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vendredi 27 mai 2016

DÉSHUMANISATION ET INHUMANITÉ EN HAITI: MOURIR EN SILENCE?

Résumé

Cet article propose une réflexion sur l´état de déshumanisation et d´inhumanité par lequel la société haitienne est rongée graduellement. Pour comprendre cette situation, nous prenons en compte la grève du secteur médical entamée, cela fait des mois, par les médecins résidents de l´HUEH en soulignant qu´elle n´en est pas des moindres. Le résultat auquel l´article s´attend est de faire ressortir qu´en dépit de l´état de dégénérescence et de pourrisement auquel est parvenue notre cruauté au détriment de l´humanité, il nous reste encore de l´espoir.

Introduction

Depuis quelques mois, le secteur médical en Haiti est sécoué par une forte crise, disons plus globalement, la santé est en grève dans une société où elle accuse déjà une précarité pas croyable. Ce secteur fait face à d´énormes difficultés, et cela ne date pas d´hier. En conséquence, il rentre en grève à cause des problèmes structuraux vieux, jamais résolus mais toujours coincés sous le label d´un tout va mieux maquilleur et maquillé. En clair, les révendications des médecins sont précises: outre de bonnes conditions sanitaires de travail, ils réclament un salaire raisonnable qui leur permetterait de contrecarrer la situation de galère que leur impose la profession médicale sachant que la question salariale donne épineusement à mourir douce et en silence en Haiti. En résumant ainsi en peu de mots le contenu essentiel de cette crise, pas la peine de revenir sur toutes les scènes vu que l´article n´a pas pour objectif de reprendre et de reconstituer les faits avec une perspective journalistique. Néanmoins, il s´ambitionne à interpeller l´intélligence de plus d´uns et à fouetter la conscience humaine de chacun sur la déshumanisation et l´inhumanité qui règnent en maître en Haiti, ce en partant de ce cas récent de la santé en grève, bien qu´il y en ait beaucoup d´autres. Un fait qui, apparaissant absolument invraisemblable, n´aurait jamais dû se produire dans une société dite constituée d´êtres humains digne d´une telle appelation. Tandis que cela fait des mois que les dirigeants pleurnichent là-dessus. Alors, faut-il mourir en silence ou défendre l´humanité, ce bien commun à tous?

La mort préférée à la vie 

La vie n´a plus d´importance en Haiti, elle est de plus en plus banalisée et vandalisée. Le chemin de la mort a l´air d´être une option implicitement et officieusement préparée par ceux-là dirigeants, hommes politiques, grands entrepreneurs, capitalistes, bourgeois, riches commerçants ayant les moyens économiques de se faire soigner ailleurs, pour se débarrasser des indésirables. En d´autres termes, en Haiti, le traitement réservé aux Haitiens les force à mourir, les pousse plus vers la mort que vers la vie. Une sorte de génocide douce, classique et un massacre silencieux quoi! Dans les quartiers populaires, par conséquent, on y meurt en silence, car on n´a le droit ni d´être malade ni d´avoir des soins de santé. Le seul droit qui reste à ces rejetés de la société c´est de mourir, ce, dans le plus sombre et profond silence puisque même en poussant de grands cris, il n´est pas sûr d´être entendus. Or, les morgues n´en peuvent plus, la terre, seule à convenir un refuge non refusable, se lasse de recevoir le corps de ces pauvres et innocents lâchement assassinés.

À entendre les médecins grevistes résidents du plus grand centre hospitalier du pays, ''Hospital général'', de son nom populaire, ça donne froid au dos et l´on se demande dans quel siècle vivent finalement les Haitiens? Qui sommes-nous pour nous traiter nous-mêmes de la sorte? Qu´est-ce qui nous arrive pour que nous soyons si impitoyables aux souffrances maladives de nos semblables? Qu´est-ce qui se passe pour que nous devenions si insensibles aux pleurs et aux cris des autres? Nous sommes devenus des morts vivants. La mort nous frole à chaque instant dans la plus imparfaite insensibilité et indifférence. Elle est devenue plus qu´un soulagement qu´un gain.

La vie et la santé: deux choses sacrées en dégénérescence en Haiti

Or la vie est sacrée et la mort en est sa continuité, n´est-ce pas ce que nous a appris la morale religieuse? La santé c´est ce qui vivifie, honore et fortifie la vie, alors quand elle n´est pas garantie, soutenue et maintenue c´est la vie elle-même qui est en danger. En effet, le sacré est la manifestation sociopsychologique de l´individu devant le respect et la révérence qu´il observe devant les choses qui, par leur sacralisation et ayant été classées à part, deviennent intouchables, inviolables et immortelles. D´autre part, le symbolisme du sacré est la mémoire historique et sociale de toute société. C´est d´ailleurs l´un des fondements jusque là inébranlables de la société au point que s´il se brise, l´avenir de celle-ci est facheusement menacé. Ce symbolisme tend, malheureusement, à s´éteindre en Haiti. Et plus particuclièrement cette présente crise dont on ignore la solution et la fin nous le montre. Si on était en Grèce et à Rome, on dirait que les dieux et les déesses de l´Olympe nous ont abandonnés, de ce fait, nous sommes maintenant livrés à toute sorte de malheur et de maladie même les plus impuissants.

Si la santé est intimement liée à la vie et, dirions-nous même, elle la conditionne en quelque sorte, alors elle doit être traitée de la même manière que celle-là. Le non accès aux soins de santé est automatiquement un non respect à la vie. La grève des médecins résidents à l´HUEH, pas des moindres d´ailleurs, avilit une fois de plus la fragilité, le calvaire de vivre en Haiti et la malencontreuse mésaventure de s´y trouver malade lorsqu´on doit se faire transporter à l´HUEH. C´est le sort de cette femme enceinte, morte avec son bébé dans le ventre faute de soins, qui attend chacun qui se trouverait dans une telle situation. Quelle cruauté! Même en temps de guerre, je ne m´imaginerais pas entrain de vivre une scène pareille. Que les dieux de nos ancêtres aient pitié de nous à cause de ces sacrifices humains qui deviennent monnaie courante dans notre société! L´image de cette femme, si fraîche soit-elle en tout cas, doit nous revenir à la mémoire à chaque fois que nous devons nous souvenir combien sommes-nous cruels, maniaques et sadiques vis-à-vis de l´humanité et de la vie. 

Quiconque aime la vie, la trouve et la vit. En revanche, quiconque la haît, la maltraite, la détruit tel que nous le faisons en Haiti, ne peut rien espérer d´elle, elle fuit loin. Sur ce, cet article est en quelque sorte un plaidoyer pour le respect de la vie, pour le traitement digne à l´être humain, pour la protection de l´environnement dans lequel nous vivons et évoluons, enfin, pour la recherche des solutions aux problèmes qui divisent et fachent en même temps. Au lieu de nous perdre sous une attitude hypocritement et intentionnellement démésurée dans un débat stérile, vide de sens basé sur le structurel, il vaudrait mieux questionner d´abord notre humanité. C´est, à mon humble avis, un faux débat, car toute institution, toute structure et toute organisation prennent la forme des individus qui la dirigent et épousent leur caractère. Ainsi donc, le problème de notre société est au premier chef d´ordre humain. Tel est, en dépit de tout, le point lumineux et éclaireur que nous révèle cette grève de la santé.

Les structures non comme faux problème, mais comme expression de nos capacités humaines

Toujours est-il que le problème n´est pas seulement d´ordre structurel, il est surtout d´ordre humain, car les structures, qui sont avant tout humaines, ne tombent pas du ciel et ne sont pas non plus une espèce d´objet flottant sur l´eau ou exposé dans l´air, elles s´intègrent à notre humanité, forment avec elle un seul et unique composant, enfin, elles sont l´oeuvre et l´expression de nos capacités humaines. Intélligemment nous les revêtons un caractère sacré et institutionnel pour protéger la lettre collective dont elles sont issues, les faire fonctionner dans l´impartialité, la justice sociale et l´équité, non pas pour en faire un faux problème. Quand on parle d´être humain, il ne faut pas voir uniquement cette masse corporelle, physique et matérielle, mais d´abord cette intélligibilité derrière laquelle se cache tout une infinité d´idées, d´idéologies, de projets, de capacités et de compétences lui permettant d´agir sur les problèmes tant sociaux que naturels retenant que les premiers portent les empreintes humaines tandis que les seconds nous les trouvons en naissant et nous les laisserons tels quels après avoir traversé. Donc, ce qui se passe actuellement en Haiti, à savoir, la santé en grève, porte d´un côté la marque de nos mauvaises actions irrefléchies et irrationnelles, est une déstruction et une négation de l´humanité, de l´autre. Il prouve ainsi notre incapacité à maitriser nos propres environnements, à agir sur nos problèmes et à transformer les difficultés en opportunités.

Les structures, qu´elles soient sociales, politiques, économiques ou culturelles, ont été et sont faites par nous, c´est nous qui les construsons, les définissons, les ordonnons, les organisons, en déterminons le fonctionnement, donc, c´est dire que nous sommes en avale, elles sont en amont. Ce n´est pas que je sois entrain de minimiser la force, le poids, l´impersonalité et la puissance des structures qui ont un caractère et une nature complètement distincts de ceux de chaque individu, mais elles restent une oeuvre collective née d´une union et d´une fusion de forces individuelles et d´actions humaines. À mon humble avis, faire de ce problème de santé y compris de tous les autres qui rongent notre société une simple affaire d´ordre strictement structurel, c´est une manière encore plus sinique de banaliser ce qui, en fait, est un mal historico-humain. Il n´y a de struture et d´institution que les individus, acteurs et agents sociaux par excellence. Ainsi donc, à travers les structures nous devons entrevoir l´intélligence humaine en action, la rationalité humaine en activité.

Sur ce, nous avons besoin de nous regarder nous-mêmes, de questionner notre propre image pour comprendre que, comparativement, aux autres êtres humains dotés des mêmes caractéristiques et potentialités humaines que nous, nous nous trouvons dans les marges des plans de développement humain du nouveau millénaire. Sans respect pour la vie et la santé et nous croyant seuls et isolés dans le monde, nous ne nous rendons même pas compte que nos actions sont une menace potentielle pour l´espèce humaine. 

Notre humanité: entre dégénérescence et espoir

Oui, les plus pauvres crèvent en silence dans leur trou de ghuetto où ils sont entassés sans accès à l´eau potable, à la toilette, aux soins de santé, à la nourriture sous les yeux assassins des autorités. Quand le minimum qu´est la santé est loin d´être acquis le seul issu qui se présente à eux dans un pareil cas est de crever en silence. La mort devient, par conséquent, un soulagement, une délivrance, une libération plutôt qu´une félicité et une rentrée bien heureuse dans l´autre monde. Certains trouveraient peut-être mon texte un peu allarmiste. En fait, il l´est et il doit l´être compte tenu de la gravité de la situation qui prévaut actuellement dans notre société, afin de montrer notre inhumanité et à quel point nous autres en Haiti nous vivons en marge de cette si merveilleuse coopération que nous enseigne la nature humaine. Nous ne faisons rien pour l´améliorer alors nous la détruisons à petit feu par le refus de survenir au secours des personnes vulnérables. Toutefois, l´article se révèle aussi un cri d´alerte sur ce qui nous guette, sur ce à quoi nous sommes exposés: C´est qu´en nous entredestruisant, entredéchirant et entremaltraitant nous causons des torts énormes aux autres de près comme de loin sans même le savoir et en être conscients, car l´humanité est une et indivisible. Il est donc temps de nous ressaisir. Que faire donc?

La solution n´est pas aussi simple que l´on pense, car, parlant d´êtres humains nous nous attaquons à un des problèmes les plus complexes et compliqués de tous les temps. La nature humaine en elle-même est très problématique. Sa définition intéresse moins les chercheurs que sa fonction, car l´être humain est différent d´un objet facilement définissable ayant des caractéristiques et propriétés propres, stables et même stagnées. Or, la fonction de tout être humain est une perpétuelle construction et évolution. Il change, se développe, se perfectionne et est au centre des grandes mutations et transformations sociales qui n´arrêtent pas de bouleverser les sociétés humaines. Il est le seul détenteur de cette intélligibilité perfectionniste parmi toutes les espèces. Par ailleurs, il est important de rappeler que nous sommes aussi cette unique espèce capable de faire confiance aux autres, de travailler dans la coopération, de construire une solidarité collective, d´être conscients de nos fautes afin de recommencer, enfin, de parfaire notre société, nos actes, nos actions et nos activités. Sur ce, nous devons défendre avec force et véhémence notre humanité ainsi que ses valeurs les plus fondamentales que sont la justice, la dignité, le droit, l´égalité, le respect, l´éthique, la morale pour ne citer que celles-là, dans le cas contraire il ne nous reste qu´à choisir de mourir en silence.  Si les problèmes qui nous assiègent sont avant tout d´ordre humain, ils nécessitent par conséquent d´une solution en tant que tel, c´est dire qu´il revient de changer notre façon d´être et de vivre dans le monde. Pour ce qui concerne la méthodologie, elle peut être d´ordre macro, meso ou micro. Toutefois, en partant de ce changement d´ordre transcendant et ontologique, les structures changeront de par elles-mêmes.

Considérations finales

Enfin de compte, il est urgent de recouvrer notre humanité par le vivre collectif, la solidarité et la recherche du bien commun. Car, bien au-delà des libertés individuelles - qui, étant une des grandes conquêtes de la modernisation à consolider, mérite d´être exploitée à bon escient - il y a les actions collectives, seule force de survie d´une société. Elles se concrétisent dans l´union et la fusion des forces individuelles. Les libertés individuelles n´ont de sens qu´au sein d´une représentation collective où elles prennent effet. De plus, elles sont individuelles pourvu qu´elles s´intègrent à une collectivité dont elles sont inséparables  bien que distinctes d´elle. Contrairement à ce que l´on pense, l´individualisme n´est jamais le contraire ni l´opposé du collectivisme, mais son composant et son complément. La santé, le bien-être et le bonheur sont donc tous une conquête collective. D´ailleurs, l´un des mérites des sociétés traditionnelles est d´avoir accordé une importance capitale à l´esprit collectif, à la décision groupale, à la réussite sociale et à l´harmonie sociétale, tous incarnés dans un ancêtre commun que représente le totem autour duquel s´ancre la vie sociétale et collective. Le totem est l´incarnation même de la société, de son vivre ensemble et de son harmonisation. C´est en outre son prolongement, sa raison d´être, enfin, le collectif en action. Sur ce, je voudrais clore cet article en demandant où est passé le totem de la société haitienne?

Jean FABIEN

Campinas, vendredi 27 mai 2016