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mercredi 23 décembre 2015

BRÉSIL ET HAITI: D´UNE HISTOIRE D´AMOUR FOOTBALLISTIQUE À L´IDÉAL D´UNE TERRE PROMISE

Résumé 

     La migration des Haitiens vers le Brésil attire l´attention de beaucoup de gens sur l´échiquier mondial. Massive, inquiétante, pluricausale et multidirectionnelle, elle est vue là de façon tragique et suscite des contradictions dans les médias, les journaux, la société civile et les secteurs politiques. Pour comprendre certaines raisons du fondement historique et sociologique d´un tel phénomène, cet article invite à partir d´un constat inédit, celui d´une histoire d´amour et de passion footballistique qui s´ancre aux moeurs et pratiques sociales des Haitiens et constitue entre eux et les Brésiliens un lien artistique et socio-culturel. L´objectif du présent article est donc d´analyser ce point d´ancrage et d´en entrevoir sa relation avec l´immigration haitienne au Brésil.


Introduction

     Selon l´opinion publique haitienne, dans une grande tranche de l´opinion publique brésilienne, à travers les témoignages de beaucoup de migrants haitiens qui, avant d´avoir mis les pieds sur le territoire brésilien, ont été dupés par des escrocs établis tant en Haiti qu´au Brésil, et même en se basant sur des analyses de certains médias nationaux et internationaux, il appert que le Brésil acquière aujourd´hui la réputation de Terre Promise des Haitiens, ce, depuis 2010, l´année la plus triste dans la vie du peuple haitien. Il faut rappeler que dans les années 60 et 70 ce même titre a été attribué aux États Unis d´Amérique lorsque nombreux Haitiens fuyaient la dictature de Papa Doc. Cette assertion est-elle vraie? Il faut y entrevoir, d´un côté, un miroitement d´une réalité sociale, politique, culturelle et économique plus complexe d´un pays, le Brésil, qui se cherche un modèle, cherche à se frayer une place parmi les Grands, à se camper une image sociale trompeuse, à se construire un statut politique mondial et à s´imposer sur la scène diplomatique internationale, d´un autre côté, une vision obsessionnelle d´un peuple, les Haitiens, ancrée à une histoire d´amour footballistique. Voilà pourquoi, pour comprendre le fondement historique de leur regard actuel sur le Brésil, il convient de partir de ce constat auquel ne s´intéresse personne, à savoir, cette histoire d´amour et de passion footballistique liant sur le plan social, culturel, sociologique et psychologique les deux peuples. Elle a, en quelque sorte, stimulé l´émigration haitienne vers le Brésil et suscité, conséquemment, la création d´un autre type de visa, savoir, le visa humanitaire conçu et octroyé exclusivement aux migrants haitiens par le gouvernement brésilien comme expression de solidarité et d´hospitalité.
     Ainsi, le présent article propose de spécifier succintement la particularité de l´immigration haitienne, de mettre l´emphase sur les difficulté, ambiguité et complexité d´analyser sociologiquement le fait migratoire haitien, enfin, de faire ressortir les fondements d´une telle histoire d´amour footballistique et son lien avec l´immigration des Haitiens au Brésil.

La particularité du fait migratoire haitien au Brésil

     L´immigration en soi, qu´elle soit forcée ou consentie, constitue, depuis l´aube, un phénomène majeur pour l´humanité au point qu´aucune société n´en est exempte. Les sociétés contemporaines, appelées à y faire constamment face, le gèrent suivant ses méthodes, ses moyens et ses capacités. En outre, c´est un phénomène à caractère national, international et transnational qui s´inscrit toujours dans un contexte historique mondial et universel. Ainsi, depuis quelque temps, le phénomène migratoire intéresse particulièrement la science sociologique comme objet d´étude, au point qu´il devient aujourd´hui une des problématiques à laquelle les théories sociologiques essaient d´apporter quelques réponses. 
     Si l´on tient compte, par exemple, du fait de la migration des Syriens qui, en divisant l´Europe notamment en matière de la législation, occupe les premières pages de la quasi totalité des grands journaux internationaux, il y a lieu de constater que ce sont des personnes qui fuient les violences tracassantes bouleversant leurs sociétés et tentent désespérément de rentrer en Europe, plus précisément, en Allemagne. Nous pouvons en relever comme élément sociologique de la question des violences collectives qui, subitement et spontanément, contraignent des individus à d´autres issues de survie et à d´autres formes de socialisation, puisque certaines sociétés européennes leur ont ouvert la porte. Le cas de l´immigration haitienne vers le Brésil accuse, par contre, une certaine particularité: Des gens qui, à partir d´un moment historiquement particulier de la vie sociétale haitienne, à savoir, le séisme du 12 janvier 2010, se tournent vers un pays émergent dont ils caressaient toujours le rêve de connaître dans toute sa splendeur. Depuis lors, ils ne cessent d´augmenter, intensifier et renforcer leur intérêt pour ce pays qui les envoûte artistiquement, culturellement et footballistiquement parlant, ce pays s´appelle le Brésil qui désormais devient  leur principale destination. 
      
     C´est pour cette raison, ce que nous proposons ici est une réflexion succinte à caractère historico-sociologique sur le fait migratoire haitien au Brésil en partant de cette idée d´amour footballistique. Elle est certes moins convaincante voire même insignifiante sur le plan économique et matériel, pourtant, du point de vue symbolique, social et culturel, cette idée, loin d´avoir la prétention d´expliquer le phénomène migratoire haitien au Brésil dans son ensemble et d´en être une des causes principales, n´est pas du tout négligeable et en constitue une particularité intéressante. Elle nous interpelle. C´est en étant conscients de cette interpelation qu´il est important d´insister sur cet amour passionnel des Haitiens pour le Brésil, en particulier, pour son football - le point central de cet article -, pour son carnaval et sa diversité culturelle et environnementale, lequel amour représentant un lien social historique entre Haitiens et Brésiliens, ne tardera pas à être utilisé par les uns comme sillon de prospérité économique et par les autres comme forme d´exploitation à outrance des forces de travail des pauvres gens à cause de leur naiveté, leur difficulté linguistique, leur origine sociale, la fragilité de leur système politique et leur condition économique. Donc, cet aspect, ayant l´air d´être plaisant ou ridicule, contient, pourtant, quelques éléments explicatifs et significatifs fort intéressants qui puissent nous aider à comprendre certaines raisons qui pousseraient les Haitiens à s´attacher tant au Brésil. 
     Mais, bien avant d´y parvenir, nous allons essayer de faire ressortir quelques éléments de difficulté, d´ambiguité et de complexité susceptibles de nous empêcher d´aller un peu plus loin dans l´analyse et la problématisation sociologique de l´immigration haitienne au Brésil.

Difficulté, ambiguité et complexité de l´analyse sociologique du phénomène migratoire haitien au Brésil

     Sociologiquement parlant, il est extrêmement difficile d´analyser un pareil cas que représente l´entrée massive des Haitiens sur le sol brésilien, cela pour plusieurs raisons parmi lesquelles il convient de souligner les suivantes: L´admiration, l´amour et la passion des Haitiens pour le Brésil est historique; cet amour ne datant pas d´hier s´ancre d´abord au football, ensuite au carnaval et à la culture pour s´arrêter sur la diversité environnementale du peuple brésilien; les migrants haitiens viennent d´horizons divers; leurs parcours avant d´arriver au Brésil sont diversifiés, confus et troublants; les causes d´analyse sociologique qui seraient à l´origine de leur venue au Brésil sont multiples, multiformes et complexes etc. 
     Au-delà de ces ambiguités, il y a lieu de constater un intérêt de plus en plus accrû des Haitiens pour le Brésil et une attention spéciale de celui-ci à ces derniers, lesquels intérêt et attention suscitent beaucoup d´interrogations. Qu´est-ce qui pousse les Haitiens à se tourner aujourd´hui vers le Brésil? Pourquoi le Brésil, en redéfinissant sa politique migratoire en faveur des Haitiens, leur a-t-il créé un visa dit humanitaire? Qu´est-ce que c´est que ce visa humanitaire? Comment l´obtenir? Quelles sont ses conséquences en termes d´avantages et d´inconvénients pour les bénéficiaires? Garantit-il réellement aux Haitiens, d´une part, l´intégration sociale au sein de la société brésilienne, l´insertion sur le marché de l´emploi, de l´autre? Que faut-il comprendre aujourd´hui dans les relations diplomatiques entre Brésil et Haiti? Qu´est-ce que les migrants haitiens ont-ils espéré, espèrent et espèreront du Brésil? Cette nouvelle vague migratoire haitienne vers le Brésil a-t-elle des conséquences sur celle qui se dirige, habituellement et continuellement, vers les États Unis et la République Dominicaine? 
     À dire vrai, dans un tel article, qui se veut synthétique, il n´est pas possible de traiter séparément toutes ces questions, d´ailleurs, nous ne pouvons non plus nous y atteler vu la complexité de chacune d´elles. 

     Toutefois, les différentes et difficiles questions sus-mentionnées donnent déjà une idée sur le gigantisme, l´ampleur et la complexité du seul phénomène migratoire haitien sur le territoire brésilien. Donc, une problématique à laquelle ne saurait répondre un simple article. En outre, en les annonçant ici, nous avons pleinement conscience qu´elles dépassent la taille et le contenu d´un article qui cherche à se concentrer sur un aspect précis, car le problème migratoire des Haitiens au Brésil touche à des caractéristiques diverses, pluri et multidimensionnelles. Ce qui veut dire que même lorsque nos analyses se limiteraient exclusivement à ce seul phénomène, le problème resterait aigu et exigerait un traitement minutieux et une problématisation beaucoup plus approfondie en plusieurs articles voire jusqu´à parler même de thèses, de livres etc. 
     Quelques raisons sont susceptibles, par contre, d´expliquer l´ampleur de ce problème. 
     La première c´est qu´au Brésil, le géant de l´Amérique du sud avec une superficie de 8 515 767, 049 Km² et une population de 190 732 694 habitants, ayant, à lui seul, la taille d´un continent, les Haitiens arrivent par milliers depuis 2010, soit en provenance du Pérou, de l´Équateur, de l´Argentine ou de la Bolivie. De cette date à nos jours quelques 70.000 Haitiens sont arrivés sur la terre des rois du ballon rond, la majorité de manière illégale, à la conquête d´un mieux être. Ils ont fui les situations socio-économiques lamentables et les graves violations des Droits de l´Homme dans leur pays d´origine pour venir en subir le pir dans un pays d´accueil, le Brésil, dont ils se déçoivent de plus en plus. Ainsi donc, comment contrôler et organiser cette vague migratoire des Haitiens qui arrivent illégalement au Brésil? Quelles meilleures méthode et stratégie pour freiner le phénomène de passeurs, principal responsable de l´entrée illégale des migrants haitiens sur la terre brésilienne?
     En second lieu, pris entre l´enclume et le marteau dans un sens terminologique, à savoir, la difficulté de trouver un consensus sur le concept à utiliser à l´égard des Haitiens: réfugiés, migrants ou déplacés de catastrophes naturelles, le gouvernement brésilien s´est finalement résolu, en 2012, à créer un autre type de visa exclusivement à l´attention des Haitiens, c´est le visa humanitaire qui, en s´obtenant soit à l´ambassade brésilienne à Port-au-Prince ou à celle dans la capitale équatorienne, Quito, produit, en fait, un impact très faible voire insignifiant sur le ralentissement du phénomène de trafic illégal d´êtres humains, principale cause de l´augmentation massive et de l´entrée illégale des migrants, phénomène dont est également victime la majorité des Haitiens qui est arrivée au Brésil au cours des dix dernières années. À noter que la création de ce visa a été non seulement une exception, mais surtout a engendré une innovation dans les lois brésiliennes concernant la rentrée et la permanence des Étrangers au Brésil. En dépit des efforts diplomatiques des deux gouvernements (haitien et brésilien), le double problème reste entier, à savoir, l´entrée illégale des Haitiens et le grossissement de leur nombre qui devient de plus en plus statistiquement imprécis puisqu´incalculable. La cause est simple, c´est que le visa humanitaire - sur lequel il nous faudrait revenir dans un autre article avec des analyses et réflexions critiques beaucoup plus amples, minutieuses et approfondies - est problématique et a l´air d´être un véritable cadeau empoisonné pour les migrants haitiens.
     Il y a un troisième problème dont il faut également tenir compte, c´est, d´une part, l´invisibilité des traficants, la dfficulté ou l´impossibilité de les identifier, la multiplicité et la variété des points d´entrée des migrants haitiens sur le territoire brésilien, de l´autre. Trop complexe et problématique, nous laissons de côté la question du répérage et de l´identification des traficants. Celle des frontières l´est aussi, mais dans une moindre mesure. Sur ce, des institutions brésiliennes travaillant dans le domaine de l´immigration comme le CNIg (Conseil National de l´Immigration) ont identifié plusieurs point d´entrée des migrants haitiens sur le territoire brésilien. En effet, le plus grand nombre provient de Brasiléia, dans l´état de Acre (environ 15.000 de 2010 à nos jours) à la zone frontalière ouest partagée entre Brésil, Pérou et Bolivie. D´autres arrivent du sud, plus précisément, de Porto Alegre en passant par les frontières qui séparent le Brésil d´avec l´Uruguay. Un autre groupe a laissé l´Argentine pour se rendre au Brésil en empruntant la direction sudeste à la frontière que le Brésil divise avec l´Argentine et le Paraguay. Malgré la difficulté de définir la mobilité sociale des haitiens, la majorité s´installe actuellement à São Paulo et à Manaus où les opportunités de travail sont plus ou moins. Outre qu´ils aient Haiti comme point de départ initial, certains se sont précipités à laisser la République Dominicaine, destination référentielle le Brésil, pour éviter de tomber sous le coup de l´arrêté qui a ravi le droit de nationalité à des milliers d´Haitiens qui y vivent et y ont donné naissance à des générations. 
     Plus complexe et ambigu, ce dernier problème, vu son importance, ne peut ne pas attirer notre attention, il s´agit de la situation psychologique et socio-économique dans laquelle se trouvent les migrants haitiens lorsqu´ils ont finalement réussi à investir le sol brésilien: la majorité est arrivée au Brésil épuisée, fatiguée, déshydratée et quasiment dépourvue de tout, dans des conditions sociales et économiques lamentables et précaires. Non pas qu´ils aient laissé Haiti ou la République Dominicaine avec de telles précarités, mais, ayant été escroqués, dupés, exploités et, psychologiquement, abattus et épuisés, ils se sont fait piller et rançonner, au cours de longues routes qu´ils ont empruntées pour leur amener finalement au Brésil, par des individus connus sous le nom de passeurs, c´est-à-dire ceux-là qui aident à traverser illégalement les frontières. Cela sous-entend, par conséquent, qu´ils sont exposés ou continuent d´être exposés à toute sorte de discriminations sociales. Ainsi donc, vu l´ampleur et la taille de ce phénomène migratoire, il se trouve que ce n´est qu´un infime aspect bien précis que nous puissions aborder ici. Autrement dit, quoique nous fassions, disions ou escrevions, le phénomène resterait immense et gigantesque à l´image de la dimension de la société qui est entrain de le vivre. 
     Néanmoins, ces difficulté, ambiguité et complexité de l´immigration des Haitiens au Brésil ne doivent aucunement nous empêcher d´avancer dans la problématisation d´un tel phénomène et d´en indexer un aspect dont nous estimons la valeur symbolique. En effet, en voulant aborder le phénomène migratoire des Haitiens, notre objectif consiste à cerner le côté historique et sociologique de la question en mettant l´accent sur cet amour historique démesuré pour le Brésil qui caractérise les Haitiens et les conduit à le préférer depuis les catastrophes du 12 janvier 2010. Il y a une attirance ou une attraction mutuelle qui ne nous paraît du tout pas innoncente encore moins naive.

Haiti et le Brésil: Les fondements d´une histoire d´amour footballistique et son lien avec l´immigration haitienne

     Parler d´un tel sujet dans un contexte où les migrants haitiens - pas les seuls bien entendu - font face à toute sorte de difficultés: racisme, logements indécents, discrimination, préjugés, marginalisation, travail analogue à l´esclavage, absence d´intégration sociale, manque d´insertion sur le marché du travail brésilien, conditions sociale et économique de travail précaires, violence, meurtre, menace, persécution, au sein de la société brésilienne, paraît être une initiative déconcertante pour les uns, inutile pour les autres. Pourtant, il garde un intérêt, une valeur et une utilité parce qu´il prétend révéler et éclaircir un fait plus ou moins invisible qui a suivi la venue des Haitiens ici. Sur le plan historique et sociologique, il ne saurait avoir la discrimination entre grands et petits faits: Tous les phénomènes sociaux méritent une attention égalitaire. Même si certains apparaissent plus significatifs que d´autres, cela n´enlève rien à leur valeur épistémologique et scientifique. Le cas de l´amour footballistique en est un. En l´abordant, nous croyons toucher à un aspect originel, qui sort de l´ordinaire, d´un sentiment et intérêt profondément cachés de la part des Haitiens pour le Brésil. Ce n´est pas que personne ne parle de la folie des Haitiens pour le football brésilien, mais jamais dans le sens que nous voulons décortiquer cet amour ici. De plus, si certains s´y arrêtent un peu, ce n´est que pour faire ressortir son côté amusant, divertissant et rejouissant, non pas pour y entrevoir un probable élément causal et explicatif du phénomène migratoire haitien. Une telle approche susciterait par conséquent certaines questions. Qu´est-ce qu´une question d´amour footballistique aurait-elle à voir avec un problème migratoire? Quel lien y aurait-il entre amour footballistique et immigration? En quoi un tel sujet pourrait-il nous aider à comprendre pourquoi les yeux des Haitiens restent infatigablement fixés sur le Brésil comme idéale terre promise?

     C´est peut-être un peu original ou même osé d´extraire un tel aspect dans un problème aussi complexe, un sujet très impopulaire en plus, car, pendant que certains s´interrogent sur le phénomène migratoire haitien en lui-même et d´autres ne cessent de le dramatiser, nous, nous voudrions nous montrer plutôt préoccupés à comprendre une autre facette de ce phénomène à travers un art qu´est le football qui a créé dans le coeur et la pensée des Haitiens un sentiment d´amour pendant longtemps dissimulé. Puisque personne n´a songé à entrevoir dans le football un éventuel facteur doué d´une certaine puissance à lier psychologiquement et sociologiquement parlant Haiti et Brésil, nous pensons à lui accorder une place dans nos réflexions. Il est important de préciser sa place dans la question migratoire vu qu´il nous en fournit quelques pistes de réflexions utiles. Autrement dit, à force de s´occuper à rendre tragique et dramatique la migration des Haitiens au Brésil, on ignore dès fois ce côté sentimental: Cet amour des Haitiens pour l´art footballistique brésilien suscite un intérêt socio-économique qui se dévoile et se révèle sur le tas. On oublie également qu´il a pu être dans le passé un élément pluridimensionnel créateur d´ouvertures.

     En effet, bien avant de s´attentionner très récemment à Haiti sur le plan politique, diplomatique et économique, le Brésil constituait et constitue encore dans la pensée collective haitienne une passion, un amour perdu, fidèle et vrai, notamment à cause de son football. Pour les Haitiens le Brésil reste et demeure - et cela leur semble une obsession - la meilleure équipe de football de tous les temps. À cause de la profondeur et la sincérité de cet amour, ils s´en moquent pas mal des classements mensuels et annuels de la FIFA dans lesquels le Brésil connaît des hauts et des bas. Obsédés, la performance de l´équipe brésilienne est à leurs yeux sempiternelle, immuable et infaillible: aucune autre équipe ne peut la détrôner. Un amour tellement ancré dans leur imaginaire, leur sang et leur âme que l´équipe de football brésilienne gagne depuis longtemps la plus grande branche des fanatiques dans la société haitienne tandis que l´Argentine et les autres équipes (européenne ou américaine) se contentent de l´autre petite branche. Il est, néanmoins, très difficile, statistiquement parlant, d´établir le pourcentage de gens qui adorent, se raffolent et se passionnent de l´équipe brésilienne. Lorsqu´elle affronte son plus grand adversaire de l´Amérique, l´Argentine, ou une grande équipe européenne comme la France ou l´Allemagne, on en compte des centaines et milliers. Il n´est pas sans savoir qu´à travers le monde, plus particulièrement, en Haiti, la rencontre entre Brasil et Argentine constitue, dans l´histoire footballistique mondiale, le choc des Titans. Et, il faut retenir, à cet effet donc, que les Haitiens ne sont pas moins obsédés que les Brésiliens et Argentins d´un tel duel qui, vu son ampleur et les impacts qu´il produit, reste, au vu et au su de tout le monde, une rencontre foudroyante.

     Durant mon adolescence, j´avais l´habitude d´assiter à des scènes d´émerveillements, d´exhibitions, de joies éclatantes, de rejouissances individuelles et collectives, accompagnées quelquefois de violence quand le Brésil gagne ou remporte une compétition à caractère mondial ou même celle d´une importance moindre. S´il en sort perdant, alors là, notre pauvre Haiti doit se préparer à la foudre qui lui tombera dessus. Deux scènes historiques plus anciennes, dans les deux sens, m´ont profondément marqué toute la vie, ce sont: la défaite du Brésil face à l´Argentine en coupe du monde de 1990 et sa victoire lors de celle de 1994 remportée contre l´Italie. Le premier événèment a fait verser de grandes larmes dans le camp des zélés et dévoués au Brésil. Il fallait voir enfants, jeunes et adultes fanes du Brésil pleurant inconsolablement. Dans le camp argentin c´était la satisfaction et la rejouissance parfaites. Le second événèment a créé un autre tournant. En effet, à cette époque, je n´ai jamais vu à ma connaissance autant d´affection, d´admiration, de passion des Haitiens pour le Brésil à cause de son magnifique jeu de football que l´on estime, de plus en plus, être le meilleur sur la planète. Cela signifie qu´une attraction artistico-footballistique et socio-culturelle lie deux peuples qui, pendant longtemps, s´ignorent, mutuellement et historiquement, sur le plan diplomatique, économique, politique et commercial jusqu´en 2010. Il y a donc une histoire socio-footballistique entre Haiti et Brésil. D´où vient-elle?

     D´une part, les Haitiens sont de véritables amants et passionnés du football, qui est, sans risque de se tromper, leur sport préféré sans que cela n´enlève aucunement le droit à une minorité d´Haitiens de faire valoir la discipline sportive de son choix, comme le basketball, par exemple. Sur le plan pratique, il est dit que le petit Haitien, comme le petit Brésilien, a le football dans l´âme et le sang, c´est-à-dire sans avoir passé à une école de football moderne, le petit Haitien naît talentueux, et très talentueux d´ailleurs en matière du football. Certains, dans le même sens, sont très brillants dans d´autres disciplines sportives avant même d´avoir fréquenté ou de se faire inscrire dans une école. Maintenant, du point de vue théorique, le fanatisme des Haitiens pour l´équipe brésilienne outrepasse quelquefois les limites et essuie, en conséquence, quelques actes violents et agressifs. Néanmoins, le côté passionnel et obsessionnel l´emporte toujours sur l´agressivité et la violence. Je me rappelle qu´un ami m´a dit un jour: ''Quand le Brésil joue, je ne m´intéresse plus à la nourriture. Lorsqu´il gagne, ma joie est immense, je ne puis la contenir. Mais, s´il perd j´ai envie de me tuer''. C´est une déclaration  individuelle certes, mais qui, par contre, réflète l´obsession de nombreux Haitiens, de plus, plusieurs éprouvent un énorme plaisir en prenant l´habitude de parier de fortes sommes d´argent, de biens matériels dans le but de manifester et d´exprimer leur total et entier dévouement, leur dévotion, leur abandon et leur confiance à l´équipe brésilienne. Les Haitiens aiment le football agréable d´une équipe talentueuse, qui a le don, le secret et la magie de faire rouler le ballon rond qu´est le Brésil. Et, le Brésil, par-dessus tout, en dépit des moments de faiblesse et de décadence par lesquels il a passé au cours de ces dernières années, sait gré leur offrir favorablement de tels spectacles, de telles ambiances et de telles animations footballistiques.

     D´autre part, ayant le football dans le sang, l´âme, l´imaginaire, l´esprit et le subconscient, la passion des Haitiens pour le beau football brésilien est sans mesure, de plus, elle n´est pas du tout récente, elle jouit d´une ancienneté et d´une durée inimaginable. Ancrée dans leur pratique culturelle et traditionnelle au quotidien, cette admiration provient non seulement du fait que le Brésil est séduisant et charmant par son jeu, mais encore parce que les Haitiens n´en trouvent pas mieux dans les autres équipes. En d´autres termes, sous la base d´une alliance fictive et invisible, peut-on dire, le peuple haitien se trouve ensorcellé par le football brésilien qui, de plus en plus, le surprend, l´épate et continue de le fasciner. En cela nous retrouvons les fondements d´un amour footballistique parfait, fidèle, infini, doux, suave, agréable, de plus en plus extraordinaire, malgré certaines regressions sur le plan qualitatif que le Brésil a connues durant ces 5 dernières années. Sa défaite devant l´Allemagne, en 2014, sous un escore humiliant (7-1), n´a guère changé l´opinion des Haitiens sur la qualité du jeu stupéfiant du football brésilien ainsi que sa performance et sa potentialité. Elle n´a non plus guère diminué le nombre de ceux qui, apparemment, ont signé un pacte de fidélité, disons mieux, un contrat social indestructible et immuable avec le football brésilien dont ils ne peuvent aucunement se passer. 
     Ainsi, tout autre chose mise de côté, tout ceci  montre que le Brésil est un pays qui attire depuis vieille date les Haitiens, occupe leur esprit, les guète et envahit leur pensée. Alors, le séisme du 12 janvier 2010 peut être considéré comme phénomène catalyseur qui a dévoilé, révélé et dénudé cette admiration secrète engendrée par le football.

     Mais, ce regard haitien fixé aujourd´hui sur le Brésil comme terre d´opportunités économiques sous-entend également que l´amour footballistique s´accompagne d´une montée économique et, n´ayant pas été éteint, disparu ou anéanti, cet amour a déjà subi de profondes mutations. Sans vouloir, toutefois, minimiser son rôle important dans l´immigration haitienne vers le Brésil, l´événement naturel du 12 janvier 2010 a grandement coincidé avec ces trois grands faits sociologiques: la création des liens social, culturel, sportif et artistique entre Brésil et Haiti dont l´amour footballistique est l´origine, la détérioration de la vie sociale et économique en Haiti bien avant le séisme, enfin, l´expansion et l´émergence économique du Brésil.

     Le sens, la signification et la valeur de ces belles amours construites sans intérêt sur une base de sentiment, consolidées sans esprits de profit économique et de lucre aucuns tout au long d´une histoire sans histoire, c´est-à-dire une histoire ignorée consciemment ou inconsciemment par les deux peuples, s´effritent, se perdent, s´évaporent, s´affaiblessent, se diminuent, se dévalorisent au profit, d´une part, de la montée en puissance de l´économie brésilienne, d´autre part, de la descente aux enfers des Haitiens tant en Haiti qu´au Brésil où ils travaillent dans des conditions qui n´ont rien à envier à l´esclavagisme du XV au XX siècle. Il y a donc ici deux pôles complètement opposés qu´il faut souligner. Premièrement, la misérabilité et la pauvreté d´un peuple; la dislocation et les anomalies d´une société; l´exclusion sociale et la dépravation d´une masse juvénile; le manque de vision et la corruption d´un gouvernement; l´absence d´intégration sociale et l´irrespect des valeurs sociale, symbolique, historique, culturelle et religieuse qui contraingnent des individus à fuir cette terre de feu qu´est devenue Haiti, disons d´une autre manière, qui la transforment en une société de production et de fourniture de mains d´oeuvres à bon marché pour ne pas dire une société d´esclaves moderne. 
     Deuxièmement, dans l´autre polarité, il y a le rythme exponentiel, surprenant et extraordinaire auquel croît l´économie du Brésil. En effet, ce géant de l´Amérique du sud, en plein développement capitaliste, est sans cesse à la recherche de forces de travail pour de vils prix, pour des salaires exécrables, misérables, humiliants et dérisoires. Les Haitiens, étant les plus vulnérables, sont ses principales cibles. Beaucoup travaillent pour un salaire mensuel de R$ 500 pour 11 heures de travail fournies par jour. Ils n´ont presque pas le choix. Ils y sont contraints, car tout joue contre eux: la langue, la culture, la qualification, la compétence, l´environnement, le marché etc. Sans oublier, par ailleurs, qu´ils doivent aussi competir avec les Brésiliens en chômage. Aucun et absolument aucun Brésilien n´accepterait de travailler pour un tel salaire en rappelant que cette somme est nettement inférieure au salaire minimal régional fixé à R$ 788 selon le décret brésilien #8.381 du 30 décembre 2014.

     La richesse du football brésilien et l´amour footballistique haitien pour elle ont, semble-t-il, muri et construit ce qui se passe aujourd´hui, disons mieux, cet amour a précédé et créé cet idéal de Terre promise ou de Terre Bénie qui s´installe ineffaçablement dans la tête de nombreux Haitiens. Autrement dit, il a conduit à leur appréciation de la jeune et florissante économie brésilienne. De plus, pouvant être un élément explicatif du fait migratoire haitien, il est susceptible d´être, malgré tout, à l´origine de l´installation de nombreux haitiens sur le sol brésilien pour y expérimenter ce dont ils rêvent depuis longtemps, à savoir, l´immensité et la splendeur de la société et de la culture brésilienne. Le Brésil offre aux Haitiens plus d´opportunités économiques que l´Argentine, le Pérou, l´Équateur et le Chili qui ont passé du statut de pays de destination à celui de transite. Cette histoire d´amour footballistique a donc préparé et frayé ce chemin des opportunités économiques. 
     On ne doute pas que le peuple et le gouvernement brésiliens comprennent et soient conscients de cet amour démesuré des Haitiens pour leur art footballistique. Mais, la vie pratique et réelle, les fréquentations et les relations au quotidien auxquelles sont appelés Brésiliens et Haitiens en disent autrement. En d´autres termes, les agissements et comportements dissimulés à l´égard de cette communauté haitienne contredisent le plus souvent le discours d´un pays ouvertement hospitalier, socialisant et accueillant aux étrangers que prétend être le Brésil. Voilà pourquoi, à notre sens, cette attention particulière que le gouvernement brésilien accorde aux migrants haitiens par l´octroi du visa humanitaire, nous paraît être une expression de gratitude  et de solidarité anachroniquement empoisonnée. 
     En résumé, bien qu´ils continuent d´aimer le Brésil et son football, et, au-delà de tout autre obstacle, les Haitiens souffrent d´un problème réel d´intégration sociale au sein de la société brésilienne et n´arrivent pas vraiment à se faire insérer sur le marché du travail et de l´emploi contrairement aux promesses du visa humanitaire.

Considérations finales

     En définitive, en dépit de la qualité de vie critique qu´ils mènent au Brésil et malgré les discriminations de toute nature dont ils y sont l´objet, le sentiment d´amour des Haitiens à travers le monde pour l´art footballistique brésilien reste inébranlable, inaltérable et inffaillible. Il se fond et s´accompagne de la recherche d´une vie sociale et économique plus ou moins équilibrée. Peut-on, à cet effet, entrevoir dans ce sentiment d´amour sincère, qui atteint déjà son niveau sublime, l´alpha et l´omega de l´attachement profond des Haitiens au Brésil. Pourtant, la gratitude du gouvernement brésilien, exprimée de façon diplomatique et politique, n´est qu´inégalitaire. La Terre promise que devient le Brésil pour les Haitiens est un idéal qui, étant l´oeuvre d´un réseau puissant siégé tant en Haiti qu´au Brésil, est bel et bien ancré dans l´imaginaire et l´esprit de beaucoup d´Haitiens à les entendre parler. Ils ne se rendent compte de ce fourvoiement que dès lorsqu´ils ont goûté aux réalités sociale, économique, politique et culurelle existantes sur le sol brésilien. Ainsi donc, détrompons-nous, il n´existe pas de pays où coule le lait et le miel dans ce monde. Le Canaan du peuple israélien reste biblique et ne dépasse pas cette frontière.

Jean FABIEN
Doctorant en Sociologie (Unicamp)

Campinas, 23/12/2015