THE PROCEDURE OF THE IMPEACHMENT OF
THE SENIORS STATE OFFICIALS IN THE HAITIAN LEGAL SYSTEM: CRITICAL REFLECTIONS
ON THE JURISDICTION OF THE HIGH COURT OF JUSTICE
Résumé
Ce
travail a pour objet l´analyse de la procédure de mise en accusation des hauts
dignitaires de l´État à commencer par le président et le premier ministre dans
le système juridique haïtien. En se basant sur la constitution et les lois
haïtiennes, et, à la lumière d´exemples comparatifs dont le Brésil, l´objectif
consiste à faire ressortir les ambiguïtés et les confusions dont une telle
procédure est frappée alors qu´elle ne saurait être conduite que par cette
juridiction politique appelée la Haute Cour de Justice. Cette étude, en
termes de résultat, devra nous amener à souligner la compétence et l´impuissance de cette Cour.
Mots-clé:
Haute Cour de Justice. Mise en accusation (Impeachment). Haut
fonctionnaires de l´État. Procédure.
Abstract
The purpose of this work is to analyze the impeachment process of senior state officials,
starting with the president and the prime minister in the Haitian legal system. Basing on
the Haitian constitution and laws, and in the light of comparative examples including
Brazil, the objective is to bring out the ambiguities and confusions that such a procedure
is struck at when it can only be conducted by that political jurisdiction called the High
Court of Justice. This study, in terms of results, should lead us to emphasize the
competence and the impotence of this Court.
Keywords:
High Court of Justice. Impeachment. Seniors State officials. Procedure
Introduction
Afin
de contrevenir aux dérives, impressions d´intouchabilités et super puissanceque
projettent certains hauts fonctionnaires de l´État dans l´exercice de leur
fonction, la constitution
haïtienne du 29 mars 1987 - dont le dernier amendement remonte
à 2012 - institue, dans
les articles 185 à 190, une
instance appelée laHaute Cour de Justice chargée d´instruire la procédure de mise en accusation
- appelée dans le jargon juridique anglo-saxon Impeachment - des hauts fonctionnaires de l´État qui, dans l´exercice de leur fonction,
se seraient trouvés coupables de crimes
ou délits, de les poursuivre et de les
juger conformément à la constitution et aux lois républicaines. En créant cette instance, on peut
supposer que, théoriquement, les constituants avaient en tête de faire valoir
le principe selon lequel le pouvoir arrête le pouvoir enmettant un frein
et un terme au super pouvoir et à la puissance illimitée que s´octroyait la
présidence et de porter les hauts dignitaires de l´État à avoir bonne
conscience de ce que tout ne leur est pas permis dans l´exercice de leur
fonction et que, bien que protégés par la Loi, la haute fonction qu´ils
occupent peut les rendre plus fragiles qu´ils ne l´auraient imaginé. Ne dit-on
pas dans le proverbe créole haïtien: “lè yon moun sot pi wo li pran pi gwo
so”? Tout cela est vraiment fantastique sauf dans un État de droit où la
loi et les institutions occupent la suprématie et surpassent les intérêts
individuelles.
Cependant,
depuis la mise
sur pied d´une telle procédure
beaucoup de doutes persistent tant sur sa nature et son efficacité que sur le
fonctionnement, l´utilité, la capacité et la puissance de cette Cour qu´elle
crée à poursuivre puis à juger effectivement un haut fonctionnaire de l´État,
enfin, à rendre une décision de justice impartiale et équitable.Sur ce nous
pouvons nous demander, depuis sa création, combien de hauts fonctionnaires ont-ils
été jugés par la Haute Cour
de Justice;combien de fois le
Sénat haïtien s´est-il effectivement érigé en cette Cour;autrement dit, quelssont les procès que celle-ci a instruis et combien de jugements a-t-elle
déjà rendus? Toutefois,
ces questionnements s´ancrent à un problème beaucoup plus global et complexe, à
savoir, l´handicape interdépendance entre les trois pouvoirs de l´État et la
manière de faire de la politique dans ce pays.
Dans
cet article dont l´objectif est de mettre en évidence les ambiguïtés et
confusions qui caractérisent la Haute Cour de Justice, notre tâche consistera à
comprendre comment fonctionne cette Cour tout en partant d´une tentative de
définition de telle sorte que nous parviendrons à cerner le sens de cette
notion; à chercher à savoir si, dans le cas du système juridique haïtien, il
existe réellement une procédure y relative; à considérer l´exemple de
l´Impeachment brésilien de 2016 pour dissiper certaines lacunes qui ancrassent
le droit haïtien; à faire ressortir le caractère dysfonctionnel de la Cour; à
expliquer pourquoi elle est impuissante, enfin, à réfléchir sur ce qui pourrait
être à l´origine de l´échec de la tentative de mise en accusation de 2013 à
2014 ne Haïti. C´est en nous référant aux textes de loi haïtiens (la
constitution amendée principalement), à quelques articles publiés dans les
journaux sur le sujet, au système juridique et politique brésilien, que, dans
ce travail, nous allons essayer de montrer que la saisine, le mode de fonctionnement et la compétence de cette Cour la diffèrent complètement des autres instances de jugement
ordinaires, qu´elle est impuissante compte tenu de la façon dont le système
politique et social haïtien est campé, par rapport à la mauvaise qualité de
gestion de cette société et au mode de relation que nous développons avec les
institutions.Sur ce, commençons d´abord par répondreau premier point relatif à
la définition de la Haute Cour de Justice tout en cherchant à comprendre en
quoi consiste la mise en accusation dont elle tire son existence.
1. Qu´est-ce
que c´est que la Haute Cour de Justice?
Le
droit français prévoit une Haute Cour constituée par le parlement et chargée de
juger le président, et le cas échéant, de le destituer. Cette procédure de
destitution est prévue à l´article 68 de la constitution française de 1958.
La Haute Cour de Justice, terme que l´on retrouve dans le droit haïtien
est - comme l´a souligné le constituant Dr. Georges Michel dans un article
publié en 2011 au quotidien Le Nouvelliste - une juridiction à essence politique
qui applique des sanctions symboliques, qui ne sont donc ni pénales ni civiles,
à l´encontre de hauts personnages. Créée en effet depuis la constitution de
1806 et reprise par celle de 1987 à des fins politiques, elle est appelée à
juger, particulièrement le président, pour les actes manifestement
incompatibles avec l´exercice du mandat. Elle statue pour juger et sanctionner
aussi les hauts fonctionnaires de l´État accusés d´infractions, délits ou
crimes commis pendant qu´ils sont en fonction.
Il
faut, par ailleurs,souligner par la même occasion que cette procédure concerne
strictement - la constitution étant d´application et d´interprétation stricte -
les hauts fonctionnaires en fonction, qui, au mépris de la loi, auraient commis
des crimes ou délits passibles uniquement de la Haute Cour de Justice. Donc, elle
ne peut les juger que pendant qu´ils sont encore en fonction. En revanche, une
fois qu´ils ont laissé la fonction et dans le cas où la sentence de la Cour n´a
pas été prononcée, ils relèvent désormais uniquement des tribunaux de droits
communs et ne pourront être poursuivis que par ceux-ci en vertu du Code
d´Instruction Criminelle. Ce qui fait que tous les anciens hauts fonctionnaires
de l´État ne sont justiciables ni de près ni de loin par devant la Haute Cour
de Justice dont les sanctions sont plus de nature politique que juridique et
est chargée des dossiers exceptionnels puisqu´elle est une juridiction
d´exception. À partir de cette remarque, on peut comprendre fin de la fonction
d´un haut fonctionnaire impose une sorte de limite et de prescription à la procédure
de mise en accusation en soi.
Outre
que les sanctions de cette Cour s´appliquent dans le droit positif haïtien au président etau premier ministre, elles concernent
également les ministres,les
secrétaires d´État,
les conseillers électoraux, les juges et officiers du Ministère Public près de
la Cour de Cassation et le
Protecteur du citoyen. Les infractions dont elle est
compétente de juger et de sanctionner sont le crime de la haute trahison,
malversations, abus de pouvoirs, fautes graves et forfaiture. En effet, en
référence à sa composition l´article 185 de la constitution se lit ainsi:
Le Sénat peut s'ériger
en Haute Cour de Justice. Les travaux de cette Cour sont dirigés par le
Président du Sénat assisté du Président et du Vice-Président de la Cour de
Cassation comme Vice-Président et Secrétaire, respectivement, sauf si des juges
de la Cour de Cassation ou des Officiers du Ministère Public près cette Cour
sont impliqués dans l'accusation, auquel cas, le Président du Sénat se fera
assister de deux (2) Sénateurs dont l'un sera désigné par l'inculpé et les
Sénateurs sus-visés n'ont voix délibérative (HAÏTI, Constitution de 1987).
Ce
qu´on peut comprendre ici, c´est que la mise en accusation donne naissance à la
Cour, laquelle naissance semble effacer automatiquement l´existence du Sénat. Ceci
ne saurait être autrement vu que les deux ne peuvent siéger en même temps, de
plus, pour que la démarche soit effective, il faut qu´elle poigneautomatiquement
juste après le prononcé de la mise en accusation qui consiste en un vote
solennel issu de la chambre des députés, lequel vote en transformant ainsi
l´accusé en coupable le renvoi par devant la Cour pour y répondre des actes qui
lui sont reprochés. De fait, comme on va le voir tout de suite, le véritable accusateur
demeure la chambre des députés à laquelle la constitution accorde cette
prérogative de formuler son accusation contre le (les) dignitaires de l´État en
question.
2. Y
a-t-il une procédure à suivre?
En
référence à la constitution haïtienne et du point de vue procédural la mise en
accusation est issue de la chambre des députés qui la décide en fonction de la
majorité des 2/3 de ses membres (Art. 186). L´élévation du Sénat en Haute Cour
de Justice représenterait la seconde étape de cette procédure. Cependant, si
elle apparaît si peu compliquée dans la forme, dans le fond elle contient
toutefois certaines ambiguïtés. Il est dit, en effet, qu´à la majorité des 2/3
d´entre eux les députés accusent.Sur ce, la logique veut qu´une procédure
d´accusation se mette en branle contre un des hauts fonctionnaires de l´État
mentionnés ci-dessus. Or, la constitution ou une loi relative à la mise en
application de cette procédure ne précisent pas clairement la substantialité de
cette mise en accusation, comment les preuves matérielles sont constituées ni
si le rapport à être dressé par les députés-accusateurs doit être ou non envoyé
par devant le Sénat pour les suites juridico-politico-légales. De même, la
législation haïtienne ne parle pas de dénonciation, étape importante et
fondamentale dans la mise en accusation, elle est donc muette quant à la façon
dont celle-ci doit être formulée, quand et par qui. On a l´impression que
l´accusation tombe du ciel et que, par un coup de magie, le Sénat s´efface pour
devenir cette fameuse Haute Cour de Justice. On n´entrevoit pas la traçabilité,
la matérialité et la substantialité de la mise en accusation. Il s´agit donc
ici d´un premier aspect des ambiguïtés de cette procédure à souligner.
Par
ailleurs, il y a une certaine difficultéàdéterminer si le Sénat s´érige
automatiquementen cette Cour en se statuant uniquement sur son propre rapport
ou est-ce qu´elle est habilitée - si une loi procédurale lui en aurait autoriséet
en vertu du principe de l´indépendance et de la séparation des deux chambres -
à mener sa propre enquête pour parvenir à ses propres conclusions identiques ou
pas à celles de leurs collègues députés. En outre, nous nous demandons si ce
sont les deux chambres qui mènent conjointement l´instruction de la mise en accusation
ou la mènent-elles de façon séparée et indépendante.Enfin, ambiguë en vertu du
fait que la procédure présentée ici à l´article 186 ne donne pas matière à
comprendre la démarche de l´accusation qui aurait dû commencer par une
procédure de dénonciation. Ce qui la rend un peu floue voire complexe et
compliquée surtout s´il s´agit d´un président. Dans le système social et
politique d´Haïti, en réalité le président n´est pas un mineur, mais un faux
mineur qui se prend pour un super homme revêtu de super pouvoir.
Si
l´on essaie de creuser un peu plus profondémentdans la pensée du législateur,
on verra, quand il est dit à l´article 188: “La Haute Cour de Justice, au scrutin secret et à la
majorité absolue, désigne parmi ses membres une Commission chargée de
l'instruction”, qu´il est logiquement admis que ce soit elle
qui, une fois constituée, ouvre la voie à la troisième étape de la procédure en
élisant sa propre commission afin d´instruire l´affaire. Le sens de cette
instruction est, de notre point de vue, pour déterminer le fondement de
l´accusation des députés. En se tenant à la lettre de cet article et des
précédents, il y a lieu de comprendre que le travail des honorables députés
commence et s´achève avec la mise en accusation dont l´entrée en jeu initie
celui du Sénat qui se transforme en Haute Cour de Justice. Dans un cas pratique
que nous aborderons plus loin, nous verrons que les deux chambres du parlement
haïtien ont séparément conduit une mise en accusation sur un même dossier. Ainsi,
la procédure qui existe dans la constitution amendée n´est pas tout à fait
claire en raison du fait qu´elle ne dissipe pas les doutes sur les contenus de
l´accusation, qu´elle ne fait aucune mention d´une dénonciation alors qu´elle
est un élément fondamental de l´accusation, qu´elle n´est pas accompagnée d´une
loi procédurale à proprement parler.
3. Comment
fonctionne la Haute Cour de Justice?
À
la différence de la Cour de Cassation, cette instance de jugement spéciale ne
siège pas en permanence, elle est occasionnelle et sa durée, provisoire, est
conditionnée par le déroulement du procès de la mise en accusation. Par contre,
comme celle-ci ses décisions, rendues à la majorité des 2/3 de ses membres sous
forme de décret, sont définitives, donc ne sont susceptibles d´aucun recours. À
l´encontre des hauts fonctionnaires jugés pour crime de haute trahison ou tout
autre crime ou délit commis dans l´exercice de leur fonction la HauteCour de
Justice n´est habilitée et limitéeà prononcer que les décisions suivantes selon
l´article 189.1 de la constitution haïtienne amendée: destitution, déchéance et privation d´exercer
toute fonction publique pour une durée allant de 5 ans au moins à 15 ans au
plus. En définitif, l´article 190 stipule que, une fois saisie, elleest tenue
d´aller jusqu´au bout du prononcé de la sentence.
Elle
puise concomitamment son existence et son fonctionnement à travers les deux
chambres qui composent le parlement haïtien, à savoir, la chambre des députés
et le Sénat. En règle générale et en toute logique, le haut fonctionnaire en exercice,
accusé par cette cour, n´est exposé qu´à un des deux scénarios ici présents:
destitution ou réhabilitation. Celle-ci implique ipso facto absolution
et acquittement différemment de celle-là qui traduit la peine maximum. S´il s´agit
du président de la république, sa destitution ouvre la voie automatiquement au
conseil des ministres - présidé par le premier ministre selon les articles 149
et suivants de la constitution amendée - qui le remplace provisoirement. Or, si
les deux, savoir, le président et son premier ministre, sont simultanément
visés par la procédure de la destitution, ni la constitution ni aucune loi ne
précisent qui les remplace ou ce qu´il conviendrait de faire si un pareil cas
se présenterait. Tel est un vide laissé à diverses interprétations. À ce que
l´on comprenne, dans le droit haïtien contrairement à ce qui se passe ailleurs,
ce n´est pas le Sénat qui juge les hauts fonctionnaires de l´État, mais une
instance désignée sous le nom de la Haute Cour de Justice présidée
elle-même par le président du Sénat en personne. Donc, en résumé, si la chambre
basse accuse le Sénat poursuit et juge.
Mais
si le processus de destitution prend naissance au niveau de la chambre des
députés, comment ces derniers parviennent-ils à constituer les preuves
matérielles pour mettre en accusation un haut fonctionnaire de l´État, surtout
lorsqu´il s´agit du président?
Par quel procédé? Quel est en clair le processus par lequel un haut
fonctionnaire de l´État peut-il être accusé de crime de haute trahison ou de
crime ou de délit dans l´exercice de ses fonctions? Comment sont constituées
les preuves substantielles d´une telle accusation? Bien sûr que nous n´allons
pas avoir la réponse à toutes ces questions qui nous chiffonnent l´esprit, et,
à ce qu´il paraît, non seulement la loi et la jurisprudence haïtiennes ne nous
apportent aucune aide légale, mais la constitution et les lois haïtiennes sont
muettes sur la question. Pour combler ce vide et essayer de comprendre comment cela
se passe, nous ferons donc appel à l´exemple de l´Impeachment brésilien.
4. L´Impeachment
brésilien, un cas classique pour comprendre la traçabilité de la mise en
accusation.
Au
Brésil - de même qu´aux États-Unis, en France ou en Angleterre -, il existe clairement
dans la constitution de 1988 la possibilité de destituer un haut fonctionnaire
de l´État à commencer par le président, le vice-président ou les ministres
d´État. Cette prérogative revient, selon les articles 51 et 52 de cette charte
fondamentale, d´abord à la chambre des députés de laquelle provient
l´accusation, puis du Sénat chargé d´organiser le jugement. Il y a lieu de
faire remarquer qu´une loi antérieure à cette constitution - ancrée plus tôt à
celle de 1946 - avait créé cette procédure d´accusation, il s´agit de la Loi
no.1079 du 10 avril 1950, qui, en dépit de ses grosses lacunes, outre
qu´elle détermine les hauts fonctionnaires à accuser, trace très clairement la
procédure à suivre depuis la dénonciation jusqu´au jugement final. Celle-ci en
effet consiste à dénoncer, ensuiteà poursuivre, puisà juger etenfin à destituer
n´importe quel haut dignitaire de l´État en exercice pour les crimes graves
dont ils sont coupables. Leur destitution doit passer, bien entendu, par leur
mise en disponibilité provisoire pour une durée de 180 jours en attendant qu´un
jugement final vienne soit les rétablir intégralement dans leur fonction -
s´ils ont été innocentés -, soit les destituer définitivement dans le cas où
les faits reprochés sont avérés.
Dans
le droit brésilien, cette procédure ne peut être enclenchée que pour les crimes
de responsabilité parmi les plus connus nous retenons le crime contre
l´existence de l´union et le crime contre la loi budgétaire. En effet, le crime
de responsabilité s´entend, selon l´article 4 de cette loi désormais appelée Loi
d´Impeachment dans l´opinion publique au Brésil, tout acte du président de
la république susceptible de porter atteinte principalement à la Constitution
Fédérale et, particulièrement, à l´exercice du pouvoir judiciaire, du pouvoir
législatif et des pouvoirs de l´État, au libre exercice des droits politiques,
individuels et sociaux, à la sécurité interne du pays et ainsi de suite.
Toutefois, la procédure relative à l´Impeachment d´un haut fonctionnaire ne
commence pas toujours à la chambre des députés, elle varie selon le type de
fonctionnaire et l´organe institutionnel auquel celui-ci appartient.
Avant
de mettre un peu d´accent sur l´essentiel de l´Impeachment de 2016 - une histoire
fraîche et inspiratrice dans le cadre de cet article - afin de comprendre par
quel procédé la présidente Dilma Rousseff a été accusée, puis écartée de la
présidence pour 180 jours, enfin destituée par le Sénat brésilien, il est
important de souligner, de façon très succincte, que, selon cette loi
brésilienne sur l´Impeachment, il est du ressort de n´importe quel citoyen de produire
par devant la chambre des députés une dénonciation contre le président, le
vice-président ou les ministres d´État pour les crimes de responsabilité prévus
à l´article 14 de la loi sus-citée, ce en l´accompagnant de preuves matérielles
et de témoins. Il revient au président
de la chambre des députés d´apprécier la recevabilité oul´irrecevabilité de cette
dénonciation. De ce fait, une fois reçue à la chambre des députés et le
président estime qu´il y a matière à poursuivre, la dénonciationsera soumise
d´abord à une étude technique ordonnée par le président de la chambre afin que
l´assemblée, par des analyses et avis de techniciens, puisse voter de sa
recevabilité ou de son irrecevabilité. Pour ce faire, c´est à une commission d´enquête
spéciale - constituée parmi les députés et à laquelle un délai de 10 jours est
accordé - que reviendra la tâche de dire si oui ou non la dénonciation peut
être reçue. Dans l´ensemble, le processus est marqué par quatre étapes clés:
dénonciation, accusation, jugement et destitution ou réhabilitation.
La
réhabilitation ou la réintégration sous-entend que l´inculpé a reçu un avis
défavorable des commissions d´enquête de
son inculpation à une phase initiale du procès, ce après avoir été l´objet de
deux grandes décisions: le prononcé de l´accusation et la suspension d´exercer
la fonction pendant 180 jours. Si cet avis défavorable se produit à la chambre
des députés, le procès sera d´ores et déjàarchivé là et n´aura donc pas besoin
d´être acheminé au Sénat. Dans ce cas, puisqu´il n´était pas encore écarté de
ses fonctions pendant cette durée de temps, alors on ne peut pas parler de
réintégration ou de réhabilitation, mais le président ou le haut fonctionnaire
concerné par la dénonciation continuera ainsi à exercer ses fonctions
normalement. Le haut fonctionnaire n´est suspendu qu´après le prononcé de
l´accusation par la chambre des députés et le renvoi de l´affaire par devant le
Sénat. Cependant, le rapport de la
commission ayant été soumis au vote des députés, il suffit d´avoir 2/3 d´avis
favorables de ces derniers (324/513) pour que le procès soit enclenché. À cet
effet donc, le concerné dispose de 20 jours pour assurer sa défense pendant
qu´il est automatiquement écarté de sa fonction pour une période de 6 mois.
Cette mise en disponibilité est moralement et éthiquement correcte dans la
mesure où maintenirle concerné dans son poste pourrait gravement nuire au procès
ou l´obstruer.
Au
Sénat, présidé non pas par son président habituel, mais par le président du
Tribunal Suprême Fédéral,
débute le jugement de l´Impeachment dont résultera la décision finale, soit en
faveur de l´accusé ou à son encontre, signée par les 2/3 des sénateurs (54/81).
Le président - si sa culpabilité est avérée - sera définitivement destitué de
sa fonction et remplacé automatiquement par le vice, perdra ses droits civils
et politiques pour huit ans et pourra être poursuivie par les tribunaux de
droits communs. Dans le cas contraire, il sera rétabli dans ses fonctions après
en avoir été écarté pendant cette période de 180 jours. Par ailleurs, si le
vice-président est aussi impliqué dans le procès, dans le cas d´une destitution
des deux, il reviendra au président de la chambre des députés d´assumer la
présidence et celui-ci restera en poste jusqu´à l´élection, dans un délai d´au
moins 90 jours, d´un nouveau président. Telle est, en résumé, dans le droit
brésilien, la procédure relative à la mise en accusation du président, du
vice-président et des ministres d´État,
qui commence par la réception d´une dénonciation jusqu´au jugement final en
passant par l´accusation.
À
présent, en ce qui concerne l´Impeachment de 2016, du point de vue historique
et procédural, le procès a commencé en décembre 2015 lorsque trois avocats,
Janaina Pascoal, Hélio Biscudo et Miguel Reale Junior., après avoir constitué
dossiers, preuves matérielles et documents juridiques, ont déposé à la chambre
des députés une dénonciation suivie d´une demande de destitution contre la
présidente en fonction à l´époque, Dilma Rousseff, pour crime fiscal contre la
loi budgétaire et les crédits supplémentaires qu´elle aurait ordonnés sans
l´autorisation du Congrès. Cette demande après avoir été reçue par le président
de cette chambre a d´abord fait l´objet d´une appréciation sommaire de sa part
et, ayant constaté qu´effectivement il y a matière à poursuivre, il a ordonné
une étude technique plus approfondie par une commission spéciale des députés.
Et, de fait, comme on vient de le souligner, aiguisées par cette commission les
dénonciations portées contre la présidente ont reçu un avis favorable des
honorables députés. Ce qui a abouti à une procédure de mise en accusation à la chambre
des députés, puis à la destitution de la présidente par le Sénat en août 2016
lors d´un jugement final présidé à l´époque par le juge du Tribunal Suprême
Fédéral, Ricardo Lewandowski.
Dans
un premier temps, nous avons choisi l´exemple brésilien non seulement parce
qu´il est récent et facileà comprendre dans le fond comme dans la forme, mais
encore parce qu´il montre très clairement, d´une part, la source d´où provenait
la destitution de la présidente en fonction à l´époque, c´est-à-dire, de la
dénonciation qui a été l´œuvre d´un groupe de citoyens et sur la base de
laquelle la chambre des députés s´est statuée pour parvenir à la mettre en
accusation. Ce qu´il y a lieu de souligner encore, d´autre part, c´est que,
premièrement, la chambre ne s´est pas auto-saisie, autrement dit, la plainte ne
venait pas d´elle-même, deuxièmement, même si le procès d´Impeachment reste en
soi d´ordre strictement politique, la demande dont il est émané et sur laquelle
s´est appuyée la chambre des députés pour enclencher l´accusation vient de
l´extérieur d´une initiative juridico-citoyenne de trois personnes physiques et
axée sur un ensemble de documents juridiques, troisièmement, le jugement final
a été présidé non pas par le président du Sénat, mais par celui du Tribunal
Suprême Fédéral
dont les attributions sont clairement définies aux articles 101 à 103-B de la
constitution fédérale. Donc, d´un côté, il
y a la marque d´un certain équilibre entre les pouvoirs de l´État bien que, on
le répète, le procès se réalise avec une portée plus politique que juridique ou
judiciaire. Enfin, d´un autre côté, cette cohabitation fait ressortir une
question d´éthique dans la mesure où ce sont les députés qui deviennent les
véritables accusateurs et les sénateurs les juges. Sinon c´aurait été une
parodie de justice.
En
second lieu, avec ce cas pratique il s´agit de faire remarquer la faiblesse et
la carence du système juridique haïtien. Elles concernent la dimension formelle
de la procédure.En effet, si nous voyons bien, dans le système brésilien, une
loi corrobore et soutient la constitutionqui concède aux députés et sénateurs
le droit d´accuser, de poursuivre et de juger le président, le vice-président
et les ministres d´État. En outre,le plus important c´est l´aspect
communicationnel entre les deux structures du parlement: la chambre instruit
l´affaire et renvoie sa mention d´accusation par devant le Sénat pour les
suites que de droit. Or, si l´on compare les deux législations, on pourraitdire
que c´est à peu près la même procédure qui s´exécute, mais ceci est faux parce
que la législation haïtienne est boiteuse par rapport à celle du Brésil. Si
nous nous tenons strictement à la lettre de la constitution - étant donné que
c´est le seul texte légal dont nous disposons sur le sujet -, on ne parle
d´aucune commission d´enquête au niveau de la chambre, donc elle ne saurait
produire un rapport. Cette commission, appelée Commission d´Instruction, est
formée par la Haute Cour de Justice par vote secret toujours à la majorité de
2/3 de ses membres. Donc, on ne voit pas ici par quel procédé l´accusation est
accouchée au sein de la chambre basse, de plus, quels sont attributions,
mission et délai de cette commission, là encore la loi est silencieuse.
Ce
qui biaise notre tentative de comparaison, car dans le système juridiquehaïtien,
nous n´avons accès à aucun texte légal de cette procédure, de plus, des exemples
concrets de hauts fonctionnaires jugés par la Haute Cour de Justice sont
inexistants. Pourrait-on citer le procès de la consolidation au cours de
laquelle la loi du 28 juin 1904, qui serait une référence en la matière a été
appliquée? Même là encore, les ambiguïtés ne peuvent être dissipées parce que
la majorité des hauts fonctionnaires épinglés dans ce dossier a continué
d´occuper de hautes fonctions. Il est vrai que c´est un processus de haute
qualité et hors du commun, mais un exemple dans la société haïtienne serait la
bienvenue et nous aiderait à mieux comprendre. C´est aussi un handicape à cette
procédure puisqu´elle n´a absolument aucun exemple qui l´accompagne et la
matérialise. À mesure que le pays s´enfonce dans les pratiques de coups d´état
il s´éloigne des possibilités de donner vie à cette Cour et de la rendre
efficace. Or, les coups d´état sont, à l´inverse de la procédure d´Impeachment,
la voie la plus facile et la plus rapide aussi, par conséquent la voie
désinstitutionalisante de la Haute Cour de Justice. Enfin, malgré la
délicatesse du système politique américain, le pays a connu trois procédures de
mise en accusation de présidents en fonction, le Brésil n´en a connues que
deux, alors n´était-ce pas les coups d´état on ne serait mesure de compter
celles qu´Haïti aurait pu accoucher. Tout au moins, l´exemple de ces pays nous
démontre toute la complexité de la procédure surtout lorsqu´elle indexe un
président de la république.
5. Le
caractère dysfonctionnel de la Haute Cour de Justice en Haïti
Dans
le cas d´Haïti, si la constitution, texte monumental et référentiel des grandes
lignes de l´organisation de l´État et de la société, crée la Haute Cour de
Justice, il revient par conséquent à une loi spécifique d´en définir plus
largement la portée, la définition, l´organisation et le mode de
fonctionnement. À défaut de celle-ci, la Cour est bancale et ne peut produire
aucune efficacité quant à la bonne marche de l´État et à l´établissement d´un
État de droit.Dans le système juridique haïtien, il existerait une loi, celle
du 28 juin 1904 - toujours en vigueur, mais très désuète -, qui, paraît-il,
tracerait une procédure de destitution du président ou de tout autre haut
fonctionnaire. Elle aurait en quelque sorte renforcé la Loi du 7 juillet 1871
qui apporterait des précisions sur les dénonciations concernant les
fonctionnaires en fonction. Or, il est clair que dans l´état actuel du système
social et politique haïtien ces deux lois, désuètes et inadaptables, ne peuvent
plus répondre aux besoins de la société. Les lois désuètes ne manquent pas dans
le système juridique haïtien. Mais, étant donné que ces deux textes ne sont
point accessibles, il est donc difficile d´en prendre connaissance et d´en
analyser la portée. Cette évaluation, peut-être, nous aurait-elle permis - comme nous venons de le voir dans le
cas brésilien - de comprendre le mécanisme par lequel la chambre des députés
est saisie d´une dénonciation contre un haut fonctionnaire en exercice,
comment elle procède en fonction de celle-ci pour juger si oui ou nonelle est
susceptible de suivre un parcours procédural tel que prévu par la loi. Mais, cette
législation fait gravement défaut etc´est ce qui constitue un handicap majeur quant
à la compétence même de cette Cour voire à sa capacitéà juger les hauts
fonctionnaires.
On
serait même tenté de dire que si, d´un point de vue logique et méthodologique,
l´article 185 de la constitution haïtienne n´aurait pas dû succéder les 186 et
suivants, car c´est en vertu de la prononciation de la mise en accusation
provenant de la chambre des députés que le Sénat pourra s´élever à la hauteur
d´une telle Cour. Or, on ne comprend pas trop pourquoi le Sénat doit-il
s´ériger en Haute Cour de Justice si celle-ci doit être présidée par le
président du Sénat, ni pour quelle raison ce n´est pas le président de la Cour
de Cassation-
la plus haute instance suprême de jugement - qui préside cette juridiction
spéciale siégeant à l´extraordinaire pour juger des gens extraordinaires. En
dépit de toute sa dimension hautement et essentiellement politique, il s´agit
quand bien même d´un jugement, ce malgré la présence de l´assemblée politique
que représente le parlement. Le sens même de l´expression Haute Cour de
Justicenous laisse perplexe dans la mesure où le jugement est administré
par le président du Sénat, un personnage controversé revêtu d´une casquette
hautement et essentiellement politique. Pour nous, vue cette configuration
préalable de cette Cour, elle ne saurait produire qu´une sorte de parodie de
justice, car celui qui accuse c´est encore lui qui juge, or, si l´on comprend
bien l´essence de l´Impeachment, il relève exclusivement de la responsabilité
du Sénat, donc dans le cas d´Haïti il ne saurait être accusateur et juge à la
fois.
Ainsi,
la présence du président de la Cour de Cassation dans la composition de cette Cour
- dans un rôle de vice-président- nous paraît fantoche et ne marque pas,
contrairement au cas brésilien, le principe de l´équilibre et de la
cohabitationentre les pouvoirs de l´État. Cela engendre par ricochet un
problème éthique et morale sur les décisions que peuvent rendre les sénateurs
en Haute Cour de Justice. Cela permet en partie de comprendre pourquoi depuis
la création de cette procédure, il n´y a jamais eu un seul jugement de
président etpourquoi la tentative de mise en accusation qui visait
principalement le président Michel Joseph Martelly, le premier ministre Laurent
Lamothe et le ministre de la justice Jean Renel Sanon, entre 2013 et 2014, a
piteusement été étouffée dans l´œuf. Ces éléments tendent à montrer le
caractère dysfonctionnel de la Cour qui, en absence d´une réforme législative,
restera une institution remplie de pouvoir mais sans pouvoir.
6. Qu´est-ce
qui explique l´impuissance de la Haute Cour de Justice?
L´impuissance
qui frappe la Haute Cour de Justice, donc, qui rend la procédure y relative
presqu´inutile ne date pas d´hier, mais s´ancre à notre histoire politique et
mérited´être comprise sous deux angles: notre incroyance dans les institutions
(pour ne pas dire notre profonde incrédulité à les bien faire fonctionner) et les
comportements sociaux et politiques autoritaires qui dominent nos relations
sociales et professionnelles au quotidien avec les institutions. En effet, si,
d´une part, depuis sa création cette procédure était effectivement appliquée à
la lettre les coups d´états subséquents des acteurs politiques nationaux que le
pays a connus - dont le dernier remonte à 1991 - ne deviendraient pas au cours
des dix dernières années une pratique politique et sociale quasi normale dans
un pays où le mode de gouvernance s´accentue sur la désintégration et la
désacralisation des institutions. C´est ce que nous appelons dans un langage
beaucoup plus sévère l´in-institutionnalité.
D´autre part, si nous avions vraiment confiance dans la capacité, la compétence
et l´intégrité de nos institutions, jamais les pratiques de déchoucages et de
vle pa vle fòk li ale, les actes de vandalisme, les violences populaires,
les casses, les incendies (parfois pour une chose qu´une simple entente aurait
pu résoudre) n´auraient pris autant d´ampleur dans le pays, ces actions
seraient l´exception et non la règle, et, par dessus tout, le peuple saurait
quel comportement adopter lorsqu´il occupe l´espace public et quelle voie
suivre. Ainsi, les institutions auraient joué leur rôle convenablement et
efficacement dans le respect des normes et les mouvements de protestation de
1986 et de 2004 - jusqu´à ceux d´aujourd´hui -
qui aboutissent souvent à la démission et/ou à l´exil des présidents seraient
moins violents et apporteraient d´autres leçons que celles du mépris absolu, de
l´incompréhension et de la désinvolture à l´endroit des institutions
nationales.
En
second lieu, la plupart des hauts
fonctionnaires de l´État - pour ne pas dire tous - ont
tendance à se comporter comme étant au-dessus des lois et des principes
institutionnels. Dans leurs attitudes et leurs relations interprofessionnelles
les institutions viennent
en-dessous de
leurs intérêtsparticuliers,
donc ils piétinent les règlements intérieurs, les changent fréquemment comme
bon leur semble ou en font fi tout simplement. En conséquence, ils deviennent automatiquement des intouchables, des super hommes (ou
super femmes).ce qui engendre une désarticulation sociale de nos institutions
c´est-à-dire leur détachement complet de la réalité, une désintégrationde
l´individu du système social et politique et la décomposition sociale de la
société. Un manque de rigueur et dediscipline dans le système judiciaire haïtien ajouté
à une domination unilatérale des autres pouvoirs par un autre pourrait être à
l´origine de tels comportement a-démocratiques de la part de nos dirigeants
(élus comme nommés).
Et,
même si, en principe, nous savons parfaitement bien que la démocratie suppose
le bon fonctionnement, le respect et la suprématie des institutions,que l´abécédaire
juridique universel précise que nul n´est au-dessus de la loi, en Haïti c´est
tout le contraire qui se produit. On y croit encore que la loi est un bout de
papier que l´on peut modifier, changer, jeter, déchirer voire brûler à
n´importe quel moment. Avec un simple coup d´œil rapide sur l´historicité du
systèmepolitique et constitutionnelhaïtien, il nous est possible de constater
que, en dépit de notre ancienneté historique en tant qu´État et de l´ancienneté
de notre système juridique, jamais un haut fonctionnaire de l´État haïtien n´a
été fait l´objet d´une enquête lors d´une mise en accusation voire poursuivi
par cette Cour, alors que ce ne sont pas les cas de corruption, les
malversations, les abus de pouvoir, les détournements de fonds, les crimes, les
trahisons qui manquent. Ils se pleuvent à longueur de journée.
Voilà
pourquoi, il n´est pas possible ici d´évaluer la force et la faiblesse encore
moins l´efficacité et la limite de la Haute Cour de Justice tant que nous ne la
voyons pas à l´œuvre. Jusque là, elle n´est confinée que dans l´ordre d´invention
utopique, donc difficile de savoir si elle est fiable et crédible ou pas. Tout
ce qu´il nous est permis de comprendre c´est son impuissance à être une
véritable juridiction suprême dans la mesure où, malgré les cas avérés de
crimes de hauts fonctionnaires commis dans l´exercice de leur fonction, elle
n´est pas devenue réelle, ce, pendant longtemps. En revanche, ce sont les
manifestations et protestations violentes qui prennent le dessus sur elle. Les
chasses aux sorcières, l´exil forcé, l´expulsion, l´isolement ou l´exclusion
diminuent considérablement son importance et fragilise sa puissance dans la
société. On préfère ces procédés violents et a-institutionnels à elle, car, en
plus d´être populistes et populaires ils représentent la voie la plus facile. Tout
ceci caractérise l´obstacle que la Haute Cour de Justice doit surmonter afin de
jouer son rôle institutionnel. Sinon en plus d´être une fiction juridico-politique,
elle ressemblera toujours à l´incarnation même de notre démagogie politique.
Nous aimerions illustrer cette assertion avec la tentative de mise en
accusation en 2013 - disons de préférence ce camouflage - qui a failli coûter
chère à la présidence et au gouvernement.
7.
Ce qu´il faut comprendre de la tentative de mise en accusation de 2014: Une
Haute Cour de Justice en souffrance
Malgré
l´allure un peu démagogique dont elle accusait, la tentative de mise en
accusation enclenchée, entre 2013 et 2014, contre le président Michel Martelly,
le premier ministre Laurent Lamothe et le ministre de la justice Jean Renel
Sanon pour leur implication présumée dans la mort suspecte du juge Jean Serge
Joseph, a, du point de vue institutionnel, été une démarche positivement
intéressante en ce sens qu´elle tendait à valoriser l´institutionnalisation de
nos conflits politiques. En effet, le juge en question était chargé d´instruire
le dossier des plaintes portées par des avocats contre la famille
présidentielle pour des actes de corruption, d´usurpation de titre, de
détournements de fonds publics et de malversations. Selon les avocats de
l´accusation, la femme du président et son fils aîné auraient détourné de
fortes sommes d´argent dans des projets non autorisés la Cour supérieure des
comptes, qui n´aboutissent à aucun résultat et se seraient passés pour des
fonctionnaires de l´État en violation de la loi.
À
la chambre des députés et au Sénat, l´affaire du juge a, simultanément et
parallèlement, été soumise à une commission d´enquête. D´un côté, les sénateurs
ont élu, au début du mois d´août 2013, leur propre commission d´enquête
chargée de vérifier si, premièrement, le 11 juillet, une quelconque réunion
aurait été, effectivement et/ou clandestinement, tenue au cabinet de Me. Gary
Lissade à laquelle auraient pris part le président, le premier ministre, le
ministre de la justice et le juge Serge Joseph, deuxièmement, s´il y aurait un
quelconque rapport de causalité entre les issus de cette réunion et la mort
subite du juge survenue le 13 juillet dans des circonstances occultes, soit
deux jours après ladite réunion au cours de laquelle le défunt aurait reçu de
graves menaces et pressions que lui auraient lancé ces trois hautes autorités.
D´un autre côté, la chambre basse a procédé de la même façon: treize députés -
tous de l´opposition - demandent la mise en accusation dur président qui pour
eux était le principal concerné, le premier ministre et le ministre de la
justice.
Nous
ne sommes pas en mesure de dire sur quelle loi exactement les honorables
parlementaires se sont fondés pour engager deux enquêtes parallèles sur une
affaire de telle envergure. Sur une plainte formelle de la famille ou d´une
personne physique ou morale intéressée? Sur des rumeurs qui circulent dans les
médias et sur les réseaux sociaux? Ou se sont-ils eux-mêmes auto-saisis de
l´affaire? Le fait est que c´était devenu une affaire nationale qui s´est
répandue dans toute la société haïtienne et, à ce qu´il paraît, l´opinion
publique en était révoltée. Mais, quelle instance de justice précise devait
enquêter sur la mort suspecte du juge? Sa famille a-t-elle porté plainte
formelle en accusant ou pas des tierces personnes? En fait, on ne comprend pas
trop bien pourquoi les parlementaires se sont brusquement jetés sur le dossier
et en avaient fait presqu´une affaire d´État même si, certes, le juge était un
homme d´État.
Le
Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire a lui aussi diligenté sa propre petite
enquête qui, au final, n´a pas révélé que cette rencontre avait effectivement
eu lieu. Sur ce dossier le pays a connu presqu´une panoplie d´enquêtes classées
à la fin sans suite, car, ne sachant pas exactement à quelle autorité revenait
le droit d´enquête sur cette affaire et y parvenir à une conclusion juridique,
c´est-à-dire, donner le mot du droit, tout le monde s´improvisait enquêteur et
juge en même temps. Le commissaire du gouvernement à l´époque n´a pas jugé bon
de mettre l´action publique en mouvement. L´affaire, à ce que nous sachions,
n´avait pas été portée par devant une instance de jugement. Toutefois, c´est elle
qui est à l´origine d´un processus de mise en accusation qui a commencé
simultanément au niveau des deux chambres en août 2013 sans qu´on n´ait en
présence les motifs de la dénonciation comme on vient de le voir dans le cas du
Brésil.
Les
accusations pleuvaient de toute part. En effet, dans le rapport de la
commission d´enquête sénatoriale, dont l´objectif principal était centré sur
les causes de la mort suspecte du juge, les trois autorités sont accusées de
parjure. Selon le contenu de ce texte dont nous disposons un extrait de source
médiatique - l´original ne se trouvant pas en notre possession - les sénateurs
maintiennent mordicus la conclusion selon laquelle une rencontre s´est,
effectivement, tenue au cabinet de Me. Lissade, et que c´est sous la complicité
du juge du tribunal de première instance de Port-au-Prince que le juge Serge
Joseph s´y serait rendu. Adopté par 7 sénateurs dont 9 abstentions et 0 contre
lors d´un vote auquel ont participé 17 sénateurs, le texte continue en disant
qu´au cours de cette réunion ce dernier aurait reçu de graves pressions et
menaces attentant à sa vie privée et à celle de sa famille. Celles-ci seraient
provenues de ces trois dignitaires présents à la rencontre tenue en cachette au
cabinet dudit avocat. Ce rapport a été acheminé à la chambre des députés et
là-dans le Sénat recommande à celle-ci de mettre en accusation ces hauts
personnages sus-mentionnés. En résumé, sans ignorer les autres aspects
politiques de la question, telle était l´affaire qui a été l´élément
déclencheur ou suffisant pour la mise en accusation par une commission
sénatorial d´un président, d´un premier ministre et d´un ministre de la
justice.
Parallèlement,
une motion de mise en accusation circulait parmi treize députés-accusateurs.
Ces honorables députés, en allant un peu loin dans leur petite enquête - et je
dirais même plus loin que leurs homologues sénateurs qui se limitaient
seulement à l´affaire de la mort du juge -, recommandent à l´article 1 de leur
rapport la mise en accusation du président, du premier ministre et du ministre
de la justice pour crimes de haute trahison tels que la violation de la
constitution et de la loi, les abus de pouvoir et les détournements des biens
de l´État et à l´article 2 leur destitution à être prononcée exclusivement par
la Haute Cour de Justice. Dans les Considérant, leur rapport a fait
référence à celui soumis par les sénateurs. Une commission ad hoc de sept
membres a donc été constituée pour analyser les deux demandes de mise en
accusation dont l´une provient de la chambre haute et l´autre de la chambre
basse.
Pourquoi
deux commissions d´enquête parlementaires distinctes sur un même dossier?
Pourquoi deux motions d´accusation au niveau d´un même parlement? Pourquoi deux
enquêtes parallèles dont l´une produite par les députés et l´autre par les
sénateurs? Comment se fait-il que le Sénat a envoyé son rapport à la chambre
des députés tout en lui recommandant de prononcer la mise en accusation?
N´était-ce pas l´inverse sous un angle logique qui aurait dû être fait?
Était-ce la procédure correcte? On n´en sait pas trop. Mais une chose est sûre,
c´est qu´un vide de loi procédurale sur la question a porté chacun à procéder
de sa propre manière. Or, si l´on s´inspire de l´exemple de l´Impeachment
brésilien, seul le rapport des députés aurait dû suffire à être soumis à la
sanction de l´assemblée, à être acheminé au Sénat où il fera l´objet d´une
analyse minutieuse et approfondie de la part d´une commission, et comme ça une
mise accusation serait née. Mais, la chambre des députés en Haïti a dû, dans un
premier temps, rejeter à 54 voix pour, 0 contre et 2 abstentions la demande de
mise accusation formulée par le Sénat et, dans un second temps, statuer puis
écarter d´un revers de main la motion de mise en accusation soutenue par les
treize députés, ce, après avoir pris en compte le rapport du travail produit
par les sept députés-commissaires au terme duquel ces derniers étaient parvenus
à la conclusion suivante:
(...) Il n’y a pas lieu de retenir
la mortdu juge comme motif pour la mise en accusation du président de
laRépublique, du Premier ministre et du ministre de la Justice. Parce que
laConstitution est d’interprétation et d’application stricte, les
commissairesont recommandé à l’Assemblée d’apprécier le rapport à sa discrétion
sanstoutefois influencer le vote. (Le Nouvelliste, 4 juillet 2014).
Ainsi,
deux enquêtes différentes ont été soumises à l´assemblée des députés et les
deux ont, malheureusement, été l´objet d´un rejet et les accusés ont été
blanchis comme de la neige en rappelant qu´ils poursuivaient le cours normal de
leur fonction sans être ébranlés.
On ne sait pas combien de députés ont rejeté la demande de leurs confrères,
mais une chose est certaine, c´est que, contrairement au Sénat très hostile à
l´exécutif, la chambre des députés était favorable à ces trois personnages. Ils
y jouissaient d´une majorité qu´ils se sont acquise au fil temps.
Cependant,
en toute logique et en se tenant à la lettre de la constitution nous pensons
que, de la dénonciation à l´accusation, une seule enquête au niveau de la
chambre basse aurait dû suffire à établir la vérité sur cette affaire. Ce qui
veut dire que, en évitant de tomber dans un amalgame, seule l´enquête des
députés devait valoir et, en tout état de cause, c´est elle qui nous paraît
logique. Mais celle du Sénat, qui ne s´est même pas encore érigé en Haute Cour
de Justice nous semblait inutile et même embarrassante parce qu´elle a lui-même
voté une mise en accusation de trois autorités impliquées dans le dossier,
alors que cette tâche ne relève pas de ses attributions constitutionnelles. De
fait, si, d´après la constitution, la mise en accusation est du ressort des
députés, il était tout à fait logique que c´est de leur rapport que devait
provenir une telle demande. Par cette façon de procéder nous constatons un
piétinement par le Sénat des prérogatives de la chambre des députés, une
confusion entre les deux et une entrave à la justice politique dont le rôle
reviendrait à cette Cour. Nous sommes en droit donc de nous demander si le
parlement avait réellement voulu un jugement de ces hauts fonctionnaires de
l´État, si ce n´était pas du simulacre.
De
plus, ce n´est pas au Sénat de recommander à la chambre des députés de
prononcer la mise en accusation ni à lui de le faire à sa place. Il y va
nettement de soi que, après son enquête, si elle le juge favorable, cette
dernière prononce son accusation et par cet acte, selon l´esprit de la
constitution, permet automatiquement au Sénat de s´ériger en cette Cour. Mais,
d´un point de vue juridique et procédural, tout le monde était perdu dans cette
affaire et, en plus des facteurs politiques qui se jouaient en faveur des
accusés, les ambiguïtés et confusions qui enveloppaient le côté procédural leur
étaient un précieux avantage dans l´ombre. Ainsi donc, au lieu de valoriser
l´existence et la compétence de la Haute Cour de Justice suivant l´esprit de la
constitution, cette tentative de mise en accusation n´a fait que les affaiblir,
a été un affront à cette Cour, a prouvé l´impuissance de cette Cour, enfin, n´a
fait que germer encore plus de doutes dans les esprits quant à la véritable
utilité, compétence, capacité et puissance de cette Cour à rendre justice, même
si celle-ci doit être politique.
Considérations
finales
Nous
concluons en disant que, en dehors de sa dimension démagogique et peu
institutionnelle, cette affaire a mis en lumière notre grande et profonde
incapacité à institutionnaliser la résolution de nos différends surtout
politiques. Les réponses de la rue nous le montrent clairement à chaque fois.
Par ailleurs, un aspect intéressant a particulièrement attiré notre attention
dans cette affaire de mise en accusation, c´est le fait que ni le Sénat ni la
chambre des députés ne se sont référés non seulement aux fameuses Lois du 28
juin 1904 et du 7 juillet 1871 qui, suppose-t-on, seraient une source
procédurale en matière de la mise en accusation, mais à aucun texte de loi
procédurale appuyant leur accusation. Il se peut bien que cette législature ait
voulu marquer la différence, cependant on peut constater dans le rapport des
honorables députés - dont nous disposons une copie tirée sur Internet - que
seule la constitution a été citée comme référence légale et fondement juridique
guidant leur décision de mettre en accusation le président, le premier ministre
et le ministre de la justice. Or, malheureusement, en dépit de sa force, de sa
valeur et de son importance la loi mère ne dit pas tout sur la question - et ne
saurait dire tout puisqu´elle est une vision globale. C´est pourquoi elle a
toujours besoin d´être accompagnée et appuyée par une Loi. Je crois avoir bien
appris deux principes juridiques fondamentaux dont le premier dit ceci: “Il n´y
pas de droit sans procédure, il n´y a pas de procédure sans droit”, et le
second:“Sans les lois la constitution est impuissante”, j´ajouterais aussi
l´adjectif bancale, et cette bancalité générera plus de problèmes
qu´elle en résout.
Enfin,
ce dossier était trop brûlant et dominé par des intérêts colossaux. Il était
conduit aussi avec émotion, précipitation et pression. Ce qui a valu au pays de
rater cette chance de connaître pour une première fois de son histoire un
procès de ce genre. Les étudiants en droit, les légalistes, les éminents
juristes et les constituants auraient adoré cela. Mais, malheureusement,
l´absence d´une loi procédurale n´a pas seulement imposé ici une limite à nos
réflexions et analyses critiques sur le sujet, mais a surtout rendu
l´appréciation de la compétence, de l´efficacité, de la capacité et de la puissance
de cette Cour très difficile. Ainsi, en concluant cet article avec toute son
imperfection et incomplétude, en plus d´en profiter pour plaidoyer en faveur
d´une Loi procédurale de mise en accusation des hauts fonctionnaires de l´État,
laquelle loi doit être moderne, complète et adaptée aux présentes réalités
sociales et politiques, tracer en clair et en détail toutes les étapes et voies
à suivre de la dénonciation au jugement final, nous ne pouvons en même temps
que formuler un vœu saint de voir poindre un jour dans la société haïtienne une
procédure de mise en accusation d´un haut dignitaire de l´État, ce dans toute
son essence, son intégralité et son applicabilité.
Références
CAVALCANTE FILHO, J.
T.; OLIVEIRA, J. M. Impeachment: diretrizes para uma nova Lei deCrimes de Responsabilidade.
Brasília: Núcleo deEstudos e Pesquisas/CONLEG/Senado, Setembro/2016 (Texto para
Discussão nº 209). Disponívelem: www.senado.leg.br/estudos. Acesso em 4 de fevereiro
de 2019.
INFOHAITI. NET. Treize
(13) députés de l'opposition demandent la mise enaccusation du Président
Martelly. InfoHaiti.
Net. Port-au-Prince, 8 septembre 2013. Disponible sur: http://infohaiti.net/index.php/accueil/politique/3672-treize-12-deputes-de-lopposition-demandent-la-mise-en-accusation-du-president-martelly. Dernier accès le 4 fév. 2019.
HAÏTI.
Constitution du 29 mars 1987 amendée. Le Moniteur Journal Officiel de la
République d´Haïti, Port-au-Prince,
12 jun. 2012.
HILAIRE, Yvence. Le Sénat vot e la mise en
accusation des uns et des autres. Le Nouvelliste. Port-au-Prince, 24
septembre 2013. Disponible sur: www.lenouvelliste.com. Dernier accès le 4 fév.
2019.
LE NOUVELLISTE. Rejet de la mise en accusation
de Martelly, Lamothe et Sanon. Le Nouvelliste. Port-au-Prince, 4 juillet
2014. Disponible sur: https://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/133054/Rejet-de-la-mise-en-accusation-de-Martelly-Lamothe-et-Sanon.html.
Dernier accès le 17 fév. 2019.
Dans un travail publié par Cavalcante et
Oliveira, deux juristes brésiliens qui ont joué un rôle marquant dans
l´Impeachment de 2016, le premier comme assesseur juridique de toutes les
phases de l´impeachment et la seconde comme assesseure juridique du président
de la commission spéciale de l´Impeachment au niveau du Sénat fédéral
brésilien, plaident en faveur d´une nouvelle loi procédurale d´Impeachment plus
récente, moderne et mieux adaptée aux réalités sociales et politiques actuelles
du pays. Ils ont pris le soin de montrer les lacunes, les
faiblesses et les limites de la loi en vigueur parmi lesquelles sa désuétude et
son inadaptation aux réalités socio-politiques actuelles.