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HAITI, FACE AU PHÉNOMÈME DE L´IMMOBILISME SOCIAL ET POLITIQUE[*]

HAITI FACING THE PHENOMENON OF SOCIAL AND POLITICAL IMMOBILITY

Sommaire
Résumé
Abstract
Introduction
Première Partie: Le populisme et le populisme aristidien
Deuxième Partie: Le mutisme prévalien
Troisième Partie: Le propagantisme politique polluant de M. Martelly
Conclusion: Y aurait-il une porte de sortie?


Le populisme et le populisme aristidien (1ère Partie)

1.1. Récapitulation des faits historico-politiques
1.2. Problématique d´une définition du Populisme
1.3. Le populisme aristidien

Le mutisme prévalien (2ème Partie)

2.1. Première caractéristique du mutisme prévalien
2.2. Seconde caractéristique du mutisme prévalien
2.3. Difficulté d´accorder une image de populiste à Préval
2.4. Le mutisme prévalien en dehors du pouvoir
2.5. Facteurs temporels et conjonctutels en faveur du terminus du second mandat de Préval

Le propagantisme politique polluant de Martelly  (3ème Partie et fin)

3.1. Ce que la propagande politique est en réalité
3.2. Propagantisme politique: Avantages et inconvénients
3.3. Les stratégies du propagantisme politique de Martelly
3.4. Propagande politique, abus des fonds de l´État et corruption
3.5. Le vandalisme institutionnel

Conclusion: Y aurait-il une porte de sortie?


RÉSUMÉ
Cet article propose de faire ressortir le phénomène d´immobilisme social et politique qui caractérise la société haitienne. Il faut entendre par là le fait que le pays reste stagné, immobile, improductif, regressif, paralysé etc. Pour ce faire, il s´agit, en s´appuyant sur les arguments de quelques auteurs, d´analyser ledit phénomène à partir de trois grands éléments: le populisme, le mutisme et le propagantisme qui, en outre, constituent les différentes parties du présent article. En effet, la première sera consacrée à une problématisation du populisme où une considération particulière sur le populisme à l´aristidienne sera soulignée. La seconde partie est une analyse critique du mutisme du président Préval au cours de ces deux mandats quinquennaux ainsi que ses impacts politiques sur la société haitienne, enfin, la troisième partie, s´intitulant le propagantisme politique polluant de Martelly, est une analyse plus approfondie d´un article publié en 2012 sur la propagande politique à laquelle se livre M. Martelly depuis son accession au pouvoir.

ABSTRACT
This article proposes to bring out the social and political phenomenon of immobilism which characterizes Haitian society. It must mean that the country remains stagnant, motionless, unproductive, regressive, paralysis etc. To do this, it is, based on the arguments of some authors to analyze the said phenomenon from three main elements: populism, mutism and propagantism which also constitute the different parts of this Article. Indeed, the first one will be devoted to a problematization of populism where a special emphasis on populism of Aristide will be emphasized. The second part is a critical analysis of the silence of the president Préval during these two quinquennial terms and its political impact on Haitian society, and the third party, calling itself the pollutant political propagantismo of Martelly, is further analysis of a paper published in 2012 on the political propaganda that book Mr. Martelly since he came to power.



INTRODUCTION

Plus d´uns se cassent la tête en cherchant à comprendre qu´est-ce qui est à l´origine de ce phénomène d´immobilisme social et politique dans lequel Haiti est plongée depuis des années. Au-delà de tout autre facteur, une réflexion critique sur notre culture politique ou encore sur notre manière de faire de la politique en Haiti, marquée par le populisme, le mutisme et le propagantisme, devrait nous aider à comprendre et à mieux cerner ce phénomène. Il convient, de ce fait, de questionner cette culture politique. C´est à cette difficile tâche que nous prétendons consacrer cet article. 
En effet, sur le plan de culture politique, l´Haiti contemporaine à partir de 1990 à nos jours est traversée par trois grands phénomènes socio-politiques, il s´agit du populisme, du mutisme et du propagantisme qui sont en même temps des courants d´idées qui se frayent une place au sein de la société haitienne.  Ces trois grands mouvements idéologiques, ancrés dans un handicape majeur d´un plan visionnaire et progressif, ont plongé le pays dans un état d´immobilisme tant sur le plan de développement humain et d´ascention sociale que celui des avancées économiques, structurelles et infrastructurelles. Les questions relatives à la tecnique et à la technologie sont encore plus catastrophiques. Une immobilisation paralysante qui se traduit par le fait que, jusqu´au moment où l´on parle, l´haitien vit dans un éternel hier, autrement dit, les jours d´avant étaient meilleurs que ceux d´aujourd´hui ou encore l´année passée était plus bonne que cette année-ci. Donc, l´être haitien vit dans une continuelle retrospection, dans un sempiternel passé qui ne reviendra plus jamais en même temps qu´il vivote dans un présent qu´il ne maîtrise pas voire un futur dont il n´a aucune l´assurance. Le désespoir est à son comble dans un pays où la scène politique est polluée de slogans politiques à caractère populiste et propagantiste qui agancent la faim et la misère du peuple.
Ce sentiment de désespoir étant total est le signe d´un handicape dont souffre l´histoire sociale, mais surtout politique du peuple haitien qui, - ne serait-ce qu´une forme d´illusion ou de défromation, car en fait l´histoire est dynamique et progressive - ne progresse pas comme elle devrait l´être. Nous marchons à reculons. L´avenir sur le plan social, politique et économique de la société haitienne baigne dans une profonde incertitude. Personne ne sait où on va. Tout cela résulte de ce que, depuis plus de deux décennies, la politique politicienne haitienne rentre dans une dynamique de populisme aristidien pour tomber dans un propagantisme martellytiste en passant par un mutisme prévalien. De ce fait, il s´avère très difficile d´espérer un quelconque changement dans tel secteur d´activité ou à tel niveau dans le cas où la réalité historique produite par l´une ou l´autre de ces cultures politiques reste intacte. 

Le populisme, le propagantisme et le mutisme, porteurs de résultats déconcertants, immobilistes et paralytiques, sont tous nocifs et contagieux à la construction démocratique pour laquelle le peuple haitien se bat. Que faut-il entendre par ces trois pratiques politiques qui s´érigent en maître en Haiti?  Le présent article a pour objet, par conséquent, de discuter ces trois mouvements idéologiques à travers trois figures emblématiques de la culture politique contemporaine haitienne, à savoir, Aristide, Préval et Martelly. En effet, ça fait longtemps depuis que ces pratiques qui deviennent une sorte de triture politique prennent le pays en otage, une sorte de séquestration politique. C´est une forme de gouvernance qui, bien qu´infructueuse, s´y impose. Le populisme, le mutisme et le propagantisme sont les trois thèmes clefs autour desquels s´articuleront nos réflexions analytiques. Notre objectif alors consiste à décrire la culture politique haitienne de l´époque contemporaine à partir de l´ère aristidienne. La situation critique actuelle du pays ainsi que les problèmes socio-politiques qui le rongent résultent en partie de cette culture. Ainsi, pour y parvenir nous allons essayer, dans un premier temps, de traiter du populisme puis du populisme à l´aristidienne en commençant bien entendu par récapituler les faits historico-politiques qui nous ont amené à ce Carrefour. Comme nous le verrons, se différant du populisme, le mutisme et le propagantisme, respectivement seconde et troisième parties de cet article, représentent plus une stratégie  politique pour mieux gouverner qu´une théorie politique à proprement parler.

1.      LE POPULISME ET LE POPULISME ARISTIDIEN
   1.1. Récapitulation des faits historico-politiques
Un discours populiste à caractère charismatique pas trop démagogique à l´époque – puis qu´il s´est accentué sur les problèmes réels de la société haitienne: la pauvreté, l´inégalité, l´exclusion sociale et l´ingérence américaine dans la politique interne du pays – a permis, en 1990, au président Aristide d´accéder au pouvoir. Cela se comprend facilement, car le contexte socio-historique e politique de l´époque était vulnérable à tout discours populiste. Ayant été à son apogée, il fallait en quelque sorte faire avec, car entre la dictature et la transition démocratique le populisme s´imposait entant qu´un mal nécessaire. De fait, ce discours peut se justifier par le fait que le peuple haitien, fraîchement libéré d´une dictature de 29 ans et plongé dans une soif démesurée de messages méssianiques et libérateurs pour le soulager – telle est généralement l´image de tout courant populiste –  ne pouvait compter que sur ces procédés pour panser ses blessures, sans cependant avoir la moindre conscience du danger auquel il se serait exposé en s´y adhérant. Nous avons précipitemment rentré dans un essaie démocratique coloré d´un populisme à partir de 1987 bien avant l´arrivée de M. Aristide. Donc, la rupture théorique d´avec la dictature en 1986 n´a engendré de cette date à nos jours (avant le coup d´état de 1991) que des régimes populistes prenant des formes diferentes.
           En second lieu, entre 1996 et 2011, durant deux quinquennats, Haiti s´est fait la championne d´un État qui n´existe ni en parole ni en acte, l´image par excellence d´un mutisme politique, d´une irresponsabilité de l´État face à ses devoirs marquée, d´une part, par le mutisme psychologique d´un chef qui n´est pas trop bavare, fuyant la Presse, souvent silencieux et sourd sur des questions politiques poignantes, mais d´autre part, par une espèce d´un laisser-aller de la part d´un Exécutif dirigé par un homme, en l´occurrence M. Préval, qui, pratiquement désarmé et impuissant aux pressions tant internes qu´externes, invite son peuple à se chercher lui-même les moyens qu´il estime les plus appopriés pour survivre, à se contruire une vie bon gré malgré, d´où la fameuse expression qui a fait écho en Haiti dans les années 2000 ''Naje pou w sòti'' (débrouilles-toi comme tu peux). 
          La trosième phase de cette décente aux enfers socio-politique du peuple haitien est marquée par ce que nous pouvons appeler un cataclysme politique, une foudre historique et un coup de tonnerre et d´émotionalité politique, voilà comment pouvons-nous qualifier ce qui est arrivé à Haiti lors des "élections" de 2010 après le terrible tremblement de terre. En effet, un accident de l´histoire, l´un des plus virulents de l´existence d´Haiti, a porté à la tête de l´État M. Martelly qui, en toute vraisemblance, a été l´objet d´une nomination en mai 2011de la part du trio maître d´Haiti (Canada, États-Unis et France) représentant les forces internationales qui tiennent le pays à la gorge. C´était juste pour humilier les Haitiens qui, par leur amateurisme politique, n´arrivent pas toujours à imposer leur choix. Il est, sur le plan musical, l´un des chanteurs les plus populaires du compas direct haitien qui ne tardera pas à devenir plus tard un propagantiste professionnel avéré que l´histoire nationale n´ait jamais engendré. Par son talent de musicien, il s´est imposé entant que tel dans le milieu culturel haitien. Néanmoins, nous pouvons dire que seule par la sorcelerie de la politique internationale que le peuple haitien était obligé d´accepter un tel choix qui plongera l´État haitien dans l´abîme des propagandes politiques. 
           Il a fallu attendre plus d´un quart de siècle pour comprendre notre égarement, pour examiner que ces trois mouvements n´ont fait qu´enterrer le peuple haitien. Lequel quart de siècle se trouve entrecoupé par 10 ans de populisme aristidien interrompus, 10 ans de mutisme prévalien qui ne dit pas exactement son nom, et ces cinq années de propagantisme politique nocif et polluant qui ne fait qu´intoxiquer le peuple haitien. Que nous réserve l´avenir après M. Martelly qui, se conjuguant d´ores et déjà au passé, est, néanmoins, rentré dans les annales de l´histoire sociale et politique haitienne?
Si M. Aristide est le prototype du populisme qui était à son comble dans la société haitienne jusque dans les années 2003, M. Préval, son ancien dauphin de 1991 à 2001, celui d´un mutisme stratégique d – nous disons bien stratégique et plus loin nous allons montrer pourquoi – alors M. Martelly s´inscrit dans la lignée d´un courant propagantiste, l´une des potentialités que lui vaut son talent de chanteur, car en tant que tel, il est un excellent meneur de foule, il sait comment la séduire par un discours démocratique coloré de populisme, mais surtout de propagantisme. Toutefois, la propagande politique, qui est une sorte d´intoxication et de pollution de la volonté collective, a toujours existé avant M. Martelly, car nul chef d´État ne peut s´empêcher de faire de la propagande politique qui se veut une des armes puissantes de tout leader qu´il soit populiste ou pas. Le populisme suppose en lui-même la propagande. Mais avec M. Martelly, c´est le règne de la médiatisation et de la technologie du propagantisme politique par l´utilisation des nouvelles Technologies de l´Information et de la Communication comme la télévision – M. Martelly a acquis sa propre chaîne de télévision appelée MatellyTV interconnecté avec la THN –, l´internet, les réseaux sociaux tels que facebook, twitter, une espèce de télé-propagantisme dans le sens que l´entend Taguieff (2004). Il s´en est fait le champion. Sur ce, le propagantisme politique a atteint son point culminant, un sommet auquel il lui était difficile de parvenir au cours des vingt cinq dernières années. Par ailleurs, il importe de souligner que c´est en ayant hérité, comme on argue à le dire dans le langage populaire haitien, d´un pouvoir de ''GWO PONYÈT'' (c´est-à-dire un pouvoir issu de la raison du plus fort d´origine étasunisienne), que M. Martelly, une fois à la tête de la magistrature suprême de l´État, a pu finalement instaurer son système de propagantisme politique. Et, pour arriver à conserver le pouvoir, il s´astreint à ne recourir qu´à deux formules politiques controverses: le propagantisme politique par le truchement duquel il tente d´endormir le peuple par des projets de développement fictifs, ensuite vient la distraction politique qui passe par des discours élogieux envers un international arrogant, avare et sinique, mais lesquels discours dérangent l´opposition politique et constituent une sorte de provocation à l´opinion publique. C´est à ce carrefour de propagantisme politique mélangé d´un populisme sournois que se retrouve notre Haiti chérie aujourd´hui.

          Par ailleurs, si le populisme, comme tout mouvement idéologique, est une arme à double trenchant en ce sens qu´il peut élever un leader au sommet de sa réputation sociale et politique en même temps qu´il peut le dévaloriser et le rabaisser; si le mutisme d´un chef d´État, étant synonyme d´un laisser-faire, d´un laisser-aller et d´une carte blanche pour commettre des crimes, s´effectue dans une parfaite complicité avec l´international dans le but d´achever son mandat après avoir trompé la vigilance de plus d´uns y compris ses opposants les plus radicaux, de façon en conséquence à pouvoir rester tranquilement dans le pays sans se reprocher et sans être reproché de quoi que ce soit, donc apparemment lavé et blanchi de tout soupçon; enfin, si le propagantisme politique énervant, au même titre que le populisme démagogique ou la démocratie truquée et corrompue, a pour principal objectif de leurrer le peuple, de l´intoxiquer, de le chosifier, de polluer son intelligence avec des scories tout en faisant fi de ses véritables révendications et en se comportant comme sourd et aveugle – son charisme de type propagantiste est son seul guide – alors il convient de nous poser la question suivante: Lequel d´entre ces trois courants d´idées est, dans le cas d´Haiti, le plus avantageux pour un leader politique et ses flagorneurs et l´est moins pour l´intérêt du peuple haitien? C´est une question qui englobe presque tout le sujet que nous voulons traiter ici et à laquelle il faut répondre avec précaution, car les réponses à soutenir peuvent varier en fonction de chaque mouvement. Avant de nous atteler à cette tâche, le problème de définition du concept de populisme mérite une attention particulière.

1.2.            Problématique d´une définition du concept de Populisme
          Que devons-nous entendre par la notion de populisme? Qu´est-ce qu´un populiste? Quel rôle joué par un populiste dans la société? Quelle est sa place au sein d´un système politique? Quelle est la différence entre un populiste, un démagogue et un démocrate? Quel est le sens contemporain de la notion de populisme aujourd´hui? Sous quel visage un chef populiste se présente-t-il d´ordinaire? Quelle est la place du charisme dans le populisme? Sur le sujet les interrogations ne cesseront de pleuvoir. Néanmoins, pour ce qui concerne cet article, trois aspects devront nous intéresser, il s´agira de préciser ce que le populisme est en soi, la relation entre le peuple et le populisme, la nature et l´image que projette tout leader populiste avant d´aborder le modèle populiste aristidien.
Le populisme, concept polysémique à la fois objet d´un suremploi et d´un emploi abusif, traduit littéralement tout mouvement, toute initiative ou toute stratégie – de nature plus ou moins désorganisée, non conceptualisée et théorisée – ayant pour épicentre le peuple dont la défense des intérêts représente la cause centrale et l´objectif principal. Disons mieux d´une autre manière, le peuple constitue l´un des principaux chevaux de bataille de tout courant idéologique de nature populiste ou encore de tous les hommes politiques qui se réclament être populistes ou ont été taxés comme tels. En effet, le discours d´un leader politique ou le leader lui-même ou encore un mouvement populaire peut être taxé de populiste pour quelques-unes des raisons suivantes: Soit qu´il dérange à la démocratie formelle et institutionnelle existante, mais décriée et dévoyée parce que, corrompue et pourrie, elle camouffle et bluffe, soit qu´il est en nette opposition avec l´ordre établi et véhicule un message de ''haine'' (il faut songer, dans ce cas précis, au populisme aristidien en Haiti et au populisme lépéniste en France), soit qu´il dit crûment sans utiliser la langue de bois ce que les autres pensent tout bas, soit qu´il ose porter à l´attention de tout le monde, suivant ses propres stratégies provocatrices et parfois violentes, les vrais problèmes des masses populaires particulières bien souvent oubliées, soit qu´il proteste contre l´injustice sociale, l´inégalité sociale, la répartition inégale des richesses etc., soit qu´il se détermine à contredire les programmes gouvernementaux. 
           Le mouvement populiste s´inscrit dans une lutte acharnée marquée par une éternelle insatisfaction, en d´autres termes, les populistes sont des éternels insatisfaits. En ce sens, tout mouvement populiste est à l´origine moraliste et identitaire en ce qu´il veut blâmer la morale politique existante, critiquer l´élite économique cupide et défend une doctrine identitaire des peuples contre toute vision universaliste estimée dangeureuse pour la conservation des valeurs, des moeurs, des traditions, des coutumes, des cultures et de la morale à caractère national. Le caractèrre populiste d´un courant ou d´un mouvement provient, le plus souvent, de l´extérieur, du dehors, de l´autre camp adverse, et s´inscrit dans un processus de déconsidération et de décoloration de la réalité. Ce qui fait qu´il y a, d´un côté, la nature du mouvement populiste en lui-même, c´est-à-dire ce qu´il est dans son essence et ce qu´il engendre comme résultat, et la perception ou la lecture de l´adversaire ou de l´opinion publique d´un tel mouvement de l´autre.
En effet, de nos jours, à l´époque contemporaine où nous vivons, traiter un chef d´État ou un leader politique de populiste est le plus souvent perçu comme une insulte proférée à l´égard de ce dernier, une injure pour susciter un affaiblissement de son intellectualisme et une justification de son illetrisme. En d´autres termes, c´est le rendre impotent sur le plan moral et éthique et tendre à anéantir sa carrière politique. L´image contemporaine qui nous est donnée d´un chef populiste - sans besoin de remonter à l´histoire du populisme en Europe, plus particulièrement en Russie, en Amérique Latine, plus précisément en Argentine et au Mexique, où il était synonyme de pouvoir du peuple plutôt que de démagogie politique - est celle d´un déréglé, d´un hors la loi, d´un hors norme pour la simple et bonne raison que ce dernier se met au côté d´une bande d´idiots, d´analphabètes qu´est le peuple dont il défend les intérêts, au lieu de défendre ceux des élites oligarchiques. Tout dirigeant politique dès qu´il s´identifie lui-même ou son régime au peuple est toujours perçu comme populiste de telle sorte qu´il devient partisan d´une bande de mécriants et d´incultes (Delsol, 2008; Taguieff, 2004; Deleersnijer, 2006). Chavez au Vénézuela, Poutine en Russie, Le Pen en France, même Bush aux États-Unis, et plus près de nous, notre fameux Aristide, tous ces chefs d´État contemporains n´ont pas pu échapper à ce qualificatif. 
          Pour Le Pen et Aristide, c´est un peu différent, parce que l´un et l´autre se sont eux-mêmes réclamés d´être du peuple et pour le leader du FN il se dit qu´il est lui-même le peuple. Donc, sans besoin d´aller plus loin dans le débat si complexe et compliqué sur les diverses théories et les différents types de populisme, il convient de retenir que le populisme est le mouvement politique le plus mal vu de l´histoire sociale et le plus critiqué de l´histoire politique contemporaine. Il est considéré comme étant désastreux, désavantageux et fragile pour l´avenir de la démocratie et pour le peuple lui-même duquel il prétend faire la volonté. Mais, par ailleurs, il faut admettre aussi que c´est un mouvement problématique qui dépasse l´entendement et la compréhension des grandes théories politiques telles que le parlementarisme tant en Europe, en Amerique Latine qu´en Afrique ou en Asie où il est en germe. Néanmoins, le grand problème, c´est qu´au lieu de chercher à comprendre, à étudier et à analyser le mouvement populiste, plusieurs théories politiques et théoriciens de la démocratie ont préféré le condamner, le banaliser et le diaboliser. Il est dit qu´un populisme excessif tend à la démagogie et est toxique pour le peuple. Un populisme qui tend à flatter les particuliers, la faveur du peuple est de la sorte un affront à la démocratie, une effronterie à la dignité et à la personnalité de ses leaders, ainsi il effondre la société. Mais qu´est-ce que le peuple? Ceux-là qui prétendent défendre les intérêts du peuple sont-ils eux-mêmes du peuple? Qu´est-ce qu´ils deviennent après avoir accédé au pouvoir au nom du peuple? C´est là un autre problème à résoudre.
Se basant sur l´historiographie du populisme – entendons par là l´évolution historique du populisme en tant que mouvement du peuple ou le peuple en mouvement – tous ceux qui ont fait du peuple la cause de leur lutte pour mieux s´enrichir ne se sont jamais issus du peuple, n´appartiennent point au peuple, mais à une élite économique et à la bourgeiosie écrasante. Ces élites se font le plus souvent passer pour des fervents défenseurs d´un peuple qu´elles prennent souvent pour des canails, qu´elles ne comprennent jamais et dont elles ne connaissent absolument rien. Concernant les besoins élémentaires et essentiels de ces derniers, elles s´en moquent éperdument. Ne n´était-ce pas le cas, le peuple ne se serait pas révolté contre elles lorsque cela ne marche pas, voilà pourquoi le populisme est le plus souvent pris pour une révolte sociale et politique, et traduit les frustrations et tout l´état colérique d´un peuple exploité, épuisé et meurtri. Par ailleurs, plus précisément dans le cas d´Aristide, certains défenseurs du peuple dans le passé, même s´ils provenaient de la classe moyenne, mais une fois accédés au pouvoir, ils lui tournent le dos, ils l´oublient. Ils prennent le pouvoir au nom du peuple, mais ils gouvernent contre le peuple, “car finalement la foule sera perdante et bernée: le tyran, après avoir supprimé les élites, gouvernera contre elle” (Delsol, Op. cit. p. 19). Or, bien qu´originellement séparés ou détachés du peuple, ils continuent toutefois à tenir un discours fourvoyant, ce dans le but d´impressionner un peuple qui, en réalité, n´est plus dans leur agenda. 
Cependant, un chef populiste est, le plus souvent, victime de son propre populisme ou de sa propre popularité dans la mesure où il est découvert par le peuple dans ses actes de dupérie. Tombés dans son propre piège d´excès de populisme, les chefs populistes précipitent leur propre chute. Ils deviennent les pirs ennemis du peuple. Nous en déduisons ainsi que le chef populiste l´est aux yeux des élites lorsqu´il prétend défendre excessivement les intétrêts des particuliers, et peut l´être aussi dans la pensée collective quand il est entrain de tromper le peuple. Dans les deux cas, le mal est infini. Mais, dans la perception des élites, le populiste est un pauvre type, mais très dangereux pour l´avenir de leur démocratie et de leurs intérêts. Son discours est révoltant, haineux et à la limite meurtrier. Il faut à tout prix l´étouffer au préalable. Mais pourquoi faut-il l´étouffer si le populisme vise le même sujet que la démocratie à savoir le peuple?

Si le populisme et la démocratie se sont tenus la main en se référant au peuple, en se fondant sur la volonté populaire et en se disant être le pouvoir du peuple, ce dernier en est melheureusement si souvent la principale victime. Populisme et démocratie, en se réclamant d´être au côté du peuple, font bon ménage en ce sens que les deux prétendent travailler au profit des masses populaires, mais les théories sont presqu´unanimes à insinuer, malgré les nuances, que tout mouvement populiste est à priori anti-démocratique parce que le populisme souffre de plusieurs problèmes d´ordre conceptuel, théorique et doctrinal, le populisme, ajoutent les théoriciens, est une corruption idéologique et une perversion méthodologique de la démocratie (Mény et Surel, 2008; Beleersnijer, Op. cit; Taguieff, Op. cit; Dorna, 1999; Dorna et Viqueux, 2004; Hermet, 2000; 2008; Hermet, Loaeza et Prud´homme, 2001). Non seulement tout pouvoir qui se serait déclaré ouvertement être du populisme – ce qui est d´ailleurs très rare, car, affichant un comportement de plus en plus prudent et véhatif, un homme avisé est plus enclin à prendre un verre avec un démocrate qu´avec un chef populiste de peur de perdre sa réputation – est susceptible d´être vaincu par les élites économiques et bourgeoises qui, optant pour la démocratie  et la bureaucratie capitaliste, estiment le mouvement populiste extrêmement dangereux pour leurs intérêts et pour ceux du peuple; mais surtout, le populisme est en soi dangereux pour le peuple lui-même, car de nature émotionnelle, charismatique et exastique, il est souvent la pulsion d´un chef charismatique animé d´une volonté personnelle et émotionnelle de tout renverser en transformant bien sûr généralement une simple question personnelle en droit. Mais, de quel peuple il s´agit? Une catégorie à priori bien construite dans la pensée des élites et des dirigeants et jamais le peuple en tant qu´il s´agit des masses les plus pauvres, défavorisées, misérables, mal nourries et mal vêtues, celles sur qui les cafards dorment chaque jour.
C´est en ce sens que le populisme est le plus souvent pris pour une déformation, une maladie voire une négation de la démocratie. Ce, non pas parce qu´il ne prétend pas défendre effectivement le peuple, mais parce qu´on estime que ses stratégies violentes vont à l´encontre du bien être même du peuple et des principes démocratiques. Donc, les auteurs en s´attaquant aux problèmes d´ordre structurel, organisationnel et institutionnel du populisme pour faire ressortir sa dangerosité pour le peuple impatient d´une amélioration de sa condition de vie, touchent à un point crucial de la problématique du populisme dans l´histoire de la pensée politique contemporaine que les théories de la rationalité politique tendent à fuir. À ce titre, même le peuple doit se méfier des chefs populistes et de tout mouvement populiste, car ce n´est pas tout mouvement de ce genre qui défend ou est capable de défendre véritablement sans hypocrisie les problèmes réels du peuple. Mais, la démocratie n´a pas besoin de se triompher ou de se rire des déficiences du populisme pour se croire être saine et parfaite aux yeux du peuple, car elle aussi – même si jusqu´à présent elle est moins pire et corrompue que les autres systèmes politiques – est contre-productive pour le peuple en ce sens qu´elle n´arrive pas vraiment à le sortir de son trou de misère, d´inégalité, d´exclusion et de désespoir pour le garantir un lendemain meilleur.
La démocratie s´entend différemment d´une société à une autre. La conception de la démocratie dans les pays riches n´est pas la même dans les pays pauvres, donc il y a démocratie et démocratie cela dépend pas de quel régime politique, mais de quelle société l´on parle. Dans la plupart des pays qui ont adopté le système démocratique il y règne une pauvreté et une misère criantes. Les pays les plus pauvres en Amérique, en Afrique et en Asie, optent pour la démocratie comme régime politique. Or, Les peuples y sont de plus en plus marginalisés, maltraités, exploités et même oubliés au profit du capitalisme prédateur. Face à ce dilemme, il faut non seulement poser le problème de la nature, du rôle et de la place de la démocratie dans une société à une autre, mais encore questionner son avenir face à un capitalisme qui croît à outrance et au service duquel, semble-t-il, elle se met. Néanmoins, il est également périlleux pour une société de se laisser intoxiquer et asphyxier par le populisme, car tout discours de chef populiste est cancéreux pour le développement d´une société. Le populisme contemporain est un discours démagogique qui n´a rien à voir avec le besoin réel du peuple. Entre la démagogie et le populisme, il y a une synonymie et une ressemblance, à caractère historique, tellement frappantes qu´il n´y a pas lieu de les dissocier. Ainsi, pour clore cette partie, nous pouvons retenir que le populisme est une révolte sociale et politique qui remet en question l´existence et l´institution de la démocratie bien que le peuple occupe le centre d´intérêt de chacun d´eux. Mais, les deux parlent-ils le même langage en employant le mot peuple? Quelle est la nature de ce peuple auquel la démocratie se réfère et celui dont parle le populisme?
          Nous pouvons répondre rapidement et succintement en disant que le peuple du populisme est celui des masses défavorisées, les pauvres, les analphabètes, les incultes, les misérables et les miséreux qui vivent dans les périphéries, les oubliés et les abandonnés, des laissés pour contre des gouvernements cupides. La démocratie, elle, a toujours un peuple en perspective, un peuple civilisé, instruit, éduqué, connaissant et maîtrisant les règles et les principes de la bonne gouvernance, mais, malheureusement, il s´agit d´un peuple abstrait et fictif qui n´existe nulle part ailleurs. C´est une exagération voire un excès de langage de dire que la démocratie est le pouvoir du peuple qui, contrairement à la vision démocratique, n´est pas capable de contrôler sa colère et son émotion. Ainsi, le peuple tel que l´entend la démocratie est catégoriel. C´est, en outre, un idéal-type bien construit pour désigner ceux-là qui ont atteint un certain niveau de civilisation. S´il y a démocratie et démocratie, de même il y a peuple et peuple, et, lorsqu´un politiste et un démocrate parlent de peuple, ils ne parlent pas des mêmes personnes, ils ne sont pas entrain de dire la même chose, donc ils ne chantent pas la même chanson. La perception démocratique du mot peuple est une pure exclusion maquillée et une espèce de discrimination qui ne dit jamais son nom (Taguieff, 2004; Mény et Surel, 2000). Le peuple dans la conception populiste a, tel que Tarde entend, le sens de foule et se rapporte à cette masse non ordonnée et non catégorisée d´individus sans distinction aucune (Tarde, 2010).
Ainsi, le populisme n´est pas forcément mauvais en soi, il n´est pas une notion tout à fait vouée à tromper les gens, mais tout dépend de l´usage qui en est fait. Étant donné qu´il partage avec la démocratie le même objet, cette dernière tend de plus en plus à le diaboliser en faisant croire qu´il lui est incompatible. Or, nous avons vu que de grandes campagnes populistes ont lieu dans les régimes dits démocratiques bien que le populisme n´ait pas besoin d´un système politique précis pour se manifester. Le populisme peut se faire taxer de communisme dans la mesure où ceux qui le combattent férocement l´assimilent à une supression de l´État au profit d´une suprématie populaire. En effet, tout mouvement populiste comporte, au prime abord, un caractère communiste et socialiste, en ce qu´il tend vers l´amélioration des conditions sociales et économiques des plus démunis. Était-ce la vision de M. Aristide lorsqu´il s´est fait le héros haitien du populisme. 

1.3.             Le populisme aristidien
Nous devons nous demander, dans le cadre de cette analyse critique du populisme aristidien, pourquoi les deux mandats présidentiels de M. Aristide, le premier de 1991 à 1996 et le second de 2001 à 2006, ont-ils si brutalement été interrompus en 1991 et en 2004, alors que M. Préval a bouclé les siens, le premier de 1996 à 2001 et le second de 2006 à 2011 comme sur des roulettes? L´explication au premier échec peut être extraite d´un manque de maîtrise du contexte historique et de l´arena politique dans lequel il évoluait d´une part, mais d´autre part d´un usage excessif et émotif de la théorie du populisme qui était en vogue dans les années 70 partout en Amérique Latine. Ce populisme s´est accompagné d´une vision charismatique qui, à l´époque, pouvait faire bon ménage avec l´espérance des Haitiens. Au deuxième échec nous pouvons attribuer un surdésir de se satisfaire lui-même, de respecter son contrat avec l´international et de répondre aux exigences des OP (Organisations Populaires) qui ont lutté ardemment pour son retour qui ne pouvait être effective que sous des conditions imposées par la France, le Canada et les États-Unis. Ce jeune prêtre fraîchement sorti de Saint Jean Bosco, issu des classes moyennes manifestait – il faut le reconnaître – dès le départ de très bonnes intentions à l´égard du peuple. Mais, il devait faire face à de grands obstacles tant sur le plan national qu´international. Pour comprendre le populisme aristidien, il est important de le répartir en deux moments historiques distincts: de 1990 à 1991 et de 1994 à 2004 sachant que ces deux périodes sont entrecoupés par deux exils, l´un en 1991 et l´autre en 2004. En effet, si le premier exil a complètement transformé ce populiste avéré et prostestataire, le second l´a entièrement métamorphosé en le rendant moins gênant.
C´est en effet la popularité d´Aristide engendrée par un mouvement populaire du nom de FNCD (Front national pour le changement et la démocratie), un parti à essence populiste prônant un discours de rassemblement, qui l´a permis d´accéder au pouvoir avec plus de 60 % des voix lors des élections tenues en décembre 1990. Une popularité dangereuse et provocatrice à vrai dire. Prise dans un enclos populiste, cette popularité allait précipiter en même temps sa chute en 1991, voilà pourquoi nous avons dit au commencement que le populisme est une arme à double tranchant. En fait, la chute d´Aristide de 1991 est due à sa position en faveur du peuple, son ambition trop poussée à vouloir changer ses conditions de vie, ce que les élites oligarchiques ont détesté amèrement et ne veulent tolérer chez aucun leader, qu´il soit charismatique, populiste ou méssianique, car, comme nous venons de le montrer, tout leader qui se met au côté du peuple - cette masse d´ignorants et d´imbéciles qu´il faut domestiquer et non éduquer - se déclare automatiquement ennemi des classes économiques dominantes. Or, à cette époque, M. Aristide n´était pas seulement porteur d´un discours charismatiquement populiste, il était surtout très populaire. Ce qui dérangeait les élites économiques et la classe politique tradionnaliste puisque pour elles M. Aristide est noviste sur la scène politique nationale. Toute position populaire et populiste met en jeu les intérêts de ces classes et ceux de l´international qui veulent qu´Haiti reste toujours un pays pauvre pour mieux l´asservir. Donc, en 1990, pour ne pas froisser la volonté du peuple, les protagonistes responsables de la situation politique, sociale et économique du peuple ont laissé la chance à M. Aristide de parvenir à la magistrature suprême de la nation, car il était incontestablement le leader charismatique du peuple. Mais, dès le début, il était pressenti d´être un obstacle à la conservation du système d´exclusion sociale. Ainsi, élu en 1990, moins d´un an plus tard après son investiture, il est renversé par un violent coup d´État militaire orchestré par les États-Unis de connivence avec les élites économiques et politiques du pays dont les intérêts se sentaient vraiment menacés depuis son accession à la tête de l´État.
          Nous pouvons insinuer que l´Aristide de 1990 a raté son premier mandat présidentiel parce qu´il a commis des excessivités sur le plan politique en se mettant au côté du peuple, disons mieux, parce qu´il était trop populaire et tenait un discours trop populiste dans l´intérêt du peuple. Il était qualifié de prétendu fervent défenseur du peuple par ses détracteurs. Comme ses prédecesseurs, il a intelligemment évité de se déclarer populiste, mais son discours, ses interventions médiatiques, ses prises de position axés sur la misère, la pauvreté, le chômage, la répartition inégale des richesses, l´injustice sociale – sujets sensibles et fragiles – laissaient clairement entrevoir un populisme avéré. On pouvait facilement le lire à travers ses campagnes et discours politiques de 1989 à 1991. Dès que quelqu´un touche à ces dossiers sensibles et brûlants, il faut en même temps qu´il prépare son cercueil, soit prêt à se faire assassiner ou à partir précipitemment en exil dans le cas où il refuserait de jouer le jeu mafieux. Quel jeu? Tenir un discours pour le peuple et travailler dans les coulisses contre le peuple. C´est ainsi que se résume ce jeu. Cependant, rares sont les chefs populistes qui se réclament péremptoirement de l´être. Aristide n´était pas des moindres on reconnaît en lui quelqu´un qui a milité au côté du peuple, pour changer ses conditions de vie sociale et économique. Donc, le populisme, dans le sens positif du terme, est à la base de la chute du premier Aristide qui, étant jeune et fraîchement sorti du couvent, a commis des excès de langage, pas mal d´erreurs d´ordre stratégique en s´étant montré trop fougueux et ambitieux à la cause du peuple. Ce qui lui a valu même l´étiquette de démagogue de la part de ses potentiels opposants.

            Le populisme est également à l´origine de la chute de l´Aristide, seconde version de 2001 à 2004. Mais, ce populisme prend un autre sens. En effet, l´Aristide qui est revenu sur la scène politique haitienne en 1994, après avoir passé trois ans et demi en exil en séjournant dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis où il a passé la majeure partie de son temps, n´était plus le même, il est devenu complètement un autre personnage, il a été métamorphosé. Il n´est plus populiste? Non, bien au contraire il le devient davantage, ce qui va d´ailleurs entrainer son second exil. Alors, il a décidé de jouer la carte de l´international? Oui et non à la fois, car se croyant malin, il a décidé de jouer un double jeu: d´une part il manipule le peuple et le promet des monts et merveilles, d´autre part il trompe et ment aux bailleurs de fonds étrangers auxquels il n´arrive pas à tenir ses promesses. Mais quel est cet Aristide qui est revenu en 1994, à qui son protégé M. Préval reconnaît sa gouvernance fictive de 1996 à 2001?

          C´est un Aristide féroce dont le cerveau, dirait-on, a été façonné, travaillé, retravaillé et ré-retravailé à la taille du projet et de la volonté de la communauté internationale. Il devient un lion, un cupide, un avare qui oublie le peuple même s´il faisait toujours semblant de le songer. En dépit de tout, il demeure un des hommes les plus aimés du peuple haitien, il ne lui est pas du tout facile de se détacher de lui et vice versa. De fait, il se résout à jouer le double jeu sur les deux terrains – ce qui est d´ailleurs très dangéreux et pour la démocratie et pour le populisme – en ce sens qu´il continuait d´induire le peuple en erreur par des paroles flatteuses en lui promettant l´irréalisable, de même, les engagements pris par devant le Département d´État à Washington qui l´a ramené de force au bercail n´ont pas été tenus. Le populisme aristidien de 1991 était moins démagogique – même si on s´acharnait à le désigner comme tel – sur le plan idéologique et pratique que son populisme ancré à sa gouvernance de 2001 à 2004. C´était du populisme d´un accent démagogique pur qui se faisait et le peuple qui n´en pouvait plus, bien que manipulé, a précipité sa seconde chute. C´est, de plus, Aristide qui a lui-même occasionné cette chute en n´arrêtant pas de passer en dérision et l´international et le peuple em fermant les yeux sur les actes de criminalité qui se commettaient en son nom par ceux qui se réclamaient être ses partisans. D´ailleurs, son accession au pouvoir a été durement critiqué parce qu´il a gagné les élections de 2000 dans la fraude, rafflé tous les postes parlementaires, en faisant au peuple des promesses falacieuses, insipides et abstraites qu´il se savait d´ores et déjà irréalisables.  De plus, se croyant trop populaire et même trop aimé du peuple, il n´a pas pu retenir ls formation d´un corps de milices paralèlle à la force policière, celui qu´on nomme très improprement ''les chimères''. Face à ces dérives insupportables tant sur le plan national, regional qu´international, il était contraint à un second exil, le 29 février 2004, en Afrique du sud.
          La première chute d´Aristide en 1991 était due, nous l´avons dit, à son attachement trop serré et étroit avec le peuple, un populisme à l´extrême dans le sens positif du mot, alorsque la seconde en 2004 est la résultante de son détachement d´avec le peuple dont il ne peut pas satisfaire les besoins et du non respect de l´accord qu´il a eu avec ceux qui l´ont ramené manu militari au pays en 1994, lequel accord demeure, toutefois, une fiction, puisque personne n´en connaît le contenu si ce n´est M. Aristide lui-même. Néanmoins, en toute logique, il est fort probable qu´une entente, de fait ou de droit, ait eu lieu entre lui et ses ravisseurs sinon son retour n´aurait pas été possible, car, comme Haiti est une savane, les ravisseurs d´hier sont les négociateurs d´aujourd´hui, c´est-à-dire ce sont ces mêmes puissances internationales qui l´ont enlevé de force en 1991 et en 2004, qui ont aussi décidé qu´il revienne au bercail en 1994 et en 2011, nous voulons parler donc des États-Unis, de la France, du Canada et de l´Union Européenne.
          Deux mandats interrompus, inachevés et râtés à cause d´une tendance populiste dans un premier temps trop excessive, trop trompeuse et démagogique dans un second temps. Entre 1991 et 2004, il se jouait contre M. Aristide un triple jeu fatal: Un international qui réclame sa tête, une opposition et une élite économique qui le détestent, enfin, un peuple qui se divorce d´avec lui parce qu´insatisfait de sa politique et au sein duquel il ne trouve plus de refuge malgré son amour et son attachement à lui. Ce n´est pas qu´il soit devenu moins populaire, mais parce qu´il s´est métamorphosé en un populiste pratiquement couvert de honte. 
          Donc, le cas du populisme aristidien en Haiti est très particulier comparativement à celui dont on a qualifié Chavez en Amérique Latine, Poutine en Russie et Le Pen en France. Le populisme de ces derniers a produit de véritables révolutions sociales et économiques et a conduit à des avancées dans leur société. Et, malgré l´opposition des élites oligarchiques, ils ont pu parvenir à concilier d´une façon ou d´une autre les intérêts du peuple et ceux des classes dominantes, en créant des services sociaux de base, bien que jusque là la lutte pour un mieux être soit loin de terminer au Vénezuela, en Russie et en France. Pris entre l´enclume et le marteau de 2001 à 2004, Aristide affaibli a préféré céder à un populisme propagantiste qui suscite la violence sociale. En effet, depuis 1991, le discours populiste de M. Aristide avait une allure haineuse contre la bourgeoisie mercantile et prédatrice haitienne. Peut-être la stratégie mutiste de M. Préval, son compère, avec qui il a censé cesser toute relation amicale ou politique depuis son départ pour le second exil en 2004, aurait-il pu lui épargner cet exil. Depuis son retour en 2011, les relations entre les deux hommes, amis d´antan, ne se sont pas reprises.
         Enfin de compte, le populisme aristidien a été catastrophique et décevant pour le le peuple haitien qui croyait trop en lui. Au lieu d´un avancement ou d´un progrès, il a contribué de préférence à tuer l´espoir en chaque haitien de voir un jour sa condition sociale améliorer, plus de pauvreté, de misère et d´inégalité sociale en résultent, ainsi le pays est entré dans deux décennies d´immobilisation tant sur le plan social qu´économique. L´une des principales conséquences du populisme aristidien est d´avoir induit les plus pauvres en erreur en leur faisant croire que ce sont les riches, les gens fortunés et les bourgeois qui sont la cause de leur situation de pauvreté. Ce discours a créé plus d´animosité et de haine dans les relations sociales et a contribué grandement à la criation d´une société de plus en plus inégalitaire et violente.
Depuis son retour jusqu´à aujourd´hui, M. Aristide s´est clos à la Presse qui ne sait à quel saint se vouer pour arracher de sa bouche quelques mots sur les conjonctures politiques et pourquoi pas un simple ''Frèm sèm''. Il s´est renfermé sur lui-même. Moins bavard, il est devenu muet comme M. Préval et a fait du mutisme son moyen stratégique pour ne pas trop s´attirer les regards des médias et allumer sur lui les projecteurs des caméras. Il s´enferme, comme M. Préval, dans son domicile à Tabarre où il s´adonne à l´éducation. Certains croient que ce mutisme est loin d´être volontaire. Il fait partie de la clause de la négociation et de l´entente qui ont ramené M. Aristide au pays en 2011. Il paraît qu´il lui a été dit: « Taisez-vous! Ne vous mêlez point de la politique, ainsi nous vous laisserons tranquile ». Toutefois, peu importe la ou les raisons d´un tel mutisme imposé ou pas, il paraît que le mutisme prévalien porte fruit et soit peut-être une meilleure stratégie politique à adopter pour être fort en Haiti. Car, en se taisant depuis trois ans et demi, M. Aristide évite de se créer des ennuis à lui-même et autour de lui, surtout avec la justice internationale, même si, la justice haitienne, par certaines manoeuvres politiciennes, a tenté, par le biais de l´honorable juge Lamard Bélizaire, de lui causer quelques ennuis en décernant contre lui un mandat d´amener, lequel mandat n´a, jusqu´à cette présente minute, jamais été exécuté. C´est la preuve flagrante qu´il ne s´agissait pas d´un acte judiciaire mais plutôt d´une tentative d´intimidation dans le but, peut-être, de forcer M. Aristide à sortir de son mutisme. 
         C´est la nature et l´essence de ce mutisme qu´il convient de découvrir maintenant cette fois avec celui qui représente sa figure de proue, en la personne du président Préval qui, comme M. Aristide, est un personage à double facette politique.

2.      LE MUTISME PRÉVALIEN
Pour certains analystes politiques et directeurs d´opinion le comportement d´homme mutiste, indiscret et peu bavare de M. Préval n´est pas le fait de son tempérament et de son caractère naturel. Ce n´est pas non plus un simple choix innocent, mais une fine stratégie politique mûrement réfléchie compte tenu de sa compréhension de la physionomie politique haitienne. Cette formule marche et s´avère jusque là une réussite, car contrairement à son ancien coéquipier qui l´a inicié dans la vie politique haitienne en ayant fait de lui, en 1991, son Premier ministre, nous voulons parler donc de Jean-Bertrand Aristide, il a réussi ses deux quinquenats dont le premier de 1996 à 2001 et le second de 2006 à 2011, ce, en ayant évité tout populisme dérangeant, tout propagantisme médiatique nocif et toute résistance avec un international qui le tient à la gorge et entre les mains duquel se trouvent le controle du système politique et économique du pays. Il s´est ramolli en se comportant comme un liquide qui prend la forme de chaque récipient dans lequel il est versé ou encore un argile dans la main d´un potier qui le façonne comme bon lui semble et lui donne la forme qui lui plaît, ou plus exceptionnellement un caméléon politique dont la couleur métamorphosée est celle de chaque feuille d´arbre sur laquelle il se pose. Dans ce cas de figure, nous nous référons à trois entités: le peuple, l´international et l´opposition politique.
M. Préval est, si ce n´est le meilleur, l´un des rares dirigeants politiques contemporains haitiens qui maîtrise mieux que ses prédécesseurs la culture politique haitienne,  le jeu diplomatique mafieux de l´international, les épines que tend le plus souvent l´opposition aux hommes d´État et la meilleure stratégie de s´adresser au peuple pour le calmer en faisant semblant d´entendre ses révendications. Il a mis en place une technique de dirigisme politique et de conservation du pouvoir propre à lui, celle qui consiste à ne pas être trop bavard, à ne pas être toujours au devant de la scène, à ne pas être un amant du micro de la presse, à se taire et ne parler qu´au bon convenable, enfin, celle que nous appelons ici un mutisme politique. Puisqu´il a produit des résultats plus ou moins positifs, alors ce comportement ou cette formule politique est à prendre au sérieux. Cette formule lui a valu la dextérité de dévier les deux principaux acteurs extrêmes, savoir, l´international et le peuple, pour pouvoir lui-même s´en sortir intact sans causer le moindre dommage, la moindre frustration à l´une ou l´autre des trois parties.
             De fait, il a réussi avec, mais sans le peuple. Il a sauvé sa peau en noyant le peuple qui ne sait pas nager. Il savait pertinemment ce qu´il disait en demandant au peuple de nager pour sortir. Mais, le mutisme n´est pas nouveau dans l´histoire du comportement des hommes d´État haitiens. Préval incarne le style de Pétion dans son attitude de chef d´État qui n´aime pas trop se prononcer sur les sujets qui dérangent et blâmer ses coéquipiers. En effet, Pétion était un chef d´État très peu bavard, discret et fermé, alors c´est dans cette même trampe que l´on retrouve M. Préval. Avec une telle stratégie, il est difficile de savoir ce qu´il manigance, ce qu´il a derrière la tête. Rappelons les faits pour mieux comprendre.

2.1. Première caractéristique du mutisme prévalien
        Au cours de la gouvernance de M. Aristide, M. Préval, Premier ministre à l´époque, a été pratiquement un premier ministre fictif, figuratif voire édenté, comme on le dit dans le langage haitien un premier ministre pope twèl, c´est-à-dire celui dépourvu de pouvoir de décision et dont le rôle se résume uniquement et strictement à l´approbation de tout ce que désire le chef en l´occurrence Aristide. Du point de vue théorique et constitutionnel, il fut un premier ministre rempli de pouvoirs, par contre sur le plan pratique il était absolument dans l´impossibilité de remplir correctement ses rôles. Face à un président super star, m´as-tu vu en plus, qui se veut être le suprême maestro au devant de la scène, seul à être vu, applaudi et acclamé du public, il ne pouvait que s´obscurcir. M. Préval ne se gênait pas d´être un Premier ministre effacé. Il s´est laissé faire. Pourquoi? Il faut dire que M. Préval était à l´école politique haitienne, il était entrain de se former et de se choisir un style de gouvernance. Par ailleurs, il faut rappeler que M. Préval était en exil avec M. Aristide et est revenu au pays en 1994 en sa compagnie, donc il comprenait même le soupir du chef et a eu le temps de se former auprès de lui, néanmoins, il a gardé son propre caractère et son originalité. Vu sa fidélité et son dévouement au chef, celui-ci a joué toutes les cartes pour le soutenir par ses manoeuvres politiciennes à devenir son successeur en 1996. Et, même en accédant à ce poste dignitaire, n´ayan pas encore acquis une certaine maturité politique, il a fallu que M. Préval plaise à M. Aristide, car après avoir dépensé toutes ces énergies, il lui était redevable. Ainsi donc, il s´est revêtu un costume de chef d´État pas trop différent de celui d´autrefois quand il était premier ministre, c´est-à-dire un président fictif, soumis et pratiquement effacé à cause des redevances envers celui qui en quelque sorte tenu sa main pour faire de lui un chef pas à proprement parler, mais un chef quand même. 
       Constitutionnellement et visiblement M. Préval était le président d´Haiti, mais en principe, politiquement parlant c´est M. Aristide qui dirigeait le pays, et M. Préval ne pouvait même pas déplacer une pierre sans qu´il ne soit pas tenu de le mettre au courant. M. Aristide agissait de la sorte dans la perspective de conserver le pouvoir en passant très courtement la balle à son dauphin tout en attendant impartiemment qu´il la lui retourne. Le chef est un affamé de pouvoir et cela doit être compris. En tout cela, M. Préval apprend, comprend et commence à confirmer son comportement mutiste. Dans son mutisme il se laissait donner la forme qui plaît au chef. Déjà, à partir de là, nous commençons à entrevoir la construction du mutisme politique de Préval caractérisé, d´une part, par un silence quasiment absolu de Préval, par un laisser-faire librement concédé à d´Aristide d´autre part. Intelligemment, M. Préval laissait remarquer à tout le monde qu´il y avait une main mise d´Aristide sur tous les pouvoirs de l´État. Donc, M. Préval jouait un rôle de rebond et de couverture. Pris au piège d´un chef très populiste, Préval a donc choisi de se retrecir, ce, même au détriment du peuple. En fait, il n´avait que cette seule option, et, pour sauver sa peau, il lui était impératif d´agir de la sorte.
            Cette première image du mutisme prévalien a précipité le pays dans un immobilisme social, politique et économique total en ce sens qu´au lieu de se consacrer à travailer au profit du pays, il se surveillait à voir quand est-ce que tel acte posé plaît ou pas à son chef, c´était une sorte d´obsession affectionnelle et une contrainte dans le sens magico-politico-religieux du terme. Pour pouvoir sauver sa tête, son premier mandat et sa réputation en tant que président, et pour s´assurer que la balle sera bien remise à son coéquipier qui s´impatiente de voir poindre le moment pour reprendre sa place comme si l´État était un bien privé, il se décidait à se taire sur des sujets dérangeants pour les puissants secteurs, qu´il soit le secteur économique, les groupements politiques et l´international, pourtant fondamentaux pour améliorer le sort du peuple. Ainsi, le mustisme prévalien de 1996 à 2001 est un prolongement du populisme démagogique d´Aristide, mais avec une touche et une dexterité prévalienne. Au même titre que le populisme aristidien de 1990 à 1991 et de 2001 à 2004, ce mutisme n´a fait qu´enterrer les intérêts du peuple en immobilisant le pays.

2.2.            Seconde version du mutisme prévalien
Si le mutisme de M. Préval de 1996 à 2001 était une stratégie politique qui lui imposait l´avarice de M. Aristide et pour mieux s´échapper particulièrement à ses menaces d´Aristide, celui de son second quinquenat de 2006 à 2011 lui a été imposé par divers facteurs, parmi lesquels nous aimerions citer la pression internationale qui est omniprésente dans la politique haitienne, l´opposition démocratique de plus en plus forte et renforcée, l´épineuse question du retour de deux anciens présidents exilés, en l´occurrence M. Duvalier et M. Aristide, l´affaire de la CIRH et l´insatisfaction accrue des besoins sociaux, alimentaires et sanitaires de base du peuple. M. Préval fuyait intélligemment et techniquement la presse pour éviter des interventions fantaisistes qui pourraient froisser plus d´uns, mais surtout pour ne pas réveiller la colère d´un peuple affamé. À cet effet, il s´est réservé de prendre la parole quand il l´estimait nécessaire.

Malgré les pressions et plusieurs tentatives d´interrogation de la presse, M. Préval n´a pas cédé, il a évité de donner ses opinions sur le retour de ces deux anciens chefs d´État. Il ne pipait mot. En ce qui concerne les critiques de l´opposition, des sociétés civiles et des partis politiques, des organismes des droits humains et autres contre la CIRH à sa tête l´ancien président américain Bill Clinton et le premier ministre Bellerive, M. Préval a agi comme si une telle structure formée de hauts dignitaires politiques nationaux et internationaux n´avait jamais existé à cause de sa désastreuse gestion des fonds de la reconstruction. Rappelons, pour ce faire, même très succintemente, le geste héroique et courageux de M. Préval lorsque M. Clinton devait prendre la parole à l´occasion du grand rassemblement populaire pour marquer la tragédie du 12 janvier 2010. En effet, M. Préval a laissé gentillement au vu et au su du monde entier son siège au moment où M. Clinton devait gravir la tribune pour se prononcer. Vexé, offusqué et enorgueilli, M. Préval ne pouvait plus supporter les mensonges qu´allait lui faire avaler M. Clinton sur la gestion de la CIRH[1].

             Ce geste, dirait-on, a sauvé en quelque sorte M. Préval de cette affaire alors qu´en tant que chef de l´État, il devrait en être le premier responsable. Par ce geste, qui a valu d´ailleurs une myriade d´interventions médiatiques, M. Préval a dit au peuple haitien en général, et à la communauté internationale en particulier, qu´il s´est lavé les mains comme le Ponce Pilate dans cette affaire. Ce geste traduit, en outre, le refus de M. Préval, malgré la dépendance économique et la domination politique d´Haiti par l´international, d´être toujours sa caisse à résonance. Ainsi donc, la communauté internationale, se voyant échouée dans cette affaire et dans bien d´autres d´ailleurs, a un peu lâché le coup à Préval. Elle ne le pressure pas trop. Quant aux situations sociales et économiques du peuple, elles sont toujours restées insatisfaites, mais les protestations et les manifestations y relatives sont bien moindres qu´auparavant. Et M. Préval, paraît-il, s´en sentait un peu confortable.

         Le mutisme de Préval ne signifie ni passivité ni aveuglette. C´est vrai qu´il est difficile de cerner son contenu, mais dès fois il peut traduire beaucoup de choses et ses expressions sont perceptibles. Dès fois, il est l´expression même d´un remord et d´un refus de coopérer et de se faire prendre pour un con. C´est ce qui s´est passé par ce geste public héroïquement courageux pour dévier le plan de M. Clinton que nous avons souligné ci-dessus. Bien que dérangeant et embarrassant sur le plan diplomatique, ce geste a traduit tout le mécontentement de Préval. On pouvait lire dans son visage tous les remords du monde. Les Haitiens tant à l´intérieur qu´à l´extérieur croyaient que ce geste valait la peine au moins pour donner une leçon de dignité. C´était pour dire qu´en dépit de tout un minimum de valeurs humaines nous reste encore.
Ce geste mutiste silencieusement simple a eu les effets d´une bombe. Dès fois, le mutisme peut traduire un support à un proche ou son lynchage silencieux. En effet, du début jusqu´à la fin M. Préval a fait un silence de mort sur l´affaire de Jude Célestin, son dauphin, qui a été contraint par l´international d´abandonner la course nominale-electorale en 2010. En agissant de la sorte, il a voulu se protéger lui-même et protéger Jude Célestin sur qui il mettait tout son espoir afin de pouvoir reproduire la formule aristidienne de ''Ti pas kout''. C´est d´ailleurs l´une des raisons pour lesquelles il luttait à changer la constitution. Au lieu d´un changement il a obtenu un amendement qui a finalement rendu cette constitution bancale, inopérante et maladive. Un amendement Tèt anba dirait Gary Victor. Non seulement il s´est rendu sourd-muet sur l´injonction de l´interntational  faite à Jude de laisser tomber, mais il ne s´est jamais prononcé sur la décision de Jude qui, sous de poignantes pressions, a finalement jeté l´éponge. À retenir qu´en tout cela il en sort gagnant et le seul perdant c´est toujours ce pauvre peuple affamé et nu. Enfin, ce mutisme a abouti à des résultats néfastes voulus ou pas par M. Préval.
         Mais, les différents types de mutisme de M. Préval lui ont valu l´image d´un chef d´État irresponsable, poltron, désarmé, celle qu´on attribue ordinairement à un père de famille délinquant, soulard et démissionnaire qui laisse ses enfants faire ce qu´ils veulent. Nous pouvons assimiler le mutisme du président Préval à un autre type de discours démagogique qui est la caractérisation même du libertinagem où il appelle chaque citoyen à agir comme bon lui semble. Autrement dit, des gens qui devaient être assistés deviennent malheureusement eux-mêmes des assistants à cause de l´irresponsabilité d´un chef qui n´a eu d´autre alternative que de se taire sur des problèmes cruciaux. Un démagogue n´est pas seulement celui qui flatte les faveurs du peuple et le séduit par de vaines promesses, mais c´est également quelqu´un qui se décharge des responsabilités que lui confèrent la constitution nationale et les lois de la république pour les renvoyer au pied du peuple alorsqu´il sait pertinemment que ce dernier est incapable d´en assumer.
Un démagogue envoie généralement son peuple au suicide. Ce dont le mutisme prévalien résulte outrepasse le suicide, c´est un homicide social et économique qui a frappé des milliers de familles. C´est de cette manière qu´il faut regretablement qualifier les actes mutistes de M. Préval. En fait, les derniers instants de l´attitude mutiste de M. Préval à la fin de son mandat de 2009 à 2011 étaient délétères. Néanmoins, jusqu´à preuve du contraire, son mutisme contrairement au bavardage des uns et aux excès de langage des autres, lui a imputé la réussite de deux mandats même s´ils ont contribué à rendre l´État de plus en plus bancale et faible à immobiliser la société en effondrant la classe moyenne. Par ailleurs, il faut reconnaître qu´il est le seul chef d´État qui, depuis 1986, a pu achever son mandat deux fois de suite. Ainsi, on peut dire que son mutisme a été pour lui une réussite politique, mais un échec total pour le pays et une déscente aux enfers pour les plus pauvres.

2.3. Difficulté d´accorder une image de populiste à Préval
          Malgré tous ces aspects négatifs du mutisme de l´ancien président Préval, il est cependant difficile de le placer dans le courant des mouvements populistes si, d´un côté, il faut entendre par là toute initiative politico-démagogique qui se dit être à l´écoute du peuple en faisant de lui son arme de combat, une vision d´aller dans le sens de sa volonté et de vouloir satisfaire ses désirs, il s´agit, d´un autre côté, d´un modèle de gouvernance qui met les intérêts des masses populaires au centre des grands projets de développement social, économique et culturel du pays. Il ne s´y reconnaît pas ou très peu rarement. Bien au contraire, au cours de son second mandat, M. Préval a tout fait pour exclure les collectivités territoriales - véritable bras fort de représentativité des masses populaires et paysanes - des réunions gouvernementales où sont prises les grandes décisions étatiques. Ce faisant, il a clairement manifesté sa volonté de ne pas écouter les revendications des populations vulnérables, de les exclure socialement et politique et, enfin, de refuser de faire des besoins de ces dernières sa priorité. Par contre, le plus impressionnant c´est que le peuple a trouvé en M. Préval l´image d´un chef d´État qui ne le flatte pas avec de vains mots, mais qui lui parle crûment et directement quand il sort de son mutisme surtout lorsque la circonstance et le contexte socio-politique le lui imposent. Quand il se tait, alorsque les crises s´empirent, le peuple, impatient de l´entendre, réclame des explications, et il lui en donne, non pas dans le sens qu´il le désire, mais dans le sens que lui-même, en tant que fin politicien, estime le plus proprement stratégique.

          Si M. Aristide, durant ses quiquenats à deux reprises interrompus, disait au peuple le plus souvent ce qu´il voulait entendre, M. Préval le passait dans un laboratoire de psychologie politique avant de lui dire ce qu´il attend de lui, ce qu´il pense être mieux pour lui. Deux discours nettement différents. Cela doit nous rappeller, par conséquent, les réactions de M. Préval aux émeutes de la faim de 2008 qui ont accouché le limogeage du premier ministre M. Jacques Edouard Alexis. En effet, M. Préval s´est adressé au peuple dans un langage qui se peut être assimilé à un populisme très voilé et controversé. Il ne l´est pas effectivement mais on peut y entrevoir un certain démagogisme. En effet, pour donner une réponse aux manifestations sociales, il a convoqué une rencontre de négociation avec les principaux commerçants des produits alimentaires et de première necessite. Il a clairement laissé comprendre au peuple que la diminution des prix sur le marché ne dépend pas au premier chef d´une simple décision de l´État qui, de plus, dans une telle situation, n´est pas un potentiel décideur. Il ne peut que rechercher un compromis tant avec les grands négociants qu´auprès des masses défavorisées en vue de parvenir à une sortie de crise. Entre temps son PM est entrain de jeter de grosses gouttes de sueurs par devant un parlement qu´il tente vainement de convaincre. Cloué au pilori d´avance, tout ce qui lui restait c´était de faire descendre du ciel des anges et pourquoi pas le Christ afin de pouvoir échapper à ce vote de censure qui était d´ailleurs prévisible. Sans vouloir rentrer dans les détails politico-complexes de ce vote, il est important de souligner que les multiples rencontres et consultations paralèlles de M. Préval sans apporter un support moral et psychologique à son PM au moment où il en avait plus besoin, laissaient clairement présager qu´il avait voulu que M. Alexis parte, en d´autres termes, il attendait une occasion favorable pour se débarasser de son PM qui, au cours de route, commeçait à lui déplaire considérablement. Au fait, dans les derniers instants des deux hommes, leurs opinions divergeaient sur bon nombre de projets.

       Dans sa dernière intervention à la presse lors de l´éclatement de ces crises a demandé au peuple de rentrer chez lui, de le laisser le soin de résoudre ses problèmes, de se pencher sur ses revendications qui sont d´ailleurs justes et justifiés. Ce faisant, M. Préval a une fois de plus prouvé sa capacité à amadouer et à dominer les instincts du peuple sur qui il exerce une certaine autorité qui laisse quand bien même à désirer. En dépit de tout, le peuple apprécie et aime son style. Il a obéi à sa demande en vidant les rues. Cependant, il est vrai que les prix ont baissé – solutions courtement partielles suivant la conjoncture – les problèmes structurels restaient inchangés et au terminus de son mandat, les prix ont une fois de plus augmenté et depuis lors ils ne cessent de l´être. De plus, il n´y a eu aucune amélioration sociale. En effet, M. Préval a confirmé l´efficacité de sa méthode consistant à dire peu de mots et des paroles justes et directes au peuple et a toujours évité de lui faire perdre la tête avec de longs discours intellectuels, philosophiques et politiques qui, au final, ne lui apportent absolument rien de concret. Certes, ceux de M. Préval ne lui en apportent pas mieux, pourtant, il s´y retrouve parce que le langage lui paraît clair et compréhensible. De cette façon, le président Préval a réussi quand bien même à boucler ses deux mandats avec cette même stratégie et technicité politique de governance qui, non seulement, s´étend même au-delà du pouvoir mais s´adapte toujours à chaque moment circonstantiel de la réalité sociale, politique, économique et culturelle du pays.

2.3.            Le mutisme prévalien en dehors du pouvoir
Après la fin de son premier mandat en 2001, M. Préval s´est etteint complètement de la scène  politique haitienne, il était considéré comme mort politiquement parlant puisqu´on n´entendait plus parler de lui. Il s´est enfermé à Marmelade, sa ville natale, où il se consacrait aux activités de l´agriculture. La presse, elle aussi, l´a oublié. Personne et absolument personne n´a su et ne pouvait savoir à quel moment se concrétiserait son retour en politique. Les intentions politiques de M. Préval, puisqu´il s´est clos à la Presse, étaient obstrues jusqu´au jour où il a ouvertement déclaré lui-même sa candidature aux ''élections'' présidentielles de 2005 pour briguer un second mandat. Depuis bien avant en effet les rumeurs couraient sur cette éventuelle canditature qui finalement était devenue une vérité. De fait, il s´est rendu au Conseil Electoral Provisoire pour remplir les formalités y relatives. Il est bruit que ce sont les masses populaires qui ont motivé, encouragé et même stimulé M. Préval à se porter candidat, ce pour plusieurs raisons parmi lesquelles nous aimerions souligner au moins quatre.
En premier lieu, il y a le fait que M. Préval a représenté pour ces masses désespérées l´incarnation d´un espoir, d´un changement de vie après la dure traversée du désert avec Aristide entre 2001 et 2004; deuxièmement les partisans d´Aristide et différentes organisations populaires qui luttaient pour son retour, sachant les amitiés qui lient les deux hommes, ont apporté un support massif à M. Préval au détriment de M. Manigat, dans le but de s´assurer du retour de leur leader charismatique inconteste. La troisième raison prend en compte l´opinion publique qui croit que l´apport des masses à M. Préval est un rejet et une sanction infligée à M. Manigat, symbole de l´intelligentsia haitienne à cause des approches et discours jugés trop abstraits sur le plan intellectuel, philosophique et épistémologique dans lesquels ces masses ne se retrouvent pas et auxquels elles ne s´identifient pas. Les intellectuels du pays depuis Anténor Firmin ont toujours victimes de ces genres critiques qui nécessitent d´une problématisation plus profonde. Enfin, le dévolu jeté sur M. Préval traduit le retour à tout un arsenal de révendications sociales des masses défavorisées qui n´ont pas été satisfaites sous le premier mandat de M. Préval. Seront-elles satisfaites cette fois? Ce n´était pas evidente qu´un tel rêve se concrétise. Ainsi, nous pouvons dire que ce premier scénario de mutisme hors du pouvoir a ouvert la voie au pouvoir à M. Préval pour un second quinquenat.

         M. Préval, nous le répétons, est un fin politicien à l´image de Pétion qui est très peu bavare et qui utilise toujours les bonnes stratégies pour affaiblir ses adversaires et même à la limite gagner leur confiance. Cependant, en dépit de ce charisme à s´imposer un tel mutisme, il n´a pas pu - comme Aristide l´avait fait pour lui - imposer au peuple haitien le choix de  M. Jude Célestin à la fois son dauphin et son beau-fils. Ce qui résulte d´une sanction de l´international à cause des promesses non tenues. En d´autres termes, en ayant rejeté d´un revers de main M. Célestin, bien que classé en deuxième position après Mm. Manigat lors des présidentielles de 2010, l´international s´est bien vengé du mutisme de M. Préval qu´il a très malement supporté pendant cinq années au point qu´à la dernière minute il voulait le livrer à la boucherie. Et le peuple dans tout ça, quelle a été sa sanction contre M. Préval à cause de ce mutisme dont il n´a  pas non plus digéré les effets?

            Comme j´ai l´habitude de le répéter, le peuple haitien ne vote pas en réalité, c´est une stupidité et même une abération de dire qu´il a été convoqué au verdict des urnes. La civilité politique l´oblige, mais même les autorités savent que c´est l´international, le grand financier des opérations électorales, qui choisit toujours à la place du peuple le candidat de son choix. J´ai longuement développé et démontré cet aspect qui handicape l´avancement du système politique haitien dans un article titré Haiti, seul PMA de la Caraibe dans la pratique du jeu international d´élection-nomination[2]. Donc, on peut comprendre qu´il est trompeur d´insinuer que la mise à l´écart de M. Célestin serait effectivement la sanction du peuple. Elle était néanmoins celle de la communauté internationale qui cherchait à se venger de Préval. La population a réagi au mutisme de M. Préval par des manifestations violentes, des mitings, des marches avec assiettes et cuillères à la main pour réclamer à manger. M. Préval a pu quand bien même y résister. Insatisfaites de la gouvernance mutiste, pâle et irresponsable de M. Préval qui n´a pu réellement leur apporter l´espoir tant attendu, les masses populaires ont obligé de se courber au choix de M. Martelly imposé par l´international au détriment de Mm. Mirlande Manigat qui, ayant été fait l´objet de nombreuses critiques, a, malheureusement, subi la même déception que l´estimable professeur François Manigat, son époux. Ainsi, en dépit de tout, un président qui n´est pas trop populaire, pas très aimé ni trop haï non plus parmi le peuple qui, semble-t-il, l´a oublié avant même que son mandat ne touche à sa fin, ne peut laisser dans la mémoire collective que l´image  d´une gouvernance étatique dévoyée, insipide et irresponsable. A vrai dire, il n´en fut ni le premier ni le seul. 

          M. Préval est parti, M. Martelly le succède en mai 2011. Depuis lors, il est apparu uniquement deux fois sur la scène publique: à l´occasion de son audition sur l´affaire Jean-Dominique et lors de sa sortie du palais national après avoir répondu à une invitation du président Martelly. Ce furent deux occasions au cours desquelles il est passé complètement inaperçu en termes de médiatisation politique. Par contre, l´audition d´Aristide dans cette même affaire judiciaire a provoqué un tapage médiatique monstre. Ainsi, mis à part ces deux sorties exceptionnelles, M. Préval s´est encore éteint politiquement jusqu´à aujourd´hui. Il est bruit qu´il est retourné à Marmelade en répétant  le même scénario de 2001. De 2011 à nos jours un second scénario du mutisme prévalien à l´extérieur du pouvoir est ouvert. En aura-t-il un troisième, soit-il, à l´intérieur ou à l´extérieur du pouvoir? On n´en sait pas trop! Il appert que, du point de vue constitutionnel, il soit pratiquement impossible qu´il se candidate à un troisième mandat présidentiel. Mais, il y a une question qui nous intrigue: qu´est-ce qui explique que malgré les protestations du peuple et le fait que l´international l´avait vraiment coincé, M. Préval a quand bien même pu terminer son second mandat? Deux facteurs ont joué en faveur de M. Préval, le temps et la conjoncture.

2.5. Facteurs temporels et conjonctutels en faveur du terminus du second mandat de Préval
     Le facteur temporel est le premier qui s´est joué en faveur de M. Préval afin de terminer ses deux quinquenats. Il faut entendre par là l´espace de temps dans lequel des phénomènes se sont produits en des moments inattendus et changent complètement le paysage socio-politique. En tout premier lieu, on peut dire – sous réserve de nous tromper – que le second mandat de M. Préval en 2006 est parvenu  dans un atmosphère politique apparemment calme dans le sens que même si sa victoire a été un forcing de la part des forces étrangères, elle était toutefois acceptée par la majorité des partis politiques. L´opinion publique n´y ripostait pas et l´opposition politique était quasiment muette. En second lieu, la période à laquelle M. Préval est arrivé au pouvoir était justement succédé du départ pour l´exil de M. Aristide dont les partisans et sympatisans réclamaient depuis 2004 le retour. Pour cela, ils ont appuyé la candidature de M. Préval avec impatience de voir ce rêve concrétiser. Bien qu´affamées, mal vêtues et dépourvues de tout, les masses populaires ont tout mis de côté pour placer leur confiance en cet homme. De fait, M. Aristide est revenu au pays en mars 2011 – ce fut comme la cérise sur le gâteau, car ce retour est survenu deux mois après la rentrée au bercail du plus puissant dictateur du XXème siècle qu´Haiti n´ait jamais connu en l´occurrence M. Jean-Claude Duvalier après environ 25 ans d´exil passés en France.  
À dire vrai, c´est deux retours, survenus dans des circonstances historiques exceptionnelles presqu´à la fin du second mandat de M. Préval, ont réellement détourné l´attention de la population et des classes politiques des vrais problèmes. De fait, ils ont fait la une de l´actualité et plongé la société dans une profonde perplexité à savoir le bien fondé de ces deux retours. Faute de preuves argumentatives, il est difficile d´établir que M. Préval a lui-même autorisé ces retours. Il n´est pas non plus facile de trouver un document officiel là-dessus. En dépit de cela, il est logique cependant de comprendre qu´ils ont été deux coups de maître de M. Préval pour calmer les tensions. Car, ni M. Duvalier ni M. Aristide n´auraient pas pu décider péremptoirement de rentrer au pays sans qu´il ne soit lui-même informé et ne donne son avis à ce propos. Ainsi, mis à part le tremblement de terre de 2010, le temps dans lequel se sont déroulés ces deux événements ont permis à M. Préval de respirer un peu.

Le second facteur, qui est un prolongement du premier, fait appel à un aspect à la fois d´ordre naturel et conjoncturel. Le séisme du 12 janvier 2010, en dépit du goût amer qu´il a laissé sur les lèvres des familles haitiennes, a joué un rôle important dans le terminus du mandat de M. Préval. C´était un phénomène à gérer sur le plan physique, psychologique, mental, social et environnemental. Le chef d´État, dépassé par les événements, s´est montré abattu face à un tel phénomène naturel et impuissant viv-à-vis d´un international envahisseur! Humainement parlant le premier impact est compréhensible. Nul humain ne peut rester inébranlable devant les faits naturels qui dépassent son entendement et sa capacité. En ce qui a trait au second élément, il fallait que M. Préval garde son calme aux pressions et agressivités internationales dont il n´avait pas le controle afin de gérer cette catastrophe, car il est dit que c´est au pied du mur on reconnaît le vrai maçon. Pir diable ou pir démon que l´on puisse être, il est impossible d´oublier les rivalités diplomatiques entre la France, les États-Unis et le Canada pour le contrôle du territoire au moment où des milliers de familles étaient entrain de pleurer leurs morts. Pendant que des éléphants se battaient, il y avait plus de 200.000 cadavres à compter, plus d´un million d´estropiés et de sans abris à identifier. Néanmoins, c´est une catastrophe que l´État doit gérer avec l´aide bien sûr de ses partenaires internationaux. Malgré sa gestion déliquescente, M. Préval, ayant été à la dernière ligne droite de son mandat, était le seul homme du moment en faveur duquel se jouiaient la conjoncture et le fait naturel. Donc, il était mieux de le laisser tranquile, car en ce moment le problème n´est plus Préval, mais d´ordre humain.
     
En dépit du fait qu´il n´a pas pu améliorer les conditions sociales et économiques de la population et bien gérer la catastrophe, M. Préval partira, sans nul doute, avec le sentiment d´avoir été un des plus grands stratèges de l´histoire politique contemporaine d´Haiti. M. Préval était le Pétion de la politique du XXIème siècle d´Haiti, c´est-à-dire l´incarnation d´un chef d´État démagogue qui trompe avec dextérité et finesse  son peuple et immobilise la société en fermant les yeux sur des problèmes cruciaux. Paradoxalement, c´est un président qui ne jouit pas vraiment d´une réputation politique très populaire, même si, jusqu´à preuve du contraire, il est le seul et l´unique qui soit parvenu à comprendre et à maîtriser mieux le peuple, son instinct, sa passion, ses pulsions et ses émotions. Il a un tempérament propre à lui qui ne froisse pas le peuple mais plutôt capable de l´amadouer. Ainsi, le temps, la conjoncture et la nature représentaient des facteurs suffisants pour calmer les fureurs populaires et faire oublier le mutisme de M. Préval ainsi que ses conséquences néfastes. Il demeure par contre dans l´histoire sociale et politique haitienne un président pas trop populaire ni populiste de la trampe d´Aristide.

Pour conclure cette seconde partie, il convient de souligner que le mutisme prévalien a été tout aussi catastrophique, cancéreux, désastreux et désavantageux pour le peuple haitien que le populisme aristidien, il a également contribué à plonger le pays dans un immobilisme pas croyable, ce qui est traduit communément par un marquer pas sur place. M. Préval a passé tout son temps à leurrer le peuple pendant qu´il n´y a pas eu de croissance économique, la classe moyenne a pratiquement disparu, les pauvres s´engouffrent dans la pauvreté, le chômage est à son comble et les besoins sanitaires, l´eau potable, la nourriture restent toujours insatisfaits. Le mutisme prévalien, contrairement au populisme aristidien, peut-on dire, n´a été bénéfique dans les faits que pour M. Préval lui-même. Car jusqu´à présent, il est le seul et l´unique président d´Haiti de la fin du 20ème siècle et du début du 21ème siècle à avoir réussi deux mandats puis s´est tenu loin des projecteurs. Sans vouloir spéculer sur le futur, il y a peu d´espoir de voir M. Préval revenir sur la scène politique active, toutefois, il demeure un acteur politique influent. Parmi les présidents constitutionnellement élus, M. Préval peut dire en vertu de son mutisme à l´instar de l´apôtre Paul: ''J´ai combattu le bon combat contre le peuple, l´opposition et l´international, j´ai achevé mes deux mandats sans rien à me reprocher, maintenant je peux me clore en paix à Marmelade où la couronne du mutisme m´est réservée''. Mais, si le populisme est en quelque sorte moins prononcé chez M. Préval que le mutisme, avec M. Martelly, son successeur, nous sommes entrés dans un autre univers de la pratique politique haitienne. En effet, depuis son accession au pouvoir, le propagantisme politique est à un niveau du jamais vu en Haiti, ce que nous pouvons appeler aussi une intoxication médiatique. C´est ce dernier point qu´il nous reste à aborder dans cette série d´analyse qui se propose de comprendre en quoi consiste le phnénomène de l´immobilisme social et politique d´Haiti.

3.      LE PROPAGANTISME POLITIQUE POLLUANT DE MARTELLY
3.1. Ce que la propagande politique est en réalité
    La propagande, l´art de propager ou l´action de faire de la publicité pour séduire et tromper, peut engendrer autant d´effets positifs ou négatifs que nocifs, elle peut avoir aussi ses bons et mauvais côtés, ses avantages et inconvénients. Sa réussite ainsi que son échec dépendent au moins de trois facteurs: l´appareil idéologique dont elle résulte, l´environnement social, politique et culturel dans lequel elle évolue et enfin la méthodologie employée pour la faire accepter, donc, la propagande – surtout la propagande politique – est d´abord une question systémique et idéologique. Cependant, malgré les bonnes intentions avec lesquelles elle pourrait se véhiculer, il reste qu´elle tend le plus souvent vers un mauvais présage, elle fait l´objet d´une réputation malsaine et laisse planer des impressions douteuses tant de la part des opposants que chez ceux qu´elle vise, en l´occurrence les masses.
En fait, la propagande, qu´elle soit médiatique, commerciale, politique ou autre  vise toujours les masses et leur domestication mentale, à cet effet, elle demeure, généralement, avantageuse ou profitable pour ceux qui l´utilisent comme une arme de domination idéologiquement  puissante. Tandis que, pour ceux qui en subissent les impacts, elle n´est peut être que désastre sur le plan institutionnel et progressiste. Avant de nous accentuer sur son côté négatif, il serait important de souligner rapidement que, sous un  angle relativo-positif, la propagande avec ces deux grandes armes: l´idéologie et la publicité, est naturelle dans les sociétés humaines dans le sens qu´elle tient les masses en haleine informées. Elle est aussi culturelle et dynamique, car elle est le résultat d´un processus historique et culturel: plusieurs secteurs ou acteurs, au cours des évolutions et transformations sociales, se l´appoprient, la cultivent, la façonnent et s´efforcent à la rendre de plus en plus  efficace en la rationalisant et en justifiant son rôle et sa valeur.

3.2. Propagantisme politique: Avantages et inconvénients
Faire de la propagande c´est faire de la publicité comme cela se passe dans le secteur marketing et commercial. Elle et la publicité sont intimement et historiquement liées, donc les deux termes sont bel et bien interchangeables. (Domenach, 1950). Or, si la publicite ou la propagande est une action qui consiste à inciter le consommateur à acheter un produit ou un bien (matériel, spirituel, culturel ou social) à susciter le goût et à attirer le plus de gens possible, alors l´une ou l´autre n´est pas une mauvaise chose en soi dans la mesure où elle se fait dans le cadre d´une politique structurelle et institutionnelle normale, par exemple, les affiches publicitaires, les campagnes électorales, les publicités médiatisées (TV, radio etc.). Plus particulièrement, les campagnes électorales sont entre autre les moments les plus cruciaux au cours desquels la propagande politique atteint son plus haut niveau, et l´on constate que cela va de soi en dépit de quelques caractères nocifs et dès fois dérangeants pour l´intélligence humaine qu´elles soulèvent. Sur ce, on peut dire que les campagnes électorales peuvent être considérées comme un espace démocratique de grande effervescence sociale où se concrétise la propagande politique. Elles sont, paraît-il, conçues et construites à cet effet même. Elles sont faites en outre pour exposer des programmes vachement prometteurs du futur gouvernement. Qu´elles soient objectives ou abstraites, réelles ou fictives, peu importe, la finalité des campagnes électorales en amont propagantiste est séduisante. En ce sens, la propagande politique se veut être un outil démocratique puissant pour informer le peuple – ne serait-ce que pour se foutre de lui, l´induire en erreur ou ne pas résoudre ses vrais problèmes – sur ce que fait ou fera tel gouvernement, elle contribue, par ailleurs, à la formation des mentalités individuelles et collectives.

    C´est, en quelque sorte, un espace de communication qui se crée entre les gouvernants et les gouvernés, mais plus particulièrement, entre les gouvernants et leurs partisans dans le but de réveiller continuellement en eux l´esprit fanatique et le sentiment d´appartenance, car toute propagande politique recherche la visibilité. Louis XIII, nous dit Duccini, a souvent utilisé la propagande politique comme un art d´informer et de convaincre, d´informer pour convaincre la population française, mais surtout ses opposants (Duccini, 2003). Mais, la propagande politique va au-delà d´une simple information ou communication, elle recherche l´impact et l´efficacité, voilà pourquoi elle nécessite de la participation massive du public ou groupe social qu´elle a en perspective. Cependant, la propagande devient mauvaise lorsqu´elle sert à induire les masses en erreur, à les chosifier, et se fait dans l´unique but de les mystifier, de violer leur droit, d´intoxiquer et de polluer la pensée par le mensonge institutionnalisé et systématisé, lorsqu´elle se fait par le truchement des médias, la radio et la télévision plus particulièrement, qui y jouent un rôle crucial, pour exposer aux masses le leader comme un produit de consommation (Tchakhotine, 1967; Osmani, 2006). Ainsi, sur le plan idéologique, matériel et méthodologique, la propagande crée un bien rare exposé sur le marché de la consommation qu´on appelle les leaders politiques.
C´est plus précisément dans ce dernier ordre d´idées que nous entendons aborder la notion de la propagande politique dont M. Martelly se fait actuellement  le champion en Haiti, et surtout qu´elle n´est pas structurée et trop ancrée à une idéologie noviste qui peine de s´installer et d´être acceptée par la majorité des Haitiens.

3.3. Les stratégies du propagantisme politique de Martelly
      N´étant pas moins idéologique que ne l´est le mutisme ou ne se rapportant pas à un comportement politique, le propagantisme politique est de préférence une méthode stratégique qui s´inscrit dans la théorie moderne des sciences politiques pour faire perdurer un pouvoir malgré son impopularité et son improductivité, ce, en dépit des oppositions et des protestations. De nos jours, les médias deviennent le principal canal où se véhicule la propagande politique et l´arena où se jouent les contradictions entre ce que le peuple vit effectivement au quotidien et ce que le gouvernement veut propager et exhiber tant à l´échelle nationale qu´internationale. En d´autres termes, entre le dire et le faire; la réalité socio-économique des masses oubliées et la propagande politique, c´est comme le jour et  la nuit. Il se crée un abîme entre le luxe dont jouit cette très faible et incompétente minorité de la classe gouvernante et la misère noire dans laquelle pataugent plus de 70% de la population.
     De ce fait, ce n´est pas sans raison – ce qu´il est essentiel de comprendre – que depuis son arrivée au pouvoir M. Martelly s´est octroyé sa propre chaîne de télévision appelée Martelly TV, qui entre désormais dans une concurrence silencieuse avec la RTNH (Radio Télévision Nationale d´Haiti) en ce que les programmes des deux stations se coincident, se confondent. En d´autres termes, créée à des fins publicitaires et propagantistes, Martelly TV absorbe, de manière très controversée et déconcertante, la quasi totalité de la programation de la RTNH qui, selon les lois haitiennes, aurait dû être au service de la société haitienne pour répondre à ses besoins tant sur le plan culturel, éducationnel, communicationnel qu´informatif et formatif. Ainsi donc, la RTNH, l´organe de communication du peuple haitien, dont les employés, étant des fonctionnaires de l´État, sont payés par les taxes des honnêtes contribuables, forme avec Martelly TV une seule et même entité médiatique, un vaste réseau pour mieux faire de la propagande politique de l´administration Martelly. Sur ce, elle est transformée en une propriété privée de M. Martelly. Ce qui, sur le plan rationnel et institutionnel, est inacceptable.
      Mais, il faut dire qu´il n´est le premier et peut-être pas le dernier à faire cela, tout propagantiste agit de la sorte et utilise les médias comme arme de pollution massive de la conscience collective, voilà pourquoi tout propagantisme politique est généralement perçue comme une intoxication médiatique ayant pour cible les masses. Si nous avons pris des précautions à ne pas attribuer le caractère populiste à M. Préval et celui de mutiste à M. Aristide, M. Martelly, malheureusement, ne peut échapper au statut d´un chef d´État propagantiste avéré, une image qu´il s´est lui-même construite. Néanmoins, il faut reconnaître que le propagantisme politique comme système et moyen d´intoxication a existé dans le milieu socio-politique haitien bien avant M. Martelly. Il n´a fait, comme nous l´avons souligné plus haut, que la façonner à sa manière suivant sa propre méthodologie et l´appareil idéologique dont il dispose. Donc, ce n´est pas un excès de langage, ce n´est pas non plus méchant de résumer sa gouvernance au pur propagantisme politique systématique. Car, non seulement il le projette, l´exhibe, mais surtout il l´affirme dans ses différentes sorties et interventions médiatiques. Ainsi, il y a au moins deux aspects fondamentaux que nous aimérions cerner dans le cadre du propagantisme politique martellytiste de 2011 à nos jours. Premièrement, l´aspect de corruption et le fait d´abuser des fonds de l´État à des fins strictement personnelles, le vandalisme institutionnel en second lieu.

3.4. Propagande politique, abus des fonds de l´État et corruption
En effet, en tout premier lieu, il est clair que la propagande politique génère en soi une source de corruption en termes d´investissement, car pour l´établir, l´administrer et la consolider, cela nécessite de grands moyens financiers et économiques en matière de l´utilisation des outils communicationnels comme le téléphone, la radio, la télé, enfin ce que les scientifiques appellent les TIC (Technologies de l´Information et de la Communication) y compris l´Internet. Par ailleurs, aujourd´hui, avec les réseaux sociaux tels que facebook et twitter qui, depuis leur création, sont de plus en plus en vogue, il y a de quoi à parler d´une propagande politique technologique à outrance tant au niveau national qu´international. Or, il n´est pas sans savoir que, même dans le cas d´Haiti, qui est un pays pauvre mais rempli de gens fortunés et riches, se procurer pour soi personnellement une chaîne de télévision et/ou de radio, avoir son propre site internet, sa propre page publicitaire sur facebook ou twitter, s´acheter une action de publicité dans une compagnie téléphonique, etc., tout cela requiert des moyens économiques et financiers élevés, coûte beaucoup et même très cher. Alors la question est de savoir où est-ce que le président Martelly a eu de l´argent pour s´acheter une chaine de télévision et créer son propre site pour mieux faire de la propagande de ses programmes sociaux et politiques trompeurs qui restent toujours dans l´abstraction? S´est-il servi des privilèges que lui confère son statut de chef de l´État pour abuser de cette noble institution en détournant les argents des pauvres contribuables gardés au trésor public avec ou sous la complicité de celui qui en a la garde? Sachant qu´il nomme le gouverneur de la Banque Centrale, et que la constitution ne lui reconnaît aucun titre de comptable de deniers publics, autrement dit, il ne touche ni directement ni indirectement à l´argent de l´État géré par le trésor public, les sources d´enrichissement illicite d´un chef d´État restent toujours floues et difficiles à savoir, à décortiquer ou à prouver.
     Cependant, dans le cas de M. Martelly, nous avons une piste qui indexe une de ses sources d´enrichissement illicite, il s´agit des taxes percues, en violations de la constitution et des lois haitiennes, sur les appels téléphoniques entrants et les transferts d´argent de l´étranger vers Haiti. Source insolite, illicite et occulte d´enrichissement au profit de M. Martelly et de sa famille, mais jamais élucidée, car jusque là personne ne sait le montant qui y a été collecté et à quoi il a été destiné, ces deux indices de corruption caractérisent le propagantisme de Martelly qui a fait croire que cet argent aurait servi à renforcer le système éducatif tandis que la société haitienne ne sait à quel saint se vouer pour sauver ce système maladif, dévoyé et pourri.

       Même le parlement, qui est théoriquement chargé de veiller sur ces genres de dérives institutionnels, n´est en mesure de dire au peuple haitien qu´il représente à quelle somme s´élèvent ces transactions journalières, qu´est-ce que l´exécutif en a fait, et par quel procédé serait-il possible de vérifier la collecte de ces fortes sommes et les réalisations qui en découleraient. On n´a recours qu´à des oui-dires selon lesquels ces transferts s´élèvent à quelques milliards de dollars qu´il est impossible de vérifier. Nous vivons dans une république de canails, de voyous où tout se fait à l´envers. Le parlement, organe suprême de contrôle des actions de l´exécutif a, semble-t-il, vendu sa mêche pour je ne sais quel intérêt. Pour des pots de vins peut-être! L´exécutif devient, par conséquent, non controlé parce que le parlement ne remplit pas convenablement sa fonction. Ainsi, les sources économiques et financières d´où proviendraient les achats de ces instruments médiatiques et le paiement de certains médias et certaines compagnies téléphoniques pour faire de la propagande politique en faveur de M. Martelly n´ont jamais été mises sous une investigation judiciaire sérieuse, aucune enquête à ce jour n´a été enclenchée pour savoir comment M. Martelly s´est arrangé pour provoquer tout ce dégat au sein de l´appareil économique. Jusque là pas de justificatifs à ce propos, et, connaissant notre Haiti chérie, ce n´est pas après la fin de son mandat que nous allons pouvoir espérer quelques résultats concrets: il est fort probable que ces sources ne soient jamais investiguées voire élucidées. ''L´enquête se poursuit''..., voilà tout ce qui résume notre système social et politique. Savoir comment les chefs d´États contemporains s´enrichissent cupidement au détriment de leur propre peuple doit faire l´objet d´une recherche approfondie, mais pour l´instant nous restons concentrés sur le côté corruptible de la propagande politique de Martelly.

        Même si la corruption a toujours existé en Haiti, or, aucune société sur la terre n´est pas encore parvernue à s´en libérer définitivement, il est clair que M. Martelly s´est leurré en prétendant l´éradiquer. En violant ses propres serments selon lesquels il serait venu pour combattre la corruption voire prétendre y mettre un terme, sous sa gouvernance, les fonds de l´État ont été non seulement utilisés pour régler les affaires personnelles des hauts dignitaires, lui en particulier, dans le cadre de ses programmes propagantistes qui n´aboutissent jamais, mais ils ont surtout été gérés à titre de biens familiaux en ce sens que sa femme et son fils ainé, n´ayant aucun titre officiel comme fonctionnaires de l´État, si ce n´est que le privilège de constituer ce qu´on appelle communément la famille présidentielle, perçoivent de l´argent et sont responsables de nombreux projets et programmes de ''développement'' qui ne se trouvent sous la tutelle d´aucun ministère. Ce qui veut dire qu´ils perçoivent de l´argent de l´État et gèrent ses biens sans en faire partie, ce qui, dans tout État démocratique normalement respectable, ne peut être toléré sous aucun prétexte.
            En conséquence, la corruption est à son apogée. Jamais dans l´histoire contemporaine de la politique haitienne les institutions étatiques ont été si décriées pour des causes de corruptions répétitives, pour des programmes à caractère social, politique et économique qui ne sont que de pures propagandes politiques. En réalité, en affaiblisant le gouvernement, ils n´apportent absolument aucune amélioration de vie tant sur le plan social qu´économique. N´était-ce que par la corruption, par quelle autre formule M. Martelly pourrait se payer le luxe d´avoir à son actif une chaine de télévision, pour faire ce que Taguieff (2004) appelle du télé-propagantisme, de la propagande politique à caractère hautement technologique.
Sans aller plus loin en multipliant les cas, le seul fait qu´au lieu de moderniser l´EDH, il a préféré faire le commerce des lampadaires, cela a prouvé que l´administration de M. Martelly incarne la corruption institutionalisée. Au cours de sa gouvernance des fonds estimés à des milliards de gourdes alloués aux saisons cyclôniques ont été gêlés et jusqu´à présent pas de rapport, pas d´explication là-dessus. Quel gâchis! Ainsi, quand les affaires personnelles ou familiales se mêlent aux questions étatiques, nous pourrions dire que, pour reprendre Weber, nous sommes tombés dans une irrationalité institutionnelle complète du fonctionnement de l´État puisque la fonction n´est pas détachée ni de la personne ni de la personalité de l´individu qui l´exécute, et toute irrationalité institutionnelle, ne pouvant que générer la corruption, survit par le propagantisme politique. Sur ce, la corruption jointe à la propagande politique engendre ce qu´il conviendrait d´appeller le vandalisme institutionnel.

3.5. Le vandalisme institutionnel
     La corruption est contagieuse et même grandemente contagieuse. Là où règne la corruption le vandalisme institutionnel est à son comble, tous les structures sont paralysées, et c´est ce qui arrive à Haiti: les institutions étatiques sont dévoyées, vandalisées, vilipendées au point que nous pouvons dire qu´elles n´existent pas. Dans la crise actuelle qui bouleverse le pays, il y a un vide institutionnel énorme, tout le monde est sur le point de se demander qui detient la commande de ce pays.
     Ce n´est pas sûr que ce soit l´exécutif, car, sans considérer la démission de M. Lamothe qui, ayant refusé de liquider les affaires courantes selon le voeu de la constitution, était dès le départ un puissant allié de M. Martelly, l´appel du président à une commission consultative pour l´aider dans la recherche des solutions aux problèmes politiques se traduit d´ores et déjà par un acte d´auto-démission et il est fort probable que le rapport de cette commission plein de contradiction precipite le départ de M. Martelly. Mais, depuis bien auparavant, les institutions étatiques étaient déjà parvenues à un stade de putréfaction si nous considérons, par exemple, le cas du CSPJ (Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire): Une si noble institution constituant le bras fort de la justice est malheureusement réduite à la servitude d´un Exécutif avare et cupide qui veut tout contrôler, ce, en passant outre des normes institutionnelles. Quel scandale! Quel vandalisme! Je pense que, par ailleurs, M. Lamothe a eu raison de ne pas vouloir accepter de liquider les affaires courantes, car, à vrai dire, au cours de son gouvernement, il a tellement liquidé les institutions étatiques en passant outre de toute procédure qu´il en était rassasié. De fait il peut s´en rejouir. ''Je suis parti avec le sentiment du devoir accompli'' a-t-il laché au moment de remettre sa démission au chef de l´État. De quel ''devoir accompli'' s´agit-il? Le sien ou celui du peuple? Nous n´en savons pas trop, toutefois, il a laissé derrière lui un flot de dossiers de corruption et de malversation.
     Pas plus le Parlement ne soit exempt de ce vandalisme institutionnel, car il est aussi au bord de l´abîme. Les parlementaires ne remplissent pas efficacement leur rôle, mais deviennent une clientèle de l´exécutif. C´est un Parlement cassé et pratiquement inexistant. Un parlement qui se laisse corrompre par les stratégies propagantistes de Martelly. S´il nous reste la Justice, alors là, c´est le dernier pouvoir sur lequel nous aurions pu compter pour sauver la face, pour redorer le blason et pour donner l´espoir, l´assurance ou la confiance au peuple haitien sur la bonne marche des appareils institutionnels, mais aussi pire que les deux premiers systèmes, elle se trouve déjà au fond de l´abîme et on ne voit pas comment elle parviendra à s´en sortir.

     Il convient de questionner, en outre, la capacité intellectuelle des dirigeants haitiens à établir, sur le plan rationnel, un équilibre entre les trois pouvoirs comme l´ont brillemment défendu les pères fondateurs de la science politique moderne. Tout en restant dans l´esprit de l´équilibre entre les pouvoirs prôné par Montesquieu et Hobbes, il reviendrait, au premier chef, au pouvoir exécutif dans la culture politique de gérer et de maintenir cet équilibre prévu par les principes politiques et démocratiques. Cependant, cela ne lui confère aucun droit de domestiquer ou de chercher à dominer ou controler les deux autres pouvoirs, de même, ceux-ci en revanche ne doivent pas se sentir inférieurs, car, d´une part, le contrôle ainsi que le respect des limites sont réciproques entre les pouvoirs, les relations qui les caractérisent sont purement et simplement d´ordre horizontal et jamais d´ordre vertical ou piramidal, de l´autre. De ce fait, quand l´idée ou l´initiative de cette domestication des autres pouvoirs provient de l´éxécutif, nous nous enfonçons encore plus dans le vandalisme institutionnel. Ainsi, nous pouvous imputer à ce problème d´équilibre entre les pouvoirs cette descente aux enfers des institutions indépendantes et autonomes, privées et publiques. L´exécutif qui aurait dû donner le ton est le principal responsable de cet affaiblissement et ce déséquilibre entre lui, le législatif et le judiciaire. Telles sont les séquelles de la dictature qui nous poursuivent.

      Toutefois, la crise institutionnelle haitienne est chronique et le vandalisme institutionnel dont souffre le pays ne date pas d´hier et nous ne saurions imputer à l´administration de M. Martelly toute la responsabilité de ce problème qui est historique, systémique et sociétal. Mais, par ailleurs, nous allons nous mettre d´accord que tout homme ayant eu la chance de parvenir au sommet de l´État en Haiti – une chance sur 10.000.000 d´haitiens – il y est pour changer les donnes, améliorer les conditions, renforcer les institutions et non pas aggraver leur état, en résumé, il y est pour faire des miracles dans le sens propre du terme. S´il ne le fait pas, il n´a d´autre choix que de se retirer. En effet, il n´est pas donné à tout le monde d´atteindre le haut sommet de l´État, tous ceux qui y sont parvenus doivent inévitablement accomplir quelque chose de miraculeux par le seul fait qu´ils sont eux-mêmes des miraculés. Or, c´est ce qu´a prôné M. Martelly, et que promet d´ailleurs tout homme politique. Voyons voir dans les prochaines élections, les candidats n´auront pas un discours différent. Cependant, comme M. Martelly ils feront complètement le contraire de tout ce qu´ils auraient promis. C´est bien cela la caractéristique de la culture politique haitienne dominée par le mensonge et la propagande politique. Les solutions plus ou moins durable aux problèmes réels et structurels tardent encore à venir. Enfin, la corruption est l´un des facteurs qui affablit, dégrade, démoralise et fragilise tout État en le rendant impuissant à changer la situation des individus, illégitime à se maintenir et méfiant à gouverner la société. Alors, quand l´État est à ce carrefour, qu´est-ce que le peuple peut espérer de lui? Quel progrès la société peut-elle attendre d´un tel État qui n´arrive même pas à se soutenir, à se consolider, à s´organiser, à s´équilibrer lui-même? Nous sommes aujourd´hui à un carrefour où la propagande politique est érigée en norme de gouvernance en Haiti. Dans ce pays nous avons un problème d´éthique gravissime.

CONCLUSION: Y aurait-il une porte de sortie?
      Somme toute, à partir de notre analyse autour de ces trois phénomènes sociaux et politiques, à savoir, le populisme, le mutisme et le propagantisme polluant, nous parvenons à la conclusion selon laquelle ils sont à la base d´une bataille idéologique parallèlement au besoin des masses populaires qui gémissent dans la misère et la pauvreté. Ils sont la cause de l´immobilisme d´Haiti depuis des siècles. Sur le plan temporel, les deux siècles d´indépendance auraient dû nous suffire assez pour inicier une vraie révolution sociale, culturelle, politique et économique dans ce pays. Or, nous avons perdu beaucoup de temps et nous allons en perdre davantage si nous continuons à employer des méthodes de développement irrationnels qui ne prennent pas en compte les vraies nécessités du peuple. Combien de temps devrons-nous, nous autres Haitiens, consacrer au changement de ce pays? Deux cents ans de plus? J´en doute fort. Car, notre gestion de temps est catastrophique et lamentable. Elle nous plonge dans une telle pratique immobiliste: Haiti est un pays bloqué et la culture politique haitienne est une des causes profondes de ce blocage. Ce qui fait que faute de progrès, nous serons toujours traités comme un peuple voyou, car nous sommes loin d´être un État. Que faut-il faire? Passer la moitié de notre temps à prier? Prier c´est bien, mais il nous faut des prières accompagnées d´actions concrètes et positives en rompant avec les pratiques politiques propagantistes, populistes et mutistes. Le populisme, le mutisme et le propagantisme sont les pilliers forts de la cause du sous-développement et de l´immobilisme social, politique et économique d´Haiti, mais si nous nous attelons à les combattre simultanément tant sur le plan idéologique que pratique, cela peut être une porte de sortie.

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 [1] Voir le film Assistance mortelle de Raoul Peck.
[2] Le texte est accessible sur le blog: http://jeandefabien1426.blogspot.com.br/



CAMPINAS, 22/03/2015


[*] Cet article est publié tant en bloc qu´en partie séparée. Ici sont traitées les trois parties réunies.

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