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samedi 9 juillet 2016

NOUS EN AVONS PEU, MAIS NOUS LES ASSASSINONS BEAUCOUP!

Haiti marche de jour en jour vers le titre d´un pays prédateur, un sanctuaire d´assassins et de meurtriers où ses propres enfants, étant en quête infatigablement d´une vie sécuritaire, ne sont pas à l´abri. La vie humaine ou la vie tout simplement y est de plus en plus réduite à son plus vil niveau. Ce qui se passe actuellement en Haiti nous donne l´impression de faire face à une espèce d´haitianivore ou encore à une sorte de systématisation et instrumentalisation de la mort. C´est une société remplie de gens méchants qui ont assassiné, assassinent et continuent d´assassiner bon nombre de ses compétences. Le cas de Wilhem Edouard, que je ne´ai pas connu physiquement d´ailleurs vient s´ajouter aux multiples cas d´assassinats qui jusqu´à présent restent impunis et ne font qu´endeuiller une société déjà en panne de ressources humaines. Nous en avons peu, mais nous les tuons beaucoup. Haiti - en tant qu´il est symbolisé par ses personnes humaines qui y vivent - quand elle n´exclut, ne contraint à l´exil ou n´expulse, elle tue ou assassine. Malgré cette situation qui est bien sûr une des conséquences de la défaillance d´un système, Haiti demeure un lieu où il fait bon de vivre - bien entendu pour ceux qui en ont les moyens. Pas seulement pour ses citoyens, mais aussi pour les étrangers, car beaucoup d´entre eux ont déjà été épatés par la vigueur et la force de travailler qu´a ce peuple qui affronte quotidiennement la misère, la pauvreté, la vie et l´insécurité de toute nature: physique, alimentaire, sanitaire, économique, scolaire, environnementale etc.

Il est inutile de rappeler ici le total des victimes des actes de criminalité qui visent malheureusement nos plus belles têtes. Il est de même inacceptable que des criminels marchent et circulent tranquilement dans les rues après avoir commis des crimes odieux attristant et révoltant la conscience de toute une collectivité. Ceci résulte de l´impunité qui est pire que la criminalité. Elle, la criminalité, existe partout dans toute société, mais l´impunité non, c´est l´une des raisons pour lesquelles on ne peut pas la considérer comme fait social. Elle est une profanation de la victime, de sa famille, enfin, une négation de la vie en soi. Et quand cela arrive, les familles et la société en général sont doublement victimes: d´abord du crime, ensuite de l´impunité qui en découle. C´est triste! Et c´est ce qui bouleverse les Haitiens, c´est-à-dire le sentiment de vivre au milieu d´une bande de criminels et d´impunis avec ou sans cravate et costume, de partager dès fois le même milieu physico-social, environnemental et culturel avec ceux-là qui leur ont enlevé l´être cher, enfin, d´être obligé de se taire devant les boureaux qui leur ont arraché le coeur. Quand la criminalité s´adjoint à l´impunité, le produit qui en résulte s´appelle la destruction physique, mentale, psychologique et spirituelle de l´être humain, véritable architecte visible du monde. Ainsi, que peut-on espérer de productif et de développement tant sur le plan humain, social qu´intellectuel d´une société qui détruit la vie, piétine les valeurs et assassine le peu de compétences qui lui reste?

S´il est normal sur le plan sociologique qu´il y ait des crimes au sein des sociétés humaines dans la mesure où aucune et absoluement aucune d´entre elles n´en est exempte, il est cependant abject, répugnant, inhumain, indécent et impitoyable que l´impunité s´érige en règle alorsqu´elle aurait dû être l´exception. L´impunité n´est pas un fait social comme le crime l´est, mais elle traduit de préférence l´état de pourrissement et de dégénérescence auquel parvient une société et celui de désacralisation de la vie elle-même. Cela peut paraître exagérant, mais je crois que l´impunité mérite d´être plus combattue plus durement et rigoureusement avec plus de vivacité que la criminalité. Des crimes on en aura toujours pour ne pas dire souvent dans la société, mais l´impunité doit disparaître à jamais même si elle ne fera pas pour autant anéantir le crime. Ce n´est pas la criminalité qui est problématique à la société, mais plutôt l´impunité, car si l´on part du principe que la société est l´être invisible et consensuel au-dessus des individus, qui ne tolère qu´aucun acte odieux reste impuni, alors la société a elle-même ses principes dont le plus sublime d´entre eux est la sacaralité de la vie. Ainsi donc, il est dangereux que des actes comme tels, qui provoquent la nausée au sein de l´harmonie sociale et de la paix sociétale dont tout le monde a soif se repètent avec une fréquence si rapide.

Ce n´est pas un rêve ni un souhait utopique de penser à une société où la paix sociétale et l´harmonie sociale soient possibles, il existe des sociétés où l´on parle de moins en moins de crimes, vols, assassinats, massacres, meurtres du genre à l´haitienne. On dirait que ces sociétés vivent au ciel et leurs membres seraient des anges et des saints. Bien au contraire, elles existent bel et bien ces sociétés terrestres où le taux de criminalité est à un niveau très faible pour ne pas dire négligeable. Des exemples on en a même trop et on les trouve plus précisément dans les sociétés conservatrices européennes. En effet, selon le Institute of Economics and Peace, l´Islande, le Danemark, la Nouvelle-Zélande, l´Autriche et la Suisse occupent, en 2013, le top des cinq pays les moins violents dans le monde. Fruit d´un travail de longue haleine, ces sociétés échantillonnées parviennent à instaurer et maintenir un système efficace qui combat la corruption intimement liée à l´impunité. Donc, il nous est possible de parvenir aussi à ce stade puisqu´ils sont des être humains comme nous. Il suffit que nous ayons la volonté de commencer un jour ce combat contre la corruption.

Les criminels n´ont pas changé de formule ni de stratégie, ils opèrent de la même façon qu´auparavant, c´est-à-dire ils attendent à la sortie d´une banque, d´un lieu de travail, d´une maison pour abattre la personne ciblée, ce, en circulant le plus souvent à moto, véhicule de transport en commun très utilisé en Haiti, mais pourtant nettement sorti du contrôle de ceux qu´on appelle les autorités. Quel paradoxe et contraste! De plus, ils ont l´air de ne pas s´inquiéter du tout avant, pendant et après leur crime. Après le crime c´est encore pir et même plus frustrant, car dans une société digne de ce nom, nul criminel ou assassin n´a le droit de se sentir confortable, d´être tranquile ni en paix après avoir commis son acte ignoble. Mis à part sa conscience à le juger, qui est le plus souvent endormie quand il agit, se sachant poursuivi par une justice efficace, forte, puissante, non corrompue mais restauratrice, ses sommeils doivent être continuellement troublés jusqu´au jour de son appréhension. Mais, hélas! il est paradoxalement entendu qu´en Haiti des voleurs, criminels, assassins, tueurs silencieux et bandits sont plus arrogants que le paisible et l´indéfensif individu, qu´ils déjeunent, dinent et se divertissent paisiblement avec des personnes que l´on aurait pu jamais imaginer.

Je me rappelle avoir dit dans un article en 2011 qu´Haiti est une mère qui mange ses propres enfants. Ce phénomène appelé cannibalisme puerpéral est très fréquent chez les espèces animales, mais il peut se produire chez l´espèce humaine. De fait, à une certaine époque de l´histoire de l´humanité les humains mangeaient les humains pour apaiser leur faim. Malheureusement, ce phénomène qu´on pourrait appeler de cannibalisme étatico-sociétal se rencontre dans notre chère Haiti, mais sous d´autres formes. Car quand on est dans une société où l´État ne punit ni ne sanctionne, mais se plaît ingénueusement à dénoncer et à condamner, c´est comme si c´est lui-même qui a assassiné. L´État haitien - si le concept peut lui être approprié - est un État cannibaliste, criminel et assassin et chaque jour qui passe je m´en rend compte. Cet article était un cris de coeur pour exprimer - je m´en garde d´employer le verbe ''condamner'' qui devient monnaie courante en Haiti et d´un usage vraiment insipide - mes plus vives indignations contre l´assassinat lâchement crapuleux de Guyto Toussaint, l´ex-directeur de la BNC. Aujourd´hui c´est le tour de Wilhem Edouard, encore un crime de plus, un crime de trop, on n´en a assez! Il est temps que cela cesse! Il est temps que des êtres humains voire des ressources humaines cessent de perdre la vie dans des conditions pires que celles des animaux.

Je n´ai pas connu Wilhem Edouard, donc je ne prétend parler de lui dans cet article, mais il s´agit avant tout d´un être humain. La mort ne connaît pas de personalité ni de nationalité, donc la mort d´un homme quand elle se produit dans des situations sinistres pareilles est non seulement celle de tout homme, mais surtout ne peut ne pas révolter notre conscience, notre humanité tel que cela s´est produit dans le cas de notre ami Francky Altinéus péri dans le massacre à l´Arcahaie le 12 février 2016. Combien d´autres petits Guyto, Wilhem, Francky ont déjà goûté dans l´anonymat aux armes impitoyables des meurtriers? Ou combien y en a-t-il inscrits sur leur liste pour y bientôt goûter? Il est important de souligner que ce cas d´assassinat devrait nous offrir l´occasion de plaidoyer en faveur de la vie et de l´humanité bien qu´il n´en soit pas le seul. Il existe de nombreux Haitiens sans nom - des oubliés, des abandonnés, des exclus, des exotiques - qui périssent journalièrement sous les armes assassines des criminels. Il y a une banalisation terrible de la vie en Haiti. Et c´est ce qui fait le plus peur .

Toutefois, comme le veut le principe, je m´incline humblement devant le départ de cet homme dont l´étoile brillait dans la communauté journalistique haitienne. J´assimile souvent la mort à un départ, à un voyage ou à un déplacement de ce monde visible, sensible et physique vers celui qui est invisible, insensible et spirituel, mais c´est lorsqu´il s´agit d´une mort naturelle. La mort prématurée comme celle de père Gérard Jean Juste, Mireille Durocher Bertain, Jean Marie Vincent, Brignole Lindor, Jean Rigot Delus, Guyto Toussaint, Wilhem Edouard... ne peut aucunement être un voyage ni un départ, mais une exécution sommaire, une expulsion brutale, un débarras, un assassinat tout court. Sur ce, je tiens à souligner que la mort n´est plus un fait naturel en Haiti, c´est-à-dire on s´y fait tuer très prématurément par de différentes causes non naturelles: massacre, assassinat, oubliette, exclusion, abandon, famine, chômage, criminalité, violence armée continue, vol, viol etc. C´est dur de le dire, mais la mort est telle qu´elle devient une sorte de débarrassement pour ceux qui sont considérés comme étant de trop dans la société. À force d´une banalisation et profanation accrues de la vie, les Haitiens ont le pressentiment d´être de trop dans leur propre société. Ce n´est pas en fait le crime qui les pousse vers un tel sentiment mais plutôt la gestion médiocre, mécreante, irrationnelle et irresponsable qui en est faite. 

Enfin, ce sont des actes qu´on doit certes réprimer de manière très sévère, mais l´impunité tue aussi et même plus dur qu´eux. Car, quand une famille au moment de pleurer son être cher disparu pense à une justice corrompue faisant de l´impunité son boussole, dont elle n´obtiendra jamais justice, réparation et récupération, alors on ne peut s´attendre qu´à une société frustrée, disloquée, cassée, segréguée, regorgée d´assassins et coupée du reste des sociétés où la vie se sacralise. Ainsi, le combat pour que cela s´arrête n´est pas pour aujourd´hui mais il doit et peut commencer aujourd´hui même et pourquoi pas avec cet assassinat, faisant de lui un point de départ. L´essentiel c´est d´avoir une justice sociale et politique puissante, forte, efficace et restauratrice qui doit prévenir, punir, sanctionner et réintégrer au lieu de dénoncer, enfin, des programmes de réparation, de restauration et de récupération pour les familles victimes, d´accompagnement psychologique, de réinsertion sociale pour les criminels appréhendés.

Jean FABIEN

Vienne, 10 Juillet 2016