre d´enfer en ravageant tout ce qu´ils auront trouvé sur leur passage. Ils font le grand semblant de vouloir obstinément un balayage politique total et radical pour le progrès du pays et le bien-être du peuple. Et c´est dans le radicalisme de ce déblayage que se trouve même le piège du chaos et de la souffrance qui attend le peuple.

1. La triture de l´entêtement et du radicalisme

Certains réclament la réforme des institutions, d´autres la révolution sociale, comme si  l´une et l´autre pouvaient se faire dans ce climat de désordre, de radicalisme et de violence psychologique tels qu´ils s´aperçoivent dans les discours de l´opposition actuelle. Ceci n´est moins pas impossible non plus avec une administration centrale de l´État amorphe et têtue parce qu´il continue à utiliser des formules qui ne fonctionnent pas. C´est donc l´entêtement des uns et le radicalisme des autres qui apportent la souffrance atroce à ce peuple, le coincent dans un étau pour qu´il vide de tout son jus, mais, malheureusement, il aime le plus souvent suivre ceux et celles qui se plaîsent à le faire le plus souffrir. L´intelligence, la raison et le dicernement doivent permettre à chacun d´apprécier la position des différents camps pour comprendre que l´entêtement du gouvernement d´une part, l´intransigeance et le radicalisme de l´opposition de l´autre exposent le pays à une guerre civile, si laquelle guerre civile n´a déjà lieu dans la mesure où une frange de la population (les bandes armées et les gangs) détient une quantité plus imposante d´armes à feu que la police nationale elle-même. Dans ce cas, on n´écarte pas la possibilité que le pays tombe dans une situation irreversible où pour vivre en Haïti il faudra être armé pour ne pas dire lourdement armé.

J´avais fini par comprendre que, en 2004, le fondement du vle pa vle fòk li ale des groupes de l´opposition contre le régime d´alors, ce qui nous a conduit à la boucherie d´un mercenaire, était de se débarrasser d´un homme - estimé embarrassant pour certains, dérangeant et menaçant pour d´autres, trop ambitieux selon une autre catégorie - et non d´un système social qui, depuis plus d´un siècle, est inefficace et inéfficient. Jeune étudiant que j´étais dans cette période, j´avais le flaire que ce  grenn nan bouda fòk li ale n´allait pas apporter la solution que le peuple - les plus démunis, pauvres, miséreux et vulnérables - espérait sans savoir moi-même qu´elle en était la bonne ou la vraie. Je me suis même disputé avec plusieurs amis sur le fait que le départ de M. Aristide n´était pas à l´époque la vraie porte de sortie de crise, car j´avais la conviction que l´homme était détesté pour son origine sociale même s´il a commis beaucoup d´erreurs parmi lesquelles le fait de ne s´être pas montré à la hauteur de l´étoffe d´un chef d´État, d´avoir succombé aux caprices des masses populaires, aux bassesses de l´opposition et aux indélicatesses de ses entourages politiques, et de n´avoir pas su exploiter au bon moment et à bon escient les faiblesses de l´opposition qui se trouvaient dans sa radicalisation elle-même. Lorsqu´on parvient à cette position suprême de l´État, on gouverne pour tous et non pour un groupe ou une classe sociale, politique ou économique particulière, même pas pour les supporters, partisans et sympartisans qui vous ont hissé à ce sommet.

De fait, il faut comprendre que le départ de M. Aristide a été précipité par son propre entêtement à poursuivre dans la voix de l´erreur (des erreurs même gravissimes) d´une part, mais d´autre part il a également été causé par la radicalisation et l´obsesssion d´une opposition qui laissait visiblement apparaître sa haine viscérale contre l´homme: le problème était l´homme et non les actes et les actions qu´il posait, encore moins le système social dont il est le produit. Aujourd´hui, le problème demeure entier, c´est toujours contre tel homme que l´opposition lutte, contre tel qu´elle se radicalise, encore avec tel homme qu´elle a un problème, quel problème? personne ne sait. Ce qui signifie que la société haïtienne a un sérieux problème avec elle-même parce qu´elle gère et organise mal ses ressources humaines. Ce problème avec tel l´homme ce n´est pas dans le sens d´un manquement de compétences humaines, de fuite de cerveaux, de panne d´hommes avec probité, honnêteté et dignité (bien que très peu nombreux) qu´il faut le cerner, mais dans le sens du respect de l´autre et du minimum de confiance qu´il doit mériter.

En 2018, 14 ans plus tard, c´est le tour de M. Moïse de goûter au sirop fiel de ce vle pa vle fòk li ale, et, s´il s´entête et ne fait pas bien attention au radicalisme de ses opposants, le bâton qui a frappé le chien noir, sera retourné contre lui. Alors, on doit poser la question suivante: démission pourquoi faire? Bien sûr pour retomber dans les mêmes bêtises et calamités d´hier, pour ressusciter les vieux démons racistes et coloristes qui défendent une suprématie noire dans un pays dont le peuple est presque 100 % noir, n´est-ce pas un non sens? Tout est le fruit du radicalisme aveugle. Car, dans ce pays, il existe une classe d´hommes qui s´adonne mordicus à cette pratique, croient au chaos, se complaisent dans la misérabilité et l´appauvrissement de ce peuple, sont maladifs du pouvoir et se déterminent à le conquérir par le coup d´état, en manipulant le peuple, en marchant sur son cadavre et en riant de son sang qui gît. Et, le peuple comme innocent, sombrera et perdra tout. Cela ne veut nullement dire que les hommes au pouvoir sont différents des opposants qui cherchent à tout prix leur chute. Bien au contraire, les deux ne se soucient guère du bien-être du peuple et n´ont, par conséquent, qu´un but commun: coincer le peuple et le mettre dans un étau pour le pétrir. Voilà pourquoi, il doit se surveiller de ces deux belligérants quand ils s´affrontent, car, de toutes les façons sa place inamovible se trouve au milieu de ces deux extrêmes dont, quelque fois, l´un s´entête et l´autre se radicalise.

S´il n´est pas un impératif social ou politique que M. Moïse termine son mandat dans la mesure où il s´avoue incapable et incompétent de diriger le pays, il n´est pas non plus obligatoire qu´il parte et abandonne l´administration de l´État à des gens qui sont pires que lui en matière du respect des règles démocratiques et des droits individuels, de la protection des vies et des biens, de la gestion des choses publiques. Si toutefois il veut bien y rester, il doit cesser d´être l´image incarnée d´un démagogue et d´un populiste dont le pays n´a pas besoin pour le moment, corriger certaines erreurs comme le mensonge sur l´électrification du pays en 24 mois (alorsqu´il en reste moins que 12, je crois, pas une lueur de perspective rationnelle), dire la vérité et toute la vérité à ce peuple sur le système social, politique et économique actuel du pays, sur l´état financier du trésor public, sur son incapacité à résoudre certains problèmes et sur sa capacité et ses moyens à en résoudre d´autres, éviter de s´entêter dans la voie de l´ignorance et de commettre les mêmes erreurs grossières que quelques-uns de ses prédecesseurs, être flexible et ouvert aux discussions tout en évitant l´hypocrisie et en cultivant la franchise, chercher à reprendre son autorité. Tout cela pourra, peut-être, porter la population à entrevoir au lieu de son incapacité présumée à diriger le pays, l´obstination et l´obsession d´un coup d´état classique que mijote cette opposition sans vision. Mieux vaut périr avec la vérité - si cela s´avère inévitable - que de patoger dans un mensonge dégoûtant, irritant et ruinant,

2.  Ce que l´opposition radicale devrait faire

Il faut rappeler que l´une des principales préoccupations de l´opposition est qu´elle est profondément convaincue qu´un procès Pétrocaribe ne saurait être possible sous la présidence de M. Moïse, avec lui à la tête de l´État, il faut craindre l´impartialité et la faisabilité d´un procès de ce genre, telle est l´expression la plus entendue et citée, l´argumentation soutenue par les membres de ladite opposition. Or, ce procès n´est pas pour aujourd´hui et ne le sera pas non plus pour demain, c´est un long et même un très long procès qui s´annonce, et même l´opposition admet que le procès va au-delà de M. Moïse et de son mandat, "c´est un procès national, dit-elle". Donc, le procès transcende ce gouvernement et relance le débat sur la réforme de l´État, de la justice en particulier. Alors, dans un pareil cas, pourquoi s´acharner sur le mandat de M. Moïse? Pourquoi vouloir qu´il parte? Pourquoi se radicaliser sur la démission d´un élément dont on connaît l´insignifiance dans le cadre d´un problème hautement national? La véritable question est de savoir ce que cherchent réellement ces agglomérats politiques réunis sous une bannière d´opposition.

En fait, si l´on tient compte de ces points de vue, il n´y a aucune logique rationnelle entre le procès à long terme de Pétrocaribe et la démission forcée de M. Moïse, puisqu´il ne peut ni l´empêcher, ni l´initier voire le terminer. Si l´opposition croit honnêtement qu´avec M. Moïse ce procès est impossible, alors il serait mieux qu´elle mène un combat politique dans le but de porter au pouvoir dans les prochaines élections un président et un gouvernement, d´y rester pendant au moins 10 ans pour s´assurer de la matérialisation de ce procès. Toutefois, ce procès ne pourra se débuter qu´après avoir mis sur pied une réforme judiciaire à fond. Sinon, le peuple saura une fois pour toutes que le réel problème de l´opposition radicale est l´homme et non le système judiciaire auquel ce procès devra être confié, car, il faut admettre que le système de justice haïtien tel qu´il est présentement pourri et corrompu n´est pas en mesure de faire un procès de si grande envergure, qui est à la fois national et international, à moins que l´on veuille faire de la démagogie et qu´on se serve de ce dossier comme alibi.

Du reste, le Pétrocaribe est l´affaire du peuple haïtien, des trois pouvoirs politiques, de l´opposition, de l´international, des classes politiques, des organisations, de la société civile, enfin, de chaque haïtien pris séparément. La principale victime est le peuple haïtien qui doit se faire représenter, impérativement, par l´État haïtien pour défendre ses droits et ses intérêts, et, en la matière, la constitution de la république ne confère qu´à la Direction Générale des Impôts, en tant que personne morale, le droit de représenter l´État haïtien par devant les tribunaux et cours nationaux et internationaux. Donc, que l´opposition ne vienne pas embrouiller les gens en faisant exclusivement sienne cette affaire de Pétrocaribe se servant d´elle comme prétexte pour exiger le départ de M. Moïse. Que l´intelligence lumineuse du peuple haïtien lui permette de comprendre aussi que cela ne doit pas marcher, que si le président doit partir, ce ne sera pas en tout cas à cause de ce brûlant dossier dont il sait pertinemment les dangers qui l´entourent.

Or, l´honnêteté intellectuelle voudrait que l´on attaque cette affaire en amont, c´est-à-dire d´adord par la réforme judiciaire qui va bien au-delà d´un simple mandat présidentiel de cinq ans. Bien qu´elle le le saches très bien, l´opposition ne l´entend pas de cette façon. Sa méthode consiste à avoir la tête de M. Moïse d´abord, ensuite le procès. Une méthode qui nous semble inadéquate, car il ne suffit pas d´avoir une méthode, il est important qu´elle quadre avec les objectifs, et, bien que toute question de méthode soit relative, mais elle doit correspondre à la finalité. En fait, l´opposition est sans objectifs (pas d´objectif principal encore moins des objectifs secondaires), elle n´a qu´une seule obsession qui la traverse. Dans cette allure,  on comprend que l´opposition ne veut pas du pouvoir politique sinon elle lutterait pour des élections de moins en moins frauduleuses, mais elle est traversée par un sentiment de haine et de destruction qui rappelle le comportement du ravet. Elle se sert ainsi de ce dossier pour porter un coup au pays, pour préparer un putch en prenant les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages. Cependant, avec un Jovenel Moïse impuissant et sans autorité, le pays est stagné et plonge dans l´immobilisme, il faut donc impérativement un changement de stratégie pour le bien-être du pays, avec une opposition gloutonne et affamée de pouvoir c´est encore pir, on ne peut rien espérer de la transition qu´elle prône. Il faut donc cesser cette attitude obsessionnelle de vle pa vle fòk li ale. 

3. Le peuple étau et le peuple violent

S´il y a au moins une chose sur laquelle on est tous d´accord c´est qu´il faut coincer l´État pour ne pas dire la présidence qui l´incarne, l´amener à assumer ses responsabilités, exiger de lui même l´impossible ou le miracle, car le proverbe créole dit ceci: siw pa pwason ou pa rantre nan nas, cela veut dire que ce n´est ni la folie ni l´envie de diriger ou de gouverner qui devrait piquer un individu, mais il a identifié sciemment et consciemment quelques problèmes prioritaires et compte s´y attaquer en apportant des solutions concrètes et même rapides s´il le faut. Mais, le problème c´est que l´accumulation et la multiplication des problèmes rendent tout prioritaire dans cette société.

Sur ce, les manifestations pacifiques pour réclamer un mieux être et forcer les autorités gouvernementales à améliorer la situation sociale et économique de la population ne sauraient ne pas être encouragées. Le peuple doit rester dans les rues jusqu´à ce que lui-même soit convaincu qu´une certaine amélioration a été apportée à son niveau de vie. Et, quand je dis que le peuple doit rester dans les rues, pas dans le sens rectiligne ou radical, mais de façon systématique et continue à chaque fois que ses droits les plus élémentaires ne sont pas accomplis. Par ailleurs, l´État haïtien doit cesser d´irriter le peuple et de le porter à la violence, pour ce faire, il doit entendre ses larmes, ses pleurs et ses cris dès les premiers instants même qu´il crie sans attendre qu´il tombe dans le désordre, le brûlage des pneus, les casses de véhicules, les incendies des pompes à essence, enfin, dans toute action douée d´une certaine violence dévastatrice. Ce nouveau cénario social rattrape M. Moïse qui, s´il aime effectivement le pays et souhaite terminer son mandat, doit entendre la voix de la raison, changer son fusil d´épaule sans toutefois tomber dans la démagogie et céder aux chantages de l´opposition, fuir l´entêtement aux erreurs commises, se revêtir l´étoffe d´un vrai chef d´État en gouvernant le pays avec et pour les haïtiens. 

Même s´il faut admettre que tout ne se résout pas par la violence, il y a des problèmes que le dialogue à lui seul ne saurait résoudre, surtout quand il est sourd et a l´allure d´un verbiage délirant. Par conséquent, on doit éviter de diaboliser, sataniser, démoniser ou lucifériser la violence parce qu´il existe de la bonne violence pour la bonne cause. Il y a tellement d´exemples à choisir pour illustrer cette bonté de la violence que, pour éviter d´être abondant, je ne me contente que de souligner un seul: la violence des esclaves contre les colons qui a abouti à une révolution, laquelle révolution a créé un peuple noir libre. Sans cette violence révolutionnaire et réparatrice on n´entendrait jamais parler d´une terre, symbole de liberté, d´humanité et des droits de l´homme, appelée Haïti. L´État s´octroie le monopole de la violence légitime sans laquelle il n´y aurait pas régulation et équilibre des rapports sociaux, réduction des fossés entre riches et pauvres, gestion des dissensions sociales, établissement d´un minimum de justice et de justice sociale. Donc, il est absurde de dire que la violence ne mène nulle part, elle mène quelque part, mais c´est ce quelque part qu´il faut redefinir et viser d´abord avant de commettre la bonne violence pour la bonne cause qui aboutira au bon résultat. Le peuple doit être violent, mais d´une violence modérée, car, s´il ne l´est pas, il se fera indéfiniment piétiner et restera dans cet étau. Mais je le repète, qu´il le soit en usant d´une violence positive, bonne, réparatrice, constructrice et progressiste qui amène à la bonne solution.

Considération finale

En résumé, ce n´est pas un appel à la violence (destrutrice ou réparatrice; dévastatrice ou révolutionnaire), mais un support à la violence positive, bonne et classique pour changer quelque chose dans ce pays. Tout changement marche de pair avec la violence, qu´elle soit douce ou amère. Quand on veut changer son régime alimentaire, on violente le corps, toujours hostile au changement, pour qu´il s´y remette. Si les États peuvent utiliser la faim - la plus cruelle et mortelle des violences humaines - pour décimer leur propre population sans jamais lever le petit doigt, de même, le peuple peut forcer les autorités à améliorer sa situation économique et sociale sans jamais briser un vitre, incendier une seule pompe à essence, lancer des pierres contre des policiers, priver l´autre de son droit d´entreprendre ses activités, ce, en violentant le système et non l´homme, en occupant l´espace public. À l´instar d´un auteur qui a dit: Craignez un chef qui a peur", je dirais qu´il faut craindre un peuple dont la situation sociale, économique et financière se dégrade de jour en jour.

Campinas, 4 décembre 2018