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lundi 12 janvier 2015

''TEMOIGNAGES VIVANTS'' (Quatrième Partie): LA CULTURE DE L´INTOLÉRANCE

          Dans la première partie de cette série de témoignage vivant sur le séisme publié en 2011, soit un an après, nous avons eu le courage de partager avec nos valeureux compatriotes rescapés de cet événement notre vécu personnel de cette expérience, car c´était pour la première fois de notre vivant que nos yeux ont vu une telle catastrophe. La seconde partie, parue en 2012, s´est articulée autour de l´entraide mutuelle incroyable que les Haitiens se sont offerte courageusement le jour de ce drame avant l´arrivée des aides des pays voisins et lointains. La troisième partie était rédigée sous le titre de Pensées Spéciales en 2013 à la mémoire de ceux qui ont péri dans cette tragédie, et à l´attention de ceux qui, dans cette triste circonstance, cherchaient à adresser quelques mots de reconfort à leur proche dans le but de saluer ce douloureux  départ. Nous avons l´intention, par contre, de consacrer cette quatrième partie à insister sur la culture de l´intolérance qui touche à la pratique religieuse et à l´orientation sexuelle, deux aspects parallèles qui, depuis ce jour d´agonie, continuent de marquer la société haitienne. En écrivant cet article, l´objectif est de montrer qu´un tel moment de douleur, de souffrance, de pleur et d´agonie a, malheureusement, été pour certains haitiens l´occasion de se mettre à discriminer leurs propres semblables sur le plan religieux et sexuel en voulant leur faire porter le fardeau de ce drame, pendant qu´un autre groupe priait, jeûnait, devenait plus croyant qu´il ne l´était auparavant, se fourvoyait dans des activités spirituelles. Une telle expression de foi démésurée d´un peuple en agonie s´accompagne d´une rivalité religieuse entre différentes confessions religieuses qui profitent de l´ignorance de la population pour les faire croire dans des miracles farfelus pendant que les leaders de ces confessions religieuses accroitent leurs chiffres d´affaire. C´est un point - à publier l´année prochaine s´il plaît à Dieu - que nous aurons à développer plus amplement dans la cinquième partie de cette série.

          Cependant, en passant, il importe de souligner que, d´une part, nous n´avons aucunement l´ambition de nous atteler au cours des ans à une espèce de routinisation au sujet de ce drame de telle sorte que nous nous souvenons d´un proche, d´un ami, d´un collègue de travail, d´un membre de famille, des disparus, des morts, des estropiés que nous avons aidés, soutenus, pleurés ou mis en terre uniquement en cette date. D´autre part, l´intention n´est pas non plus d´en faire un rituel, même si tout être religieux ou a-religieux individuel ou social vit et se nourrit de rituels. Néanmoins, c´est un moment solennel qui, nous imposant un devoir de mémoire, fait surgir dans notre pensée d´autres séquences de ce séisme cachées dans un coin de notre cerveau, nous instruit, nous motive et nous interpelle chaque jour sur notre manière de vivre. Donc, il est difficile de tout rappeler en un seul instant en vue de tout dire, tout raconter et tout expliquer sur Goudou Goudou dans un seul ouvrage voire dans un article. Bien que les faits nous viennent à l´esprit par séquence, le plus important à retenir c´est que cet instant tragique de la vie du peuple haitien s´avère inoubliable.

          Ainsi, les aspects autour desquels nous aimerions articuler cet article, tout en saluant la mémoire de tous ceux qui nous ont quittés, sont, d´un côté, l´intolérance vis-à-vis la diversité religieuse dont le vodou est le plus frappé, et celle concernant l´orientation sexuelle de l´autre, qui guètent malheureusement notre soicété depuis longtemps. Cette situation s´est exagérée avec le séisme de telle sorte que nous pourrions dire qu´il représentait l´une des causes principales de son aggravation,  lui a été une sorte de catalyseur, ou qu´il constituait l´une de ses plus malheureuses conséquences. Cette mauvaise pratique, ayant toujours existé dans nos murs, a bouleversé et continue de bouleverser la société haitienne d´une monstrueuse intolérance qui l´attriste profondément.

La culture de l´intolérance contre la diversité religieuse: le vodou la principale cible

          Il y a lieu de souligner que, en termes de conséquences, ce tremblement de terre a été surtout marqué par une très forte intolérance religieuse, le vodou ainsi que ses pratiquants et adeptes en était la cible principale. En effet, au lendemain de cette catastrophe meurtrière, certaines personnes rafolées, désespérées, désolées, confuses, perdues, mais surtout plongées dans un sentiment de critique horrible non pas contre Dieu, mais contre la religion vodou, vont même jusqu´à attribuer le culte vodou à cette tragédie, d´autres, dans leur aveuglement, leur étroitesse d´esprit, leur capacité très limitée d´imagination et leur animalité, ont persécuté les vodouisants, brûlé leur temple et massacré quelques adeptes trouvés sur les lieux où ces actions inhumaines et homophobes ont été commises. L´idée n´est pas de faire ici une plaidoirie pour le vodou bien qu´il le nécessite - et si un jour le devoir nous l´impose, nous le ferons avec joie et gaieté de coeur, ce dans un esprit scientifique, critico-analytique et intellectuel - encore moins de le blanchir de ses gangues, car, lui aussi, comme toute autre religion d´ailleurs, en comporte énormément, mais, d´une part, de dénoncer cette intolérance religieuse, cette chasse contre le vodou, cette discrimination religieuse, ces préjugés, ces homophobies qui sont des ennemis vénimeux du développement de la culture et de la diversité culturelle et religieuse, d´autre part d´exprimer notre profonde indignation contre ces pratiques lugubres qui n´ont pas leur place au sein d´une société humaine laique où chacun a le droit d´être libre d´adhérer à une confession religieuse ou à une religion de son choix, et de ce fait, ne doit en aucun cas subir des persécutions et des discriminations à cause de ce choix et se retrouver dans la difficulté soit de l´exercer ou de le faire valoir.

            C´est triste d´évoluer au milieu des gens acculturés à ce point. C´est regrettable, par ailleurs, que des gens mal éduqués, mal formés et mal instruits ont pu profiter d´une si affreuse situation pour faire de leurs semblables la cause de leur malheur ou celle de tous les maux d´Haiti. Cela prouve que nous avons un problème d´éducation et de culture grave dans ce pays, que nous souffrons d´un mal appelé le respect de la liberté, de la personne humaine et de la diversité religieuse et culturelle. Toutefois, cela ne peut aucunement nous ravir le droit de continuer à espérer de vivre dans une société formée de gens cultivés, éduqués et instruits capables d´accepter de vivre dans les désaccords, les divergences et la diversité. Si la justice élève une nation, l´éducation et le respect de la diversité culturelle et religieuse doivent transformer une société.

          Le comble de tout cela, c´est que quatre ans plus tard après ce séisme, soit récemment en 2014, un très respectueux et respectable cardinal haitien répondant au nom de Chibly Langlois s´est ajouté à la liste de ceux qui ne cessent de s´attaquer férocement au vodou en l´identifiant à un blocage du développement du pays. En effet, selon cet acteur de la religion catholique, le développement d´Haiti ne peut pas passer par le vodou, comme si la religion a une fois développé un pays depuis que le monde existe. L´honorable cardinal a toutefois oublié que le catholicisme était à l´origine du génocide des Indiens en Amérique et que les guerres les plus meurtrières de l´histoire de l´humanité impliquaient, directement et indirectement, de près comme de loin, des religions. En outre, soit plus récemment, la religion a eu une part de responsabilité énorme dans le génocide rwandais en 1994. Et si le cardinal voulait faire allusion à la pensée scientifique, à l´imagination, à la rhétorique et à la création intellectuelle, alors là, sans vouloir l´offenser, nous pensons qu´il se tromperait grandement, car, chaque religion a sa vision du monde et sa manière de concevoir l´épanouissement de l´être humain et le développement de la société. Donc, il n´y a pas lieu et il ne peut pas avoir lieu d´établir entre les religions des rapports de supériorité ou d´infériorité, car elles sont égales, vraies et fausses à la fois.

          Ceci nous permet de comprendre, par conséquent, que le problème de discrimination et d´intolérance religieuse que nous confrontons - à noter qu´il existait bien avant le séisme - n´est pas seulement d´ordre analphabétique, mais aussi intellectuel et est frappé d´un profond illetrisme, car ceux-là qui combattent le vodou en Haiti ou qui suscitent la haine ou l´animosité religieuse, non pas seulement contre le vodou, même s´il en est la principale victime, mais contre les autres religions ou confessions religieuses ou cultures religieuses qui ne s´allient pas avec eux, sont des gens, pour la plupart, formés et instruits, et je dirais même, bien formés et bien instruits dans les plus prestigieuses écoles et universités à travers le monde. C´est dommage!
          Il est vrai que le séisme du 12 janvier 2010 y compris les dégats qui en résultent n´étaient pas d´ordre naturel, mais de nature humaine, c´est-à-dire dû aux concéquences de nos actions négligeantes qui ont entrainé la dégradation de la nature et de l´environnement, ce séisme n´a fait que mettre à nu la gravité de notre milieu socio-environnemental et de notre manière inhumaine de vivre. Cependant, en dépit des effets aggravants, cela n´a conféré le droit à quiconque d´indexer personne ou tel groupe de personnes, qu´il soit ethnique, racial, religieux ou social. Donc, c´est abérant, insultant et révoltant d´attribuer ce séisme ou un quelconque autre phénomène à un groupe ou groupement d´individus en fonction de son appartenance sociale, familiale, religieuse, professionnelle, politique, intellectuelle ou autre. Si nous vivons dans de telles idiotie et imbécilité comment pouvons-nous évoluer?

L´orientation sexuelle touchée aussi par cette culture de l´intolérance

          Par ailleurs, dans ce même cadre d´idées d´intolérance, l´orientation sexuelle a été également au coeur d´une discrimination sociale accrue au lendemain du séisme. En effet, ceux qui pratiquent l´homosexualité masculine aussi bien que féminine ont été, malheureusement, accusés d´être, au même titre que les fidèles du vodou, à l´origine du séisme et certains ont fait preuve d´une exagération pas croyable en appelant à la sanction de Sodome et Gomorrhe qui s´est abattue sur Haiti à cause de la présence de ces gens-là. Une campagne de persécution, de déchoucage, une chasse à l´homme et une tendance à mettre en péril les libertés individuelles acquises à l´orientation sexuelle se sont enclenchées contre ces individus qui s´acquièrent le droit le plus entier de choisir l´orientation sexuelle qui leur convient. Encore une preuve qui montre que nous sommes loin d´accepter dans notre environnement la diversité culturelle, religieuse et sexuelle voire la respecter. C´est une preuve palpable que la société haitienne n´est pas encore prête à accepter encore moins à vivre au milieu de ce phénomène sans être obligée de l´aimer. Si nous sommes à ce stade de déliquescence culturelle, éducative et morale, il est inutile de parler de société démocratique. Dans toute société démocratique la liberté individuelle ne doit courir aucun danger permanent et aucun risque, la démocratie marche en parfaite harmonie avec les libertés individuelles qui impliquent purement et simplement le respect de la volonté et du choix de chaque personne humaine. Nous sommes très loin d´atteindre ce but qui doit nécessairement passer par un respect du droit de chacun en tout dans la mesure où son droit n´outre passe pas les limites de celui du prochain.

          Le séisme du 12 janvier 2010, en dépit de ses conséquences douloureuses telles que nous le savons déjà tous, a été une occasion de montrer la fragilité et la maladie de la société haitienne en matière du respect de la liberté et du droit individuels tandis que nous ne nous lassons pas de nous réclamer d´être une société démocratique. C´était aussi l´opportunité de constater à tel point le peuple haitien est intolérant du moins sur ces deux points. Le séisme n´aurait pas dû être utilisé à de telles fins. Et, comme je le répète  assez souvent, ce n´est pas le séisme qui a tué, mais notre manière de penser et de vivre qui se trouve malheureusement infectée par cette intolérance et cette homophobie dans lesquelles nous nous complaisons de vivre chaque jour. Il faut que ces pratiques cessent.
          Dans toute société démocratique normale, l´amour et le respect ne se mélangent jamais. L´amour reste sentiment et le respect obligation. Étant relatif, l´amour est un choix sentimental délibérément facultatif, il n´est pas interdit à une personne d´aimer ou de ne pas aimer le vodou ou l´orientation sexuelle de quelqu´un. Il n´est pas non plus demandé de l´aimer ou de ne pas l´aimer, cependant, il est impératif que le choix religieux ou sexuel d´une personne soit doué d´un digne respect sans esprit de stigmatisation et de discrimination, car, non seulement, personne ne peut se faire condamner pour n´avoir pas aimé quelqu´un ou quelque chose dans la mesure où l´amour reste et demeure une qualité universelle et profondément humaine, mais encore, en tant qu´êtres humains nous sommes des êtres libres, multiples, divers, universels. Le respect du droit et de la liberté de l´autrui, étant nettement antérieur à l´amour à lui témoigner, s´impose au même titre que celui dû aux saints sacrements et j´y tiens fermement.

          Enfin, c´est dur et même très dur de tenir de tels propos à un moment où il devrait être question de se consacrer à la prière, à la méditation et au recueillement pour saluer la mémoire de tous ceux et toutes celles qui ont pris les devants dans le cadre de ce voyage obligatoire, pour apporter quelques propos d´encouragement aux survivants amputés physiquement et mentalement. Mais, qu´avons-nous appris cinq ans plus tard? Avons-nous réellement inicié la reconstruction de l´être haitien? Avons-nous appris à cesser ces barbarismes contre la personne humaine? En dépit des conséquences de cette tragédie prises dans le sens positif ou négatif, regrettables ou méprisables, ce séisme nous rappelle que la vie est fragile et que chaque instant mérite d´être vécu dans la paix, l´humilité, l´amour, le respect et la sagesse, car l´arrogance, l´intolérance et la grosse tête ne peuvent nous amener nulle part. La vie ne vaut rien, mais il vaut mieux l´avoir et l´avoir vécue, bien que dans la société haitienne les gens meurent avant d´avoir vécu. Elle doit être comprise comme une aventure à laquelle chacun doit répondre, un film dans lequel chacun a son rôle, une pièce de théatre qui interpelle chacun à l´accomplissement de sa partition. Il est inutile de chercher à connaître ce que c´est que la mort et de passer son temps à spéculer là-dessus, car, le temps de nous consacrer à chercher à la connaître nous serons déjà morts. Seule la vie donne sens à la mort. Voilà pourquoi ceux qui sont morts vivent encore parmi nous, en nous et pour nous. C´est par cette seule disposition spirituelle que nous pouvons leur rendre un vibrant hommage, peu importe la circonstance dans laquelle ils nous ont quittés et peu importe les impacts que ce tremblement de terre a produits. Ainsi, vivons sans penser à la mort, vivons pour rendre heureux nos morts afin qu´en mourrant nous devenions immortels.

Jean FABIEN
Normalien-Juriste


CAMPINAS, 12 janvier 2015

jeudi 1 janvier 2015

CE 1er JANVIER 2015, UN APPEL À UNE PRISE DE CONSCIENCE SERA MIEUX QU´UNE COMMÉMORATION

         Ce 1er janvier 2015 marque, bien sûr, le 211ème année depuis que nos ancêtres ont sacrifié leur vie pour faire d´Haiti la terre de la liberté, un pays indépendant. Après toutes ces années, le bilan est plus que triste, il est lamentable. En tant que pays colonisé, je pense qu´il serait préférable de consacrer cette date à une prise de conscience collective plutôt que de la célébrer rituellement, en d´autre termes, une réflexion sur notre état de peuple après 211 ans d´histoire sera mieux qu´une commémoration insipide.

         En effet, Haiti est une savane ou, si l´on veut, un pays non indépendant, sans autonomie et privé de souveraineté, pas la peine de parler d´interdépendance, car pour parler d´interdépendance il faut avoir quelque chose à offrir en retour soit sur le plan politique, économique ou culturel. Haiti est un très mauvais consommateur qui engloutit tout ce qu´on lui donne. C´est dûr de tenir un discours si sévère contre ma propre terre natale, mais, en principe, avec tout le respect que j´ai pour la mémoire des ancêtres, je pense qu´il ne devrait pas y voir de commémoration de l´indépendance cette année, car nous n´en avons pas. À force de s´engager dans un tel rituel, nous oublions que nous sommes effectivement un pays militairement colonisé par la Minustah, l´armée onusienne, politiquement dominé et économiquement mis sous tutelle par les quatre barons: les États-Unis, la France, le Canada et l´Union Européenne. Haiti c´est un pays-esclave. Un esclave à genou en plus, même pas débout, car l´esclave débout fait peur. L´esclave à genou accepte son sort, s´y complaît et ne fait aucun effort pour s´en sortir. Arrêtons cette bétise! Arrêtons de dire des bétises sur le mot indépendance. Ce premier janvier devrait être une journée de deuil, de pleurs, de lamentation, de pélérinage, de réflexion pour voir par quelle mesure il nous sera possible de nous libérer des griffes de nos ravisseurs.

          Ce n´est juste pas de continuer à nuire au sommeil des ancêtres qui ont honte de nous là où ils se reposent, sinon,  un jour nous les verrons ressuciter miraculeusement pour nous demander comme M. Jean-Claude Duvalier en revenant de l´exil: ''Qu´avez-vous fait de mon pays?'' A quoi nous sert-il une journée de premier janvier où l´on va chercher dans le plus récent dictionnaire nouvellement paru les plus belles expressions, les mots les plus sublimes pour former les phrases les plus succulentes pour parler de quelque chose qui, dans la réalité, n´existe pas? Pourquoi est-il si difficile que la vérité sorte de notre bouche? Haiti est un pays dépendant, à genou, soumis, asservi et assujeti. Il est dit que la vérité affranchira un peuple s´il la connaît comme telle. Un peuple qui patoge dans le mensonge n´ira nulle part. Il faut cesser ces bétises de dire que nous sommes un pays indépendant alors que 70% de notre budget sont de source étrangère, notre marché local est peuplé presqu´à 200% de produits alimentaires, cosmétiques et vivriers dominicains, des bétises qui n´apportent que des fatras à l´esprit de nos enfants et nos petits enfants. Nos ancêtres ont fait l´indépendance, et nous, nous avons choisi de faire la dépendance et la mendicité. Haiti est le prototype des pays d´esclavage moderne marqué par une mendicité accrue, une aliénation mentale, une soustraction de la pensée scientifique, un blocage du cerveau et une dévalorisation des valeurs humaines.

         Il y a des larrons qui nous guètent et nous dominent tous depuis longtemps. Seule l´union et l´unité nous permettront de lutter contre eux jusqu´à nous en libérer. Nous sommes malades et le pir c´est que nous ne voulons pas connaître notre maladie à cause peut-être de sa gravité. Une maladie ne sera guerrie que tant que la personne qui la souffre s´en rend consciemment compte et qu´une diagnostic est révélée par un médecin professionnel. Notre plus grande maladie c´est une maladie de conscience de notre propre maladie. Le premier et le plus grand médecin d´un malade c´est le malade lui-même, car le médecin, ne pouvant pas faire des miracles, écoute le malade, réalise sa diagnostic pour lui proposer un traitement, cependant, celui-ci aura beau faire si le malade n´est pas disposé psychologiquement à obéir à ce traitement. La diagnostic sera biaisée si le malade ment. Prenons l´exemple d´un malade qui a mal au ventre alorsque, arriver à l´hopital, il déclare au médecin que c´est sa tête qui le fait mal, alors dans ce cas, il restera toute sa vie un malade privé de guérison parce qu´il n´est pas conscient de sa propre maladie. Le malade se guerrit soi-même en étant conscient de sa maladie et en acceptant de la confier à son médecin traitant.
          Il y a au moins dans la vie quatre personnes auxquelles il est difficile voire impossible de mentir: soi-même, son prêtre ou son pasteur ou son mentor spirituel, son médecin et son avocat. En effet, un individu aura beau courir, mais sa conscience finira un jour par l´attraper, personne ne va et ne peut aller au-devant ni au-delà de sa conscience. Le mensonge est moralement réprimé même dans les sociétés dites barbares, ainsi, compte tenu du rôle de ces acteurs dans la vie sociale et individuelle, ils ont la réputation d´être nos meilleurs confidents auxquels nous pouvons confier tout, de nos bonheurs jusqu´à nos pirs déboires. Ainsi, pour être sûr que son rêve et son objectif seront atteints, l´individu se fie à un prêtre ou à un pasteur, pour que sa cause soit bien défendue il est obligé de vider sa conscience à son avocat, pour que sa maladie soit guerrie il ne faut rien occulter à son médecin. Enfin, pour y parvenir, le premier pas, en tout cela, consiste à avoir pleinement bonne conscience de soi-même et de son état. 

           Sur ce, ce moment doit être l´occasion de faire une diagnostic de nous-mêmes et de notre maladie, de nous regarder dans un miroir pour voir combien sommes-nous laids aux yeux du monde, plus particulièrement, aux yeux des peuples qui, en s´inspirant de notre histoire, nous ont pris et continuent de nous prendre pour un exemple très important et influent. Nous leur inspirons la liberté, l´égalité et la dignité humaine. Notre maladie c´est le mensonge et le remède ne peut être qu´une prise de conscience: Arrêtons de dire que nous sommes indépendants tandis que nous ne le sommes pas. Arrêtons de commettre les plus sales bétises en osant de réclamer de ceux qui nous tendent la main, qui nous font la charité, qui ont pitié de nous, qui nous soutiennent financièrement et économiquement de nous traiter avec dignité et égalité. La main qui demande tend toujours vers le bas et celle qui donne ver le haut. Deux positions diamétralement opposées. Soyons conscients de notre sort et luttons pour nous en libérer. C´est pour dire qu´un issu est possible et que le désespoir et le découragement doivent être des mots à jamais bannis de notre vocabulaire.
          Cet issu commence inévitablement par une prise de conscience de soi qui, elle-même, devra passer d´abord par une reconnaissance de la liquidation de notre indépendance politique, de notre autonomie économique et de notre souveraineté à l´étranger, deuxièmement par une cessation radicale de toute commémoration insalubre et salissante chaque premier janvier jusqu´au recouvrement de notre dignité de peuple, troisièmement par un travail assidu à l´intérêt de la nation en réformant les institutions et, enfin, en quatrième lieu, par une création de condition d´accès de chacun à un minimum de vie décent, à un minimum de bien-être. À mes yeux nous ne commettons que des bétises quand nous nous complaisons à répéter les mêmes phrases qui ne veulent absolument rien dire, des paroles en l´air qui font que l´étranger continue de se rire de nous, lui qui, paraît-t-il, nous connaît mieux que nous. La plus grande joie de l´étranger c´est de nous voir continuer à nous mentir à chaque fois qu´au premier janvier nous nous précipitons, d´un air hypocrite, à nous rendre aux Gonaives. Pourquoi ne pas donner, ce premier janvier 2015, l´année qui marquera les 100 ans de la colonisation étasunisienne, un autre signal en nous unissant contre cet ennemi commun puissant bien longtemps identifié?

          Nous ne sommes pas libres. Nous ne sommes pas maîtres de nous-mêmes. Un peuple libre, souverain et indépendant est celui qui peut controler son système politique, a le monopole de son économie, respecte sa culture, conserve fortement son autonomie entre ses mains, s´impose son propre art, se choisit son propre système alimentaire, est maître de son propre système éducatif et de sa destinée. Depuis l´assassinat du père de la nation, nous ne sommes plus maîtres de notre destinée. Cette savane appelée Haiti ne nous appartient plus. Et le comble, c´est que l´objectif de ceux qui nous mènent est de produire en nous la confusion et nous induire de plus en plus en erreur. Oui, c´est la tradition haitienne qui le veut ainsi. Mais, l´esprit de la tradition peut-il être contraire à la réalité? Et quand elle lui est contraire que faire? Je suis pour le respect des traditions sans être traditionnaliste, de même que je me conforme aux principes moraux, sociaux, culturels, éthiques, etc., sans être pourtant un conformiste. Quand la tradition ne va pas dans le même sens que la réalité, nous commettons soit la plus grave des hypocrisies ou nous ne savons pas ce dont nous parlons ou ce que nous faisons. La tradition est tradition quand, à mon sens, elle coïncide, elle est conforme avec la réalité. Nous sommes maîtres des traditions, c´est nous qui les faisons et elles sont faites pour nous, ce ne sont pas les traditions qui sont maîtresses de nous, ce ne sont pas elles qui nous ont fabriqués, ou que nous sommes faits pour les traditions, en d´autres termes, nous pouvons choisir de les mettre en veilleuse afin d´éviter d´être la risée des autres et jusqu´au recouvrement de notre souveraineté de peuple. Les mettre en veilleuse ce n´est pas de rompre avec elles, mais de faire en sorte qu´elles soient conformes à notre conscience et ne biaisent pas la réalité qui demeure la seule et unique vérité présente, palpable et réelle.

         Enfin de compte, la commémoration du premier janvier ne devra pas avoir lieu comme le veut la tradition, une prise de conscience serait mieux. Réflechir sur notre sort, que nous devons d´abord accepter afin de le changer, cesser de nous envoyer des fleurs inutilement et de nous faire des promesses intenables devrait être l´attitude la plus rationnelle à adopter en ce jour-là, car, il est clair qu´un pays modernement colonisé ne peut commémorer une indépendance qu´il n´a pas. Nous avons perdu ou du moins hypothéqué ce que nous appelons l´indépendance. Elle reste une abstraction totale. Si le colonisateur moderne n´était pas modéré en nous prenant pour des idiots et des anathèmes, il devrait nous fouetter à cause de cette impertinence que nous nous préparons à commettre annuellement. Donc, arrêter de faire et de dire des bétises sur la tradition de l´indépendance et nous mettre dès cet instant du premier janvier 2015 au travail pour sortir de cette tutelle, de cette domination étrangère, c´est ce qui sera plus significatif et raisonnable. Car, depuis le jour où nous avons perdu notre souveraineté, nous sommes devenus de purs ritualistes et de simples traditionnalistes, qui ne faitent les choses que juste pour les faire même si elles sont dépourvues de toute valeur, de toute essence et de tout sens. Il n´est pas trop tard de commencer cette réflexion sur notre état maladif. En prenant conscience de nos erreurs et en nous déterminant à les corriger, c´est ainsi que nous serons plus révérentieux envers les ancêtres et nous leur rendrons l´hommage le plus vibrant. Ainsi, je n´ai aucun voeu d´indépendance à me souhaiter à moi-même encore moins aux autres compatriotes. La situation est trop en porriture et s´il y a une chose dont j´ai horreur dans ce monde elle s´appelle l´hypocrisie dans toute sa nudité. Puissent les ancêtres comprendre mon indignation et mes frères et soeurs vouloir me pardonner l´impair.

Jean FABIEN
Normalien-Juriste

CAMPINAS, 01/01/2015